Exploration des usages de ChatGPT par les communicants publics au Maroc : entre perspectives et enjeux éthiques Exploring the Uses of ChatGPT by Public Communicators in Morocco: Between Perspectives and Ethical Issues
Cette contribution vise à examiner l'état actuel des connaissances sur l'utilisation de ChatGPT dans les métiers de la communication, en mettant en évidence les limites potentielles et les enjeux éthiques associés à cet outil. En parallèle, elle présente les résultats d'une enquête par questionnaire menée auprès de communicants issus d'organismes publics marocains, afin d'évaluer la perception et l'usage de ChatGPT. Dans un premier temps, en se basant sur la littérature dédiée à ChatGPT, nous explorons ses potentialités dans le domaine de la communication. Ensuite, nous exposons les résultats de notre enquête pour comprendre comment les professionnels de la communication envisagent les usages de cet outil et perçoivent ses risques, en mettant en évidence ses limites. La discussion ultérieure permettra d'apporter des nuances et de proposer des pistes pour une utilisation responsable de cet outil.
This contribution aims, on one hand, to discuss the current state of knowledge regarding the use of ChatGPT in communication professions, highlighting possible limitations and ethical issues raised by this tool. On the other hand, it presents the results of a questionnaire survey conducted among communication professionals from Moroccan public organizations, aiming to assess the perception and usage of ChatGPT. Initially, drawing from literature dedicated to ChatGPT, we explore some potentialities and promises of ChatGPT in the communication field. Subsequently, we present the results of our survey among communication professionals to understand how they envision the uses of this tool and perceive its risks, emphasizing its limitations. The ensuing discussion will provide certain nuances and propose some avenues for a responsible use of this tool.
Introduction
Ces deux dernières années, l'utilisation de grands modèles linguistiques, comme ChatGPT, dans les environnements de travail soulève des questions importantes concernant à la fois le potentiel d'un changement radical de la qualité et la nature des emplois voire le risque de la perte d’emploi (Konstantis et al., 2023). Les métiers de communication ne sont pas en reste et sont confrontés à de nouveaux défis. ChatGPT est une application d’intelligence artificielle conçu pour générer des réponses textuelles à la demande des utilisateurs. Il se présente comme un outil permettant la génération automatisée de contenus inédits, tels que des manuscrits littéraires, journalistiques et même scientifiques (Sarker,2022). Les occasions d’utiliser ChatGPT en communication sont nombreuses que ce soit pour l’automatisation de la communication en utilisant des chatbots ( Patrim, 2023), l’analyse des données des publics cibles (Kandratov, 2018), la génération du contenu et la gestion des réseaux sociaux (Biswas, 2023). Ces nouvelles avancées nous amènent à nous poser de nouvelles questions : et si le professionnel de communication pouvait enfin être déchargé des heures passées à élaborer des contenus ? ChatGPT peut faire aussi bien qu’un professionnel de communication ? ou même mieux ? Cette IA générative a-t-elle une incidence sur l’ensemble de la profession ? Quel socle de compétences requièrent-elles les technologies de l’IA et quelles compétences hybrides faut-il développer par les professionnels de communication ? Quelles déontologies professionnelles à respecter et quelles limites de l’usage de ChatGPT et de l’IA plus largement ? Quels enjeux éthiques soulève l’usage de cette IA ? Et comment les professionnels de la communication font-ils référence à l’éthique ?
Cette contribution vise d’une part à discuter l’état actuel des connaissances sur l’utilisation de ChatGPT dans les métiers de la communication en soulignant les limites possibles et les enjeux éthiques que soulève cet outil. D’autre part, il s’agit de présenter les résultats d’une enquête par questionnaire auprès des professionnels de communication issus d’organismes publics marocains, visant à faire le point quant à la perception et l’usage de chatGPT. Dans un premier temps et après avoir présenté quelques ancrages théoriques de l’IA générative, de l’éthique de l’IA et de l’agir éthique, nous explorons quelques potentialités et promesses de ChatGPT dans le domaine de la communication. Par la suite, nous présentons les résultats de notre enquête auprès des professionnels de communication pour comprendre comment ils envisagent les usages de cet outil et perçoivent ses risques. Il s’agit à ce niveau de souligner ses limites. La discussion qui suivra permettra d’apporter certaines nuances et proposer quelques pistes pour une utilisation responsable de cet outil.
1. Cadre conceptuel
1.1. Qu’est-ce que l’IA générative ?
- Note de bas de page 1 :
- Note de bas de page 2 :
-
BERT (Bidirectional Encoder Representations from Transformers) est un modèle de traitement de lange naturel de type Transformers conçu par Google
D’emblée, il convient de présenter quelques définitions pour le lecteur non spécialiste. Selon Gozalo-Brizuela & Garrido-Merchan (2023), le terme d’IA générative recouvre l’ensemble des technologies d’IA entraînées sur des données massives et pouvant générer de nouveaux contenus (texte, image, audio, vidéo) de façon aléatoire à partir d’une information d’entrée (appelée « prompt ») saisie par l’utilisateur. Il s’agit d’un sous-ensemble de technologies de machine learning qui ont développé la capacité de créer rapidement du contenu en réponse à des invites de texte ou prompts. Dans un rapport1 en 2023 sur l’IA générative, les chercheurs de l’université de Stanford soulignent que les systèmes d’IA générative utilisent des modèles de fondation (foudation Model) qui sont fondés sur une architecture de réseau de neurones profond et entraînés sur des données non annotées à grande échelle. Ces modèles peuvent être unimodaux (acceptant un seul type d'entrée, comme le texte) ou multimodaux (acceptant plusieurs types d'entrées, comme le texte et les images). Les systèmes d’IA générative utilisent les trois techniques d’apprentissage machine, à savoir l’apprentissage non-supervisé (qui produit des corrélations à partir des données non annotées à priori), l’apprentissage supervisé (où les réponses s’ajustent à partir d’exemples étiquetés fournis à priori) et enfin l’apprentissage par renforcement (le système construit un modèle interne de la tâche à accomplir en inférant les causes permettant d’expliquer les retours positifs ou négatifs (appelés récompenses). Pour entraîner les modèles d’IA génératives, les architectures antagonistes génératifs (GANs) et les transformers, tels que GPT et BERT2, sont les architectures les plus utilisées. Celles-ci décomposent les textes par des algorithmes en tokens (suite de caractères), en utilisant le mécanisme d’auto-attention permettant d’établir des relations entre les mots et de déterminer le sens d’un mot en fonction du contexte, en se focalisant sur les mots les plus pertinents (Vaswani et al., 2017).
1.2. Qu’est-ce que ChatGPT ?
ChatGPT est un système conversationnel en langage naturel conçu par la société OpenAI (Allouche, 2023). Déployé au grand public depuis la fin 2022 avec le lancement de l’interface du chat adossée au modèle de langue GPT-3.5 (puis GPT-4), ce système conversationnel a suscité un engouement du public, amplifié par une médiation spectaculaire. Le terme « ChatGPT » est la contraction entre le mot « chat » pour conversation et GPT pour « Generative Pre-trained Transformer » (en français Transformateur génératif pré-entraîné). Il s’agit d’un modèle de traitement de langage naturel de grande taille (LLM : large language Model), basé sur des réseaux de neurones, GPT-1, GPT-2, GPT-3,5 et GPT-4. Une architecture conçue spécialement pour le traitement du langage naturel. Ces modèles sont pré-entraînés sur de vastes ensembles de données textuelles afin de permettre à ChatGPT d'apprendre à comprendre et à produire du langage et à réaliser des tâches.
1.3. L’IA au prisme de l’éthique
Nous proposons à présent de définir succinctement ce que l’on entend par l’éthique de l’IA. D’abord, l’éthique doit être comprise comme une branche spécifique de la philosophie qui a pour objectif général d’interroger les systèmes de valeurs en usage :
« L’éthique relève du domaine de la philosophie qui se préoccupe des valeurs qui guident les conduites et les comportements humains….[elle] concerne essentiellement la détermination des principes qui distinguent le bien et le mal, le bon du mauvais, le vrai du faux ; elle concerne aussi le sens qu’on donne à ces termes et à ceux qui renvoient aux principes de justice, d’équité et d’intégrité » (Harrisson, 2000, p. 36).
Ensuite, l’éthique a trait à l’activité pratique (le bien agir). C’est ainsi que l’éthique constitue pour certains une réflexion axiologique sur l’action (Genard, 2000 ; Raz, 2009, cités dans Lacroix et Marceau, 2019). Elle a enfin pour finalité ultime le devenir humain comme le souligne pertinemment Malherbe : « Le but de l’éthique est que chaque sujet crée chaque jour son propre sens, sa propre façon de devenir plus humain » (2000, p. 157). Ainsi, « En conférent à l’éthique le mot « appliqué », nous pourrions dire que l’éthique constitue une réflexion appliquée à la dimension normative et axiologique de l’action humaine. » (Lacroix, 2006, p. 128). Le terme appliqué peut être compris au sens de Durand (1999) comme un synonyme de concret, pratique, sectoriel, pour indiquer que l’éthique s’intéresse aux situations singulières, à la décision à prendre indépendamment de la méthode de réflexion (déductive, inductive, etc.) mise en œuvre. L’éthique s’entend dès lors comme une herméneutique comme le soutient Jean-François Malherbe , « […] c’est-à-dire une illumination réciproque de notre méditation sur l’excellence en humanité, et des décisions singulières que nous prenons dans les différents secteurs de notre existence ». C’est cette définition que nous retenons ici puisqu’elle envisage l’éthique comme une quête d’excellence en humanité dans une perspective appliquée, ce qui nous semble pertinent lorsqu’il est question de développement responsable de l’IA. Contrairement à certains idées reçues, l’éthique ne se réduit pas à une conception prédéterminée ou un comportement prédéfini qu’il faut adopter. Elle se présente plutôt comme « une réflexion sur nos pratiques individuelles et sociales et sur les valeurs qu’elles actualisent menant à leur évaluation à travers l’exercice d’un jugement pratique et à des actions conséquentes (Lacroix, Marchildon et Bégin, 2017 : 37-46). Comme le souligne Boudreau (2019), il est question d’« IA éthique » associée à une démarche, une délibération, une réflexion, une question, un principe, une valeur, etc. Cela signifie que les problèmes éthiques sont pensés et traités de manière concrète et contextualisée.
1.4. L’agentivité pour comprendre et situer l’activité humaine
Lorsqu’il est question de simulation de l’intelligence humaine par des systèmes d’IA (SIA), la question de l’agentivité humaine demeure cruciale. En informatique, un agent est « un système situé dans un environnement, et qui agit d’une façon autonome et flexible pour atteindre les objectifs pour lesquels il a été conçu » (Jennings et el., 1998). l’action, qui est une propriété clé dans les systèmes multi-agents, repose sur l’idée que les agents accomplissent des actions qui vont modifier leur environnement et donc leurs prises de décision futures (Moulin et al., 2001). En sciences sociales, cette notion désigne la capacité d’agir d’une personne en fonction de ce qu’elle considère comme valable (Sen, 2010). Elle « se manifeste dans une situation problématique polymotivée dans laquelle un sujet évalue et interprète les circonstances, prend des décisions selon les interprétations et exécute ces décisions » (Engeström et Sannino, 2013). Elle s’exerce sous forme de contrôle direct et de pouvoir efficace qui mènent à la réalisation des buts fixés (Alkire, 2008 ). Le contrôle direct serait en fait le contrôle des procédures par lesquelles l’agent fait des choix et agit (Sen, 2010). Par exemple, un communicant peut vouloir donner un feedback précis à son public tout en étant pressé. Cette tension entre précision et rapidité nécessite des actions délibérées pour concilier les deux, comme le soulignent Collin et Lepage (2022). ChatGPT, bien qu'il puisse produire rapidement du contenu, peut manquer de saisir toutes les subtilités du contexte ou les priorités humaines, compromettant ainsi la précision. Dans ces situations, le communicant doit utiliser son expertise et son jugement professionnel pour ajuster les sorties de ChatGPT et trouver un juste équilibre. Automatiser certaines tâches avec ChatGPT peut déplacer le centre d'expertise vers la technologie, risquant de dégrader les compétences professionnelles en encourageant une dépendance excessive au modèle au détriment de l'expertise humaine (Chen et al., 2023).
2. Méthodologie
- Note de bas de page 3 :
-
« une revue rapide est un type de synthèse de connaissances dans lequel des composants du processus d'examen systématique sont simplifiés ou omis pour produire des informations dans un court laps de temps » (Tricco et al. , 2005)
Notre travail méthodologique s'est articulé en deux étapes clés. Premièrement, une revue rapide3 de la littérature sur l'IA générative, axée sur ChatGPT, ses opportunités, ses limites et ses implications éthiques, a été réalisée. Nous avons consulté cinq bases de données (ERIC, IEEE Xplore, Scopus, Web of Science et Google Scholar) en utilisant les termes "ChatGPT", « ethics », « works », « communication » comme descripteurs de recherche dans les titres, les résumés ou les mots-clés, pour des articles publiés entre 2022 et 2023 (liste des articles en annexe). Bien que nous ayons exploré plusieurs bases de données, nous avons trouvé un nombre limité d'articles pertinents, se concentrant principalement sur l'utilisation de ChatGPT dans le domaine de la communication et des organisations. Nous avons ensuite procédé à une analyse de contenu thématique en deux étapes, comprenant un codage ouvert pour la catégorisation initiale des données et l'identification des thèmes, suivi d'un codage axial pour établir les relations entre les concepts et les codes identifiés lors du codage ouvert. Ensuite, nous avons mené une enquête par questionnaire auprès de 250 professionnels de la communication issus de divers organismes publics au Maroc. Notre échantillon a été constitué à partir de quatre critères de sélection : 1) les organismes sélectionnés devaient avoir une entité de communication ; 2) l’échantillon devait présenter une certaine diversité quant à la mission des organismes ; 3) quant à leur taille et 4) quant à leur domaine d’intervention. Le panel des répondants est constitué de DIRCOM, responsables de communication, communicants externes, community Managers et attachés de presse. L'objectif était d'étudier les pratiques actuelles et les usages de ChatGPT dans leur cadre professionnel, ainsi que de mieux comprendre leurs perceptions des opportunités et des limites de cet outil. Le questionnaire, composé de 22 questions réparties en quatre sections, portait sur la connaissance de ChatGPT, les perceptions de son impact sur les pratiques professionnelles, les usages qui en sont faits, ainsi que les considérations éthiques liées à son utilisation. Pour le recrutement des répondants, nous avons identifié des contacts au sein de ces organismes pour faciliter la collecte des données. Le questionnaire a été élaboré via Google Forms, et les répondants ont été encouragés à y répondre et à partager le lien avec leurs collègues, ce qui a permis d'obtenir 180 réponses grâce à l'effet de boule de neige. Nous avons reçu les réponses de 180 participants, représentant un taux de réponse de 72 %, que nous considérons satisfaisant mais avec des limitations à prendre en compte lors de l'interprétation des résultats.Haut du formulaire
3. Résultats en lien avec les potentialités de ChatGPT et ses usages par les communicants
Cette section présente, dans l’ordre, les résultats relatifs aux potentialités de ChatGPT dans le domaine de la communication qui ont été identifié dans la littérature consultée, puis les résultats de l’enquête auprès des communicants. Elle vise à rapporter le plus fidèlement possible, de façon objective et sans interprétation secondaire, les idées véhiculées dans la littérature et les propos des répondants. La discussion qui suivra permettra d’apporter certaines nuances.
3.1. Résultats en lien avec les potentialités de ChatGPT
Dans tous les documents consultés, nous avons identifié cinq principales promesses de ChatGPT dans le domaine de la communication (la rédaction du contenu, la veille et la curation du contenu, la conversation, l’amélioration de l’engagement du public et l’aide à la décision).
- La création du contenu
Keiper (2023) souligne que ChatGPT offre un potentiel prometteur dans la création de contenu, ce qui permet aux professionnels de la communication et du marketing d'économiser du temps. En intégrant ChatGPT, les tâches chronophages telles que la rédaction de courriers ou de communiqués de presse peuvent être accomplies plus efficacement, libérant ainsi du temps pour des tâches stratégiques et créatives (Biswas, 2023). ChatGPT peut analyser les données, le style et le ton pour générer des réponses en langage naturel informatives et engageantes (Taecharungroj, 2023). Keiper (2023) souligne également des applications dans la communication événementielle, en aidant à la planification et à la gestion d'événements. Par exemple, avant l'événement, il peut être utilisé pour diverses tâches telles que la création de contenu, l'élaboration d'invitations et la promotion sur les réseaux sociaux
- La veille et la curation du contenu
- Note de bas de page 4 :
-
Pour reprendre le terme utilisé par Lucia Granget dans Le communicant d'université : un modèle professionnel (dé)bridé (2012), Communication et organisation, 41, 181-194.
Pour Pratim, (2023), ChatGPT peut aider les professionnels de la communication en tant qu'infostratège4et veilleur à effectuer des recherches en ligne et à synthétiser des informations pertinentes, à les tenir informés des tendances et des développements de leur domaine. Il accélère certaines étapes de recherche et d'analyse de données, notamment la synthèse de données qualitatives. De plus, il facilite la curation de contenu et la gestion de l'image en surveillant les mentions en ligne et en identifiant les réactions positives et négatives, permettant une réaction proactive pour maintenir une image positive de l'organisation.
- La conversation
Selon Zhou et al. (2023), ChatGPT peut être entraîné pour développer des Chatbots pour démarrer des conversations avec les publics répondre à leurs demandes de renseignement et fournir des recommandations personnalisées. En effet, grâce à ses fonctionnalités du traitement du langage avancé et sa capacité créative, ChatGPT peut interagir avec les publics et engager des discussions comparables à celles entre des humains. Il s’agit donc d’un outil qui peut être utilisé par les professionnels de la communication pour automatiser certaines interactions telles que la réponse aux questions fréquentes et répétitives et l’assistance instantanée en temps réel.
- L’amélioration de l’engagement du public
Pour Keiper (2023), les professionnels de communication peuvent utiliser ChatGPT pour élaborer des stratégies solides en matière d'engagement des publics cibles. En tenant compte de leurs propres caractéristiques spécifiques (géographie, emplacement, besoins de la communauté, démographie locale, etc.), le modèle peut aider les professionnels à réaliser des enquêtes de satisfaction ou de suivi des actions de communication (ex. un événement), qui pourraient être saisies dans Google Forms. Ainsi, en analysant les données sur les préférences et les comportements du public, ChatGPT peut fournir des réponses personnalisées qui peuvent améliorer l'engagement. Cela permet aux professionnels de développer des stratégies ciblées pour favoriser l’adhésion des publics cibles.
- L’aide à la décision
Une cinquième application de ChatGPT dans le domaine de la communication peut s’avérer tout particulièrement intéressante pour les gestionnaires et les professionnels de communication : l’aide à la décision. Cette promesse réside sur l’hypothèse qu’en exposant ChatGPT à de grandes quantités de données sur les comportements des publics cibles et les objectifs de communication, il saura discerner des patterns ou tendances permettant de faire des prédictions informées sur les attentes et les réactions potentielles des publics cibles (ex. rumeurs, crise potentielle) afin de faire des choix plus éclairés et élaborer des stratégies plus efficaces.
3.2. Résultats de l’enquête de terrain
Cette section présente les résultats du questionnaire portant sur les perceptions des professionnels à l'égard de ChatGPT et les usages qui en sont faits, ainsi que sur leurs caractéristiques démographiques. Le tableau 1 reprend les principaux résultats
Tableau 1 : caractéristiques démographiques
Age moyen |
39, 5 ans |
|||||||
Genre |
Femme |
Homme |
||||||
58 % |
42 % |
|||||||
Titre |
Dir. Com |
Responsable Com |
Relations publiques |
Community Manager |
Attaché de presse |
|||
27 % |
42 % |
7 % |
11 % |
15 %), |
||||
Ancienneté |
Moins d’un an |
1 à 5 ans |
5 à 15 ans |
Plus de 15 ans |
||||
2 % |
23,63 % |
21,81 % |
52,73 % |
|||||
Organismes |
Universités publiques |
Ministères |
Collectivités territoriales |
Autres (ex. établissements de santé) |
||||
13 % |
35 % |
30 % |
22 % |
La plupart des répondants ont entendu parler de ChatGPT, mais leur niveau de connaissance varie, avec 49 % ayant des connaissances limitées, 43 % bien informés, et une minorité (7,3 %) ne le connaissant pas avant le questionnaire. Aucun répondant ne revendique une expertise dans son utilisation. Ces résultats reflètent l'intérêt croissant pour ChatGPT depuis sa médiatisation en 2022. En ce qui concerne les incidences de ChatGPT sur les pratiques professionnelles, la majorité des répondants estiment que cet outil influencera leurs pratiques, avec 45 % prévoyant une influence positive et 18 % anticipant des changements notables nécessitant une adaptation. Seuls 8,3 % pensent qu'il n'aura aucun impact. La plupart voient ChatGPT comme un collaborateur potentiel améliorant les pratiques existantes. De plus, la majorité des professionnels interrogés (90 %) voient l'automatisation via ChatGPT comme un gain de temps et une amélioration de l'efficacité. Cependant, des préoccupations subsistent, notamment concernant la génération de contenus incorrects (38 %) et la dépendance excessive à la technologie (52 %). Une partie significative des répondants reconnaît les enjeux éthiques liés à l'utilisation de ChatGPT, bien que seulement 13 % se disent totalement conscients de ces implications. Bien qu’une majorité (49 %) accorde une priorité à l'exactitude et à la véracité du contenu généré, elle déclare ne pas connaître les enjeux éthiques soulevés par ChatGPTou l’IA en général. Cette méconnaissance est due principalement pour 89 % des répondants au manque de sensibilisation aux enjeux éthiques et à l'absence de lignes directrices éthiques internes. Près de la moitié des répondants envisagent d'utiliser ChatGPT, mais seuls 38 % le font réellement, principalement pour la création de contenu et la recherche d'informations. Les réticences à l'utilisation sont principalement liées à des questions de confiance en l'outil (50 %) et d'implications éthiques (13 %). Le tableau 2 reprend les résultats obtenus :
Tableau 2 : synthèse des principaux résultats de l’enquête
Aspect |
Dimension |
Valeur |
Niveau de connaissance de ChatGPT |
Connaissances limitées |
49 % |
Bien informés |
43 % |
|
Ne le connaissent pas |
7,3 % |
|
Perceptions de l’impact de ChatGPT |
Influence positive |
45 % |
Changements notables nécessitant une adaptation |
18 % |
|
Aucun impact |
8, 3 % |
|
Avantages perçus de l’automatisation via Chatgpt |
Gain de temps et amélioration de l'efficacité |
90 % |
Efficacité et précision |
45 % |
|
Aucun avantage significatif |
15 % |
|
Préoccupations concernant l'utilisation de ChatGPT |
Dépendance excessive à la technologie |
52 % |
Génération de contenus incorrects |
38 % |
|
Diminution de l’autonomie |
15 % |
|
Sensibilité aux enjeux éthiques |
Prise en conscience des enjeux éthiques |
13 % |
Nécessité de lignes directrices |
13 % |
|
Prise en compte de certains principes éthiques, tels que la véracité du contenu lors de l’usage de chatGPT |
38 % |
|
Ne connaissent pas les enjeux éthiques tels que les biais de discrimination algorithmiques ou la violation des données personnelles |
49 % |
|
Usages faits de Chatgpt |
Utilisation envisagée |
50 % |
Utilisation effective (notamment pour la génération du contenu) |
38 % |
|
Réticences à l’utilisation |
Manque de confiance |
50 % |
Perte de l’autonomie |
27 % |
|
Considérations éthiques |
13 % |
|
Technophobie |
8,3 % |
|
Attentes et besoins |
Formation à l’IA et à l’éthique de l’IA |
95 % |
Lignes ou chartes d’usage internes |
89 % |
Ces résultats révèlent un intérêt considérable des professionnels pour ChatGPT, perçu comme un outil potentiellement bénéfique malgré des préoccupations éthiques et des limites identifiées. La nécessité d'une sensibilisation accrue à l'éthique de l'IA et d'une élaboration de cadres éthiques internes est soulignée, ainsi que la diversité des usages potentiels de ChatGPT dans les pratiques professionnelles.
4. Discussion : Quelques nuances et pistes pour un usage plus responsable de ChatGPT
Il ressort de notre étude que l’usage de ChatGPT par les professionnels de la communication au sein des organismes étudiés est émergent. Bien que quelques usages soient rapportés, ils se limitent principalement à des tâches de production de contenu et d'aide à la recherche d'information. Les avantages et limites de ChatGPT sont reconnus par ces professionnels, qui apprécient notamment son potentiel pour améliorer la productivité, mais restent conscients de ses lacunes en termes de précision et de compréhension contextuelle. Ils reconnaissent également les risques liés à une dépendance excessive à cet outil, notamment la perte d'autonomie et d'agentivité professionnelle. Malgré cette prise de conscience, les aspects éthiques de l'utilisation de ChatGPT restent insuffisamment pris en compte, probablement en raison d'un manque de sensibilisation et de formation à l'éthique de l'IA dans les milieux professionnels. A cet égard, nous soulignons l'importance de former les professionnels à la compétence éthique. En effet, si certains métiers qui travaillent avec l’IA ont besoin d’un niveau très élevé de compétences en algorithmique et mathématique, les métiers se limitant à l’utilisation des SIA, tels que les métiers de communication ont besoin davantage de compétences complémentaires pour renforcer leur pensée critique et leur raisonnement éthique. D’où la nécessité de la formation à l’éthique. Selon Lacroix et al. (2017 : 112), « être compétent au plan éthique, c’est être capable d’agir en situations éthiques de manière autonome et responsable par la mobilisation volontaire de ressources internes et externes appropriées ». L’accent est mis sur la dimension à la fois dynamique et réflexive de la compétence éthique selon une approche pragmatiste de l’éthique comme le souligne Boudreau (2019). En effet, la compétence éthique ne doit pas être réduite uniquement à la capacité à se conformer à des règles préétablies, mais doit comprendre la faculté de réfléchir de manière critique et autonome à la pertinence et la validité de ces règles. En se référant à Lacroix et al. (2017), Laflamme et Bruneault, (2022) ont identifié trois composantes de la compétence éthique : 1) la sensibilité éthique c’est-à-dire la capacité de reconnaitre et apprécier la dimension éthique dans des situations problématiques ; 2) la capacité réflexive ou le savoir-agir en situation éthique qui suppose d’acquérir et de développer les ressources nécessaires à l’action puisque « l’agir compétent en situation éthique exprime une intelligence pratique des situations éthiques ; et 3) la capacité dialogique c’est-à-dire savoir interagir en situation éthique. Cette compétence implique la capacité d’exposer sa position personnelle sur les enjeux éthiques liés aux SIA, évaluer la pertinence de celle-ci en la confrontant à d’autres positions possibles et délibérer en vue de coordonner avec autrui des actions communes en situation éthique. Compte tenu du développement rapide des modèles génératifs et plus largement les technologies de l’IA, il apparaît important d’outiller adéquatement les professionnels en les formant aux enjeux éthiques et sociaux associés à l’IA afin qu’ils puissent traiter de ces enjeux et envisager des pistes de solution de manière autonome.
Par ailleurs, si le progrès technique et l'essor de l'IA contribuent à l'amélioration de la productivité et à la réduction des coûts, ils suscitent toutefois des inquiétudes quant aux pertes d'emploi potentielles. Malgré les promesses de progrès économique et social, certains auteurs soulignent les conséquences négatives sur le marché du travail (Ray, 2023). On peut donc avancer que ChatGPT peut être perçu à la fois comme une opportunité et une menace. D’une part, il pourrait améliorer l'efficacité professionnelle, mais aussi entraîner la disparition de métiers à tâches automatisables. Certes, l'impact de l'IA sur l'emploi reste incertain, mais il est certain que les métiers seront profondément transformés. Il est crucial pour les professionnels de renforcer leurs compétences, notamment en littératie numérique et en IA, pour s'adapter à ces changements. Les compétences transversales telles que la curiosité, la créativité et la résolution de problèmes deviennent essentielles dans un monde où les machines ne peuvent les reproduire.
Conclusion
En définitive, nul doute que l’arrivée des modèles de l’IA générative tels que ChatGPT modifiera considérablement les pratiques des professionnels de la communication, que ce soit en créant du contenu ou en automatisant certaines tâches répétitives. En réponse, les professionnels devront apprendre à collaborer avec cet outil de manière prudente et créative afin d’éviter le risque des mésusages. Les pistes étant certainement nombreuses, nous en avons proposé trois : 1) utiliser ChatGPT pour l’information décisionnelle plutôt que prendre des décisions ; 2) privilégier des usages qui stimulent la créativité des professionnels, préservent leur agentivité et leur permettent de développer un recul critique sur le fonctionnement du modèle ; 3) se former à la compétence éthique pour pouvoir agir en situation éthique de manière autonome et critique.