Entretien
Chef de projet au service des Éditions multimédias de la Bibliothèque nationale de France, Arnaud Laborderie conçoit et réalise des expositions virtuelles, des applications et des livres enrichis. Actuellement, il est chargé d’un projet d’éditorialisation de la bibliothèque numérique Gallica à destination des publics scolaires et des enseignants : http://gallica.bnf.fr/essentiels/, les « Essentiels de la littérature ».
Chercheur à la chaire ITEN (Innovation, Transmission, Édition Numériques) de l’UNESCO et membre du Laboratoire Paragraphe de l’Université Paris 8, il expérimente les nouvelles formes et usages du livre dans le cadre d’un atelier-laboratoire IDEFI-CréaTic.
et Samuel Szoniecky
Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication au département Hypermédia de l’Université Paris 8, membre du Laboratoire Paragraphe équipe CiTU, Samuel Szoniecky est spécialiste de l’intelligence collective et des développements socio-sémantiques du Web. Son travail se concentre sur la conception d’un écosystème d’information dédié à la stimulation de l’interprétation par la modélisation des points de vue et du pouvoir d’agir.
Entretien réalisé par Pascal Robert
La métaphore
Que signifie aujourd’hui pour vous l’idée de « cultiver le numérique » ?
- Note de bas de page 1 :
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Rabardel P., 2005. Instrument subjectif et développement du pouvoir d’agir, in Modèles du sujet pour la conception : dialectiques, activités, développement, Toulouse, Octarès éditions.
« Cultiver le numérique » illustre l’idée que le numérique est un « milieu vivant » qui offre la possibilité de sa « culture », c’est-à-dire l’appropriation de sa « fertilité » pour augmenter le pouvoir d’agir1. Tout comme cultiver un terrain permet de récolter de quoi nourrir, construire, habiller, chauffer… cultiver le numérique permet d’augmenter le pouvoir d’agir en trouvant dans les boutiques en ligne de la nourriture, des matériaux, des vêtements, de l’énergie… Au-delà des aspects matériels, la culture, qu’elle soit numérique ou non, permet aussi d’augmenter le pouvoir d’agir dans le domaine des connaissances par l’apprentissage des outils, l’expérimentation de l’échange, la compréhension des conditions de viabilité du milieu…
- Note de bas de page 2 :
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Bachimont B., 2007. Nouvelles tendances applicatives. De l’indexation à l’éditorialisation. Gros P., dir., L’indexation multimédia : description et recherche automatiques. Paris, Lavoisier, Hermès sciences.
- Note de bas de page 3 :
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Sinatra M. et Vitali-Rosati M., 2014. Pratiques de l'édition numérique. Montréal, Presses de l'Université.
Cette idée renvoie à un ensemble de pratiques éditoriales sur le web : produire, développer, entretenir des contenus, ce sont les formes contemporaines de l’« éditorialisation », processus de publication qui consiste notamment à réadapter des contenus, dont beaucoup préexistent à l’environnement numérique2, comme autant de « boutures » de contenu. C’est une pratique d’organisation et de structuration de l’information qui participe à la production et à la circulation du savoir3. On distingue généralement trois étapes dans ce processus : éditer du contenu en l’adaptant aux contraintes éditoriales du web ; contextualiser, documenter ce contenu pour qu’il fasse sens ; l’enrichir, lui apporter une valeur ajoutée, un point de vue. Sur Internet, le contenu est un flux dans un écosystème qui s’actualise en permanence. Il est en quelque sorte « vivant » : il s’agit d’en « prendre soin ». Ceci implique des usages de « curation de contenu » –sélectionner, classer, partager – qui évoquent le « désherbage », une pratique du jardin mais aussi de la bibliothèque qui consiste à élaguer les collections, les actualiser pour améliorer leur cohérence et leur qualité.
Vous introduisez la métaphore du jardin à cultiver (Candide), d’où vous vient le rapprochement avec le numérique ?
- Note de bas de page 4 :
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Hofstadter D., Sander E., 2013. L’analogie : Cœur de la pensée. Paris, Odile Jacob.
- Note de bas de page 5 :
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Guattari F., 1989. Les Trois Ecologies. Paris, éd. Galilée ; Morin E., 1995. La Méthode, tome 4 : Les Idées. Paris, Seuil ; Lévy P., 2011. La sphère sémantique : Tome 1, Computation, cognition, économie de l’information. Paris, Hermès Science.
- Note de bas de page 6 :
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Ingold T., Madelin P., Charbonnier P., 2012. Culture, nature et environnement. Tracés 22, 169–187 ; Berque A., 2009. Ecoumène : Introduction à l’étude des milieux humains. Paris, Belin.
- Note de bas de page 7 :
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Balpe J.-P., 1996. Techniques avancées pour l’hypertexte. Hermès.
- Note de bas de page 8 :
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Authier M., Lévy P., 1999. Les arbres de connaissances. Paris, La Découverte.
Pour comprendre la complexité du monde qui nous entoure, nous utilisons continuellement des analogies afin de trouver à partir de ce qu’on sait déjà les moyens d’agir sur ce qu’on découvre4. Depuis plusieurs décennies, des chercheurs interrogent les systèmes complexes d’information comme le web en utilisant l’analogie de l’écosystème5. Ces approches permettent d’investir des concepts venus de domaines scientifiques où les problématiques de dynamisme dans un milieu ou d’interactions multiples entre des entités sont questionnées suivant des points de vue très pertinents6. Plus spécifiquement liée à l’hypertexte, la métaphore du jardinage a été introduite dans les années 1990 par Cathy Marshall et développée par Mark Berstein7 comme modèle de design pour des dispositifs permettant à un utilisateur de faire « pousser » des informations à partir d’informations existantes. Ce type de modèle sera notamment expérimenté dans le dispositif des « arbres de connaissances »8 mais aussi dans le concept de « moissonnage » utilisé par le protocole OAI-PHM.
En quoi cultiver le numérique est-ce cultiver son jardin ? Est-ce une question :
- de démarche (posture de type « philosophique » proche de celle que Voltaire évoque dans Candide ?),
- Note de bas de page 9 :
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Harrison R. P., 2007. Jardins : réflexions sur la condition humaine. Paris, Le Pommier.
Cultiver le numérique ? La question renvoie à l’injonction de Voltaire : « Il faut cultiver notre jardin ». Celui de Candide n’est pas un lieu d’agrément, mais un jardin qui joue du double sens du mot culture
– de la terre et de l’esprit –, un jardin qui s’oppose à la nature sauvage et à la barbarie que le conte a fait surgir. Par la place et la reconnaissance du travail de chacun, le jardin final de Candide ouvre un espace de bonheur et de liberté. Lieu réel ou imaginaire, le jardin est à cultiver de nos propres mains. L’activité du jardinier est une métaphore de la condition humaine9, c’est au jardinier que l’humanité doit confier son avenir. Il importe que chacun se fasse jardinier et travaille à son accomplissement individuel et collectif. Bien avant Voltaire, Épicure a mis le jardin au cœur de sa pratique philosophique. Pour lui, le bonheur est un travail et le jardin est le lieu où expérimenter ce bonheur.
Le jardin est à la fois une représentation du monde et un univers symbolique. Dans la Bible, l’homme est condamné à quitter le jardin qui devient un paradis perdu. Qu’il soit réel ou symbolique, le jardin garde le caractère d’un lieu protégé, objet de toute l’attention du jardinier qui cherche à rétablir l’image harmonieuse de la création dans un microcosme à l’image du paradis perdu. Dans le jardin médiéval, l’homme rassemble les plantes de la Bible dans de petits carrés. La portée symbolique du jardin est bien de remettre l’univers à la dimension d’un microcosme. En Chine, tous les jardins de lettrés reposent sur un même principe esthétique : reproduire des paysages en miniature, saisir un pan de nature et se l’approprier. Dans l’Islam, le jardin est un espace clos, dont la dimension est à la fois spirituelle et récréative. Il évoque le paradis terrestre et préfigure le jardin céleste promis par Dieu.
Au XVIIIe siècle, ce sont deux représentations du monde qui s’affrontent : celle du jardin à la française, mise en ordre du monde, maîtrise totale de la nature, et celle du jardin à l’anglaise, « en désordre » selon l’expression de Rousseau, qui donne l’illusion d’une nature libre, mais non moins ordonnée, avec ses allées tortueuses et irrégulières, ses jeux d’ombre et de lumière.
Jardin des dieux, jardin aux marges de la cité terrestre ou au cœur des villes, le jardin demeure une sorte de havre, un refuge, un paradis. Les jardins particuliers ne s’offrent-ils comme un petit bout de paradis au cœur d’un monde en crise ? Ainsi, sur le plan symbolique, « cultiver son jardin numérique » peut apparaître comme la volonté de se construire une représentation de l’univers numérique à sa mesure.
- de méthode (une manière d’appréhender la connaissance),
Si le numérique est un écosystème vivant et dynamique, le jardin est l’analogie qui permet d’illustrer l’idée que l’on peut s’approprier cet écosystème en le cultivant. À l’inverse, si on (se) laisse faire, le numérique devient un milieu sauvage dont on subit les contraintes qui, lorsqu’elles deviennent trop fortes, poussent à fuir, tuer ou mourir…
- Note de bas de page 10 :
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Weiss A.S., 2011. Miroirs de l’infini : Le jardin à la française et la métaphysique au XVIIe siècle. Seuil.
Le jardin, c’est aussi l’analogie de l’échelle humaine, ce n’est pas un espace de culture extensive, ce n’est pas un datacenter où la machine prend le pas sur l’humain. Le jardin, en tant que microcosme, trouve sa cohérence dans la synchronisation de son entretien et de sa contemplation. Trop grand, il perd l’humain dans les limites de son entendement10.
- d’outils (le numérique ?) ?
- Note de bas de page 11 :
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Descola P., 2005. Par-delà nature et culture. Paris, NRF, Gallimard.
Pour une grande partie d’entre eux, les outils numériques sont liés à la métaphore bureautique (dossiers, fichiers, bureau…) ou celle du livre (page, chapitre…). Ces métaphores ont été très utiles pour réaliser des interfaces graphiques de manipulation des données numériques et ainsi démocratiser l’usage des ordinateurs. Toutefois, à l’heure des écosystèmes d’information, elles ne répondent plus aussi efficacement aux besoins d’interactions et de dynamisme des informations numériques. Dans nos pratiques matérielles des bureaux, ceux-ci restent ce qu’ils sont en tant qu’objet : les murs ne bougent pas, les armoires restent en place, les papiers peuvent s’accumuler dans les dossiers mais si on n’y touche pas, ils n’évoluent plus, ils prennent juste la poussière… Dans le numérique, en revanche, tout bouge tout le temps, même si on ne fait rien. Nous sommes dans le domaine du flux ininterrompu, de la croissance continuelle, de l’hyper-plasticité, c’est-à-dire l’indépendance absolue du fond avec une infinité de formes. Dans ce milieu, nous avons besoin d’interfaces graphiques qui correspondent à cette fertilité et d’analogies qui puissent donner une cohérence à ce chaos. Nous retrouvons ici les principes de l’ontologie analogiste que propose Philippe Descola en décrivant un monde chaotique où toutes les physicalités (les processus physiques, physiologiques et corporels) sont mises en rapport avec toutes les intériorités (expériences subjectives de soi) ; monde qu’on déchiffre en utilisant une analogie11.
- Note de bas de page 12 :
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Bertrand D., 2014. Narratologie, narrativité et régimes d’immanence. AS - Actes Sémiotiques.
Le jardin nous semble être une analogie graphique plus adaptée que le bureau pour montrer la complexité des écosystèmes d’information et concevoir les interactions graphiques qui permettent de le manipuler. À l’heure de la synchronisation mondiale des informations dans l’espace et le temps, les outils de gestion des informations doivent représenter les évolutions des données à la fois dans le temps et l’espace. Représenter ces données sous la forme d’une plante qui pousse est un bon moyen de montrer des évolutions spatio-temporelles. Le jardin permet d’ajouter une narrativité12 à l’interface graphique pour, par exemple, fournir aux utilisateurs des outils afin de « tailler » les branches inintéressantes, pour « greffer » d’autres données, pour « fertiliser » par des flux d’informations, pour partager les « récoltes »…
Pouvez-vous nous expliquer en quoi l’on ne cultive pas son jardin aujourd’hui en matière numérique ? Autrement dit, en quoi Google ou Facebook ne permettent pas de cultiver son jardin ?
- Note de bas de page 13 :
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Citton Y., 2014. Pour une écologie de l’attention. Paris, Seuil.
- Note de bas de page 14 :
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Jeanneret Y., 2014. Critique de la trivialité : Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir. Paris, éd. Non Standard.
- Note de bas de page 15 :
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Taylor A., 2014. Démocratie.com : Pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley. Montréal, éd. Lux.
Le numérique offre un espace à cultiver où les technologies se présentent comme des outils qu’il s’agit de maîtriser au risque de laisser les algorithmes nous imposer leurs jardins standardisés prêts à consommer sans aucun effort. Car les géants de l’Internet ne s’y sont pas trompés, cultivant sans relâche leurs parcelles virtuelles, cherchant à les agrandir sans limite en défrichant des pans entiers de l’économie réelle. Ne sont-ils pas les « propriétaires terriens » du web qui confisquent notre attention13 et notre pouvoir d’agir14 ? Produire du contenu sur les réseaux sociaux, c’est déjà pratiquer une sorte de « métayage numérique, au sens où l’utilisateur, le paysan crée, cultive et partage, en laissant accaparer la valeur économique de ce qu’il produit par les patrons, les propriétaires terriens, des colosses de la Silicon Valley. »15. Tel est l’enjeu : user des outils numériques pour façonner son propre jardin et par là même accéder à la culture numérique. Google ou Facebook permettent en effet de cultiver en confisquant nos jardins pour en faire des champs de culture extensive. Face à la prédation des données individuelles, ne vaut-il pas mieux utiliser ses propres outils de gestion des données personnelles (Personal Knowledge Management) ?
N’y a-t-il pas déjà des jardiniers du numérique (M. Doueihi, etc.) ?
- Note de bas de page 16 :
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Ertzscheid, O., 2011. Méthodes, techniques et outils. Qu’y aura-t-il demain sous nos moteurs ? ADBS, vol. 48, n° 3.
Il existe déjà de nombreux exemples d’utilisation de l’allégorie du jardin sur le web, que ce soit comme thème graphique pour le développement d’interfaces homme-machine ou uniquement pour faire comprendre un concept comme celui des « jardins emmurés » de Tim Berners Lee16. L’utilisation la plus simple est celle qui consiste à créer un nom de domaine en rapport avec le jardin et d’utiliser simplement ce thème pour concevoir une charte graphique. C’est le cas, par exemple, d’un site (figure 1 : http://goo.gl/9qPNF) qui vend une application permettant de partager des informations entre plusieurs appareils.
Figure 1. Exemple d’utilisation du thème graphique du jardin
- Note de bas de page 17 :
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http://goo.gl/xv98D, http://goo.gl/Iskr6, http://goo.gl/EK9x7, http://goo.gl/wzZ8T, http://goo.gl/XnAWH…
On pourrait multiplier les exemples de ce type de sites17 qui font un usage très basique de l’analogie du jardin. D’autres vont un peu plus loin dans l’utilisation du jardin, notamment pour expliquer une organisation du travail, par exemple sur ce site d’une agence web (http://goo.gl/S4bWi) qui cherche à mettre en avant l’aspect écosystémique de son approche (figure 2). Autre exemple utilisant l’analogie du jardin pour représenter les données présentes dans les écosystèmes d’information : Mail Garden (figure 3 : http://goo.gl/YBgmR) qui fait pousser dynamiquement un champ d’herbe à partir des courriers électroniques, chaque plante représentant un e-mail.
Figure 2. Exemple d’utilisation du thème graphique du jardin
De tels exemples illustrent comment, à partir de données venues du web, il est possible de construire une représentation s’inspirant du jardin. Ces représentations ayant une interactivité limitée, on pourrait envisager que la manipulation de ces graphiques puisse modifier les données, par exemple pour les supprimer ou les mettre à jour et ainsi modéliser graphiquement les écosystèmes d’information.
Figure 3. Jardinage d’e-mails
Tim Berners Lee et Hans Rosling ont utilisé l’analogie du jardin dans leur présentation à la conférence TED (http://goo.gl/G0Q4n, http://goo.gl/BPPFz) pour expliquer la structure des écosystèmes d’information et pour préciser comment l’avenir du web passe par une modélisation statistique et dynamique de l’environnement informationnel. En ce sens, on peut les considérer comme des « jardiniers du numérique ». Tout comme Ross Dowson (http://goo.gl/jOokL) ou Olivier Ertzscheid (http://goo.gl/TNqMQ) qui, pour modéliser graphiquement des écosystèmes d’information, utilisent le cycle de la nature afin de définir les moyens d’intervenir sur les écosystèmes d’informations.
Cultiver son jardin avec le numérique et cultiver le jardin du numérique, est-ce la même chose ? Autrement dit, faire une édition augmentée d’un texte, c’est cultiver son jardin philosophique avec le numérique, mais cela ne questionne pas le numérique ; interroger le numérique à partir de Candide, comme on peut le faire à partir des sciences sociales, ne serait-il pas également intéressant (quelle question pose Candide que l’on pourrait poser au numérique ou que l’on ne lui pose pas ?) ?
- Note de bas de page 18 :
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Bolter J., Grusin R. 1999. Remediation. Understanding New Media. Cambridge, MIT Press.
- Note de bas de page 19 :
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Laborderie A. (2014). Lectures plurielles : discontinuité et ruptures sémantiques. Livre post-numérique : historique, mutations et perspectives. Paris, Europia.
Faire une édition numérique augmentée de Candide pose la question de la « remédiatisation » du patrimoine littéraire. Au-delà de la numérisation du texte, quelles nouvelles médiations peut-on proposer à travers l’œuvre grâce au numérique, en recourant à l’hypertexte, à l’interactivité et au multimédia ? La remédiatisation (remediation) est un processus d’appropriation et de transformation d’un média dans un autre qui emprunte deux voies, selon que l’on donne à voir, ou non, la présence de l’ancien média18. La singularité de cette édition, c’est de combiner les deux modes de remédiatisation : d’une part, hypermediacy, en restituant l’ancien média par un livre dont on tourne les pages, à l’instar d’une liseuse électronique ; d’autre part, immediacy, en faisant disparaître le livre derrière deux nouvelles représentations, celles de la carte et du jardin19.
- Note de bas de page 20 :
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Deleuze G. & Guattari F. (1980). Mille Plateaux. Paris, Éditions de Minuit.
Espace de travail collaboratif, le « jardin » offre une représentation de l’œuvre recomposée par le lecteur qui a collecté des contenus au fil de sa lecture, des contenus qu’il réorganise sous la forme d’un arbre de la connaissance à planter dans le jardin de Candide. C’est une démarche de curation de contenu qui participe des formes de l’éditorialisation du web. Dans cette édition enrichie de Candide, nous avons voulu mettre au service de l’œuvre des pratiques communes sur Internet et en proposer une méthode de travail appliquée au livre. Cette édition hybride, articulant la linéarité du livre et la structure rhizomique20 du web, permet ainsi de s’interroger sur ces deux médias.
Peut-on envisager sérieusement de cultiver son jardin sans le numérique aujourd’hui ou est-ce aberrant ?
- Note de bas de page 21 :
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Bachelard G. (1941). La terre et les rêveries du repos : essai sur les images de l’intimité. Paris, Corti.
Le numérique apporte de nombreux avantages mais, comme toutes technologies, il ne remplace pas totalement celles utilisées pour les mêmes usages. Comme disait Bachelard : « Une bonne bille de bois à dégrossir à la râpe suffirait à lui apprendre gaiement que le chêne ne pourrit pas, que le bois rend dynamisme pour dynamisme, bref que la santé de notre esprit est dans nos mains. »21. Le numérique nous offre sans doute des moyens fantastiques pour cultiver notre jardin, mais il ne remplace pas l’expérience sensible de la découverte physique du monde.
Les applications
Pouvez-vous nous présenter les deux projets que vous portez ?
Le jardin interactif dans Candide :
un processus de construction des connaissances
- Note de bas de page 22 :
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Application iPad à télécharger gratuitement sur iTunes : http://bit.ly/Lyx9zb. Démonstration vidéo : http://bit.ly/LPUw8f. Site web : http://candide.bnf.fr
L’édition numérique enrichie de Candide, publiée par la Bibliothèque nationale de France (BnF), Orange et la Voltaire Foundation, se présente sous la forme d’une application iPad et d’un site web22. Elle propose trois entrées dans l’œuvre de Voltaire : le « livre » ou la lecture enrichie, le « monde » ou l’exploration pédagogique, le « jardin » ou l’appropriation des contenus (figure 4).
Figure 4. Candide, l’édition enrichie. Trois entrées dans l’œuvre de Voltaire : le livre, le monde, le jardin
Le « livre » permet de suivre l’œuvre dans sa linéarité, sans qu’aucune marque ne vienne troubler l’attention du lecteur. Au tap sur l’interface apparaissent des enrichissements : notes scolaires ou érudites, variantes du texte, fiches sur les personnages, les lieux ou les concepts philosophiques mis en œuvre par Voltaire... Glisser le bandeau en marge du texte permet d’afficher le manuscrit conservé à la BnF qui se trouve synchronisé avec le texte et un mode de lecture sonore.
Le « monde » ouvre une exploration en réseau des grandes thématiques du XVIIIe siècle par la représentation du voyage de Candide sur une carte. Douze étapes offrent des parcours pédagogiques qui convoquent des albums et des anthologies à faire dialoguer avec le texte de Voltaire selon une méthode en quatre temps : découvrir, explorer, réfléchir, inventer. Un entretien audiovisuel avec Martine Reid, Michel Lebris, Georges Vigarello ou Alain Finkielkraut conclut la séquence.
Le « jardin » permet à chacun de s’approprier les contenus dans un espace de travail représenté sous la forme d’un arbre de la connaissance. Produire sa propre pensée, la partager pour la confronter à celle des autres, ou les laisser enrichir son travail, il s’agit, par cet exercice de « lecture-écriture créative », de synthétiser des connaissances éparses, éparpillées lors d’une lecture délinéarisée, et de permettre au lecteur de construire son propre savoir.
Le jardin des connaissances : plateforme pour les humanités numériques
- Note de bas de page 23 :
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Prié Y., 2011. Vers une phénoménologie des inscriptions numériques. Dynamique de l’activité et des structures informationnelles dans les systèmes d’interprétation. (HDR). Université Claude Bernard, Lyon I, Lyon.
- Note de bas de page 24 :
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Juanals B., Noyer J.-M., 2010. Technologies de l’information et intelligences collectives. Hermès Science Publications.
Le jardin des connaissances est un travail de recherche dont l’objectif est de développer une plateforme « open source » pour la modélisation des écosystèmes d’information. Plus particulièrement, nous cherchons à optimiser l’activité de gestion de connaissances personnelles23 qui se trouvent au centre de la transformation des « écologies socio-cognitives »24 en cours dans les humanités numériques. Dans ce jardin, nous expérimentons un modèle générique de « monades » pour représenter de manière unique le point de vue « ici et maintenant » d’une existence numérique.
Pouvez-vous revenir sur l’historique institutionnel de ces deux projets ?
Candide, l’édition numérique enrichie
- Note de bas de page 25 :
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Cette édition critique, entreprise par la Voltaire Foundation en 1968, devrait s’achever à l’horizon 2018 avec plus de 200 volumes. Candide, édité en 1980 par René Pomeau, en constitue le tome 48.
L’application Candide trouve son origine dans la démarche du directeur de la Voltaire Foundation, Nicholas Chronk, qui cherchait auprès d’Orange un mécénat pour la publication des Œuvres complètes de Voltaire25. Impliqué dans les pratiques nouvelles de la lecture, Orange lui a proposé de rééditer une des œuvres de Voltaire sous forme numérique : le choix s’est porté sur Candide, texte universel. Pour que l’édition numérique soit enrichie de documents patrimoniaux, en particulier du manuscrit, Orange a fait appel à la BnF, dont il est partenaire sur les questions de lecture numérique et d’accès au savoir.
- Note de bas de page 26 :
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Bookapp : http://www.bookapp.com
- Note de bas de page 27 :
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Frédéric Kaplan est professeur de Digital Humanities à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL).
La BnF, Orange et la Voltaire Foundation se sont associés autour d’enjeux communs : démontrer que l’on peut lire un classique dans une édition numérique enrichie et en modéliser les usages. La question du livre numérique s’est posée différemment selon les partenaires, chacun apportant ses compétences : financement et expertise technologique par Orange, édition de référence et apparat critique par la Voltaire Foundation, documents patrimoniaux et aspects éditoriaux par la BnF. Un appel d’offre a été lancé fin 2011 et remporté par une agence suisse, Bookapp26, alors dirigée par Frédéric Kaplan27. Il a fallu près d’un an pour modéliser les usages, produire les contenus et développer l’application selon une méthode itérative de co-conception par le prestataire et les partenaires : ce qu’on appelle aujourd’hui du « design thinking ». L’application est parue début 2013 et compte près de 15 000 téléchargements.
Publier, avec Candide, son premier livre numérique, c’est pour la BnF explorer de nouvelles pratiques de lecture qui interrogent ses collections patrimoniales. C’est aussi mettre en œuvre des outils adaptés à la diversité de ses nouveaux publics. Le partenariat a été renouvelé avec Orange pour publier une collection de livres numériques enrichis dont le second titre, Au Bonheur des Dames de Zola, doit paraître à l’automne 2015.
Le jardin des connaissances : plateforme pour les humanités numériques
- Note de bas de page 28 :
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Cap Digital à Paris en 2006, H2PTM à Hammamet en 2007, Art-agriculture Ecomusée du Perche en 2008, Carrefour des possibles à Caen en 2009.
- Note de bas de page 29 :
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Szoniecky S., 2012. Évaluation et conception d’un langage symbolique pour l’intelligence collective : Vers un langage allégorique pour le Web, Thèse en Science de l’information et de la communication). Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis.
- Note de bas de page 30 :
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Szoniecky S., 2011. Le langage du Web du symbolique à l’allégorique, vers une représentation de la connaissance en train de se faire, in ISKO - Magreb 2011. Presented at the Concepts and Tools for Knowledge Management (KM), Hammamet, Tunisie.
Le projet de jardin des connaissances est à la base un projet de R&D ayant pour but la conception d’une interface graphique pour la gestion spatiale, temporelle et socio-sémantique de l’information. Le concept général a été exposé lors de plusieurs conférences28 pour être ensuite approfondi et détaillé dans le cadre d’une thèse de doctorat qui traite des limites des langages symboliques pour le développement de l’intelligence collective et de la pertinence de l’analogie du jardin29. Pour ce travail, des prototypes ont été développés, par exemple, lors d’un atelier dédié aux développements web (http://goo.gl/nD14W) dont les résultats ont été présentés lors de la première conférence ISKO-Maghreb30. Dans cette application, l’allégorie du jardin est utilisée pour créer une représentation dynamique permettant de visualiser les tags et les documents d’un bookmark collaboratif (Delicious). Dans ce jardin poussent des « plantes-documents » dans un « terroir-sémantique » fertilisé à partir des « graines-tags » correspondant aux mots-clefs d’un compte Delicious. La pousse d’une « graine-tag » est déclenchée lorsqu’elle est similaire (même suite de caractères) à une « goutte-tag » provenant d’un « nuage-tags » construit lui aussi à partir d’un compte Delicious. La plante obtenue par cette pousse est composée de feuilles correspondant chacune à un des liens catégorisés par le mot-clef de la « graine-tag ».
- Note de bas de page 31 :
Notons qu’au-delà de la représentation d’une plante sur un écran, l’avenir se situe peut-être dans l’élaboration d’interfaces tangibles qui utilisent directement la plante réelle comme interface de manipulation des informations. Dans cette perspective, lors d’un atelier animé par Marcel O’Gorman (http://goo.gl/C4ldL autour du concept de chôra et du 25e anniversaire du projet de Derrida et Eisenman au parc de la Villette, nous avons élaboré avec Alexandra Saemmer, Odile Farge et Laura Duart, un concept d’interface qui utilise un vivarium muni de capteurs pour suivre et diffuser sur le web l’évolution d’une plante et des couches de catégorisation qui lui sont liées. Ce concept a été présenté dans le cadre de la 5e rencontre RADart (Rapid application development for artistic projects) dédiée aux interfaces naturelles31.
Le principe, très simple, consiste à planter une graine dans le vivarium puis à suivre la pousse de la plante en associant des documents aux branches, aux feuilles, aux fleurs ou aux fruits et des mots-clefs aux racines. Ainsi, au fur et à mesure que la plante pousse, l’utilisateur est encouragé à créer de nouvelles catégorisations en association aux racines récentes des mots-clefs et à ajouter de nouveaux documents quand, par exemple, une fleur éclot. La connaissance devient dès lors une matière vivante qu’on peut jardiner.
En quoi sont-ils des concrétisations de la métaphore du jardin
à cultiver ? Comment avez-vous procédé ? Avez-vous travaillé avec des usagers (si oui lesquels etc.) ? Comment cela s’est-il passé ?
- Note de bas de page 32 :
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Szoniecky S., Hachour H., 2014. Monades pour une éthique des écosystèmes d’information numériques. Presented at the Digital Intelligence, Nantes.
Le jardin des connaissances est un travail de recherche qui n’a pas fait l’objet de tests publics mais est en cours d’expérimentation dans le domaine des humanités numériques32.
Pour l’application Candide, lors de la conception des fonctionnalités, nous avons élaboré des scénarios d’usages avec des profils de lecteurs et des parcours de lecture en fonction des publics visés : le lecteur « lambda », l’enseignant, l’élève, la classe, l’étudiant ou le chercheur. L’un des enjeux de l’application est de s’adresser à ces différents publics. Que tous puissent trouver dans le livre applicatif et les trois univers associés un parcours de lecture adapté à ses attentes et ses besoins. Des enseignants, ainsi que le service de l’action pédagogique de la BnF, ont participé à l’élaboration des scénarios pédagogiques.
Avez-vous des retours sur leur usage ?
- Note de bas de page 33 :
-
Un premier bilan de ces expérimentations a été fait à Nice les 5 et 6 avril 2012, lors d’un séminaire national de formation sur les usages des tablettes numériques, réunissant enseignants, experts, et responsables de l’Éducation nationale. En ligne : http://www.ecriture-technologie.com/?page_id=1504
- Note de bas de page 34 :
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Caroline Duret, Rapport d’expérimentation de l’application Candide sur tablette. Lycée Vaugelas, classe de Seconde, année 2012/2013.
Une fois parue, l’application a fait l’objet d’expérimentations par des classes tests33. Au-delà de la richesse des contenus, l’édition numérique enrichie de Candide a été plébiscitée parce qu’elle permet une grande diversité de scénarios pédagogiques et de situations d’usage, à la fois individuels et collectifs, en classe et hors classe. Pour Caroline Duret, professeur en classe de Seconde au Lycée Vaugelas de Grenoble : « La préoccupation première de l’enseignant de lettres, quand il conçoit une séquence didactique autour d’une œuvre intégrale, est de créer les conditions d’une immersion dans l’œuvre, qui favorisera l’acquisition des savoirs. Une édition enrichie comme celle de la BnF présente à cet égard de nombreuses qualités. En tant qu’outil intégré à une tablette numérique, elle crée les conditions d’un investissement soutenu des élèves, qui peuvent être mis constamment en situation d’agir.34 » Pour Dominique Augé : « L’application frappe par sa richesse et par la diversité des parcours qu’elle rend possibles. Il ne s’agit pas d’amener les élèves à lire Candide, mais bien à stimuler leur intelligence pour comprendre pourquoi aujourd’hui il y a encore un intérêt à lire Candide. »
- Note de bas de page 35 :
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Étude réalisée par Nathalie Salmon et Sandrine Le Lann (Orange Lab) sur Dream Orange (http://dream.orange.fr) dans le cadre du café numérique, du 24 mars au 6 avril 2014, avec 32 participants sélectionnés parmi 138 candidats.
Par la suite, une étude « grand public » a été menée par Orange35, plébiscitant la richesse de l’application tout en craignant que le lecteur occasionnel ne se « noie » dans des « enrichissements trop pointus ». Elle préconise de pouvoir paramétrer l’application en fonction de niveaux de lecture, nous confortant dans la volonté de personnaliser davantage l’interface et les usages.
Vos projets ?
Nous sommes impliqués dans un programme d’Initiative d’excellence en formations innovantes, IDEFI-CréaTIC, centré sur la recherche-création et favorisant la pédagogie par projet. Ce programme propose des ateliers-laboratoires pluridisciplinaires et transversaux aux étudiants de masters. C’est dans ce cadre que nous explorons de nouvelles formes et de nouveaux usages du livre en travaillant, notamment, sur le prototypage d’une édition numérique augmentée de l’Odyssée. L’enjeu : restituer toutes les dimensions de cette œuvre attribuée à Homère à travers une interface innovante, expérimentant les problématiques de remédiatisation et d’éditorialisation à travers trois axes de travail : le corpus, le voyage, le récit. L’interface doit croiser plusieurs représentations : géographique, avec des lieux de nature différente (réels, fictifs, hypothétiques), chronologique, avec des documents de toutes époques, et sémantique, avec des mots-clés et notions pertinentes. N’est-ce pas constituer, en quelque sorte, la carte de notre jardin des connaissances de l’œuvre ?
- Note de bas de page 36 :
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Szoniecky S. 2014. Écosystème d’information pour la création, l’édition et l’évaluation de ressources pédagogiques numériques. ICHSL9 : Alternative Learning Systems, Cotonou, Bénin.
La capacité de capturer le pouvoir de discernement et son étendue grâce au jardin des connaissances est déjà à l’œuvre dans des dispositifs comme Facebook qui récolte des multitudes de « j’aime » sur des contenus dont il génère le flux. Nous pensons que la modélisation du discernement et la génération des flux d’information qui en découle peuvent être maîtrisées de façon beaucoup plus précise notamment dans des ressources pour l’e-Éducation36 . Une foule de données sont récoltées à partir des traces d’usages de ces ressources pédagogiques numériques. En étant indexées dans l’espace, le temps et la sémantique par un acteur connu à la source même de leurs expressions, ces traces constituent des « Big Data » bien plus puissantes que celles qui existent aujourd’hui car elles sont catégorisées très finement dès l’expression même de l’interprétation. Plus besoin d’inventer des algorithmes très complexes pour prédire une sémantique à partir des données, celle-ci est déjà codée et à disposition sous la forme de monades qui modélisent ce pouvoir de discernement que Gille Deleuze définissait comme étant l’âme. Que faire alors de toute ces « monades » enregistrées tout au long de la scolarité de nos enfants ? Faut-il laisser « libre » l’économie de ses « âmes numériques » ? Ne forment-elles pas une richesse qu’il faudrait capitaliser dans des banques nationales, européennes, mondiales ?