“Pós-graduação em Literatura : prospecção e perspectivas” in Cerrados: Revista do Programa de Pós-graduação em Literatura, n° 19 ano 14, Brasília, 2005

Maira Pedroso Vitale

CeRes, Université de Limoges

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Texte intégral

Cerrados est la revue du Programme de Post-Graduation en Littérature de l’Université de Brasilia (UnB), créée en 1986, publiée chaque semestre et consacrée aux  études littéraires. Le numéro 19, année 14 (2005) correspond à la commémoration de trente ans d’existence du Programme de Post-Graduation. Tout son contenu leur est dédié et expose essentiellement l’histoire du programme en question, la situation des programmes de post-graduation en littérature au Brésil ainsi que les principaux conflits et demandes du domaine littéraire de ce pays.

La revue est composée de sept articles de différents auteurs, et d’autres éléments présentés comme par exemple des documents historiques sur le programme dès sa création, une liste de mémoires de Master et de thèses de Doctorat soutenues depuis 1975, un témoignage ainsi que les dates et les événements commémoratifs des trente ans de programme. Estimant que ce sont les articles qui peuvent le plus intéresser les lecteurs, c’est sur eux qu’on appuiera le présent compte-rendu.

Avec l’objectif de réfléchir sur la situation de la Post-graduation en Littérature au Brésil, ce numéro de la revue Cerrados a réuni différents professeurs et chercheurs du domaine des Lettres de différentes régions du Brésil, nous permettant d’avoir tout au long des sept articles, une approche de la situation au niveau national et régional avec toutes les nécessités, conflits et propositions de changements à débattre.

Le premier article, écrit par Stevens (Université de Brasilia), propose un « panorama » de la post-graduation en Littérature de Langue Anglaise au Brésil, en relevant les principaux sujets d’intérêts pour la recherche, le profil de la production scientifique et la contribution de ce domaine au processus d’éducation brésilien. L’auteur constate une inquiétante situation de concentration des études en Lettres et en Linguistique dans quelques régions du pays (particulièrement la région Sud-est) par rapport à d’autres. D’une manière générale, l’auteur expose dans son article que les études littéraires plus récentes sont toujours davantage marquées par des éléments historiques, sociaux, politiques, conséquence peut-être d’un intérêt croissant pour les Etudes Culturelles, en particulier l’interaction de la Littérature avec les questions liées à la race, le genre et la classe. Elle nous rappelle aussi la nécessité de développer des projets interdiciplinaires parallèlement à un questionnement des études des auteurs canoniques.

Plus particulièrement en ce qui concerne les études littéraires de langue anglaise, l’auteur relève l’importance de la généralisation de l’enseignement de la langue anglaise, pour qu’elle ne reste pas strictement synonyme de littérature anglaise et nord-americaine; elle propose un enrichissement du concept de « Littérature en Langue Anglaise » avec l’incorporation d’autres littératures (comme les littératures irlandaise et canadienne, par exemple).

Le second article, écrit par Cunha (Université Fédéral de Bahia) évoque essentiellement une réflexion sur la pénétration des Etudes Culturelles (de l’école Britannique -British School of Cultural Studies) dans les universités brésiliennes et parmi les chercheurs de Lettres au Brésil. Elle nous rappelle que la compréhension de « culture » dans les Etudes Culturelles est un héritage du modèle marxiste de Birmingham, et essentiellement de l’anthropologie. Mais au Brésil, les Etudes Culturelles sont entrées par l’université nord-américaine et ont perdu l’influence du « Center for Contemporary Cultural Studies » de l’Université de Birmingham, plus politisée et démocratisée.

Cependant l’auteur nous dit que, malgré cela, quand on analyse les projets de recherches, on voit que depuis les années 90 il y a eu une amplification et une diversification du champ des objets d’investigation, dont la plupart se focalise sur des questions d’identité et des acquis culturels comme la mémoire, l’altérité etc… Par contre, elle nous dit que l’ouverture à la dimension culturelle et l’incorporation des Etudes Culturelles au domaine des Lettres n’ont pas été capables de stimuler une certaine post-disciplinarité au Brésil, et la plupart des programmes disposent encore de structures traditionnelles.

Note de bas de page 1 :

 « A condição de autor Periférico em Ferreira Gullar », Alexandre Pilati (2002).

Dans le troisième article, Machado (Université de Brasilia) décrit les lignes de recherche qui existent au Programme de Post-Graduation en Littérature de l’Université de Brasilia, mais elle choisit une production spécifique – le travail de conclusion de Master de Alexandre Pilati1 - pour exposer les principales discussions et productions d’un groupe qui existe dans le programme: le groupe « Littérature et Modernité Périphérique », créé par le professeur Hermenegildo Bastos en 1999. Elle juge que ce travail permet d’avoir une perception représentative de la production de la post-graduation du département de « Théorie Littéraire et Littérature » de l’UnB et de ses questionnements fondamentaux.

Le groupe en question perçoit dans la Littérature un caractère politique et émancipateur et vise le développement d’un travail en alliant la recherche, l’enseignement et l’expansion des travaux auprès des communautés. C’est alors une des inquiétudes principales du groupe de donner à la Littérature un caractère d’intervention sociale.

Le quatrième article est écrit par Jobim (Université de l’Etat de Rio de Janeiro et Président de L’Association Brésilienne de Littérature Comparée-ABRALIC) qui va discuter de manière brève trois questions, selon lui, fondamentales :

1) la construction de la littérature comme projet national : ici l’auteur fait une revision de l’histoire de la littérature parallèlement à la constrution du Brésil comme nation et questionne la place de la catégorie fondamentale de la nationalité dans la littérature brésilienne.

2) la littérature comme subjectivisme, comme expression d’un sujet à la fois autocentré et historiquement déterminé : sur ce point il fait une révision historique du traitement de la problématique du « sujet » au cours des différents mouvements littéraires, en finalisant avec la contemporanéité où le néolibéralisme a créé un sujet « perdu » dans le temps et dans sa propre histoire.

3) la littérature et le circuit auteur/ouvrage/lecteur devant les nouveaux milieux électroniques : l’auteur conduit toute une réflexion sur l’introduction des milieux numériques dans la circulation et la production littéraire, en remarquant les aspects positifs et négatifs avec tous les changements induits.

Dans le cinquième article, Brandão (Université Fédéral de Minas Gerais) fait une analyse de l’importance de la catégorie de l’espace et de ses variations conceptuelles au sein de la Théorie de la Littérature, en englobant les courants du début du XXe siècle et la pensée structuraliste.

Il commence avec une histoire de l’espace, sa représentation, son utilisation et sa perception au cours des époques et des cultures. Il relève qu’on peut étudier l’espace selon deux différents prismes : la description empirique et la perspective épistémologique (qui focalise les transformations historiques du concept d’espace), étant toutes deux d’importance fondamentale pour comprendre le sujet.

Dans la perspective épistémologique, l’auteur aborde brièvement comment l’idée d’espace a changé au sein des Sciences Sociales, de la Physique et de la Philosophie. Il passe ensuite à la discussion sur la catégorie de l’espace à l’occasion d’un parcours historique de la Théorie de la Littérature, en exposant le point de vue du Formalisme Russe, du Structuralisme, du moment Post-Structuraliste et des Etudes Culturelles. A la fin, il parle de la Théorie de la Réception, qui essaie de surmonter et de s’opposer à la dichotomie entre Littérature comme système de Langage et Littérature comme produit de facteurs socioculturels.

Pour surmonter cette dichotomie, il va critiquer la notion de pairs opposés assez présente dans la pensée scientifique et va proposer une triade, composée par la réalité, la fiction et l’imaginaire, ce dernier entrant ici comme élément qui re-signifie les deux autres et qui  rompt avec la pensée dichotomique.

L’auteur propose aussi qu’on pense la Littérature comme une anthropologie et finit son exposition en disant qu’à partir de la contribution déconstructionniste (post-structuraliste) on peut penser l’espace comme un système à la fois d’organisation et de signification, ce qui en fait donc une question de nature sémiotique.

Le sixième article, écrit par Seligmann-Silva (Université de Campinas) présente une refléxion sur la post-graduation dans le domaine de la Littérature et de la Théorie Littéraire au Brésil, mettant en évidence la nécessité d’améliorer les dispositifs de sélection des élèves de post-graduation, comme l’importance de démarquer les différences entre Master et Doctorat, et de soutenir l’ouverture du domaine littéraire à d’autres activités incluant les domaines artistiques.

Il fait une réflexion sur la question des images dans la Littérature: il questionne les limitations d’une perspective qui se réduit à la dimension « verbale » du fait littéraire et nous rappelle que la Littérature est étroitement liée aux questions des images (comme la matérialité et les supports des ouvrages littéraires). Il parle de l’importance de l’interaction entre Arts et Lettres et souligne que le rapprochement entre les deux inclut la question de la différence parmi les champs espace-temps et aussi une théorie de l’imagination.

Le dernier article, écrit par Nolasco dos Santos (Université Fédérel de Mato Grosso do Sul) parle du développement de la recherche en Littérature et de l’histoire de la création du programme de post-graduation de l’université de Mato Grosso do Sul (extrême ouest du Brésil), une région qui était dépourvue d’initiatives au niveau de la post-graduation. L’auteur expose donc l’univers culturel de la région et souligne la nécessité de satisfaire les demandes des contextes régionaux, en visant un équilibre entre le « local » et le « global », comme étant à son avis le défi central de la recherche dans le champ de la Littérature dans l’actuel Brésil.

De manière synthétique, on peut dire que les contenus exposés dans les sept articles peuvent être rassemblés en 3 différentes catégories : 1) les articles qui abordent les problématiques de la Littérature au Brésil du point de vue historique et actuel, en rendant compte aussi bien des programmes de post-graduation que de la diffusion du champ littéraire de manière générale ; 2) ceux qui évoquent les réflexions, les problèmes et les demandes de caractère épistémologique et méthodologique et 3) ceux qui exposent les nouvelles tendances, problématiques et solutions présentées.

Par rapport au premier point, les auteurs témoignent de façon générale d’une inquiétude sur la question du national/régional au Brésil, soit en attirant l’attention sur la situation de concentration des études en Lettres et Linguistique dans quelques régions du pays au détriment d’autres (Stevens et Nolasco), soit en rappelant la nécessité d’une politique plus efficace de soutenance à la recherche.

On peut dire alors que la question de la centralisation des connaissances et des politiques de soutien de la recherche au Brésil dans quelques régions (surtout au Sud-est) est une des questions les plus importantes à discuter, étant fondamentale pour un pays aussi vaste et multiculturel que le Brésil, où on revient toujours à la même question, soit au niveau de l’Education, soit au niveau d’autres dimensions des actions publiques : comment fait-on une politique nationale qui englobe toutes les spécificités et différences régionales? Et pour le champ littéraire, cela devient encore plus compliqué si on reconnaît que tout son développement a été fondé sur une conception de la Littérature comme projet national, comme on l’a appris de l’article de Jobim. Comme nous rappelle l’article de Silva, il faut que la Théorie Littéraire et les perspectives comparatistes combattent les vues nationalistes et chauvines de la littérature nationale.

Jobim met en relief encore le problème suscité par l’absence de politiques d’incitation à la lecture au Brésil, qui condamne la majeure partie de la population à ne pas avoir accès à la littérature. Et finalement, Silva nous dit qu’il manque un projet national pour la post-graduation (en rendant compte des questions régionales) et que, au Brésil, on se demande encore si la post-graduation est un supplément de la formation antérieure ou si elle représente l’entrée dans la vie de chercheur.

On peut dire que tout ça est étroitement lié aux questions d’ordre épistémologique et méthodologique ─ la seconde catégorie proposée ─ où plusieurs auteurs abordent la question de l’importation des théories des Etats-Unis et de l’Europe, et la nécessité d’éviter les attitudes de copiage servile de ces théories. Et ici, on aboutit au défi de trouver un nouveau chemin qui ne refuse pas les théories étrangères, mais aussi qui ne les utilise pas d’une manière passive et sans une critique profonde, comme nous le rappelle l’article de Stevens. On ajoute ici la nécessité même de commencer à développer nos propres théories, plus proches et plus en adéquation avec notre réalité.

Les Etudes Culturelles apparaissent dans les articles comme une perspective qui a introduit de nouveaux sujets et méthodes depuis 1970, mais qui ne peut pas néanmoins être utilisée sans une réfléxion critique (Cunha et Silva).

La Théorie de la Réception apparaît aussi dans l’article de Brandão qui propose l’introduction de la notion d’« imaginaire » comme catégorie fondamentale pour surmonter les dichotomies caractéristiques du champ littéraire (par exemple, fiction vs réalite), en relevant la dimension relationnelle entre les concepts.

Les nouvelles tendances sont étroitement liées aux transformations qui sont arrivées avec les études culturelles et les approches post-struturalistes ─  ici nous arrivons à la troisième catégorie.

Il y a un point de vue presque unanime chez les auteurs sur l’importance et la nécessité des projets interdiciplinaires et ils nous rappellent que l’intérêt croissant pour les Etudes Culturelles a renforcé l’interaction de la Littérature avec les questions de race, de genre, de classe etc. Il y a eu, alors, toute une amplification et une diversification du champ littéraire par rapport aux objets d’investigation (Cunha), parallèlement à tout un questionnement des études des auteurs dits « canoniques ». Mais ce même auteur remarque que l’ouverture pour la dimension culturelle et l’incorporation des Etudes Culturelles au domaine des Lettres n’ont pas été capables de stimuler une forte post-disciplinarité. Elle nous rappelle que, bien que l’on trouve dans les descriptions des programmes de post-graduation toute une perspective inter, multi ou transdisciplinaire, cela ne se reflète pas dans les structures des disciplines enseignées, assez fermées, rigoureuses, segmentées, présentant une disciplinarité encore traditionnelle.
Un autre point de vue intéressant est celui du groupe de « Littérature et Modernité Périphérique » qui attribue à la Littérature un caractère politique et une possibilité d’émancipation et d’intervention sociale, rappelant encore l’importance de l’histoire et des idéologies pour les études littéraires.On trouve même des positions qui proposent de penser la littérature dans une perspective anthropologique.

D’une manière générale, le développement régional, l’importance des échanges avec d’autres disciplines, la nécessité de changement au niveau des politiques d’Education et de Recherche et les questionnements épistémologiques et méthodologiques qui produisent de nouvelles manières de penser la Littérature sont les points les plus abordés et les plus importants des exposés. Le changement du nom du Programme de post-graduation de l’Université de Brasilia ─ de « Littérature Brésilienne » et « Théorie Littéraire » pour «  Littérature et Pratiques Sociaux » ─ annoncé dans la revue n’est pas un hasard et reflète toutes ces nouvelles perspectives et inquiétudes.

Note de bas de page 2 :

Nacionalidade e literatura. Os caminhos da alteridade. Florianópolis, Editora da UFSC, 1992.

Pour conclure avec les mots de Stevens, il faut adopter un comportement de « cannibalisme » culturel, idée développé par Bellei (1992)2 qui soutient l’importance d’absorber des connaissances d’autres pays et d’autres cultures, tout en conservant sa propre hégémonie culturelle, élément fondamental, pas seulement pour un pays comme le Brésil, mais pour tous les pays qui sont aujourd’hui intégrés au scénario de la globalisation mondiale.

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