Dans la première partie de son livre, Éric Sadin explique la genèse, l’essor, les évolutions marquées de la Silicon Valley aux Etats-Unis. Ce lieu fait advenir l’informatique personnelle avec des figures comme Bill Gates et son entreprise naissante Microsoft ou encore Steve Jobs et Steve Wozniak ; ces derniers font émerger des réflexions importantes sur la relation homme-machine-conviction qui conduisent à la conception d’ordinateurs supposés offrir une qualité ergonomique fondée sur une convivialité ou une forme de proximité intuitive. Ces orientations permettent alors à Apple de se structurer jusqu’à devenir la norme de toute l’industrie du numérique.
Ensuite, l’auteur développe l’émergence de « La troisième Silicon Valley » et de la « Net economy ». En 1993, Bill Clinton est élu Président des Etats-Unis et de la Maison Blanche. Son vice-président Al Gore l’invite à faire des « Autoroutes de l’information un des axes majeurs de la stratégie économique du pays », « essentielles à la compétitivité et à la puissance économique de l’Amérique », s’inspirant de « la vision macluhanienne du village global ». En 1994, l’entreprise Yahoo est créée, la même année Jeff Bezos donne naissance à Amazon, plateforme informatique qui développe « la pratique industrielle du commerce en ligne ». Les fournisseurs d’accès et de téléphonie mobile » mettent leur argent dans le réseau informatique, fondé sur le profit et la rentabilité, « comptant sur les abonnements pour les rentabiliser ». En 1998, un moteur de recherche performant est créé, Google, qui révolutionne l’indexation et popularise les liens hypertextes.
La « quatrième Silicon Valley », c’est l’essor de l’e-économie, à la fin des années 1990, c’est « l’économie du savoir ou « capitalisme cognitif », inspirée de « l’idéologie managériale New Age californienne ». « My space, Facebook, LinkedIn, Twitter, tous basés dans “la Silicon Valley”, sous couvert de favoriser les liens entre personnes, ont amassé des masses exponentielles de données relatives à leurs pratiques en ligne, à leurs modes de vie, à leurs opinions et à leurs affinités ». Enfin, La grande « révolution » introduite dans notre quotidien est l’introduction du smartphone en 2007, « qui a institué une connexion spatio-temporelle virtuellement ininterrompue ». Le smartphone a permis, outre les fonctions de téléphonie et d’accès au Web, l’usage d’applications proposant des services personnalisés et géolocalisés ajustés à diverses séquences du quotidien. Cette « économie des applications » a profondément transformé les configurations de l’entrepreunariat en créant un nombre impressionnant de start-ups. Une « utopie numérique à dimension culturelle et économique » venait de naître. La « cinquième Silicon Valley », « Global Silicon dream », c’est le développement en de nombreuses régions de la planète de lieux où l’on cherche à imiter l’infrastructure industrielle, institutionnelle et financière de la Silicon Valley.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Eric Sadin questionne la vision du monde que tente d’imposer la Sillicon Vakley avec « une profession de foi quasi christique » ; ses acteurs ont la conviction qu’il est possible de rendre le monde meilleur grâce à la technologie et Google se pense comme le bienfaiteur de l’humanité. Il s’agit, selon l’auteur, d’un « soft-totalitarisme numérique » : l’expansion des objets connectés entraîne la dissémination de données relatives à nombre de nos actes. Des bracelets connectés, à la google car en passant par la voiture sans pilote, les capteurs, le service Uber, les drones de combat, l’auteur décrit « une marche automatisée du monde à une seule fin : Le profit. »
Dans la troisième partie, Éric Sadin évoque un monde sans limites : « Le techno libertarisme » ; il cite l’exemple de Mastercard qui a lancé un programme visant à transformer tout objet, smartphones, bracelets ou montres connectés, jusqu’aux vêtements en moyens de paiement sans contact. Le corps, insensiblement et à tout instant se retrouve « transformé en carte bancaire ». Il pointe encore les cadences de travail infernales transformant et réduisant les êtres humains « au rang de robots de chair », dont un certain nombre d’entre eux finissent par se suicider.
Les effets socio-environnementaux de ce technolibéralisme ? Le pillage des ressources humaines et naturelles, la mise en danger de la santé des personnes. En 2015, entre autres, la multinationale Samsung, en Chine, a détecté plus de deux-cents cas de leucémie et a été obligé d’alimenter un fonds de 78 millions d’euros destinés à indemniser les employés de ses usines. Cette marche se fonde sur la propagande siliconienne avec les idéologies « transhumanistes qui prônent la négation de la mort. On en arrive à une société de l’individu-tyran : « Notre société est victime de l’addiction numérique ; de la pratique du selfie qui fonctionne comme une négation implicite d’autrui. L’utilisation des tablettes numériques par les collégiens réduit la fonction de professeur à son strict minimum. Ce sont des micro-tyrans enivrés par un sentiment de toute-puissance ».
Éric Sadin nous invite à refuser ce qu’il appelle « La silicolonisation du monde », il s’en réfère au code du travail pour nous exhorter à ne pas faire usage des objets logiciels et matériels techno-libéraux. Plus encore, il questionne la responsabilité éthique des ingénieurs qui doivent, avec les autres citoyens, « œuvrer à un nouvel humanisme fondé sur la disposition singulière de chacun à enrichir le bien commun qui fasse du respect de l’intégrité et de la dignité humaines, mais aussi de la diversité de notre environnement, sa charte fondamentale ».