Les médiations artistiques pour le développement des habiletés sociales dans le cadre du Trouble de la Personnalité Borderline : une revue de portée Artistic mediations for the development of social skills in Borderline Personality Disorder: a scoping review
Contexte : De par ses caractéristiques spécifiques, le trouble de la personnalité Borderline nécessite un accompagnement pluriprofessionnel visant notamment à l’amélioration du fonctionnement social des patients. Parmi diverses thérapies, la médiation artistique permet d’agir sur les compétences et interactions sociales des participants. Cette étude vise à réaliser un état des lieux de la littérature actuelle afin de déterminer les impacts des médiations artistiques sur les habiletés sociales, et sur le fonctionnement social des patients atteints du trouble de la personnalité Borderline.
Méthode : Une revue de portée réalisée sur différentes bases de données a permis de sélectionner des articles écris en anglais et en français portant sur l’utilisation de thérapies artistiques avec une population atteinte de troubles de la personnalité dont le trouble Borderline, et permettant de déterminer les habiletés sociales sollicitées par les patients au cours de ce programme.
Résultats : Au total, huit articles ont été sélectionnés. Ils ont mis en évidence les différentes habiletés sociales sollicitées au travers d’ateliers de médiation artistique. Une meilleure compréhension, expression et affirmation de soi, ainsi qu’une prise en compte de l’identité et des intérêts des autres ont été observés, favorisant une amélioration du fonctionnement social des participants.
Conclusion : D’après les résultats de cette étude, un programme de thérapie artistique permettrait aux participants de solliciter et développer leurs habiletés sociales. Finalement, une amélioration des capacités mais aussi de l’intérêt des participants à créer et maintenir les liens sociaux peut être observée.
Context: Because of its specific characteristics, Borderline Personality Disorder requires multi-professional support aimed in particular at improving patients' social functioning. Among various therapies, artistic mediation can act on participants' social skills and interactions. The aim of this study is to review the current literature to determine the impact of artistic mediation on the social skills and social functioning of patients with Borderline Personality Disorder.
Method: A search of various databases was used to select articles written in English and French on the use of art therapy with a population suffering from personality disorders including Borderline personality disorder, and to determine the social skills required by patients during an art therapy program.
Results: A total of eight articles were selected. They highlighted the different social skills called upon through artistic mediation workshops. Better self-understanding, self-expression and self-assertion, as well as consideration for the identity and interests of others, were observed, leading to an improvement in the social functioning of the participants.
Conclusion: According to the results of this study, an art therapy programme would enable participants to solicit and develop their social skills. Finally, an improvement in the participants' ability and interest in creating and maintaining social ties can be observed.
Introduction
C’est au XVIIIe siècle que les prémices de l’ergothérapie apparaissent dans le domaine de la santé mentale, initiées par le médecin aliéniste Philippe Pinel. Domaine au sein duquel le Trouble de la Personnalité Borderline (TPB), pathologie décrite comme se situant entre la névrose et la psychose, constitue actuellement une véritable problématique de santé publique (1). L’accompagnement des sujets souffrant de ce trouble est souvent complexe, surtout sur le long terme. La Haute Autorité de Santé, dans ses recommandations de bonnes pratiques, insiste sur la nécessité d’associer des suivis pharmacologiques à de la psychothérapie (2–8). Cependant, malgré une prévalence se situant aux alentours des 2 %, cette pathologie est caractérisée par un manque cruel de données probantes ou de cadre légal guidant et structurant l’accompagnement et les traitements (9). Cela explique un nombre important d’abandon des soins et d’errances médicales (2). Il est donc essentiel de continuer à étudier cette pathologie ainsi que les interventions mises en place, que ce soit pour guider les professionnels mais aussi pour réduire la souffrance des patients et de leur entourage.
Selon les sources actuelles, l’apparition du trouble de la personnalité Borderline résulte d’interactions entre des facteurs individuels et génétiques et des facteurs environnementaux liés aux conditions de développement rencontrées durant l’enfance (10–13). Ces différents facteurs induisent un fonctionnement neurologique spécifique basé sur une utilisation inconsciente de mécanismes de défenses tels que le déni, le clivage ou le maniement omnipotent de l’objet (individus, environnement) dans l’objectif de protéger le Moi de l’angoisse extrême de l’abandon ressentie en permanence (12,14). Cette angoisse est responsable des différentes manifestations de cette pathologie à savoir une grande instabilité émotionnelle et de l’image de soi avec dissociation, des mises en danger et passages à l’acte, ainsi qu’une forte impulsivité (10,15,16). L’ensemble de ses symptômes a logiquement un impact au niveau de la sphère sociale des patients. Les relations établies sont souvent chaotiques, exclusives, instables, ce qui cause d’importantes répercussions sur l’entourage (14–16). Ces difficultés relationnelles sont mises en avant au niveau des habiletés sociales (HS) des sujets, à savoir l’ensemble des savoir-faire et savoir-être à mettre en œuvre au cours d’interactions avec une ou plusieurs personnes et permettant de s’intégrer au sein d’un environnement social (17,18). La taxonomie de Elksnin et Elksnin (1998) expose 5 catégories d’habiletés :
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Habiletés intrapersonnelles : connaissance et maitrise de soi au niveau émotionnel et comportemental ;
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Habiletés d’affirmation : permettent d’agir selon ses propres intérêts, tout en respectant ceux des autres ;
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Habiletés interpersonnelles : capacités de créer et maintenir des liens sociaux ;
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Habiletés d’adaptation collective : la connaissance et le respect des règles de vie en société permettant de trouver sa place au sein d’un groupe ;
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Habiletés de communication : capacités d’expression, d’écoute et de posture permettant d’initier, de maintenir et de clore une conversation. Dans le cas d’un développement au sein d’un climat familial compliqué, comme il peut être le cas dans le cadre du TPB, la bonne intégration de ces habiletés peut être compromise (19).
Parmi les interventions dont peuvent bénéficier les personnes atteintes du TPB, la médiation thérapeutique peut être utilisée. Cette thérapie se base sur l’introduction d’un objet (concret, culturel, jeux dramatiques, musiques) qui sert d’intermédiaire entre plusieurs éléments à savoir la réalité extérieure caractérisée par la matière concrète de cet objet, et le monde psychique interne (20,21). En d’autres termes, la médiation thérapeutique consiste premièrement en une projection de la psyché du sujet au travers de l’objet dans l’objectif de prendre conscience de son état profond. Par la suite, cet objet créé permet de communiquer sur l’état interne du sujet représenté à autrui à travers celui-ci. Il permet donc la relation et l’expression, que ce soit au niveau individuel et collectif (22,23). Parmi les médiations thérapeutiques, la médiation artistique utilise la création artistique dans un but thérapeutique. Les gestes plastiques donnent la liberté aux sujets de représenter leurs émotions, désirs pour les comprendre ainsi que pour les exprimer (24–26).
Dans le cadre du TPB, les perturbations au niveau interpersonnel, et notamment dans les habiletés sociales, vont constituer un frein important à la qualité de vie des patients. L’amélioration du fonctionnement social correspond donc à un axe majeur de l’accompagnement au sein duquel l’ergothérapeute a toute sa place. Cependant, bien que ce trouble soit mieux connu et davantage diagnostiqué aujourd’hui, encore trop peu de recherches se concentrent sur cette pathologie particulière ou encore sur les thérapies pouvant être mises en place, notamment les thérapies artistiques. C’est pourquoi il est nécessaire d’obtenir une vue d’ensemble sur la thématique et de réaliser un état des lieux de la littérature actuelle et des preuves existantes. L’objectif de cette étude va donc être de déterminer les impacts des médiations artistiques sur les habiletés sociales, et sur le fonctionnement social des patients atteints du TPB.
Méthode
Le choix de la revue de portée ou Scoping review a été réalisée dans le cadre de cette étude afin de faire une description de l’avancement actuel des connaissances, que ce soit au sein de revues scientifiques mais aussi dans la littérature générale. La méthodologie de la revue de portée développée par Arksey & O’Malley (27) décrit 5 étapes à savoir : (a) identifier la question de recherche et les objectifs, (b) : identifier les sources d’information, (c) sélection des études, (d) analyse des données, (e) résumer les résultats.
Sélection des articles
Différentes bases de données numériques ont été sélectionnées : Pubmed, Scopus, Cochrane Library, CINAHL, Sciencedirect, Psychinfos ; ainsi que des plateformes comportant de la « littérature grise » : Cairn, Google Scholar, Ergopsy. C’est au sein de ces bases de données que différents mots clés ont été utilisés pour établir une équation de recherche :
Borderline, Borderline personality disorder, bpd; art, artist*, creativ*, art therapy, artistic therapy, artistic activity, creative activity, manual activity, leisure activity, mediatized, therapeutic mediation, mediation, occupational therapy; social, social skills, social abilities, social interaction, social behavior, social competency, interpersonal, interaction, communication
Parmi les différents résultats obtenus grâce à l’équation, les doublons ont premièrement été supprimés, puis des critères d’inclusion ont permis de filtrer les études permettant de répondre à la problématique : seuls les articles rédigés en français ou anglais et publiés entre 2012 et 2022 ont été conservés, les articles correspondant à des revues de littératures ont été écartés. La population étudiée devait présenter un trouble de la personnalité dont le TPB. Concernant l’intervention mise en œuvre, le choix a été fait de ne pas cibler spécifiquement la médiation artistique mais de se concentrer plus globalement sur la thérapie par l’art incluant la médiation artistique, diverses psychothérapies artistiques ainsi que l’art-thérapie, dans le but de ne pas limiter les résultats. L’objectif de l’intervention devait être de chercher à apporter une amélioration sur les symptômes du trouble en abordant obligatoirement la sphère sociale. Grâce à ces différents critères, la sélection des articles s’est ensuite réalisée par lecture des titres, des résumés et des mots clés. Une première lecture notamment centrée sur les objectifs et la méthodologie des études a permis de réduire le nombre d’articles puis une lecture complète des articles restants a finalement permis de déterminer ceux conservés pour l’étude.
Évaluation de la qualité méthodologique des études
Une étude de la qualité des articles sélectionnés a été réalisée à l’aide de l’échelle de PEDro.
Résultats
Le diagramme de flux est présenté dans la figure 1.
Figure 1 : Diagramme de flux
Les différents articles ont été présentés dans une première table d’extraction contenant la description des articles (voir tableau 1). Puis, les informations clés décrites pas les auteurs ont quant à elles été triées dans une autre table d’extraction (voir tableaux 2-3).
Huit articles ont été sélectionnés parmi lesquels nous retrouvons des études qualitatives basées sur des entretiens et des rapports d’expérience vécue, des études quantitatives dont un essai contrôlé randomisé, une étude par sondage, et une étude utilisant les données secondaires de l’étude contrôlée randomisée. Les trois dernières correspondent à des études mixtes associant des interviews et enquêtes à divers tests psychométriques. Pour l’ensemble de ces études, l’année moyenne de publication est de 2017. La moyenne du score à l’échelle de PEDro est 4.75 pour l’ensemble des 8 articles.
Par ailleurs, concernant les interventions artistiques étudiées dans les 8 articles, six correspondent à de l’art-thérapie, les deux autres décrivent la psychothérapie artistique psychodynamique ou la psychothérapie artistique basée sur la mentalisation.
De plus, dans 6 des articles, la thérapie se déroule en ateliers de groupe. Dans les 2 restants, celle-ci est soit divisée en séances de groupes accompagnées de séances individuelles, soit entièrement réalisée en distanciel via une plateforme sécurisée en ligne.
En outre, 63 % des échantillons comportent divers troubles de la personnalité dont le TPB stipulé comme étant majoritaire parmi les participants. Les 37 % autre pourcents sont composés exclusivement du TPB. Plus globalement, la taille des divers échantillons varie entre 4 et 528 participants, permettant d’obtenir un échantillon complet de 775 participants âgés entre 18 et 65 ans (moyenne d’âge comprise entre 28.6 et 37.48 ans) et composé majoritairement de femmes (84 %).
Tableau 1 : Présentation des articles sélectionnés
Présentation des études |
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Auteurs et date |
Titre de l’article |
Type d’article |
Objectifs |
Population |
Intervention |
Chilvers et al. 2021 (35) |
"Life is easier now": lived experience research into mentalization-based art psychotherapy |
Etude mixte |
Etudier les résultats qualitatifs et quantitatifs d'un programme de psychothérapie artistique basée sur la mentalisation |
Patients en ambulatoire avec diagnostic de TPB modéré à sévère, que des femmes entre 21 et 35 ans 11 participantes au début de l'étude, 8 à la fin, 3 ont répondu aux interviews semi-dirigées pour réaliser l’étude |
Psychothérapie artistique basée sur la mentalisation, animée par 2 ♀ psychothérapeutes Séances de groupe + séances individuelles 18 mois de séances de groupe hebdomadaire + 2 séances par mois en individuel |
Eren et al. 2014 (28) |
Psychosocial, symptomatic and diagnostic changes with long-term psychodynamic art psychotherapy for personality disorder |
Etude mixte |
Etudier les changements chez les patients avec un trouble de la personnalité après un programme de psychothérapie artistique psychodynamique à long terme |
17 patients (12 ♀ et 5 ♂), âge moyen : 28,6 ans Diagnostic de trouble de la personnalité (dont TPB) |
Psychothérapie artistique psychodynamique (dessin et peinture), période de 4 à 10 ans Encadrée par une infirmière psychothérapeute experte en art Séances de 60min, semi-structuré |
Haeyen et al. 2015 (29) |
Perceived effets of art therapy in the treatment of personality disorders, cluster B/C: a qualitative study |
Etude qualitative |
Réaliser une investigation systématique sur les effets et l'expérience des patients après un programme d'art-thérapie |
29 participants adultes, 27 ♀ et 2 ♂ avec un diagnostic de trouble de la personnalité (dont le TPB) |
Art-thérapie, pendant au moins 15 sessions |
Haeyen et al. 2018 (30) |
Efficacity of art therapy in individuals with personality disorders clusters B/C: a randomized controlled trial |
Etude contrôlée randomisée |
Etudier les effets de l'art-thérapie sur le fonctionnement psychologique des patients appartenant aux clusters B et C |
Patients avec diagnostic de trouble de la personnalité (TPB : 38,6 %), âge moyen : 36.82 ans 113 patients, 74 au début de l'étude et 57 à la fin : groupe expérimental (n =38, 71.1 % de ♀) et groupe témoin (n =36, 69.4 % de ♀) |
Séances d'art-thérapie d'1h30 pendant 10 semaines, en individuel, duo ou en groupe. Animation par un art-thérapeute et un étudiant en art-thérapie. |
Haeyen et al. 2018 (31) |
Promoting mental health versus reducing mental illness in art therapy with patients with personality disorders: a quantitative study |
Etude quantitative (réalisée à partir des données secondaires d'une RCT) |
Etudier les effets de la thérapie par l'art dans les domaines de la maladie mentale et de la santé mentale positive |
74 patients, groupe expérimental = 38 et groupe témoin = 36 Diagnostic d'un trouble de la personnalité (majorité de TPB : 32,3 %), majorité de ♀ (70,3 %), âge moyen : 37,48 ans |
Art-thérapie, séances en groupe ouvert d'1h30, 9 participants max par groupe, pendant 10 sessions (10 semaines) |
Haeyen et al. 2020 (34) |
Benefits of art therapy in people diagnosed with personality disorders: a quantitative survey |
Etude quantitative par sondage |
Etudier les bénéfices personnels perçus pas les patients à la suite d'une thérapie par l'art |
528 patients avec un diagnostic de trouble de la personnalité (essentiellement le TPB), 78,6 % de ♀, entre 19 et 65 ans (35.67 ans de moyenne) |
Art-thérapie, séances de groupe pendant 3 mois |
Jewell et al. 2022 (32) |
Evaluation of a skills-based peer-led art therapy online-group for people with emotion dysregulation |
Etude mixte |
Evaluer le programme d'art-thérapie en ligne pour les personnes avec un TPB : acceptabilité du programme, son rôle dans l'amélioration des symptômes, l'impact sur la régulation des émotions |
38 patients dont 89,5 % de ♀, entre 18 et 64 ans (33.6 ans de moyenne) et ayant un diagnostic de TPB |
Programme d'art-thérapie à distance sur plateforme sécurisée en ligne Groupes fermés, 10 participants max, 1 session hebdomadaire de 2h pendant 18 mois |
Morgan et al. 2012 (33) |
Borderline personality disorder and the role of art therapy: a discussion of its utility from the perspective of those with a lived experience |
Etude qualitative : écriture collaborative d'un rapport d'expériences vécues durant un programme d'art-thérapie |
Rédiger un article pour commenter le programme et aborder plusieurs aspects dont les approches thérapeutiques et le rôle de l'art-thérapie dans ce processus |
4 membres d'Emergence * avec un TPB et ayant bénéficié d'un programme d'art thérapie |
Art-thérapie, séances en groupe |
Tableau 2 : Présentation des résultats (partie 1). MCM-III : Million Clinical Multiaxial Inventory-III, MMPI : Minnesota Multiphasic Personality Inventory , OQ45 : Outcome Questionnaire 45
Présentation des résultats |
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Auteurs et dates |
Critères de jugement |
Résultats |
Limites |
Chilvers et al. 2021 (35) |
→ Questionnaires semi-dirigés, interview → Questionnaires psychométriques en auto-évaluation : MCM-III (présence de traits de personnalité et symptômes du TPB), Zanarini (échelle pour le trouble de la personnalité Borderline) |
→ Interviews : expérience groupale positive sur les relations, amélioration des habiletés à communiquer et comprendre les autres, ↗ intérêt pour les autres, support collectif, expérience de validation par le groupe, moyen d'expression des émotions, expression de soi, amélioration de la flexibilité relationnelle → ↘ des scores des échelles de Zanarini, MCM-III entre le début et la fin de la thérapie |
Petit échantillon, ne permet pas généralisation à l'ensemble de la population avec un TPB Les tests psychométriques n'ont pas été complétés par tous les patients, peut impacter les données de l'ensemble du groupe Biais possibles liés au genre des participants : tous les patients et les psychothérapeutes sont des ♀ |
Eren et al. 2014 (28) |
→ Interview → MMPI Scale : évaluation psychopathologique et de la personnalité → Etudes de cas |
→ MMPI : ↘ des scores entre début (61,40) et fin d'étude (59,22) : ↘ des difficultés ↘ significative de l'impulsivité, l'introversion sociale, l'hostilité ↘ difficultés dans les relations interpersonnelles, la gestion de la colère, niveau de suspicion, le besoin d'acceptation et d'amour, réduction de l’inadaptation, des difficultés de coopération et des comportement inacceptables socialement → Relation thérapeutique positive, développement de meilleures relations avec le thérapeute |
Faible nombre de patients, pas de groupe témoin/de contrôle Pas de supervision ni d'enseignement officiel de la psychothérapie artistique |
Haeyen et al. 2015 (29) |
Entretiens avec 12 participants en individuel, et 17 participants divisés en 3 groupes de parole |
→ ↗ gestion des émotions à travers l'art : ressenti, expression, acceptation et régulation de leur intensité, sentiment de confiance et de sécurité Changement de comportement envers soi et les autres, ↗ contrôle de soi → Les participants apprennent à trouver de la reconnaissance et du soutien chez les autres, mise en place de relations pour travailler et coopérer ensemble, ajustement du comportement à adopter au contact d'autres personnes, gestion des conflits, meilleure compréhension des autres, perception et interprétation du comportement des autres |
Pas de prise en compte du processus de traitement vécu par les patients en plus de l'art-thérapie Les participants ont été sélectionnés en fonction de leur motivation et de leur volonté à participer à cette étude, il pourrait être pertinent d'inclure des patients plus difficiles |
Haeyen et al. 2018 (30) |
OQ45 Mesure du fonctionnement mental global 3 sous-échelles : détresse symptomatique, relations interpersonnelles, rôle social |
↘ des scores entre le pré et le post-test pour les sous-tests "interpersonal relation" (pré : 20.67, post : 15.85) et "social role" (pré : 17.61, post : 13.68) : ↘ symptômes ↗ des scores pour le groupe témoin (IR : 19.03 et 21.48, SR : 14.07 et 15.93) : détérioration des symptômes Le programme permet une ↗ de la conscience, de l'auto-validation, de la régulation des émotions, du fonctionnement interpersonnel, ↘ de l'impulsivité, meilleure adaptation et auto-régulation, meilleure régulation des émotions |
Groupe témoin : longue période avant de bénéficier du programme, aggravation des symptômes Sélection des patients selon leur motivation/volonté, influence sur les résultats et la généralisation à l'ensemble des patients Courte période de suivi après l'intervention (5 semaines) |
Tableau 3 : Présentation des résultats (partie 2) : MHC-SF : Mental Health Continuum - Short Form, DERS : Difficulties in Emotion Regulation Scale
Auteurs et dates |
Critères de jugement |
Résultats |
Limites |
Haeyen et al. 2018 (31) |
→ MHC-SF : mesure du bien-être émotionnel (EW), social (SW) et psychologique (PW) → OQ45 : mesure du fonctionnement mental subjectif global, 3 sub-tests : détresse symptomatique (SD), relations interpersonnelles (IR) et rôle social (exclu de cette étude) |
→ MHC-SF : ↗ bien-être émotionnel (EW : 1,97 à T1 et 2,84 à T2) et bien-être social (SW : 1,52 à T1 et 1,99 à T2) → OQ45 : ↘ difficultés relations interpersonnelles (IR : 20.67 à T1, 16.13 à T2) → Tous les indicateurs évoluent dans le temps : ↘ symptômes de la pathologie, ↗ schémas adaptés, connexion sociale Régulation des émotions, de la colère, l'impulsivité, la rigidité Améliore le fonctionnement interpersonnel |
Les données sont tirées d'une étude contrôlée randomisée Le nombre de participants à l'étude relativement faible : complique la généralisation Les outils de mesure choisis sont assez généraux et ne sont pas ciblés sur les concepts de santé et de maladie mentale |
Haeyen et al. 2020 (34) |
→ Bénéfices de l'art-thérapie : questions pour évaluer l'amélioration du fonctionnement quotidien/émotionnel/social → Atteinte des objectifs de traitement : 9 questions évaluées avec échelle dichotomique → Facteurs liés à l'attitude du thérapeute : 5 questions → Caractéristiques des patients : âge, sexe et diagnostic |
→ Bénéfice après les 3 mois de thérapie, se focalise sur les aspects émotionnels et sociaux car elle se déroule majoritairement en groupe, alternative à la communication verbale pour s'exprimer → Expression des émotions (T1 : 71,5 % et T2 : 76,1 %) Bénéfices significatifs au niveau émotionnel et social |
Abandons pas pris en compte dans les analyses La période de 3 mois du programme était inclue dans un traitement déjà en cours, il n'y a pas eu de point de départ précis de l'étude : impact sur clareté des résultats La thérapie par l'art n'était pas isolée mais faisait partie d'un programme de traitement plus large : résultats peut-être donc pas seulement liés à l'art Pas de groupe de contrôle Le lien entre les bénéfices et le niveau de culture et le QI des participants n'a pas été étudié |
Jewell et al. 2022 (32) |
→ DERS : mesure de la réponse émotionnelle, les difficultés comportementales, l'impulsivité, la conscience émotionnelle et la régulation des émotions → Questionnaire en ligne d'évaluation de l'acceptabilité du programme → Enquête qualitative : questions en texte libre sur expérience et satisfaction du programme |
→ DERS : ↘ scores entre le début (113.24) et la fin de l'étude (84.52) : ↗ capacités de régulation des émotions ↘ toutes les sous-échelles : ↘ difficultés d'utilisation de stratégies de régulation des émotions, des comportements impulsifs, des difficultés comportementales → Acceptabilité : 83.9 % des participants affirment s'être sentis vus, entendus et validés pendant le programme ; 61.3 % des participants affirment que ce programme a amélioré leurs capacités dans leurs interactions sociales → Etude qualitative : le programme ↗ les capacités à tolérer et réguler les émotions, support groupal, connexion avec les autres |
Echantillon de petite taille : ne permet pas de généraliser les résultats Le diagnostic du TPB a été annoncé par les participants mais n'a pas été directement évalué par les chercheurs Les différences de résultats avec un programme d'art-thérapie en présentiel n'ont pas été évaluées Pas de prise en compte des potentielles anciennes expériences des participants avec l'art (déjà bénéficié d'un programme de thérapie par l'art, ancienne pratique ...) |
Morgan et al. 2012 (33) |
Témoignages, expériences vécues par des anciens bénéficiaires |
→ Art = médiateur : connexion avec les autres, le thérapeute Connexion via un 3e objet : basée sur cet objet, non directement entre les individus : facilitation des interactions sociales → Art = distraction, détournement de l'attention, ↘ appréhension et difficultés relationnelles et émotionnelles, interactions + tolérées ↘ intensité et de la fluctuation des émotions, meilleure identification et expression des émotions → Solution alternative pour exprimer les émotions quand la verbalisation est trop difficile ou anxiogène, utilisation de l'art comme moyen d'expression |
Petit échantillon de 4 participants = description plus complète des expériences, une enquête à plus grande échelle aurez peut-être été moins précise mais aurait permis une meilleure généralisation des résultats |
Les différentes informations recueillies au sein des études ont été catégorisées en fonction des 5 types d’habiletés sociales d’Elksnin & Elksnin décrites précédemment.
Les habiletés intrapersonnelles
Une amélioration significative du bien-être émotionnel des participants a été mise en avant par l’ensemble des articles, notamment avec une meilleure identification des émotions chez soi et les autres (28–32). L’activité et l’objet d’art permettent d’entrer en contact, de ressentir et de mettre en place une plus grande connexion avec les pensées et les sentiments (29,32,33). L’analyse des articles fait également ressortir que l’art favorise une meilleure régulation de ces émotions et de leur intensité. En effet, les participants apprennent à accepter ou à l’inverse éteindre les émotions qui surviennent lors de la création. En outre, la thérapie par l’art demande une structuration de son état interne qui passe donc par une régulation des émotions afin de ne plus être submergé et, par conséquent, se sentir plus en confiance et en sécurité avec ces ressentis (29). Par ailleurs, une augmentation des capacités à tolérer les émotions est également décrite, se caractérisant par une meilleure expérience et acceptation des expériences internes comme les pensées, émotions ou encore sensations physiques (29–32). Finalement, une amélioration de l’expression des affects est également rapportée dans les articles, notamment à travers l’œuvre d’art créée qui représente les émotions pour les partager au reste du groupe (29,33,34).
En parallèle des difficultés émotionnelles, les différentes études rapportent une réduction des difficultés comportementales ainsi qu’un meilleur contrôle de soi concernant l’impulsivité, l’hostilité, de rigidité ou encore la colère (28–32). En outre, la perception ainsi que l’interprétation des comportements des autres sont également perfectionnées, favorisant par conséquent une meilleure compréhension d’autrui (29). Pour résumer, nous pouvons dire que les émotions ressenties par une personne atteinte du TPB sont transférées à travers l’activité et l’objet d’art qui permettent de les réguler, de les représenter et donc de les exprimer aux observateurs (35).
Les habiletés d’affirmation
Parmi les huit articles, Chilvers et al., Haeyen et al. ainsi que Jewell et al. mettent en avant une amélioration significative des habiletés d’affirmation. Ces bénéfices sont largement mis en avant dans des ateliers se déroulant en groupe. En effet, les thérapeutes visent à instaurer un cadre thérapeutique contenant ainsi qu’une relation de confiance établie entre et avec les participants afin de favoriser un sentiment de sérénité et de sécurité au cours de ces ateliers (29,32,35). Les auteurs rapportent chez les participants un sentiment d’être vus, entendus mais aussi validés à travers leur production d’art. Cela favorise cette affirmation de soi (32,35). Haeyen et al. développent également le rôle des thérapeutes dans cette quête d’identité et d’affirmation. Selon eux, il est nécessaire de leur laisser une liberté d’action et de choix afin de répondre à leur besoin d’autonomie. Par conséquent, le thérapeute doit trouver le juste milieu entre le besoin d’un cadre sécurisant et le besoin de liberté des participants, afin de répondre au mieux à leurs attentes (29).
En parallèle, Chilvers et al. affirment que cette thérapie favorise la mentalisation des autres, du groupe, avec toutes ses différences et ses diverses interprétations. Les participants apprennent donc à explorer et agir selon leurs propres intérêts, mais en prenant en compte ceux d’autrui. En lien avec ce constat, ils mettent en avant une augmentation de l’intérêt porté aux autres et à ce qu’ils dévoilent (35). Finalement, nous pouvons citer Chilvers et al. (35) qui indiquent que l’art est un moyen honnête d’explorer soi et les autres.
Les habiletés interpersonnelles
Dans l’ensemble des études, une amélioration du fonctionnement interpersonnel est constatée à la suite d’un programme de thérapie par l’art. En effet, les difficultés au niveau des relations et interactions sociales régressent à un niveau normal. A l’inverse, les capacités à créer et maintenir ces relations augmentent. Celles-ci sont donc facilitées et mieux tolérées (28,30–33). La diminution des difficultés interpersonnelles passe par la réduction de la colère et de l’impulsivité, mais aussi du niveau de suspicion, du besoin d’acceptation, d’amour et de plainte (28). Par ailleurs, une amélioration de la gestion des conflits, de la flexibilité relationnelle et de la tolérance, notamment vis-à-vis des différentes interprétations et des critiques émises par autrui, est mise en avant (35). A l’inverse, les auteurs rapportent que les participants apprennent à trouver et accepter la reconnaissance et le soutien témoignés par leurs pairs (29). Par ailleurs, les différentes études témoignent d’une modification du comportement des participants envers soi et les autres (29–33).
En parallèle, Morgan et al. expliquent dans leur article que la connexion créée entre deux personnes ne les lie pas seulement entre elles, mais se base sur l’introduction d’un troisième objet (activité de création, objet créé) qui va servir de médiateur. Une relation triangulaire va se mettre en place se basant sur cet élément externe et non directement sur le lien entre les deux personnes. Ce troisième objet va donc servir de distraction, de détournement de l’attention afin de réduire l’appréhension de la relation, mais aussi la charge émotionnelle entre les deux personnes. Les mécanismes d’interactions sociales sont donc facilités (33).
Enfin, l’optimisation des capacités interpersonnelles s’explique également par le fait que cette thérapie se focalise implicitement sur l’amélioration des capacités de mentalisation. En effet, selon les auteurs, la thérapie artistique donne des moyens de mentaliser à travers des objets d’art (31). Pour résumer, les ateliers de thérapie par l’art favorisent une meilleure connexion sociale et la création de relations positives, que ce soit avec les pairs mais également les thérapeutes.
Les habiletés d’adaptation collective
Différentes études mettent en avant une amélioration du fonctionnement social au sein d’un groupe se traduisant notamment par une réduction des comportements inacceptables socialement, de la mauvaise adaptation ou encore de l’introversion sociale (28,29,34). En parallèle, le développement de schémas comportementaux mieux adaptés chez les participants est rapporté (30,31).
En outre, Eren et al. ainsi que Haeyen et al. mettent en avant une diminution des difficultés de coopération, ainsi que la mise en place de relations et de collaborations avec autrui. En effet, le travail en groupe demande aux participants la recherche d’un compromis permettant la réalisation des objectifs personnels de chacun, mais également la gestion des relations avec les autres membres du groupe (28,29). Cette connexion avec les autres, le support collectif ainsi que les expériences de valorisation par les pairs témoignés par les participants favorisent eux aussi un meilleur fonctionnement au sein d’un groupe, ainsi que le sentiment de (re)trouver un rôle social (35).
Les habiletés de communication
Le constat que la thérapie par l’art améliore les habiletés à s’exprimer est général dans l’ensemble des articles étudiés. Selon Jewell et al., l’expression de soi et de son monde interne est facilitée en passant par l’art. Par conséquent, la compréhension des autres l’est également (32). Des participants témoignent également avoir réussi à poser des mots sur les expériences et sensations physiques, non-verbales vécues et ressenties au cours de la création (29).
Dans leur article, Chilvers et al. indiquent que la communication au sein d’un groupe de thérapie par l’art est facilitée. En effet, la création et l’œuvre donnent l’opportunité à chacun de réfléchir sur ce qui a été produit, puis d’en discuter avec les pairs (35). Par ailleurs, le cadre établi lors de ces ateliers incite et favorise une communication entre participants et thérapeutes ouverte, curieuse, honnête et validée par les autres (35). Cependant, certains auteurs s’accordent à dire que la communication est facilitée notamment car la thérapie par l’art constitue une alternative à la communication verbale. Par conséquent, au lieu de passer par les mots, cette communication passe par l’image et l’objet pour exprimer les éléments projetés à l’intérieur de celle-ci. Cela a donc pour effet de mitiger l’intensité de l’échange (29,33–35).
Discussion
La médiation artistique pour la sollicitation des habiletés sociales ?
Pour rappel, cette étude a pour objectif de déterminer comment la thérapie par l’art agit sur les HS des sujets afin d’améliorer leur fonctionnement social dans leur quotidien. Il a premièrement été mis en avant que les ateliers à médiation artistique réalisés auprès des patients atteints du TPB permet une sollicitation des différentes HS décrites par Elksnin et Elksnin. Cela correspond même à un des objectifs de ces interventions.
Trois grands aspects de la médiation artistique ayant un impact sur les HS sont mis en avant lors de l’analyse des différents articles, le premier étant l’art et l’activité artistique en elle-même. En effet, les expériences de projection et d’externalisation dans une création sont responsables de réponses émotionnelles et corporelles chez les patients donnant accès à des pensées, sentiments et processus inconscients. Grâce à cela, ils développent une conscience et une image de soi et de leur fonctionnement plus claire et stable, facilitant des actions de régulation. Par ailleurs, l’art et l’objet d’art étant des métaphores des états internes, ils sont un moyen pour les patients de se dévoiler et de s’exprimer aux autres d’une manière moins directe et plus symbolique. C’est donc l’art qui remplit la fonction d’expression des sentiments, besoins et limites d’une personne. Pour résumer, nous pouvons affirmer que l’objet d’art sert de médiateur, de base pour se découvrir et s’exprimer.
Le deuxième aspect est le groupe, le rassemblement de plusieurs usagers pour des ateliers communs. Cela demande donc aux participants de trouver leur place au milieu des autres, ainsi que de s’ajuster à autrui afin de prendre part à la vie du groupe et collaborer avec ses membres tout en prenant en compte les nombreuses normes et attentes sociales induites dans chaque interaction. Un étayage groupal peut également se mettre en place, permettant un soutien et une déculpabilisation pour les usagers lorsqu’ils prennent conscience que les autres peuvent avoir des expériences et pensées similaires aux leurs. Cependant, au sein d’un tel atelier, les interactions sociales et groupales sont facilitées par la présence d’un objet médiateur au milieu des relations. En effet, les œuvres servent de base, d’élément sur lequel s’appuyer pour parler de soi et des autres et pour être entendu par autrui. La création artistique constitue donc une alternative à la communication verbale souvent problématique dans le cadre de ce trouble. Par ailleurs, même sans échanges verbaux, une communication se met tout de même en place entre les patients par le simple fait d’être dans un groupe, d’échanger des regards, sourires, en étant à l’écoute des autres etc.
Finalement, le troisième et dernier aspect est le cadre établi par le(s) thérapeute(s) basé sur l’honnêteté, l’acceptation et la validation par les pairs. Ce non-jugement va donc favoriser la création d’un climat de confiance. Ce cadre thérapeutique doit être plus souple, moins contrôlé. Les participants n’ont pas ou peu d’obligation et ont surtout l’occasion de faire des choix qui leurs sont propres en lien avec leurs envies et limites. Il est tout de même important de garantir une certaines guidance et contenance malgré ce besoin de liberté pour rassurer les usagers et participer à la création de cette confiance.
Ces différentes observations permettent donc d’affirmer que la médiation artistique aurait un impact sur les différentes HS d’un individu atteint du TPB.
La sollicitation des habiletés sociales pour l’amélioration du fonctionnement social ?
Plus globalement, cette étude s’intéresse également à l’impact de l’amélioration des HS sur le fonctionnement social des personnes atteintes du TPB.
Dans l’ensemble des articles étudiés, une amélioration du fonctionnement social a été décrite, que ce soit grâce à diverses évaluations ou à travers le retour d’expérience des participants. Ces derniers mettent en avant une augmentation de leurs capacités à interagir avec autrui, à tolérer ces interactions, à s’insérer dans un groupe et à prendre part à la vie du groupe. En parallèle, ils font également part d’une plus grande envie de s’intéresser aux autres et de créer une connexion. En effet, les relations sociales apparaissent moins anxiogènes et les patients distinguent les différents enrichissements que les idées et expériences et autres peuvent apporter. De par ces observations, il est possible de supposer que la sollicitation des HS favoriserait un meilleur fonctionnement social chez les sujets atteints de TPB.
Finalement, les résultats obtenus au sein de cette étude de portée permettent donc d’indiquer qu’une thérapie basée sur l’art peut être une intervention bénéfique dans l’accompagnement des patients atteints du trouble de la personnalité Borderline, notamment concernant l’amélioration des habiletés et du fonctionnement social.
Résultats secondaires
Pour rappel, le TPB est caractérisé, entre autres, par un déficit de mentalisation, celle-ci permettant une meilleure compréhension des pensées et comportements propres à soi et aux autres (36). Cette mentalisation est donc fondamentale pour le développement et le maintien de relations sociales, notamment dans le cadre du TPB car elle permet de limiter l’imprévisibilité des échanges sociaux les rendant moins anxiogènes. Certains articles ont mis en avant que la thérapie par l’art constitue un moyen efficace pour travailler et améliorer les capacités de mentalisation de soi et des autres (31,35). Au cours d’une séance de thérapie artistique, le patient représente ses pensées et son monde interne au sein de sa création artistique, puis il les expose au groupe en présentant et expliquant son œuvre. A travers la visualisation de l’objet/image, les autres participants vont analyser, interpréter, échanger sur cette image pour percevoir ce que l’artiste pense et ressent. La compréhension de l’image va donc induire la compréhension de la personne. Il s’agit donc d’une mentalisation explicite au travers d’un objet de soi mentalisant (37,38).
D’autre part, la médiation artistique diffère d’autres interventions notamment cognitives et/ou verbales qui présentent chacune divers avantages et inconvénients en fonction des participants. Nous pouvons concevoir que ce format de thérapie moins traditionnel et plus ludique puisse impacter positivement la motivation et donc les bénéfices pour les participants. Par ailleurs, elle peut correspondre à une alternative thérapeutique quand les interventions verbales sont jugées trop directes, invasives ou anxiogènes. Jewell et al. ont d’ailleurs évalué dans leur article l’acceptabilité d’un programme de thérapie par l’art. Ils indiquent que la majorité des participants sont satisfaits de cette thérapie et en perçoivent les bénéfices (32).
A l’inverse, ce format peut se révéler déroutant justement car il sort du cadre plus traditionnel des thérapies, d’autant plus qu’il se base sur un cadre thérapeutique plus souple mais pouvant être responsable d’une peur du manque de contrôle et de contenance. Par ailleurs, l’appréhension peut être augmentée chez des patients manquant de compétence et d’appétence artistique, même si elles ne sont pas obligatoires, notamment à cause de la peur du jugement d’autrui. Cela peut donc devenir un frein à la motivation et donc aux bénéfices de cette intervention. Cela est d’autant plus vrai qu’il est moins aisé de comprendre l’intérêt et les objectifs d’une thérapie basée sur l’art.
Dans cette étude de portée, c’est essentiellement l’art-thérapie qui a été étudiée. Cependant, l’ergothérapeute fait partie des thérapeutes pouvant utiliser l’art comme moyen thérapeutique en y associant des objectifs qui lui sont propres. Ce type d’atelier pensé et réalisé par des ergothérapeutes leur permet de faire travailler l’élaboration psychique ainsi que l’expression de leurs patients tout en leur faisant vivre différents types d’expériences : motrices, sensorielles, émotionnelles, relationnelles etc. (27,30,48). L’ergothérapeute utilise ce moyen thérapeutique en tant que soin psychique dans le but de favoriser des changements internes en profondeur. C’est ce qui le différencie notamment des art-thérapeutes.
Pour un ergothérapeute, un programme de médiation artistique permet premièrement un travail autour de l’identité, de la prise de conscience des symptômes. Elle redonne au patient une opportunité de choisir et d’agir, de créer quelque chose qui sera valorisé. C’est donc un moyen de retrouver une confiance en soi, en ses capacités et de renforcer son estime de soi.
En parallèle, l’ergothérapeute utilise cette thérapie pour favoriser une ouverture vers le monde extérieur en restaurant un réseau relationnel car, de par la nécessité d’échanger et de collaborer avec le reste du groupe, elle constitue un véritable outil pour favoriser la création de liens sociaux. L’important est d’accompagner le patient à développer le sentiment d’appartenance à un groupe, mais aussi à prendre part activement à la vie du groupe dans le but de lui (re)donner une place et un rôle dans la société (24).
A long terme, ce travail intra et interpersonnel a pour objectif de développer les habiletés nécessaires à l’empowerment du patient, c’est-à-dire l’accès à une vie autonome et satisfaisante dans le quotidien, comme il est d’ailleurs spécifié dans le Livre Blanc des Ergothérapeutes en Santé Mentale (39) ou encore dans le Référentiel d’Activités en Ergothérapie. Le développement de l’émancipation et du pouvoir d’agir du patient facilite la réalisation de projets personnels et professionnels afin de favoriser la participation sociale.
Pour faire le lien avec la pratique de l’ergothérapeute sur le terrain, cette étude met en évidence l’intérêt d’inclure la médiation thérapeutique dans le parcours de soin en psychiatrie. La légitimation de l’ergothérapeute et de la cohérence de ses interventions dans le projet de soin est donc essentielle. Il est nécessaire de reconnaitre la médiation artistique non comme une activité ludique, occupationnelle ou assimilée à de l’art-thérapie, mais comme faisant partie intégrante de l’accompagnement des patients (39).
Limites de l’étude et perspectives
Certaines limites ont pu être identifiées au sein de cette étude, la première étant que peu d’articles ont pu être sélectionnés et étudiés, ce qui limite le nombre de résultats ainsi que la généralisation de ces derniers. Parmi eux, la moitié ont été dirigés par la même auteure (Suzanne Haeyen). Le manque de diversité des auteurs peut constituer un biais dans les résultats, notamment en limitant la diversité des méthodes et des constats. De plus, ces différents articles se sont intéressés au fonctionnement social chez les patients atteints d’un trouble de la personnalité, mais sans cibler particulièrement les habiletés sociales en tant que telles, se traduisant pour certains par un manque de précision. Nous pouvons également ajouter comme limite la faible qualité des articles étudiés caractérisée par un score de PEDro moyen de 4.75 pour l’ensemble des huit articles. Finalement, la majorité des articles se concentrent sur la pratique de l’art-thérapie, mais très peu sur d’autres pratiques utilisant l’art, et surtout aucun n’aborde l’ergothérapie. Les objectifs et les pratiques spécifiques des ergothérapeutes n’ont donc pu être clairement déterminés, ce qui pourrait être l’objectif d’une prochaine étude.
L’ergothérapie n’a jamais été cité au sein des différents articles sélectionnés, ce qui met en évidence un retard par rapport à l’art-thérapie en termes d’écrits scientifiques. Plus généralement, les ergothérapeutes intervenants en santé mentale témoignent des difficultés de reconnaissance de leurs rôles et spécificités, ainsi que de la nécessité de développer et d’affirmer leur place ainsi que leur identité professionnelle et leur valeur thérapeutique par rapport à d’autres professionnels. Pour cela, il est nécessaire d’installer l’ergothérapie dans un champ plus scientifique afin de développer des pratiques fondées sur la preuve (Evidence Based Practice). Par conséquent, la recherche, l’écriture et la publication scientifiques constituent des moyens efficaces pour définir, valoriser la profession ainsi que développer des outils et interventions basés sur des données probantes.
Conclusion
A travers cette étude, nous pouvons conclure que les médiations artistiques auraient un réel impact dans la sollicitation des habiletés sociales des patients atteints du trouble de la personnalité Borderline. De par cette thérapie, les participants développent des capacités mais aussi un certain intérêt pour les relations sociales. Toujours est-il que les bénéfices d’une telle thérapie ne viennent pas seulement de l’art en lui-même. En effet, le cadre établi offrant une certaine liberté ainsi que l’apport et l’étayage qu’un atelier réalisé en groupe peut apporter favorisent également une ouverture sur soi et sur les autres. Pour résumer, un programme de médiation artistique offre de nombreux outils permettant le développement des habiletés sociales essentielles à l’amélioration du fonctionnement social chez les patients atteints du trouble de la personnalité Borderline.
L’ergothérapeute a un rôle essentiel à jouer dans l’amélioration de ces habiletés sociales, aspect primordial pour la participation et la réinsertion sociale des patients. En effet, il possède les compétences nécessaires à la création de ce type d’atelier. La médiation thérapeutique correspond donc à un exemple parmi d’autres d’utilisation de l’activité comme moyen thérapeutique. Dans ce cadre, l’activité artistique est donc utilisée par l’ergothérapeute comme soin psychique favorisant l’empowerment. Malgré cela, nous avons vu que d’autres recherches et approfondissements seraient à mener, notamment pour déterminer la place d’une thérapie artistique au milieu des autres interventions préconisées dans le cadre de la psychiatrie, ainsi que pour prouver et asseoir les compétences de l’ergothérapeute auprès d’un patient accompagné en santé mentale.