KOSA IN SOZ? Création d’un outil de rééducation lexico-sémantique à destination de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, créolophones réunionnais et de niveau socio-culturel modeste KOSA IN SOZ? Creation of a semantic-based treatment, based on semantic feature analysis, for creole-speaking patients with Alzheimer’s disease and modest education level

Chloé Kessori ,
Audrey Pépin Boutin 
et Sonia Michalon 

https://doi.org/10.25965/rse2r.183

Le créole réunionnais est la langue parlée par une grande partie de la population de l'île de la Réunion. Cependant, il n’existe actuellement aucune ressource concernant la rééducation orthophonique pour la population locale ; le matériel utilisé étant uniquement étalonné en France métropolitaine. Dans ce contexte, ce mémoire a pour objectif de développer un outil de rééducation lexico-sémantique en créole réunionnais, afin de faciliter et d’adapter les prises en soins orthophoniques des patients vivant sur l’île. Pour ce faire, nous avons mené une enquête auprès d’orthophonistes exerçant sur l’île. Celle-ci a mis en évidence le besoin des orthophonistes de l’île et la pertinence d'un tel outil, notamment pour une partie de la population avec un faible niveau socio-culturel. Ainsi, pour répondre à ce besoin, nous avons créé notre outil d’après la seule base lexicale en créole réunionnais disponible à ce jour. L’utilisation du matériel créé, « KOSA IN SOZ ? », auprès de patients créolophones ayant un faible niveau socio-culturel montre qu’il s’agit d’une réponse pertinente aux besoins des orthophonistes d’avoir un outil de rééducation adaptée. À l’issue des essais, des modifications du matériel ont été suggérées par les orthophonistes et appliquées afin d’améliorer et de faciliter son utilisation. Nous pouvons conclure que cet outil de rééducation est pertinent pour aborder la rééducation orthophonique des patients atteints de troubles du langage et de la communication en créole réunionnais, notamment dans le cadre de la maladie d’Alzheimer.

In Reunion Island, a large part of the population uses creole as their main language. Today however, most of the treatments used in speech and language therapy are standardised using spoken language in mainland France. To help the island’s speech and language pathologists (SLPs) and patients, we built a semantic-based treatment for naming deficits in Alzheimer’s disease. A survey was conducted among the SLPs practicing on the island to highlight the need of a tool which recognises the distinct differences between mainland French-speaking population and often lower socio-economic level creole-speaking population. To meet this need, we created our tool, “KOSA IN SOZ?”, using the only lexical database in creole currently available. After analysis of the initial test results, improvements which were suggested by the SLPs were implemented to facilitate its use. The results of the study show that our tool facilitated an improvement in a Creole-speaking demographic. As such, we conclude that our tool is beneficial, regarding the therapeutic alliance and in semantic-based treatment of creole-speaking patients with speech and communication disorders, especially in the context of Alzheimer’s disease.

Sommaire
Texte

Introduction

Le « manque du mot », aussi appelé anomie, désigne « l’impossibilité, pour le sujet, de produire le mot au moment où il en a besoin » (1). Ce trouble a des répercussions aussi bien sur le langage induit que sur le langage spontané (2). Il affecte considérablement la qualité de vie du patient en limitant les interactions sociales.

Dans le cadre de troubles neurocognitifs de localisation corticale, tels que la maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés, l’anomie apparaît dès le stade prodromal de la pathologie (3). Elle est alors provoquée par une détérioration de l’encodage mnésique puis de la mémoire sémantique, entraînant un déclin des connaissances générales et des composantes lexicales (4).

La Semantic Feature Analysis (SFA) est la méthode de stimulation cognitive ayant eu les meilleurs résultats pour le maintien d’une communication fonctionnelle des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (4,5). Elle a pour but de favoriser l’accès lexical en renforçant les liens sémantiques intra et inter-lexicaux (6). De plus, lorsqu’elle est utilisée précocement, cette méthode peut engendrer une réorganisation plus globale des schémas mnésiques, notamment au niveau de l’encodage de la mémoire épisodique (4). Cela facilite le maintien en mémoire des événements de la vie quotidienne et améliore les interactions avec l’entourage. Dans ce contexte, la rééducation orthophonique peut intégrer une prise en soin de l’anomie appuyée sur la SFA. Les outils disponibles sont étalonnés en France métropolitaine et sont souvent présentés en modalité écrite.

Sur l’île de la Réunion, l’utilisation de ces outils pose deux problèmes : d’une part, la base lexicale ayant servi à la conception des supports est peu représentative du lexique créole réunionnais, d’autre part une partie de la population âgée possède un niveau socio-culturel et éducatif assez modeste allant parfois jusqu’à l’illettrisme (7–9). Par ailleurs, une partie des orthophonistes est originaire de la France métropolitaine et ne maîtrise pas ce lexique spécifique. Cela a des répercussions d’une part sur l’efficacité de la rééducation de l’anomie et d’autre part sur l’adhésion au projet thérapeutique en raison de sa faible adaptation au niveau linguistique et culturel du patient (9).

À ce jour, des études sont menées pour pouvoir proposer des outils d’évaluation adaptés à la population réunionnaise. Cependant, il n’existe actuellement aucun support de rééducation de l’anomie à destination des patients créolophones. Nous proposons alors la création d’un matériel lexico-sémantique basé sur la SFA et intégrant les particularités socio-culturelles de la population de l’île de la Réunion. Cet outil destiné aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de syndromes apparentés pourra être proposé dans le cadre d’une prise en soin visant le maintien d’une communication fonctionnelle.

Nous avons premièrement interrogé les orthophonistes de l’île de la Réunion afin d’identifier les outils actuellement utilisés et de recenser leurs besoins spécifiques en termes de support et de contenu. Deuxièmement, une dénomination contrôle a été effectuée pour nous assurer du niveau suffisant de représentation des items. Troisièmement, le matériel a été testé auprès de 5 patients.

Recension

La Semantic Feature Analysis (SFA)

La SFA est une méthode de rééducation utilisant une approche lexico-sémantique. Elle repose sur le postulat que la multiplicité des liens reliant les mots serait un facteur favorisant leur récupération (6,11,12). Elle vise ainsi la réactivation ou le réapprentissage de l’aspect sémantique de la langue (13). L’évocation par le patient de liens sémantiques personnels est systématiquement associée à une phase de feedback.

Figure 1 : Les grilles d’analyses en SFA des caractéristiques pour les noms et les verbes

Figure 1 : Les grilles d’analyses en SFA des caractéristiques pour les noms et les verbes

Le feedback est indispensable dans ce protocole indépendamment de l’exactitude de la réponse du patient. En cas d’erreur, le professionnel doit graduellement indicer la réponse au patient avant de la lui fournir en demandant une répétition du mot cible. Si la réponse spontanée est exacte, l’ensemble des indices sémantiques concernant la cible travaillée doit quand même être reprise (14).

Le besoin d’outil de rééducation pour les personnes créolophones atteintes de la maladie d’Alzheimer et ayant un faible niveau socio culturel

« L’Histoire du créole réunionnais est à la fois celle de la langue et de la personne » (15). Sur l’île de la Réunion, le créole, bien plus qu’une langue, est un élément identitaire pour ses habitants. Ainsi, il se définit par des mélanges et des métissages linguistiques et culturels issus des nombreuses ethnies présentes sur l’île (16–18).

Aujourd’hui, bien que le français soit la langue officielle de l’île, le Créole réunionnais, longtemps considéré comme la langue des esclaves, des « Marrons », est aujourd’hui utilisé et valorisé au sein de la société et même de l’école (16,19,20). Il est présenté comme la langue privilégiée voire exclusive de la majeure partie des réunionnais (21). Actuellement, parmi la population âgée de 16 à 64 ans, huit personnes sur dix parlent exclusivement créole dans le contexte familial (21). 53 % des adultes de plus de 50 ans déclarent n’utiliser que le créole. La majorité d’entre eux déclare avoir vécu dans des conditions modestes (21).

Par ailleurs, l’INSEE recense actuellement que presque 15 % de la population réunionnaise est en situation d’illettrisme. Environ 30 % des habitants ne parlent que créole (21).

Dans le cadre des démences telles que la maladie d’Alzheimer et indépendamment du degré d’éducation et de maîtrise de la langue, l’utilisation de leur langue maternelle par les patients est importante, (22,23). Il est donc essentiel que le matériel utilisé en rééducation soit adapté aux patients tant sur le plan éducatif, que sur le plan culturel (10,24,25).

En créant un matériel de rééducation en créole, adaptée aux connaissances et au degré de littéracie des patients, nous visons la réduction de la charge cognitive du patient lors de sa prise en soins et la suppression de la peur du jugement liée à une maîtrise approximative du français (9).

Méthodologie

Questionnaire pour le recueil des besoins des orthophonistes de La Réunion

Nous avons proposé un questionnaire préliminaire visant à recenser le matériel de rééducation lexico-sémantique actuellement utilisé par les orthophonistes de l’île de la Réunion. Nous avons également cherché à mettre en évidence les difficultés d’ordre culturel et linguistique pouvant être rencontrées par les orthophonistes.

Le questionnaire a été proposé à des orthophonistes exerçant sur l’île de la Réunion (toute zone géographique et modes d’exercice confondus) auprès de patients créolophones, de niveau socio-culturel modeste (patients avec une éducation scolaire inférieure à 12 ans) et atteints de la maladie d’Alzheimer.

Création du matériel de rééducation

Deux informations essentielles ont émergé pour la création de notre support de rééducation. Premièrement, les patients ont tendance à remplacer certains mots de la langue française par des termes créoles ayant le même sens mais étant davantage utilisés au quotidien (ex : « aubergine » → « bringelle »). Deuxièmement, la fréquence d’utilisation de certaines catégories lexico-sémantiques n’est pas la même en France métropolitaine et à La Réunion. Ainsi, certains modules tels que « vêtements d’hiver » ne sont pas utiles. De même, certains fruits et légumes absents des outils de rééducation actuels présenteraient un intérêt.

Notre matériel est composé d’un plateau créé sur le modèle de la SFA, selon Boyle et Cohelo, de 90 cartes items (cartes « cibles ») (annexe 1) et de cartes permettant d’étayer chaque trait caractéristique (cartes « traits caractéristiques ») (annexe 2).

Concernant le choix des catégories lexicales, nous avons ciblé les catégories les plus sensibles à des différences culturelles (17) : « Fruits », « Légumes » et « Animaux ». Nous nous sommes basée sur les articles de Reilly et Sémédard (5,26) qui font état de la structure idéale du matériel à adopter pour la rééducation lexicale afin de maintenir le langage, dans le cadre d’une atteinte sémantique progressive. Afin de proposer un matériel pouvant être travaillé en ligne de base, nous avons défini une cible de 30 items par catégories (26). Cela permet la constitution de deux listes de 15 items : une liste d’items travaillés en séance et une liste contrôle (27).

Les items ont été choisis d’après la base lexicale élaborée auprès de 150 locuteurs créoles, âgés de 4 à 81 ans, avec ou sans pathologie langagière avérée et avec une homogénéité entre les sujets féminins et masculins (17). Dans le but d’atteindre le nombre d’items visé (26), nous nous sommes appuyée sur des ouvrages concernant la culture créole et sur notre maîtrise personnelle de la langue.

Le créole réunionnais étant une langue orale, nous avons choisi de présenter les cibles et les caractéristiques en modalités illustrées (dessins pour les items et pictogrammes de la banque d’image ARASAAC pour les traits caractéristiques) afin de contourner les possibles difficultés liées à la maîtrise de l’écrit. Dans un souci de praticité et dans l’attente de la validation de l’outil, nous avons choisi un support peu onéreux pour représenter les productions du patient (calendrier rigide, papier de type tableau blanc). En nous appuyant sur les études ayant montré l’influence de l’exécution motrice sur la vitesse d’initiation du langage (28), nous avons choisi cette modalité afin de proposer un support plurimodal et plurisensoriel dans le but de favoriser l’ancrage mnésique chez le patient.

Concernant la présentation des items, nous avons fait le choix de les proposer sous forme d’illustrations d’assez grandes dimensions (13,5 cm x 9,5 cm) afin de pallier d’éventuelles difficultés sensorielles rencontrées par les patients.

Une épreuve de dénomination contrôle auprès de 30 personnes créolophones, de niveau socio-culturel faible sans troubles langagiers ou mnésiques a été effectuée afin de valider le niveau de significativité de nos illustrations.

Figure 2 : Score moyen pour la dénomination contrôle des items en modalité photographies et illustrations, sur 90 items

Figure 2 : Score moyen pour la dénomination contrôle des items en modalité photographies et illustrations, sur 90 items

Les photographies ont été choisies à partir de banques d’images personnelles ou informatiques libres de droit (logiciel Canva Pty Ltd). Nous avons réalisé les dessins des fruits et des légumes. Un artiste local a dessiné les animaux. Des modifications, concernant la couleur et la taille de certains items, ont été réalisées jusqu’à obtenir 5 dénominations correctes d’affilée chez des sujets tests. Nous choisissons de présenter les items dessinés car ils ont été mieux reconnus que les photographies par des adultes créolophones sans trouble langagier ou cognitif âgés de 53 à 97 ans.

Critères d’inclusion et d’exclusion de la population de l’étude

Nous incluons à notre étude :

  • les individus de sexe masculin ou féminin

  • ayant pour langue maternelle le créole réunionnais

  • un diagnostic de maladie d'Alzheimer ou syndrome apparenté au stade modéré ou modérément sévère de la pathologie (MMS compris entre 22 et 10 ; MoCA compris entre 5 et

  • 16) (Roheger et al., 2022)

  • un temps de scolarisation inférieur ou égal à 12 ans (l’équivalent d’un niveau baccalauréat)

l’utilisation du matériel à raison de 45 min une à deux fois par semaine Nos critères d’exclusion sont les suivants :

  • Trouble sensoriel non corrigé

  • Trouble psychiatrique sous-jacent

  • Antécédent d'accident vasculaire cérébral

  • Atteinte comportementale sévère du patient entravant la prise en soin

  • Absence d'adhésion au projet

Utilisation de l’outil avec les patients

Le matériel été utilisé par 4 orthophonistes avec leurs patients répondant aux critères d’inclusion et d’exclusion. Nous avons transmis l’ensemble des cartes « cibles » et « traits caractéristiques » créées, un modèle de fiche de suivi des patients, les consignes d’utilisation ainsi qu’un document recensant la fréquence lexicale des items et la liste des productions acceptées d’après la dénomination de pré-validation.

Conformément au protocole de passation, une épreuve de dénomination en phase initiale est proposée. Après 6 séances de prise en soins (séances bihebdomadaires, d’une durée de 45 minutes), une épreuve de dénomination contrôle est effectuée sur les 15 items contrôle (liste 2). Une séance de travail porte sur les 15 items à travailler (liste 1), l’orthophoniste adapte le niveau de difficulté au patient.

Pour chaque item, le patient raconte les associations d’idées que lui évoque l’item proposé et essaie de dénommer la cible. L’orthophoniste propose systématiquement un feedback. Si la dénomination est réussie, il reprend avec le patient l’ensemble des indices sémantiques concernant la cible travaillée. En cas d’erreur de dénomination, il indice les réponses ou demande une répétition du mot cible.

Résultats

Le matériel a été proposé à 5 patients au stade modéré ou modérément sévère de la maladie d’Alzheimer, âgés de 68 à 75 ans. À titre indicatif, il a également été proposé à des patients au stade léger de la maladie d’Alzheimer, en contexte de maladie d’Alzheimer comportementale, de démence cortico-basale, de démence à corps de Lewy. Compte-tenu de la fatigabilité de certains patients, il n’a pas toujours été possible de proposer à chaque séance les 15 items à travailler.

Les dénominations post-traitement des items de la liste travaillée en séance d’orthophonie (liste 1) attestent d’une amélioration systématique, pour les trois catégories « Fruits », « Légumes » et « Animaux ». Une analyse individuelle des scores des patients révèle un meilleur effet du matériel sur les cibles les plus travaillées.

La moyenne des résultats obtenus pour la liste contrôle (liste 2) fait également état d’une légère amélioration en post-traitement pour les catégories « Fruits » et « Légumes », bien que ces items n’aient pas été travaillés au cours des séances.

Figure 3 : Moyenne des scores obtenus par les patients lors des tâches de dénomination.

Figure 3 : Moyenne des scores obtenus par les patients lors des tâches de dénomination.

Dans une démarche d’amélioration de notre outil, nous avons également recueilli, au moyen d’un questionnaire, l’avis des 4 orthophonistes sur notre outil de rééducation.

Les orthophonistes ont jugé le matériel pertinent, avec un bon choix de catégories et d’items. Une orthophoniste n'a pas utilisé le matériel car elle estimait ne pas maîtriser suffisamment le lexique créole.

La passation des dénominations initiales et finales aurait été facilitée par la numérotation des cartes. De plus, certaines cartes « traits caractéristiques » ne sont pas assez explicites pour les patients.

Concernant la compréhension des consignes par le patient, deux orthophonistes n’ont pas relevé de difficulté. Les patients ont globalement bien reconnu les images. Cependant, une orthophoniste a précisé que dans un contexte trop avancé de la pathologie, la moindre différence (couleur, forme, dimension) a pu représenter une trop grande distraction. Il nous a été suggéré de proposer également des photographies pour les patients ayant besoin d’un meilleur degré de représentation. Il conviendrait alors de créer une banque de photographies testée auprès de la population cible.

L’ajout d’un lexique imagé à destination des professionnels a été suggéré afin de faciliter l’utilisation de l’outil par des orthophonistes non créolophones.

Dans la continuité de ce projet, des catégories devraient être ajoutées pour compléter notre outil de rééducation : objets du quotidien (cuisine et salle de bain) et vêtements.

Par ailleurs, les orthophonistes ont relevé un impact positif sur la réminiscence des patients qui apprécient travailler avec un outil en créole. Les 4 orthophonistes ayant utilisé l’outil affirment qu’elles continueront d’utiliser notre matériel de rééducation enrichi de la numérotation des cartes et des ajouts de traits sémantiques.

L’orthophoniste n’ayant pas utilisé l’outil indique vouloir l’essayer sous réserve d’avoir accès à un lexique imagé, associant le nom de l’item, son image et quelques traits sémantiques.

Discussion

Critique et limites du matériel en l’état

Lors de l’élaboration de notre outil de rééducation, nous avons dû ajouter des items non issus de l’unique base lexicale existant en créole réunionnais (17). Ainsi, certains items ont été choisis à partir d’ouvrages culturels, sans données de fréquence référencées. De même, en l’absence de littérature scientifique nous avons choisi nos cartes « traits caractéristiques » via la banque d’images ARASAAC. Une dénomination contrôle visant à vérifier la compréhension de ces informations aurait été intéressante.

Deuxièmement, nous n’avons pas suffisamment pris en compte la limite liée au caractère interlangue de la prise en soins, du côté du thérapeute. En effet, les orthophonistes ayant utilisé notre outil n’avaient pas toutes des bases suffisamment solides en créole réunionnais pour étayer les propos des patients en cas d’erreur ou de latence trop importante. Ainsi, un document avec des exemples de traits caractéristiques pour chaque item a été envoyé pour pallier cette difficulté mais un lexique imagé, annexé au matériel serait davantage pertinent. Il est important de souligner que ces traits ne seraient présentés qu’à titre indicatif, chaque patient restant libre d’évoquer les traits caractéristiques qu’il connaît.

Troisièmement, nous avons utilisé des cadres de couleur comme solution aux éventuelles difficultés pour des patients de bas niveau socio-culturel. Cela n’a malheureusement pas convenu aux patients à des stades plus avancés de la maladie (MMS < 15) du fait de la distraction visuelle que cela engendrait. Un changement de la forme ou de la taille des cases permettrait de limiter les distractions tout en donnant au patient un indiçage visuel (système d’encastrement) adapté aux situations de faible niveau socio-culturel ou d’illettrisme. De plus, il nous a été rapporté que les troubles de la flexibilité mentale parfois présents pouvaient gêner lors de la reconnaissance des items. Afin de résoudre cette difficulté, il serait intéressant de proposer également nos items en modalité photographique.

Intérêt du matériel de rééducation

Nous avons proposé une adaptation de la prise en soin de l’anomie centrée sur le patient. Dans la continuité des propositions d’adaptation de batteries d’évaluations, il semble essentiel d’offrir une approche rééducative prenant en considération tant l’aspect culturel que linguistique pour chaque patient. Nous observons que l’effort cognitif est ainsi mieux centré sur l’objet de la rééducation orthophonique : améliorer de façon fonctionnelle l’accès aux représentations sémantiques.

De plus, les orthophonistes ont constaté que l’utilisation de notre support, au-delà d’une réponse efficace à l’objectif du travail, avait un impact sur l’implication du patient dans la rééducation. Ce dernier se sent davantage acteur de sa prise en soins du fait de l’adaptation linguistique et culturelle de l’outil. Le patient est mieux reconnu dans ses propres besoins. Le retentissement potentiel sur l’estime de soi associé à une meilleure généralisation à la vie quotidienne des situations vécues en soin donne un sens clinique essentiel à cet outil de rééducation.

Conclusion

Dans le cadre de notre mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste, nous avons travaillé à la création d’un outil de rééducation prenant en compte les spécificités culturelles et langagières des patients de l’île de la Réunion présentant une maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée. Nous avons intégré une réflexion sur la compétence culturelle des professionnels de santé, c’est-à-dire dans notre travail, la capacité à comprendre, respecter et intégrer les valeurs culturelles et les préférences linguistiques des patients dans leur plan de soin (29). Le but de la rééducation est d’aider le patient à maintenir une communication fonctionnelle, pas de lui apprendre le français.

Cette réflexion nous a mené à la création et la pré-validation d’un matériel de rééducation des troubles anomiques lexico-sémantiques, basé sur la Semantic Feature Analysis. Cette prévalidation a été réalisée auprès de 5 patients par 4 orthophonistes exerçant sur l’ile.

Nos premiers résultats confirment la pertinence de cet outil pour la population concernée. Nous avons pu constater une amélioration des performances de dénomination en post-traitement. De plus, l’intérêt particulier des patients pour l’utilisation d’un matériel en créole réunionnais appuie la nécessité d’élargir l’adaptation des outils actuellement utilisés. Nous visons de façon plus globale une amélioration de la qualité de vie du patient mais aussi de ses aidants naturels et professionnels. En ce sens, il pourrait être pertinent d’élargir notre population à d’autres pathologies neurologiques (vasculaires et traumatiques).

Notre outil, « KOSA IN SOZ ? », pourrait ainsi apporter aux orthophonistes un début de réponse à leurs besoins spécifiques quant à la prise en soin de leurs patients. Cependant, il reste essentiel qu’une validation fasse l’objet d’une prochaine étude. L’ajout de catégories sémantiques sera utile dans l’optique d’apporter une aide complète tant aux professionnels qu’aux patients. De plus, la meilleure reconnaissance de nos illustrations par rapport aux photographies des banques d’images libres de droit fait également émerger le besoin de créer une banque de photographies plus adaptée avec un besoin de représentativité plus important (à étalonner auprès d’un échantillon composé de créoles réunionnais).

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Pour citer ce document

Kessori C, Boutin A P, Michalon S. KOSA IN SOZ? Création d’un outil de rééducation lexico-sémantique à destination de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, créolophones réunionnais et de niveau socio-culturel modeste. RSE2R [Internet]. 2023 [cité 21 nov. 2024];(1). Disponible sur : https://doi.org/10.25965/rse2r.183

Auteurs
Chloé Kessori
Orthophoniste
Univ. Limoges, ILFOMER, F-87000 Limoges, France.
Audrey Pépin Boutin
Orthophoniste
niv. Limoges, ILFOMER, F-87000 Limoges, France.
Sonia Michalon
Orthophoniste
Centre mémoire, GHER, F-97437 Saint Benoît, France et Groupe de Réflexion sur les Évaluations Cognitives en contexte d’illettrisme (GREC-ill)
Licence
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