Machinistes : « Envoyez la lumière », in l'Écho do doué, Bulletin de liaison des amis de la boulite, N°12, mai 1996, pp. 10-13

Entretien entre l'Écho do doué,
Henri Arnaud,
Roger Doux,
Pierre Girardeau
Joseph Rousseau

Texte

Derrière les imposants décors de la salle du Chatelet, fourmille la famille des machinistes. Chaque soir ils sont au poste pour tenir un rôle et un seul : mettre en valeur le jeu des acteurs. Henri Arnaud, Roger Doux, Pierre Girardeau et Joseph Rousseau ont bien voulu nous faire partager l'ambiance des coulisses.

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EDD : Quelle était votre fonction au théâtre ?

Roger : J'étais à la sonorisation. Je mettais des disques à la fin de chaque acte et pour les ballets. Je faisais aussi les bruitages avec un magnéto semi-professionnel. Je me souviens avoir passé des dimanches après-midi à enregistrer avec Pierre Germain, Joseph Serin, et d'autres...

EDD : Vous souvenez-vous de trucs particuliers pour les bruitages ?

Roger : Pour les orages, par exemple, on faisait ça avec une tôle, qu'on secouait Pour les pas de chevaux on se tapait sur les cuisses, comme ça (suit une brève démonstration).

EDD : Et vous, Joseph, quelle était votre fonction ?

Joseph : Mon boulot consistait à guetter les toiles et les décors que les machinistes qui étaient là-haut descendaient, et à les mettre à leur place sur le côté pour qu'ils ne soient pas en zigzag. J'étais avec Rémy Aubineau.

Pierre : Il n'y avait pas beaucoup de place pour passer sur le côté quand il y avait tous les décors. Il fallait que ça soit bien rangé.

Joseph : Rémy Aubineau disait : "Attend, y va te targer ça", autrement dit tout fourrer dans les coins.

EDD : A votre tour, Pierre, quel rôle aviez-vous ?

Pierre : J'étais accessoiriste. J'habillais le théâtre : chaises, tables, pots de fleurs..., tous les objets quoi. Ça se passait en équipes : 4 ou 5 déblayaient la scène, et 4 ou 5 autres aménageaient. Pendant les scènes on préparait tout pour la suivante. Quand le changement approchait, il fallait fixer le point ou on allait, parce que lorsque la lumière coupait, ça allait vite. On ne mettait guère plus de 30 secondes pour tout transformer.

EDD : Et notre quatrième machiniste, Henri, quel était son poste ?

Henri : J'étais moi aussi accessoiriste, sous les ordres de Pierre. Je vais te donner un exemple de ce qu'on faisait A "Monte Cristo", il y avait une scène où le comte s'évade du château d'If dans un sac, balancé à la mer. C'est moi qui était dans le sac. Pendant la scène, ils étaient deux à me transporter pour me jeter à l'eau. Ils disaient : "A la une, à la deux..." et la lumière coupait. Et quand elle se rallumait, on voyait un tulle qui bougeait avec des poissons accrochés, comme sous l'eau, et derrière il y avait un autre sac suspendu à une poulie, avec Marc Blanchard, qui jouait le rôle du comte, et qui découpait le sac avec un couteau pour s'en sortir.

EDD : Comment était la salle au départ, avant les travaux ?

Pierre : Le sol était plat, et les chaises étaient posées sur du sable. Pour l’accueil des réfugiés, pendant la guerre, on a fait un ciment, qu'on a refait par la suite pour qu'il soit en pente en 1959. A l'entrée, il n'y avait pas de sas, comme aujourd'hui. Les entrées se faisaient dehors, juste avec une table. Sur la scène, le mur était à 1,50 mètre des coulisses, et il y avait juste une petite porte du côté des écoles. Le plancher était beaucoup plus haut. Par la suite on a mis une porte de garage à l'arrière pour rentrer les décors.

Roger : Il y avait avant la guerre 6 ou 7 rangs de gradins, au fond. Mais les filles n'avaient pas le droit d'y aller. Quand on les a cassés, ça n'a pas été triste. Le curé Soulard ne le voulait pas. Joseph Oger un jour nous a dit : "Allez, venez et on va les défaire". On n'était pas fiers quand le curé Soulard est venu voir. Il ne voulait absolument pas que les filles se mélangent avec les gars.

EDD : A quelle période les travaux ont-ils commencé ?

Pierre : A Bouboule. On a enlevé la charpente, monté les murs à l0 mètres. Avec cette double hauteur, on pouvait descendre les décors très rapidement. Ça a duré une douzaine d'années comme ça. La scène avançait à peu près 2,50 mètres plus loin que celle d'aujourd'hui, et il y avait en plus une fosse à orchestre. Par contre, la salle du fond n'existait pas. Et vers 1952, on a construit le bar sur le côté. Avant il était sous le préau de l'école. Un lendemain de Toussaint, on a été toute une délégation après la cérémonie réclamer un bout de terrain à Pierre Germain. Trois jours après, Félix Guicheteau était à l'œuvre. Le bar a servi tout un moment de cantine en même temps. On y avait installé des grandes tables.

EDD : Qu'est ce qui a été changé ensuite après votre visite du Châtelet à Paris ?

Pierre : C'est à partir de là qu'on a adopté le cyclorama. Les décors ne se montaient plus, c'étaient des mobiles. Ils étaient montés sur chariots, avec des roues caoutchoutées. On pouvait avec ça mettre des arbres au milieu de la scène et installer des projecteurs derrière, notamment pour faire des couchers de soleil. Il fallait beaucoup moins de monde en haut. Et au fond, il y avait une grande toile bleue de 6 mètres de haut qui servait de ciel et qui faisait le tour du théâtre en arc. C'est ça qui s'appelait le cyclorama.

Roger Doux à la sonorisation dans la cabine technique

Roger Doux à la sonorisation dans la cabine technique

Henri : A ce moment-là, aussi, on a mis en place le plateau tournant. Il fallait être six dessous pour le tourner. Quand la lumière clignotait, on tournait, et quand elle s'éteignait, on s'arrêtait.

EDD : Et sur la passerelle, au-dessus de la scène, se trouvait la cabine de direction ?

Pierre : Oui, c'est ça. Dudutte, qui dirigeait toute la manœuvre, voyait toute la scène de là-haut. Il y avait avec lui Roger et tous ses appareils, Jean-Pierre Huffeteau pour l'électricité, et "Gaston".

EDD : Parlez-nous un peu de ce "Gaston".

Pierre : Tout ceux qui ont fait du théâtre à la Flocellière savent bien ce que c'est que "Gaston", la demi-barrique.

Joseph : C'est moi qui l'avais baptisée "Gaston". J'avais mis un écriteau sur la barrique : "Venez chez Gaston, chez Gaston tout est bon, du noah on y boit..." Elle était sur le milieu de la passerelle à l'époque. Une fois, même, le robinet était mal fermé, et ça gouttait sur la scène.

Pierre : Le père Auguste Rondard était spécialement chargé de la remplir. Comme il allait souvent dans les villages pour porter le pain, il chinait les agriculteurs.

EDD : Passons maintenant au problème des décors. Comment vous y preniez-vous pour les réaliser ?

Pierre : On les prenait dans des maisons spécialisées, surtout Faucheux à Angers. On réalisait les plans, et on allait les mener avec Dudutte. On passait en même temps chez Rabaud pour les costumes. Et après la dernière séance, on chargeait tous ces décors dans mon camion 7,5 tonnes, pour que dès le lendemain on aille les ramener à Angers. Avant le cyclorama, les décors étaient tous de dimension standard, pour qu'on puisse les remonter et les descendre. Il n'y a qu'après que nous avons fait nous-mêmes les décors. Yannick Taillandier, Riton Marquis et Joseph Serin se chargeaient de ça.

Roger : Il ne fallait pas y toucher aux décors de chez Faucheux. Mais nous, pour faire de la "lumière noire", quelquefois on y donnait un coup de pinceau. Ils s'en apercevaient et n'étaient pas très contents.

De somptueux décors, comme ici dans Carmela

De somptueux décors, comme ici dans Carmela

EDD : Qu'appelez-vous la "lumière noire" ?

Roger : Ce sont des lampes qui émettent des rayons ultra-violets faisant devenir fluorescent certaines peintures passées sur les décors ou sur les habits... Ça permettait aux accessoiristes de se repérer.

EDD : Vous étiez très inventifs…

Joseph : Vous souvenez-vous du premier rhéostat qu'Henri Huffeteau nous a fait ? Il descendait deux plaques dans de l'eau salée et la lumière baissait progressivement.

EDD : Vous aviez, parait-il un grand escalier très célèbre ?

Joseph : Il fallait au moins 15 bonhommes pour tourner cet escalier. Il faisait je crois huit mètres de long, et c'est Dudutte Rampillon qui l'avait fabriqué. Il montait jusqu'à la hauteur des décors.

EDD : Aviez-vous souvent des problèmes techniques ?

Pierre : Ah, je vais raconter l'histoire de l'avion. On lui avait mis un moteur de moto 125 cm3. Et puis l'hélice, on a été la chercher avec Dudutte à l'aérodrome de Cholet. Alors après, un soir de répétition, Gustave Caillet, qui était chargé de le mettre en route, n'était pas là. Au poste de pilotage, Gaston me dit : "Pierre, mets le en route." Je prends l'hélice et hop, ça démarre. Mais ils avaient oublié de tenir la toile de fond, et l'hélice a aspiré la toile. Des ciseaux ne l'auraient pas mieux tranchée.

Henri : Une fois aussi à une répétition, Hubert Bonnin est passé à travers le plafond. Il allait chercher je ne sais plus trop quoi sur les passerelles, là-haut, et il a mis le pied à côté des poutres. Il s'est trouvé dans le vide, accroché par les bras.

Pierre : Au "Tour du monde en 80 jours", on avait aussi une montgolfière. On avait installé un treuil qui faisait au moins 200 kilos. On avait été le chercher chez le père Pignon. On l'avait accroché à la nacelle de la montgolfière, et à la fin de la scène on remontait tout, avec à bord Marie Germain, Mimie Doux et Jules Marquis. A une séance le treuil s'est coincé, et la nacelle est restée en l'air à mi-hauteur.

Roger : Les acteurs avaient aussi des défaillances. Une fois, j'ai eu un petit rôle. C'était dans un train et il fallait que je dise : "Y a-t-il un médecin parmi les voyageurs ?" Et j'ai dit : "Y a-t-il un voyageur parmi les médecins ?"

Pierre : Je me souviens qu'après la guerre, on a joué une pièce pour les prisonniers, "Fin d'exil", qu'on a été jouer à St Mars. Il y avait Bouchet de l'Hommondière, qui est parti depuis dans la Vienne, qui jouait. Cette fois-là, il rentre sur le théâtre, puis d'un coup il se retourne et il me dit : "Dis dun Pierre, qu'e to qui faut qui djise, y m'en rappelle pu".

EDD : A la fin des séances vous faisiez une "troisième mi-temps" ?

Pierre : A la fin du spectacle on allait prendre l'apéritif. Y'avait trois cafés : chez la mère Beaufreton, chez René Germain, et chez Touzé. On allait un dimanche chez l'un, le suivant chez l'autre, chacun à tour de rôle, les femmes comme les hommes.

Henri : Bras dessus-bras dessous, en chantant. Et certaines fois on faisait des fondues.

Roger : Du vin chaud, aussi. Et puis je te dis qu'il était fort. La troisième mi-temps, c'était pas triste !

Sur la passerelle, les machinistes, travailleurs de l’ombre

Sur la passerelle, les machinistes, travailleurs de l’ombre

Henri : Ça m'est arrivé de rentrer à cinq heures du matin après la séance du samedi soir, et il fallait se lever pour la messe de sept heures. Parce qu'après on retournait à la salle pour remettre en place les décors et réparer. A midi on allait prendre l'apéritif au bistrot, on allait manger vite fait, et on retournait aussitôt pour la séance de l'après-midi.

EDD : Certaines pièces ont-elles été des échecs ?

Pierre : A ma connaissance, il n'y a pas une pièce où on est resté au crochet. On faisait presque toujours des séances supplémentaires. Les bénéfices allaient aux écoles. On en gardait une part pour les décors de l'année suivante, et un peu aussi pour des voyages. On allait voir des spectacles. Nous sommes allés à Angers voir Pierre Richard, Georges Guétary aussi...

Roger : Toutes les semaines sur le journal on avait des articles. Tiens, regarde : "La scène de la Flocellière, qui se présente comme la plus grande et la plus moderne des scènes de Vendée, avec son plateau tournant et ses changements de décors à vue, se prête admirablement à un spectacle d'une telle ampleur et les artistes y évoluent allègrement et sans aucune gêne..."

EDD : Après nous avoir raconté tout ça, vous devez avoir soif. Qu'est-ce qu'on vous offre ?

Tous ensemble : Un coup de "Gaston" !

Au tableau d'éclairage, les machinistes, travailleurs de l’ombre

Au tableau d'éclairage, les machinistes, travailleurs de l’ombre

 

Pour citer ce document

l'Écho do doué, Arnaud H., Doux R., Girardeau P. Rousseau J., (1996). Machinistes : « Envoyez la lumière », in l'Écho do doué, Bulletin de liaison des amis de la boulite, N°12, mai 1996, pp. 10-13. Fonds du Théâtre Amateur Vendéen, URL : https://www.unilim.fr/theatre-amateur-vendeen/1211

Auteurs

 l'Écho do doué
Articles de l'auteur parus dans le
Henri Arnaud
Roger Doux
Pierre Girardeau
Joseph Rousseau
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