Une autre forme de culture populaire : le patronage

Alain Rouhaud

Sommaire

Texte

Extrait de « Culture populaire et culture savante à Bazoges-en-Pareds, de la préhistoire au mouvement social-chrétien », dans le Bulletin municipal de la commune de Bazoges-en-Pareds, année 2015, pages 39 à 52. Mis en en ligne sur https://bazoges-en-pareds.fr/fr/rb/83007/articles-historiques

La salle du « patronage » : une donation tardive des Pontlevoye

Nous avons déjà évoqué dans le cadre de la chronique sur les théâtres et séances de variétés la salle paroissiale de Bazoges1. L’ouvrage à succès de René Bazin La Terre qui meurt fut adapté pour le théâtre et donné à Bazoges au patronage dans l’immédiat après-guerre et avec beaucoup de succès se rappelle-t-on. Les théâtres et séances de variété, ignorés des archives, mais pourtant bien vivants dans les souvenirs que nous avons évoqués l’an passé dans ces pages battaient leur plein dans ce lieu emblématique de la culture populaire de Bazoges. Touchant le bourg, dans le « village » ou quartier de la Morinière, cette grande bâtisse de pierres et de briques, percée de grandes portes pour apporter la lumière ne s’est pas laissé facilement conter son histoire.

 Salle paroissiale dite "patronage", vue côté champs, cliché AR, 2015

Salle paroissiale dite "patronage", vue côté champs, cliché AR, 2015

Ce bien immobilier appelé "patronage" était la salle paroissiale. Elle consistait en une grande salle pourvue d'une scène et de coulisses et avec ses dépendances attenantes. Elle figure au cadastre sous le n° 264 de la section AD et occupe une surface de 10 ares et 30 centiares.

https://www.geoportail.gouv.fr/carte - Requête : rue du patronage 85 390 Bazoges-en-Pareds,

https://www.geoportail.gouv.fr/carte - Requête : rue du patronage 85 390 Bazoges-en-Pareds,

Dans l’inventaire des biens immobiliers de la paroisse de Bazoges2, on apprend que le patronage fut un apport de monsieur et madame de Pontlevoye en date du 7 décembre 1956. Ce bien avait été donné sous réserve du droit de reprise à une association paroissiale appelée alors Association d'éducation populaire de Bazoges-en-Pareds, aux termes d'un acte reçu par maître Paul Caillé, notaire à Luçon3.

Décédés tous les deux en 1973 sans descendance mais non sans héritiers, Simon et Louise de Pontlevoye laissèrent légataire universelle leur nièce. En 1982, la commune de Bazoges-en-Pareds inaugura une salle de sport et un foyer rural et oublia un peu son vieux patronage qui continuait cependant à abriter, malgré la vétusté, les séances de variété des jeunes de la commune. Au cours des années 1990 avec la rénovation du foyer rural en salle de spectacle, le patronage perdit sa raison d'être. En 2002, l'Organisme de gestion de l’enseignement catholique (OGEC) de l’école primaire de Bazoges-en-Pareds, héritière de l'association paroissiale à qui avait été donné cet immeuble, se décida donc à le rétrocéder selon la clause de droit de reprise indiquée en 1956. Vendue et réparée pour servir de maison d’habitation, la salle paroissiale est aujourd’hui la propriété de monsieur et madame Latsague qui y ont aménagé trois chambres d’hôtes.

Salle de cinéma et salle de conférence

Les chroniques que le curé de Bazoges Joseph Hillériteau tint dans un petit cahier d’écolier sont remarquables car très précises sur les événements des 15 années pendant lesquelles il administra la paroisse de Bazoges-en-Pareds.4. Arrivé dans la paroisse au moment de la défaite, en 1940, il y décrivit l’arrivée des réfugiés en particulier mais aussi tous les petits événements de la paroisse et de la commune. Sa chronique est placée sous le patronage de monsieur et madame de Pontlevoye et commence par l’éloge funèbre de son prédécesseur l’abbé Victor Gendronneau. Après la guerre et suite à ces grands traumatismes que furent la défaite, l’occupation allemande et la découverte des crimes nazis, ce sont toutes les sociétés européennes qui sont bouleversées. En France, la reconstruction du pays s’impose : institutions et constitution sont repensées. La république est rétablie mais ce sont aussi les techniques et les sciences qui pénètrent plus largement les campagnes. La jeunesse rurale qui a souffert des années de guerre et qui est décimée par un exode renforcé est en droit de s’émanciper. Le théâtre du patronage ne suffit plus : la demande de cinéma se généralise. En 1948, sur ses deniers personnels, le curé de Bazoges Joseph Hillériteau, préleva la somme de 100 000 francs afin de financer l’achat d’un appareil de cinéma. Pasteur inquiet du danger que présentaient certaines œuvres du cinéma et qui pouvait menacer les âmes chrétiennes dont il avait la charge, il écrit qu’il effectua cet investissement « au titre du moindre mal ». Il précise dans sa chronique qu’il en fit l’acquisition auprès de M. de Baudry d’Asson, maire de la Garnache et député de la Vendée ! La location des films se faisait par le circuit de la Caillère et le curé note au passage la diffusion d’un grand succès de l’époque : « La cage aux rossignols » film français de Jean Dréville sorti en 1945 et qui inspira plus récemment les fameux « Choristes » de Christophe Barratier (2004).

2. Le curé Hillériteau accueille son évêque, monseigneur Cazaux, à l'occasion du centenaire de l'école libre des filles, 1948. Archives paroissiales, sans non d’auteur.

2. Le curé Hillériteau accueille son évêque, monseigneur Cazaux, à l'occasion du centenaire de l'école libre des filles, 1948. Archives paroissiales, sans non d’auteur.

Au patronage, on organisait aussi des conférences. La même année 1948, le 13 février au patronage et le 17 mars à Velaudin, l’abbé Bretaudeau de la Maison des Œuvres, un prêtre qui vécut en Russie et de retour de captivité, donna une conférence sur le communisme russe. L’abbé Hillériteau pouvait compter sur madame de Pontlevoye, qui s’était d’ailleurs chargée des indemnités du conférencier, pour aller dans le même sens que lui : « mettre en garde contre la propagande d’une dizaine d’agents locaux » ! Tout cela résonne comme l’écho rural et inattendu de cette période crispée de la guerre froide. Le patronage était aussi un lieu de fêtes et le curé Hillériteau raconte les « séances récréatives » des filles et des gars au théâtre. Le 31 octobre 1948, le centenaire des deux écoles chrétiennes eut lieu en partie dans un patronage tout décoré pour l’occasion.

Depuis 1909, le patronage : au cœur du mouvement social-chrétien (ACJF)

C’est pourtant bien avant cette époque qu’il nous faut chercher les origines des activités du patronage. Une photographie, de celles que l’on peut trouver dans les albums de famille en témoigne. Autour du vicaire de la paroisse, l’abbé Victor Gendronneau5, alors âgé de 37 ans, 28 jeunes gens nés aux alentours de 1900 posent fièrement près de la bannière de leur cercle.

3. Les membres de la conférence Pie X, 1919 ou 1920, patronage de Bazoges, album Rouhaud-Raingeaud.

3. Les membres de la conférence Pie X, 1919 ou 1920, patronage de Bazoges, album Rouhaud-Raingeaud.

On a reconnu, au premier rang assis, de gauche à droite, Emile DUCEPT, Joseph CHAUVET, André GUERIN, l’abbé Victor GENDRONNEAU, Elie FROUIN, René RAINGEAUD, Bernard BAUDRY ; au deuxième rang, Marie-Joseph FERCHAUD, Fernand DUCEPT, Alphonse GAUDINEAU, Raymond PURZEAU, Ernest ROUHAUD, Joseph THOMAS ; en haut, André ALLETRU, Marcel ROUHAUD, André MILET. Beaucoup d’entre eux restent à identifier…

Seize ans avant cette photographie, le 15 août 1903, un premier groupe de vingt-deux jeunes catholiques bazogeais se réunit sous le patronage des ecclésiastiques de la paroisse, le curé Ludovic Goulpeau, et un aumônier en la personne du vicaire l’abbé Charles Cornu. Onze autres jeunes étaient désignés aspirants. Marcel Gariolleau dont il a été question plus haut fut alors acclamé président de la petite société baptisée « Conférence Pie X ». Ce groupe se revendiqua dès le début comme appartenant à la grande camaraderie que fut dans ces années-là l’Association Catholique de la Jeunesse Française (ACJF). Créée en 1886 par Albert de Mun, en vue de « fonder un ordre social-chrétien », l’ACJF était d'abord limitée aux milieux étudiants avant de s'ouvrir, en 1896, à tous les jeunes catholiques désireux de s'intéresser aux problèmes sociaux. En 1891, son premier président, Robert de Roquefeuil, put présenter à Rome plus de 1200 militants. Les groupes, très différents des points de vue géographique, social et économique, se multiplièrent dans toute la France et en Outre-Mer (Algérie, Cochinchine). L'ACJF fut ensuite amenée à se répartir en formations spécialisées : la Jeunesse ouvrière catholique (JOC, 1927), la Jeunesse agricole catholique (JAC, 1929), entre autres. Chacune de ses formations affirmant de plus en plus sa personnalité, l'ACJF se dissout en 19566.

Dans un petit cahier7, le secrétaire de la conférence Pie X nota pendant près de 10 ans, de 1903 à 1912 le contenu des activités de la conférence. Chaque réunion commençait par une prière. L’aumônier lisait ensuite un chapitre de l’évangile. Une conférence était généralement ensuite donnée. A la séance du 7 février 1904, Marcel Gariolleau expliqua les rapports entre l’Eglise et l’Etat en France (le concordat). Gustave Albert disserta sur la Bastille le 20 mars 1904. Emile Châtaigner parla sur l’intolérance de l’Eglise la même année et Arthur Gillier, ancien sous-officier, sur l’armée, en 1905.

Les conférences étaient aussi nombreuses que variées : on y traitait aussi bien des malheurs de l’exode rural que de l’anticléricalisme. Des conférenciers extérieurs à la commune étaient parfois invités : le docteur Pineau, de La Caillère, parla d’hygiène rurale (1905) puis des dangers de l’alcoolisme ; des professeurs de l’institution Saint-Joseph de Fontenay-le-Comte expliquèrent la Guerre de 1870. Ces conférences faisaient écho aux problèmes de l’époque : la ville où les ruraux risquent de perdre leur âme, l’offensive anticléricale de la IIIème République, etc.8. Le groupe Pie X participa au congrès national agricole d’Angers en mars 1908 (5 pages de compte rendu !) et comme tout autre groupe associatif avec une vie sociale, il avait une vie privée avec des changements de président, des départs, des arrivées. Les jeunes préparaient aussi des « soirées dramatiques », soirées récréatives, ancêtres de celles dont nous avons gardé mémoire et photographies dans l’article de l’an passé. En 1905 par exemple, on joua « Lorenzo le muet », un drame en 1 prologue et 3 actes suivi d’une comédie en 1 acte : « Le docteur Oscar ». Il y avait même une tombola après les séances.

Ce fut en 1904 que monseigneur Catteau approuva le règlement de la conférence Pie X de Bazoges et « accorda sa meilleure bénédiction aux membres de [l]’association ». On apprend du règlement que l’assistance aux vêpres était obligatoire au moins une fois par mois, que la bonne tenue « aux noces par exemple » était recommandée et l’usage des livres de la bibliothèque conseillé.

Salle de théâtre et de séances récréatives

Fait majeur : en décembre 1909, le compte-rendu d’une séance récréative précisa qu’elle eut lieu « à la nouvelle salle du patronage ». Cela laisse à penser que la salle paroissiale fut donc édifiée ou réparée cette année-là et en particulier pour les besoins des activités en rapport avec la conférence Pie X et l’ACJF. Ce 5 décembre 1909, on donna le drame « Jacobins » de René Coutaud. Les acteurs Gustave Albert, Edouard Baudry, Georges Annereau, Auguste Frouin, Simon Portrait, Marc Barreau, Eugène Ducept, Elie Frouin, Maurice Joguet, Alphonse Annereau et Joseph Chauvet furent très bons, paraît-il. Lors des distributions des prix, en présence des châtelains bienfaiteurs des écoles libres messieurs Pervinquière et de Pontlevoye, l’ambiance paraissait nettement plus festive avec des pièces comiques entrecoupées de « charges » jouées par le « célèbre » Louis Sorin dont nous avons dressé un portrait l’an passé. Bouteille et petits gâteaux aidaient parfois aussi à clôturer les séances…

Cette salle paroissiale était bien un lieu incontournable de la culture populaire à Bazoges au début du XXème siècle. Là, autour du programme de l’Action catholique, la grande affaire de cette époque, les jeunes ruraux qu’étaient nos Bazogeais apprirent à se connaître, à comprendre leur monde en mutation et à apprivoiser leur régime politique : la république que le pape Léon XIII venait de leur demander de rallier.

Merci aux Bazogeais qui m’ont aidé dans une anecdote, sur une photographie, etc, et cette année en particulier à Renée Soulard Pineau, Marie-Paule Gillier, Mimi Gaudineau, Jean Baudry, Paul et Jeannine Frouin, …

Je remercie particulièrement l’abbé Jean Vrignaud, curé de la paroisse Saint Pierre-en-Pareds, pour sa disponibilité et son accueil au moment de la consultation des archives paroissiales.

Merci aussi à monsieur François-Xavier Brochard, des services des Archives départementales de la Vendée et à madame Agnès Piollet, archiviste diocésaine, pour les échanges et leurs conseils de recherche.

Merci enfin aux grands-pères de toutes les conditions, qui n’ont pas tout dit de leur émotion mais qui pensaient à la culture par-dessus tout.

Alain Rouhaud, décembre 2014, relu et complété en septembre 2020.