Acteurs : « Envoyez les trois coups ! », in l'Écho do doué, Bulletin de liaison des amis de la boulite, N° 12, mai 1996, pp. 14-17
Entretien entre l'Écho do doué,
Emile Coutand,
Gaston Deniau Deniau,
Pierre Germain
Joseph Serin
Texte
La troupe de la Flocellière pouvait compter sur la participation d'environ 150 personnes. Comme dans tous les groupes, des meneurs dirigeaient la manœuvre. Parmi eux, Émile Coutand, Gaston Deniau, Pierre Germain et Joseph Serin ont bien voulu faire à nouveau retentir les trois coups pour l'Écho Do Doué.
EDD : Dans quel cadre le théâtre avait-il lieu ?
Émile : Ah c'était dans le cadre des patronages, et toutes les recettes étaient pour les écoles.
EDD : Le théâtre ne dépendait pas, comme la musique, du Cercle Notre Dame de Toutes Joies, fondé par le Père Dalin ?
Pierre : C'était cousin germain. On était catholique d'abord, et que ce soit patronage ou cercle, tout était sous la responsabilité du curé.
Gaston : La haute direction, c'était le clergé.
EDD : Qui choisissait alors les pièces ct distribuait les rôles ?
Émile : Ah c'était le vicaire, qui était aussi metteur en scène. Et après la guerre ça été Pierre Germain, surtout après 1952. Joseph, toi, c'étaient les décors. Et les Demoiselles Sevin copiaient les rôles. C'était un travail fastidieux.
EDD : Lors du choix du texte, aviez-vous un avis à donner ?
Émile : Non. Chacun prenait le rôle qu'on lui donnait et on essayait. Dans "l'Honneur militaire", on m'avait donné le rôle d'un officier. C'est comme ça que j'ai été officier avant d'être soldat.
EDD : Y avait-il des pièces composées de toute part ?
Pierre : On choisissait un texte écrit par tel ou tel auteur, et on travaillait à partir de ce texte. Mais il y a une pièce qui a été composée par Monsieur Émile, et qui s'appelait comment, Monsieur Émile ?
Émile : "Jehan de Fougereuse". Mais le plus souvent on faisait un amalgame de textes.
EDD : Il devait y avoir des acteurs clés ?
Émile : Edbert Bourasseau jouait souvent les rôles de traître. Joseph Teillet en a fait pas mal, et moi aussi d'ailleurs.
Pierre : Arrêtez, on va penser que tout le monde jouait les traîtres.
EDD : Et pour les personnages comiques ?
Joseph : Au début il y a eu le Bouif. Dès qu'il rentrait sur scène, tout le monde rigolait. Il avait la bouille.
Émile : Pendant la guerre est arrivé Monsieur Albert Bourriau, l 'instituteur, qui avait un autre genre. Il a détrôné Bouif.
EDD : Combien de personnes participaient au théâtre ?
Émile : Environ 150 personnes, avec les acteurs, les ballerines, .les machinistes, les employés au bar, sans compter les costumières, qui étaient nombreuses.
Gaston : 1/5 de la population peut-être était lié de près ou de loin au théâtre.
EDD : A quelle période avaient lieu les répétitions ?
Émile : Tous les soirs, de septembre à février à peu près. Et comme les machinistes travaillaient deux soirs par semaine sur la scène, les répétitions avaient lieu dans une classe de l'école des gars.
Pierre : Les acteurs étaient toujours sacrifiés aux machinistes.
Joseph : Ça durait jusqu'à minuit, une heure, on était habitué à ne pas dormir longtemps. 4 ou 5 heures, ça suffisait.
EDD : Et à chaque fois tous les acteurs étaient convoqués ?
Émile : Non, on ne répétait que certaines scènes. J'envoyais mes élèves porter les billets de convocations aux acteurs.
EDD : Qui imaginait les décors ?
Joseph : On avait des équipes pour ça. On commençait par faire une petite maquette, et on réalisait ensuite grandeur nature. Yannick Riton et d'autres faisaient la peinture.
Émile : On avait alors des décors formidables. Dans "Bouboule", on passait de la rue de Shanghaï, avec les pousse-pousse et les étalages d'étoffes, à un salon de thé avec quatre tables, les gens assis, la caissière à son comptoir, et tout ça en quelques secondes.
EDD : Et vous aviez aussi des équipes d'accessoiristes ?
Gaston : Joseph Babarit nous a fait un serpent, un aigle, un crocodile, même une baleine... C'était très bien imité.
Pierre· : C'est un artiste le Père Babarit. Ça impressionnait les spectateurs.
Émile : C'est dans "le Pirate de la savane" qu'il y avait un boa dans un arbre. Madeleine, ta sœur, était dans un hamac, et Jules Marquis était chargé de la sauver en tirant un coup de fusil. Dans la salle il y a eu une brave fille qui a eu peur et s'est évanouie.
Joseph : On trouvait plein de trucs. Une fois aussi il y a eu l'incendie du puits de pétrole. La première fois on l'a fait avec une petite pipe. On n'avait pas eu le temps de trouver mieux. Je t’explique pas la catastrophe, l'incendie avec une toute petite flamme ! Le lendemain matin, l'équipe responsable s'est réunie pour chercher la solution. Claude Arnaud avait remarqué que la poudre de bois de ponceuse, dans la cheminée de l'atelier chez Jules Marquis, donnait une grande flamme en brûlant. Le problème, c'est que cette grande flamme ne durait que quelques secondes. On a trouvé à la Garenne un gros moulin à légumes. On y a mis de la ouate et de l'alcool, et cinq bons hommes en dessous, qui chacun à leur tour envoyaient une poignée de poudre. Ça faisait une flamme continue.
EDD : Il y avait aussi une équipe pour la publicité ?
Émile : Plusieurs même, et qui posaient des affiches dans un rayon de 40 kilomètres à peu près.
Michel Rambaud : Je me souviens d'avoir fait une tournée d'affiches avec Joseph Rousseau et Rémy Aubineau à l'époque des problèmes de Suez, et on manquait d'essence. Alors dès qu'il y avait une descente on coupait le moteur.
EDD : Aviez-vous des critiques dans la presse ?
Émile : Oui, on avait des articles dans les journaux locaux, et même des caricatures. Yannick et Henri Marquis en ont fait quelques-unes.
Joseph Serin est Monsieur Vincent'
EDD : Il y avait un système de réservations ?
Joseph : Oui, on mettait un numéro de téléphone sur les affiches. C'était souvent celui de chez nous. En fait ça fonctionnait surtout au "bouche à oreille". Ces cars qui venaient de partout, c'était motivant.
Émile : Il y a eu aussi des pépins. Quand on a joué "le Capitaine Corcoran", un car venait de la Vienne, emmené par les Godet. On leur avait fait un prix. Mais à deux heures, le givre s'étend sur toute la contrée, avec des 10 centimètres sur les fils qui coupaient. Et plus de courant !
Pierre : Mais on a joué quand même, avec des lampes à acétylène.
EDD : Vous deviez parfois vous trouver dans des situations critiques ?
Émile : Tiens dans ''Monte Cristo", dans la troisième partie je ne faisais rien. Alors je suis parti soigner mes lapins et mes poules, qui étaient derrière la salle. Et tout d'un coup, v'la Paul Bossoreil qui déboule :
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Mirnile, viens !
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Ben quoi ?
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Y'a un rôle qu'a pas été donné ! Il manque un témoin pour le duel !
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Je veux bien, mais comment veux-tu que je m'habille ?
Alors j'ai trouvé une culotte, un veston et un chapeau, et je lui ai dit : "Donne-moi le texte quand même". Heureusement, il n'y avait que trois phrases.
EDD : C'est là que le rôle du souffleur devait être important ?
Joseph : Le père Félix Guicheteau était bon pour ça. C'était un ancien acteur. Le souffleur ne doit pas tout dire. Quand il voit que tu es coincé il te lance le premier mot et ça te revient. Il faut bien suivre la pièce, la précéder.
Pierre : Je vais t'en raconter une autre sur Monte Cristo. Celle qui est devenue ma femme faisait Mercedès, et il y avait une scène où je devais lui donner du raisin, du muscat. Et Joseph Rousseau avait mis des fils de fer pour ficeler les grappes. J'étais incapable de les défaire, et il se marrait doucement dans les coulisses.
EDD : Il y avait des blagueurs ?
Gaston : Un jour de mardi gras, il y a René Goussaud de la Dortière qui avait apporté un masque de Krouchtchev et qui s'était caché dans les décors pour qu'au moment où je rentre sur scène je sois obligé de le voir. Et bien cette fois là, quand je suis rentré...
Pierre : T'as eu peur ?
Gaston : Ah non ! J'étais plutôt au bord d'éclater de rire. J'ai respiré deux fois avant de me lancer.
Jean Oger, Gaston Deniau et Gaston Rouzeau par Yannick Taillandier
EDD : Les décors devaient parfois vous jouer des tours aussi ?
Émile : Une fois, Marie-Thérèse jouait une reine. Elle rentrait et s'asseyait sur un fauteuil monté sur une estrade. Tout d'un coup, elle voit le père Girard en face qui n'arrêtait pas de lui faire des signes. Et elle, ne comprenant pas, se disait : ''Mais enfin, je me tiens droite". En fait, il n'y avait que trois pieds posés sur l'estrade, l'autre était dans le vide.
Pierre : On avait le Seigneur avec nous. Il y a quand même un certain nombre d'accidents matériels qui auraient dû nous arriver, ne serait-ce que pour l'incendie que vous avez évité, Monsieur Émile, ou le coup du pistolet chargé à balles réelles et qui s'est enrayé au bon moment. On aurait aussi dû bien des fois recevoir des panneaux sur la tête.
Michel Rambaud : Et l'électricité ! Tous les contacts étaient à l'air libre, et Lilite Huffeteau manipulait dans le noir.
EDD : "Monsieur Vincent" a eu un retentissement particulier ?
Émile : Ça a été le sommet. Monseigneur est venu de Luçon, le Provincial des lazaristes de Paris est même descendu. Joseph, tu jouais le rôle de Monsieur Vincent, et tu t'étais fait faire une coupe de cheveux appropriée.
Joseph : C'est Yannick qui me les avait coupés.
EDD : Comment se passaient les fins de séances ?
Joseph : Pierre Girardeau ouvrait le rideau juste après la fin, et les spectateurs se ruaient pour voir tous les trucs. Mais le vide avait été fait entre temps, et il n'y avait plus rien. Ils étaient déçus de ne pas avoir les secrets.
Émile : Il y avait de l'illusion.
EDD : Et lorsque tout était fini ?
Joseph : On n'avait pas vraiment envie de se coucher tout de suite. Il y avait une espèce d'euphorie. Il faut du temps pour changer de personnage, redevenir soi-même.
Pierre : Souvent, après les séances, on faisait le tour du bourg plusieurs fois en chantant.
EDD : Pourquoi tout-à-coup en 1968 tout s'est arrêté ?
Émile : Monter des spectacles comme ceux-là c'était se lancer dans l'inconnu. On investissait plusieurs millions d'anciens francs, et est-ce que ça allait marcher ? Et puis on avait tous des occupations professionnelles assez lourdes. C'est également une période où il y a eu pas mal de changements dans le groupe : Joseph Teillet est parti directeur de l'école à Saint Mesmin, Marc Blanchard, Michel Germain et quelques autres ont quitté la Flocellière.
Pierre : Il faut un bon noyau dur pour faire du théâtre, et à cette époque nous sommes venus à manquer d'éléments. Nous faisions de l'opérette, et il fallait des chanteurs. Et des chanteurs, il n'en restait plus beaucoup.
Joseph : Il y a aussi le fait que le dernier spectacle, "Amours Tziganes", était prévu pour deux ans, et que Monique Sachot, qui tenait le rôle principal s'est mariée et est partie. La deuxième année on s'est retrouvé avec un vide.
Émile : Le sport a pris aussi beaucoup d'importance à ce moment-là, et ceux qui allaient au sport, souvent ne pouvaient participer au théâtre.
Pierre : Le sport et la télé.
Gaston : Le dimanche matin, il m'arrivait d'aller arbitrer à 15 ou 20 kilomètres aux alentours en vélo ou en vélomoteur, et l'après-midi j'étais au théâtre. -
EDD : Pensez-vous que le théâtre ait eu une forte incidence culturelle et sociale sur les gens qui en faisaient partie ?
Pierre : Ça a permis à un certain nombre d'entre nous de s'exprimer plus facilement en public. Entre tous, acteurs, figurants, machinistes et autres, il y avait une excellente ambiance, et fatalement, ça se répercutait sur le plan communal.
Joseph : C'est pas pour ça qu'on était toujours tous d'accord, il y avait des discussions. Mais on en voulait tous, il y avait une cohésion.
EDD : Certaines personnes qui ont fait du théâtre à la Flocellière ont continué dans d'autres lieux : Colette Rambaud à Nantes, Marie-Annick Marquis à Pouzauges, Gérard Falourd à Cugand, entre autres. Le savoir-faire flocéen a donc voyagé ?
Pierre : Nous avons été une pépinière pour l'ensemble du théâtre de la région.
Joseph : Mais personne dans la région n'a essayé de refaire ce que nous avons fait.
Pierre : Je me souviens du final des opérettes, c'était formidable. Les gens étaient debout applaudissant à tout rompre. C'est dommage que tout ça ait disparu !
Janvier 1996
Ces entretiens ont été réalisés par Daniel Arnaud, Antoine Hériteau, Michel Rambaud et Pascal Sachot.