Le rôle des contributions de spectateurs dans le dispositif de la web-série autoproduite
Les web-séries créées en autoproduction nécessitent l’appui et le soutien de leurs spectateurs afin de gagner en visibilité. Pour fédérer et engager autour des contenus, elles favorisent l’échange sur des plateformes discursives. Ces appels à contribuer se font par des sollicitations prenant différentes formes, mais ayant toutes pour objectif de provoquer l’interaction. Les réseaux sociaux, Facebook en particulier, sont devenus des espaces permettant d’entretenir la cohésion et l’implication des communautés de spectateurs dont le rôle est primordial pour le dispositif de la web-série.
Self-produced web-series require the support of their audience to be visible. To federate and engage around content, they promote exchange on discursive platforms. These calls to contribute are made through solicitations taking different forms but all aimed at provoking interaction. Social networks, Facebook in particular, have become spaces to maintain the cohesion and the involvement of the communities of spectators whose role is essential for web-series.
1. Introduction
Les plateformes numériques sont aussi bien des lieux de création que des lieux d’échanges et d’interactions. La dimension d’échange et de contribution fait partie intégrante des objets audiovisuels sur le web du fait de leur support même de diffusion. La web-série évolue dans une logique interactionnelle. Les contributions de ceux qui visionnent ces contenus sont des rouages essentiels. Ils permettent d’accroître la visibilité du contenu, non seulement sur la plateforme de streaming où il est diffusé, mais potentiellement aussi dans l’ensemble de l’écosystème où il se déploie. Capter l’attention et parvenir à la retenir devient un enjeu majeur pour les créateurs de web-séries, tout particulièrement lorsque celles-ci ne sont pas financées. Dans ce cas, elles sont autoproduites. L’interaction devient un enjeu presque vital de production et les créateurs de contenus doivent être en mesure de la provoquer. Inclure le spectateur dans le processus de création n’est pas seulement le moyen de provoquer son engagement envers l’objet mais aussi celui de le faire vivre de façon pérenne. Les contributions des spectateurs font partie intégrante du dispositif de la web-série autoproduite. Ils s’en trouvent sollicités de diverses manières et à de nombreuses occasions, en fonction des besoins et des difficultés rencontrés par les créateurs. Facebook est devenu une plateforme où les échanges se font nombreux et est une source première de diffusion de l’information pour les spectateurs de ces objets. En cherchant à en savoir plus sur les productions et à échanger avec leurs créateurs, ils font aussi de la plateforme une source d’interaction.
L’objectif de cet article est de comprendre comment sont déclenchées ces contributions et quels sont leurs rôles au sein du dispositif de la web-série autoproduite. Pour cela, l’étude se concentre sur trois web-séries, créées en autoproduction entre 2007, 2008 et 2014 : Flander’s Company, Noob et Nexus VI. Ces trois productions traitent de genres proches : la science-fiction ou l’heroic-fantasy. Elles n’ont pas les mêmes objectifs ni l’utilisation des mêmes outils et connaissent des trajectoires différentes. Mais pour toutes, les contributions des spectateurs sont essentielles pour subsister et se développer. Les messages et les échanges relevés sur les espaces discursifs qui concernent ces objets apparaissent comme autant d’indicateurs de la construction du lien entre spectateurs et créateurs. Le dispositif de web-série autoproduite joue un rôle concret dans les contributions des spectateurs que nous souhaitons interroger.
2. Un dispositif qui incite à la contribution
L’autoproduction sur le web est un circuit emprunté par beaucoup d’auteurs. Les web-séries autoproduites ont été nombreuses lorsque leur création a pu bénéficier de nouveaux outils de création et de diffusion. L’apparition des plateformes de streaming a permis de diffuser ces contenus de manière étendue. Il est cependant difficile de s’y rendre visible du fait d’une très grande quantité de contenus en tout genre ajouté par de nombreux contributeurs de la plateforme. Aux difficultés de production et de financement s’ajoutent donc celles de parvenir à capter l’attention de spectateurs, et de faire en sorte que ceux-ci deviennent des spectateurs réguliers. Le dispositif de la web-série autoproduite impose donc de penser l’objet en fonction de son besoin de visibilité alors que les moyens de production sont limités. Nous envisageons le dispositif dans une dimension machinique, telle que la décrit Bernard Vouilloux :
Toute réflexion sur le dispositif commence par rencontrer le modèle machinique : la machine permet de penser le dispositif – et réciproquement du reste -, pour autant que celui-ci désigne [...] la manière dont sont disposés les organes d’un appareil (Vouilloux, 2008, 16).
Cette dimension est d’autant plus ancrée qu’elle désigne un agencement qui dépend en partie de rouages techniques puisque conditionné par l’algorithme des plateformes numériques et par les interactions que permettent leurs interfaces. Plus ces interactions sont nombreuses, plus elles permettent une visibilité importante au contenu. En accroissant sa visibilité au sein même de l’espace de la plateforme, les contributions font évoluer le dispositif dans sa globalité, matériellement et symboliquement.
Être en mesure de fédérer une communauté autour de l’objet est donc un point crucial. Par communauté, nous n’entendons pas seulement des collectifs d’internautes participant et contribuant à un même objet. Il s’agit de se baser sur ce que Serge Proulx (Proulx, 2006, 17) qualifie de « liens d’appartenance ». L’auteur les identifie en premier lieu par des « interactions soutenues et durables » et des échanges construits en fonction de valeurs et d’intérêts communs. L’étude des interactions entre les spectateurs relève de ces critères posés par Serge Proulx :
Ce sentiment d’appartenance à une entité plus large que le soi individuel (self) peut déboucher sur un processus réflexif de conscientisation sociale du soi individuel en tant qu’appartenant à̀ un groupe ou à̀ une communauté (Proulx, 2006, 19).
Cette conscientisation est provoquée par le dispositif lui-même qui incite à l’échange, entre les spectateurs d’une part ; et entre les créateurs et les spectateurs d’autre part. Les interfaces des plateformes numériques sur lesquelles vivent les web-séries sont autant de possibilités d’interagir et de permettre la formation et l’engagement d’une communauté autour d’un objet.
Les réseaux sociaux s’avèrent donc des espaces plus propices à la discussion, car elle se construit autour de sujets spécifiques et sur un espace intégralement dédié à la web-série. Le réseau social Facebook est particulièrement utilisé comme source première d’information sur la web-série : il s’agit tout autant de venir se renseigner grâce aux contenus qui y sont produits par les créateurs, que de renforcer et densifier ces informations en en créant en tant que membre de la communauté. Ces pages fonctionnent comme des points de rencontre. Elles permettent de consolider des liens entre spectateurs et créateurs qui existent jusqu’ici symboliquement, et seulement par le biais du récit et des éléments identifiés comme des indices sur le contexte de production. Mais elles participent également d’un phénomène réflexif, visant à se reconnaître soi-même comme membre à part entière d’une communauté. On partage les mêmes références, une culture commune autour d’un objet. Cette reconnaissance s’opère aussi par le biais des créateurs de web-séries, qui sont les gestionnaires de ces pages. Ils font régulièrement usage du terme « communauté » pour s’adresser à ceux qui les suivent, mais aussi pour qualifier un ensemble représentant différentes strates de spectateurs et d’activités, allant d’actions concrètes et matérielles comme du bénévolat pour un tournage ou un don financier, au visionnement des épisodes faisant augmenter le nombre de vues global sur les différentes plateformes de streaming où la web-série est visible. Par exemple, sur la page Facebook de Noob, un message posté en juillet 2017 par l’administrateur de la page lors d’une campagne de crowdfunding indique :
4 000 % ! Pour fêter ça, on tirera des feux d’artifice partout en France pour le dernier jour de ce Ulule demain. Merci à toute la communauté !
(13 juillet 2017 - www.facebook.com/WebSerieNoob)
Serge Proulx définit alors la conscience de l’appartenance à une communauté comme résultant d’un sentiment partagé par l’ensemble de ses membres :
Ce sentiment d’appartenance s’exprimant parmi les membres du collectif en ligne peut, dans certains cas, avoir tendance à « monter en généralité » et aboutir ainsi à̀ un phénomène d’imagination sociale partagée de l’entité collective en tant que “communauté” (Proulx, 2006, 19).
Cette imagination sociale renforce l’identité de la web-série, et potentiellement, sa visibilité en étant commentée et partagée. Mais dans un contexte contraignant où la diffusion n’est pas régulière et où de longues pauses sont parfois nécessaires à la production, comment faire pour retenir l’attention de ces communautés ?
3. Corpus et approche
Le corpus de l’étude est composé de trois web-séries choisies pour leur parcours, leurs communautés de spectateurs et les genres sur lesquels sont basés leurs récits. Flander’s Company raconte les aventures d’une entreprise chargée de recruter et gérer des super-vilains. La web-série a été créée en 2007 par Rudy Pomarède, déjà connu dans le monde de la web-série et des productions amateurs pour des contenus qui ont, de leurs propres aveux, inspiré d’autres créateurs. Parmi eux, Fabien Fournier, créateur de Noob, en 2008, une web-série qui fait suite à des productions antérieures et adopte les codes et l’univers du jeu vidéo. Nexus VI, bien plus récente, est créée par Renaud Jessoniek en 2014 et se veut un mélange entre univers de fiction et de réalité. L’objectif et le contexte de lancement de ces trois contenus sont assez différents. Il s’est écoulé sept années entre la création de Flander’s Company et celle de Nexus VI. Durant cette période, le champ de la création numérique audiovisuelle se transforme.
- Note de bas de page 1 :
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YouTube indique que chaque jour, ce sont 400 heures de vidéos qui sont mises en ligne.
Les productions du web occupent une place prépondérante avec laquelle doivent composer les autres acteurs du monde de l’audiovisuel. Au-delà de cette évolution, c’est aussi la façon de se construire qui change au fur et à mesure des années. La nécessité de la visibilité conduit à mettre rapidement en place des stratégies de communication pour toucher et engager rapidement un public. Les moyens de financement qui se diversifient poussent à faire appel à lui pour bénéficier le plus rapidement possible d’une source de revenus. Les créateurs souhaitant se lancer doivent ainsi le faire sur un créneau devenu concurrentiel du fait du grand nombre de productions mises en ligne1. L’analyse d’un corpus issu du web est donc aussi dense que prometteuse. Le volume de données étant particulièrement important, il faut adopter une méthodologie rigoureuse pour l’appréhender. Cependant, et dans ce cas précis, elle doit se construire en fonction de l’objet, tant celui-ci est spécifique et revêt de facettes.
Devant des objets de communication multimédias, interactifs, en réseau des objets aux contraintes et aux logiques de fonctionnement différentes, voire opposées, de celles des médias de masse, se donner des outils spécifiques d’observation est nécessaire. Quitte à̀ les adapter ensuite à̀ chaque situation concrète. Car les méthodes et les concepts disponibles génériques à l’analyse des médias et des outils de communication classiques ne sont pas toujours adaptés (Rouquette, 2009, 7).
Dans son ouvrage consacré à l’analyse des sites internet, Sébastien Rouquette (Rouquette, 2009) insiste sur le besoin d’adaptation des méthodes dites classiques à des objets qui eux, ne l’étaient pas. Plutôt que de parler d’une méthode, il serait plus pertinent de parler d’un ensemble de méthodes constituant une approche opérante. Dans ce cadre, il faut analyser les différents types de messages publiés sur une plateforme spécifique (Facebook) en fonction de leur contexte, du moment où ils ont été publiés et des interactions qu’ils produisent de même que leurs effets au sein du dispositif de la web-série. L’analyse contextuelle et pragmatique est donc un élément intrinsèque de l’approche mise en place. Les commentaires et échanges sont au cœur du dispositif de la web-série autoproduite et opèrent à travers lui des effets de rapports de causalité et d’interdépendance entre créateurs et communautés. C’est donc bien l’ensemble de cet agencement que nous souhaitons mettre au jour pour déterminer comment ces rapports naissent, progressent et se transforment.
Dans un premier temps, nous avons défini la période de temps durant laquelle effectuer les relevés. En quadrillant une période précise, nous avons effectué ce que Christelle Combe-Celik (Combe-Celik, 2016, 230) qualifie de « lecture flottante », un concept qu’elle emprunte elle-même à Jean-Marie Van Der Maren (2003). Il s’agit d’une phase d’observation et d’appropriation des contenus permettant d’opérer une première classification. Ce travail exploratoire a permis d’identifier des points de convergence entre des énoncés émis par les créateurs et les commentaires des communautés de chacune des web-séries. Nous nous sommes également appuyés sur les travaux de Susan Herring (Herring, 2004) concernant les communautés en ligne qui remettent au centre la nécessité de formuler des questionnements de recherche suffisamment ouverts permettant que les résultats confirment, ou non, les hypothèses de départ et d’ouvrir ceux-ci à̀ d’autres horizons de réflexion. Ainsi, l’angle de questionnement détermine la collecte de données et la façon dont celle-ci est effectuée et pas uniquement leur traitement. Herring présente donc des critères de sélection divers ayant trait spécifiquement à l’analyse de discours en ligne sur des plateformes multimodales. Elle prend ainsi en compte des variables pour délimiter la collecte de données et permettre un classement. Dans ce cadre précis, les variables de temps et de phénomène proposées par Herring semblent être pertinentes pour l’analyse. L’avantage de la variable temps étant « un contexte riche ; nécessaire pour une analyse longitudinale » (Susan Herring, 348) et celle de la variable « phénomène » celui de s’attacher aux spécificités des échanges.
En fonction des points de convergence relevés et de nos deux critères, il est ainsi apparu qu’il était possible de classifier ces éléments selon trois types de sollicitations émis par les auteurs : des sollicitations à implication, matérielles et à contribution. Chacune de ces sollicitations intervient à des moments différents dans l’évolution des trois web-séries. Néanmoins, elles produisent des effets similaires.
4. La sollicitation: un levier de l’interaction
Les trois types de sollicitations mises au jour sont autant de moyens d’entretenir un lien et une cohésion entre les acteurs du dispositif : d’abord entre créateur et communauté, puis entre communauté et objet, et enfin, au sein de la communauté elle-même. Facebook est un biais qui facilite ces rapports en permettant l’interaction et la discussion au sein de la communauté.
4.1 Sollicitations à implication
La première forme de sollicitation relevée est celle de l’implication. Elle agit comme une forme d’appel vis-à-vis de celui qui n’est pas encore nécessairement public de la web-série, mais qui est déjà inscrit dans une partie de son dispositif. Ces sollicitations, sans émettre clairement de demande, visent à̀ instaurer un premier lien en dévoilant l’envers de la production, ou tout du moins une partie de ses coulisses. En donnant une somme d’informations sur le processus de création, on cherche à provoquer une forme d’implication. En effet, la plupart des commentaires argumentés laissés à la suite d’épisode se focalisent tout particulièrement sur l’aspect technique et de construction de la fiction. Les spectateurs font de nombreux retours sous forme d’évaluation et posent des questions sur la façon dont ont été réalisées les scènes, sur le montage ou sur le matériel utilisé. Les sollicitations à implication mettent tout particulièrement en avant cette dimension. Le premier message posté sur Facebook par Nexus VI avant même le lancement du premier épisode est ainsi rédigé dans ce sens, promettant plus que l’épisode lui-même, la révélation de ses coulisses :
Bonjour Citoyens ! Ici le Cap’tain. Je vous souhaite la bienvenue sur le Nexus VI. Le premier épisode est dans la boite et sortira courant Décembre. Très bientôt, des photos du tournage et un teaser. See you !
(21 novembre 2014 - www.facebook.com/ChroniqueNexusVI)
L’interpellation directe aux abonnés en tant que « citoyens », qui restera par la suite la façon de s’adresser aux spectateurs-utilisateurs, les engage directement dans un univers fictionnel présent dans chacune des annonces postées par la suite. Ces annonces concernent tout autant les sorties d’épisodes que le partage d’informations sur l’évolution des contenus, comme pour ce post, publié le 23 décembre 2014 :
Navré Citoyens. Problème technique lors de l’upload. Ce sera pour un peu plus tard dans la soirée. Nous vous tenons au courant ! Le Cap’tain
(23 décembre 2014 - www.facebook.com/ChroniqueNexusVI)
Les sollicitations à implication s’inscrivent dans une démarche qui se veut transparente, où l’on partage les avancées comme les difficultés, comme lorsque Nexus VI partage un message d’information de Facebook informant que le nombre d’abonnés est en réalité supérieur à celui indiqué.
Figure 1. Message publié sur la page Facebook Nexus VI
C’est aussi le moyen de créer ou de renforcer la cohésion au sein de la communauté en immergeant le spectateur à chaque étape de la création de la web-série. Dès lors, il n’est plus seulement spectateur, mais un participant indirect au processus.
Figure 2. Photos publiées sur la page Facebook Flander’s Company
Les équipes des trois web-séries partagent, par exemple, des images des jours de tournage, à la manière d’un album souvenirs auquel est associé l’ensemble de la communauté. Dans une idée similaire, le tournage de making of est un complément au visionnage de l’épisode. Il ne s’agit pas seulement de s’immerger dans le récit et l’univers de la fiction, mais bien dans l’ensemble du dispositif de la web-série. La sollicitation à implication semble avoir pour but de capter l’attention par une forme d’authenticité et ce que l’on pourrait qualifier de récit dans le récit : en donnant à voir les étapes de la création et les coulisses de la production, on cherche à créer une relation de proximité de même que le moyen pour les spectateurs de s’approprier l’objet. Cette proximité peut s’avérer un moteur particulièrement utile lorsque ces derniers ont besoin d’une aide extérieure. Il s’agit là du deuxième type de sollicitation : les sollicitations matérielles.
4.2 Sollicitations matérielles
Les sollicitations matérielles sont une représentation concrète du lien qui unit communauté et créateur mais aussi de son appropriation de l’objet. Les web-séries autoproduites étant encore souvent le fruit d’une aventure bénévole, les moyens à disposition poussent souvent les créateurs de ces contenus à chercher les ressources manquantes au-delà de l’équipe qu’ils ont constituée. Les sollicitations matérielles sont des appels à participation financière ou humaine. Régulièrement, il est possible de lire des messages appelant les spectateurs à participer en tant que figurant pour le tournage d’un épisode, cherchant à se procurer des costumes ou à contribuer financièrement à la production.
Le principe du financement participatif connaît un essor important dans le domaine de la production sur le web. Il s’agit pour les spectateurs, de donner librement une somme d’argent en échange d’une contrepartie. Ces contreparties vont généralement d’un nom crédité au générique à des objets de marchandisage, parfois, une apparition comme figurant dans un contenu. Noob se distingue particulièrement dans le champ du crowdfunding en réalisant des records de dons. En 2013, l’équipe a pour objectif de réaliser une saison de sa web-série sous la forme d’un film. Pour mener à bien ce projet, elle lance une campagne visant à récolter 35 000 €. La somme est dépassée en dix jours et atteint finalement 250 000 €, l’amenant à concevoir une trilogie plutôt qu’un seul opus. En 2017, Fabien Fournier réitère l’expérience, cette fois pour la conception d’un jeu vidéo. Là encore l’objectif initial de 90 000 € se voit largement dépassé pour atteindre 1 246 852 €. Au fur et à mesure des jours, l’équipe rajoute de nouveaux « paliers » à atteindre promettant de nouvelles fonctionnalités au jeu si ceux-ci sont dépassés.
Figure 3. Messages publiés sur la page Noob – Olydri durant une campagne de crowdfunding
Outre les contributions financières, les sollicitations matérielles appelant à d’autres types de participations rencontrent elles aussi l’engouement. Flander’s Company utilise ainsi Facebook comme biais de recrutement lorsque l’équipe a besoin de figurants. Dans un post du 4 juin 2018, l’équipe annonce :
La Flander’s Company recrute – c’est une habitude – 6 figurants pour un petit tournage extérieur en région parisienne ce dimanche 10 juin. Ce sera un petit tournage muet avec pas mal d’action [...] Si vous voulez participer, envoyez un message à cette page Facebook.
(4 juin 2018 - www.facebook.com/flanderscompanylaserie)
Plus que des appels à participations financières ou ludiques, les créateurs sont aussi en demande de compétences des membres de leurs communautés. Il n’est donc pas rare de voir des demandes d’aide pour un domaine d’expertise en particulier. La notion de contrepartie, de récompense, paraît particulièrement importante dans ce cadre, quand bien même elle reste symbolique pour une partie des contributeurs. Elle paraît fonctionner comme le levier d’une appropriation plus concrète de l’objet. Il n’est pas seulement question d’aider, mais de participer activement en jouant un rôle annoncé comme particulièrement tangible.
4.3 Sollicitations à contribution
Les sollicitations à contributions sont le moyen d’entretenir l’attention et l’intérêt de la communauté, et plus largement, des spectateurs de la web-série. Il s’agit d’inciter à contribuer et interagir, mais aussi à partager. Ce type de sollicitations intervient en général lors des sorties d’épisodes, mais également lors d’annonces de conventions ou de nouvelles importantes dans la vie de l’objet. Elles rythment régulièrement la communication opérée sur les différentes plateformes, comme autant de gestes envers la communauté. Ces appels à contribuer sont des rappels constants à soutenir l’objet. Ils prennent souvent la forme de remerciements, rappelant le rôle crucial que joue la communauté fédérée autour de la web-série. Alors que la chaîne n’en est qu’à ses débuts, l’équipe de Nexus VI remercie les spectateurs de leurs retours, sans oublier d’encourager à partager et rendre le contenu plus visible encore. Lorsque l’objectif des vues est atteint, on souligne le rôle considérable de la communauté placée ici dans une posture active :
Bonjour Citoyens ! On a réussi ! 4 000 vues ! ! ! Et c’est grâce à vous ! Merci pour votre soutien et vos messages ! Pour vous récompenser : des news sur le prochain épisode dans la semaine qui vient ! Bonne soirée à tous, merci encore et n’hésitez pas à continuer de faire vivre la chronique sur les réseaux ! ! !
(7 avril 2015 - www.facebook.com/ChroniqueNexusVI)
Dans un article consacré aux deux figures du spectateur, comparées alors à celle du spectre et de l’automate, Matteo Treleani (Treleani, 2016) rappelle que l’apparent pouvoir donné au spectateur par l’interface numérique de contenus audiovisuels n’est en réalité que très partiel. En prenant l’exemple du web-documentaire, il indique ainsi :
L’interface nous donne un pouvoir d’action mais ce pouvoir est bien limité. Bien plus que ça, nous sommes obligés d’agir, car si on ne clique pas, si on ne choisit pas, le film s’arrête nous empêchant de continuer. En quelque sorte, on se retrouve dans une situation apparemment opposée à̀ celle à laquelle on voulait nous faire croire : au lieu de maintenir une promesse d’interactivité, pour utiliser les termes employés par François Jost, soit la possibilité de modifier le récit, une obligation d’interactivité nous est imposée. (Treleani, 2016, 6)
Le pouvoir du seul spectateur est, de la même manière, lui aussi limité sur la websérie et son interface. En revanche, la possibilité de l’action redonnée à travers le dispositif ne se limite pas au seul contenu donné à voir, mais à l’intégralité de ce qui lui permet d’exister. Lorsque Fabien Fournier lance l’idée de créer un jeu vidéo issu de l’univers Noob, il le fait auprès de sa communauté en révélant un éventuel déroulement du projet dans un long message sur la page Facebook de la websérie. À la fin de celui-ci, il pose directement les questions relatives au développement éventuel du projet :
Je pars du principe que si on veut qu’un jeu NOOB existe, ça ne dépend que de nous. Et puis si ça cartonne, ça prouvera peut-être aux studios pro le potentiel ludique d’un univers comme NOOB ? Au-delà de ça, ce que je cherche, c’est un vent de nostalgie en retrouvant l’esprit des RPG vintage de l’époque 16 et 32 bits.
On aurait plusieurs possibilités :
1 – On réunit une team bénévole parmi les fans, on rassemble tout ce qu’on a déjà (dessins, musiques, etc.), et on créé un RPG NOOB 2D avec les moyens du bord en mode loisir, sans dead line et on voit ce que ça donne.
2 – On réunit un petit budget Ulule auprès de ceux qui sont intéressés et on fait appel à des spécialistes pour nous épauler avec des graphistes pour booster la qualité visuelle, de l’expérience pour équilibrer le jeu, augmenter la durée de vie du scénario, voire des cinématiques [...] (On peut même imaginer faire une fausse boite Super Nitendo avec notice à l’ancienne + carte du monde d’Olydri + code de téléchargement et clé USB avec le jeu NOOB RPG dedans ?)… »
(25 août 2017 – www.facebook.com/WebSerieNoob)
Les sollicitations, multiples ici, cherchent d’abord à impliquer par l’emploi du « nous » et d’une décision commune qui devrait être celle de l’ensemble de la communauté dans laquelle les créateurs s’englobent. Elles incitent également à la contribution en établissant clairement deux options et en demandant de contribuer directement à la suite du projet. Enfin, il s’agit aussi de sollicitations matérielles, la seconde option concernant la mise en place d’une campagne de financement participative. Lorsqu’elles concernent un point précis à propos de l’objet, les sollicitations à contributions donnent lieu à de nombreuses interactions. Le fait de voir son avis pris en compte et discuté au sein de la communauté, dans un dispositif où se construit une relation familière entre créateur et spectateur, confère un statut qui va au-delà de celui de contributeur. Les membres de la communauté en sont des acteurs à part entière. Du moins, c’est ce qu’en laissent percevoir les créateurs. En effet, les obligations de visibilité et d’interactions conduisent à la mise en place de stratégies de communication de plus en plus réfléchies. Les sollicitations en font partie. Il est donc possible de s’interroger sur la transparence affichée à travers les messages des créateurs de même que sur la prise en compte réelle des avis donnés par la communauté. Authentique ou feinte, cette transparence produit néanmoins des interactions amenant à une implication, et finalement, une appropriation de l’objet par la communauté. Les contributions jouent donc deux rôles importants : elles permettent de rendre visible et vivant l’objet, mais elles participent aussi à la formation et à la cohésion de la communauté.
5. Conclusion
Cette analyse cherche à comprendre les rouages de l’interaction entre les créateurs de webséries et leurs spectateurs et comment s’établit l’interaction au sein du cadre particulier de l’autoproduction. En détaillant le dispositif de la websérie qui incite lui-même à la contribution, l’étude se construit à partir de l’analyse de commentaires relevés sur le réseau social Facebook, autour de trois productions présentant des similitudes en termes de genres. Ces relevés sont faits en délimitant des données disponibles en fonction de variables, selon l’approche mise au point par Susan Herring permettant de catégoriser des volumes de données importants. Cette approche et une lecture flottante ont amené à une classification des énoncés des créateurs par sollicitations. Celles-ci permettent de consolider le lien qui s’établit entre créateur et communauté, et communauté et objet. Elles constituent une part essentielle des messages émis par les créateurs des webséries qui ont, somme toute, toujours pour objectif d’impliquer et d’engager ceux qui les lisent et qui y réagissent. Ces réactions sont d’autant plus nombreuses lorsque l’avis de ceux à qui l’on s’adresse est demandé et que l’on fait part de questions, de doutes ou de demandes. La notion d’implication est présente à plusieurs niveaux. Elle est d’abord recherchée par les créateurs qui y voient le moyen de pérenniser la websérie et son dispositif ; elle l’est également par les spectateurs qui cherchent à s’engager symboliquement dans le processus de création.
Cet engagement apparaît comme une forme de concrétisation du sentiment d’appartenance à la communauté défini par Serge Proulx qui se voit qualifiée en tant que telle dans les sollicitations qui lui sont adressées. Ces interactions conduisent, dans le temps, à de plus en plus d’initiatives de la part de la communauté. Elle s’implique non seulement dans la fiction en s’y immergeant par ses interactions et par sa fidélité à suivre les épisodes au fur et à mesure que se déroule le récit, mais elle participe aussi à la densification de l’univers fictionnel en produisant à son tour : fan-fictions, fan-arts, don, figuration, convention ou participation à l’amélioration du dispositif de la websérie ou de la websérie elle-même. Le dispositif se construit par ses acteurs et avec eux. Il forge et consolide un lien autour de l’objet qui se nourrit d’un besoin mutuel entre créateurs et communauté et d’une participation de l’un pour soutenir l’autre.