La transition écologique. Des mots pour la faire ? The ecological transition. What words to do it ?
Carine Duteil
Université de Limoges, CeReS
Nicolas Picard
Consultant Climat/Biodiversité
L’article interroge la place des sciences dans la société et la posture du scientifique dans la sphère médiatico-politique, à travers le traitement de la problématique écologique. Les processus en jeu dans la compréhension de la problématique environnementale sont étudiés à l’aide des outils de la sémiotique narrative, de la pragmatique et de la sémantique textuelle.
This article examines the place of science in society and the posture of scientists in the media-political sphere, through the treatment of ecological issues. The processes involved in understanding environmental issues are studied using the tools of narrative semiotics, pragmatics and textual semantics.
Index
Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Carine Duteil et Nicolas Picard.
Mots-clés : controverse, écologie, médias, politique, transition
Keywords : controversy, ecology, media, politics, transition
Introduction
L’exposition des étudiants et plus largement des citoyens aux réseaux sociaux et à des « éléments informationnels » provenant de sources de statuts divers (institutionnel, médiatique, politique, propagandiste, complotiste, associatif, etc.) entraîne un manque de hiérarchisation de l’information, une mise en doute de la preuve scientifique, et une confusion entre « croyances », « opinions », « faits ». Notre propos interroge ainsi pleinement la place des sciences dans la société, la posture du scientifique dans la sphère médiatico-politique, ainsi que la problématique de l’accès aux connaissances et aux savoirs par les étudiants et les citoyens en général. Depuis plusieurs années, des revues de vulgarisation scientifique se développent et des partenariats avec les universités se nouent. L’on peut citer par exemple la démarche de l’équipe de The Conversation qui a sollicité l’université de Limoges pour inciter les chercheurs à publier dans cette revue, avec pour leitmotiv :
- Note de bas de page 1 :
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CP - La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, mardi 6 juillet 2021.
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique ». Par ailleurs, au niveau institutionnel, le 2ème Plan national pour la science ouverte 2012-2024 « définit des engagements renouvelés pour construire une science plus efficace, plus transparente et accessible pour les citoyens et les acteurs économiques et sociaux. »1. On peut lire dans ce plan que la science ouverte « induit une démocratisation de l’accès aux savoirs, utile à l’enseignement, à la formation, à l’économie, aux politiques publiques, aux citoyens et à la société dans son ensemble. Elle constitue enfin un levier pour l’intégrité scientifique et favorise la confiance des citoyens dans la science.
- Note de bas de page 2 :
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Initié par l’ADEME depuis 2000, ce baromètre met en lumière les représentations des phénomènes liés au changement climatique dans notre société.
La démocratisation de l’accès aux savoirs en matière d’enjeux climatiques et de biodiversité existe-t-elle réellement ? Partant du dernier sondage de l’ADEME2 sur les représentations sociales du changement climatique, l’on peut pointer l’écart entre sensibilisation des citoyens et compréhension des mécanismes en jeu dans le changement climatique. Quels récits médiatiques s’offrent à l’opinion publique ? Quels sont les influenceurs, les scientifiques qui s’expriment et comment narrent-ils le changement ? Quels sont les univers en tension dans cette transition ?
Notre contribution vise à questionner ces aspects en s’appuyant sur les outils de la sémiotique narrative, de la pragmatique et de la sémantique textuelle.
1. « Je comprends donc j’agis ? »
Notre titre ici se présente sous la forme d’une interrogation. Voici une représentation schématique possible du processus qui mène de la compréhension des causes et des enjeux environnementaux à l’action ou devrait-on dire aux actions ayant une incidence, soit sur la compréhension et la sensibilisation d’autres personnes, soit sur le terrain, soit auprès des pouvoirs publics et des autorités ; on pense par exemple aux actions conduisant à questionner la gouvernance, le système dans lequel nous vivons, pour accéder à un nouveau contrat social.
Figure 1 : le processus de compréhension-action
Le titre interroge justement le lien entre comprendre et agir. L’on peut se demander qui est le JE du process 1 « JE COMPRENDS » et du process 2 « J’AGIS ». L’on peut également questionner les niveaux où ce JE agit. Et sur quels destinataires-récepteurs. D’autres questions peuvent se poser : quelles actions met-il en place ? Quelle est l’axiologie associée aux deux process ? Existe-t-il une corrélation directe entre une grande compréhension et une action à échelle de plus en plus globale ? Peut-on dire que : plus on comprend, plus on agit et plus on obtient de résultats ? Enfin, la boucle est-elle itérative ?
Le titre inclut des sous-entendus langagiers dans sa formulation même. Si on le commente d’un point de vue sémiopragmatique, on repère un énoncé logique :
SI JE COMPRENDS ALORS J’AGIS
Il est présupposé qu’une compréhension entraîne une action, d’où l’usage du « DONC » pour exprimer la conséquence.
On peut également y lire la présupposition de la condition nécessaire et suffisante que représente la compréhension :
SI ET SEULEMENT SI je comprends ALORS j’agis
Par ailleurs il est sous-entendu dans COMPRENDRE que le procès est réussi, on parle de félicité du procès. C’est-à-dire que l’on sous-entend que l’on comprend avec succès les choses.
Par là même on sous-entend qu’une bonne compréhension engendre une action bénéfique.
JE COMPRENDS = JE COMPRENDS BIEN (+)
J’AGIS = J’AGIS BIEN (+)
Et que le TOPOS + JE COMPRENDS + J’AGIS est engagé.
Or, justement, nous questionnons cette logique sur plusieurs aspects. (i) Tout d’abord on peut se MEPRENDRE, être désinformé, parasité ou limité dans les éléments disponibles à la compréhension. (ii) Ensuite on peut entreprendre des actions néfastes, de bonne foi ou non. (iii) Enfin on peut COMPRENDRE une situation, les causes en jeu mais NE PAS AGIR. C’est le cas du déni, de la protection intérieure, consciente ou non, de la mauvaise volonté, d’un manque de conviction, d’une impuissance, d’un manque de coordination ou de possibilité d’action. (iv) On peut aussi AGIR sans être clairement informé.
Soulignons également que COMPRENDRE ne signifie pas ÊTRE CONVAINCU. On peut avoir d’autres priorités, ne pas vouloir en savoir davantage ou ne pas vouloir changer, encore moins AGIR. Ces implications sont donc questionnées par notre point d’interrogation. D’ailleurs, il n’est pas si aisé de COMPRENDRE. On peut comprendre à différents niveaux et vouloir se former en conséquence.
Dans la réflexion que nous menons sur la transition écologique, nous utilisons des outils de la sémiotique narrative, qui permet d’étudier les éléments agentifs et leurs modalités d’action. Sans trop entrer dans les détails ici, on peut dire que pour COMPRENDRE (ici le FAIRE), il faut posséder les modalités de faire : le DEVOIR, le VOULOIR (ce que Greimas et Courtés nomment : modalités virtualisantes) le POUVOIR et le SAVOIR (modalités actualisantes).
Figure 2 : Implication narrative
Or, on peut ne pas ressentir le devoir comprendre. On peut ne pas vouloir comprendre. On peut aussi manquer de moyens pour pouvoir comprendre (notamment l’accès aux bonnes sources, à la vulgarisation, aux bons médias, aux bons interlocuteurs). On peut ne pas savoir comprendre car on peut ne pas être formés à la pensée critique (moyens intellectuels d’analyse, bagage scientifique…). Le rôle des scientifiques, des personnalités qui vulgarisent pour alerter au dérèglement climatique et à la transition écologique, le rôle des enseignants, des formateurs au sens large revêt une importance capitale dans cette boucle de la compréhension qui précède l’action.
En termes narratifs, un Programme narratif (PN) de base (c’est-à-dire principal) relatif à l’action requiert un Programme narratif de base (c’est-à-dire de compétence) relatif à la compréhension. Là aussi pour le PN de base, on peut dire que pour AGIR (ici le FAIRE), il faut posséder les modalités de faire : le DEVOIR, le VOULOIR (modalités virtualisantes) le POUVOIR et le SAVOIR (modalités actualisantes).
Or, on peut ne pas ressentir le devoir agir. On peut ne pas vouloir agir. On peut aussi manquer de moyens pour pouvoir agir (notamment l’accès aux outils, aux situations). On peut ne pas savoir agir car on peut ne pas être formés à l’action. Notons que les actions sont avant tout des actions de sensibilisation et de formation, d’alerte auprès des pouvoirs publics, de protection de l’environnement (à différentes échelles), de changement des modes de gouvernance. Et à un niveau plus englobant et déterminant, on peut parler de changement de paradigme : l’on passe d’un contrat social fondé sur l’économie à un autre contrat social, qui nécessite l’invention de nouveaux récits, capables de façonner une autre vision du monde, un nouvel imaginaire partagé.
Notons que le JE dans cet énoncé est un JE pluriel, collectif même. Et qu’il peut revêtir différentes facettes. Nous allons en aborder quelques-unes : la figure du scientifique, la figure de l’industriel, la figure des politiques, la figure des médias, la figure du citoyen, et la figure de l’enseignant.
2. Les scientifiques dans l’arène
Le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) est une organisation qui a été mise en place en 1988, à la demande du G7 (groupe des sept pays les plus riches : USA, Japon, Allemagne, France, Grande Bretagne, Canada, Italie), par l’Organisation Météorologique Mondiale et le Programme pour l’Environnement des Nations Unies. Le rôle du GIEC est d’expertiser l’information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l’homme.
Comme toutes les institutions onusiennes (l’OMS par exemple), le GIEC n’est pas une association de personnes physiques, mais une association de pays : ses membres sont des nations, non des personnes physiques. Aucun individu – et en particulier aucun chercheur – ne peut être membre du GIEC « en direct » : les personnes qui siègent aux assemblées du GIEC ne font que représenter des pays membres. Le circuit de validation des publications est rigoureux, comme tout chercheur le sait. Nous pouvons citer à ce propos Ronick D. A. (1990): “Peer review can be said to have exis ted ever since people began to identify and communicate what they thought was new knowledge. That is because peer review (whether it occurs before or after publication) is an essential and integral part of consensus building and is inherent and necessary to the growth of scientific knowledge.”
S’appuyant sur les travaux de (Merton et Zuckerman 1971), Olivier Martin (2000 : 30-31) indique les trois fonctions principales des comités de rédaction :
Premièrement, les referees sont là pour accorder ou refuser l'imprimatur et garantir la valeur scientifique de l'article [...]. Deuxièmement, les referees permettent aux auteurs de ne pas perdre trop de temps à valider leurs résultats : les comités de rédaction les aident à vérifier la justesse de leurs recherches [...]. Corrélativement, les referees incitent les scientifiques à faire preuve d'originalité en refusant de publier les articles dont les conclusions sont déjà bien connues. En même temps, troisième fonction, l'existence des referees oblige les auteurs à travailler sérieusement, à ne pas proposer des articles dont les conclusions ne seraient pas suffisamment étayées.
La figure suivante illustre le circuit de validation :
Figure 3 : circuit de validation
Ce qu’il est intéressant de signaler c’est la progressive augmentation des publications portant sur l’environnement et le changement climatique au fil des années.
Figure 4 : nombre de publications scientifiques sur la thématique
3. La posture et les choix des industriels
Selon l’étude de BPIFRANCE (juin 2020), 80 % des industriels estiment que le changement climatique appelle une réaction d’urgence et 86 % se sentent concernés par les objectifs mondiaux de réduction des émissions de carbone. 67 % se disent désireux d’adapter l’entreprise aux enjeux du changement climatique et de l’environnement mais parmi les leviers pour réduire l’empreinte carbone dans les 5 ans, 71 % misent sur les nouvelles technologies.
Figure 5 : enquête BPI France – exemple 1
Figure 6 : enquête BPI France – exemple 2
Le technosolutionnisme (appelé ainsi par ses détracteurs, qui y voient le Mythe Cornucopien) renvoie aux projets de transition écologique dans lesquels des solutions techniques vont répondre aux enjeux environnementaux en conservant l’usage. 67 % des industriels souhaitent investir dans de nouvelles technologies pour réduire l’empreinte environnementale dans les 5 ans.
Figure 7 : enquête BPI France – exemple 3
Figure 8 : enquête BPI France – exemple 3
- Note de bas de page 3 :
- Note de bas de page 4 :
13 % seulement des industriels prennent en compte l’impact du changement climatique pour adapter la stratégie d’entreprise. Citons d’autres opérations pour le technosolutionnisme, que d’aucuns appellent Green-tech : elles émanent d’acteurs comme Laurent Alexandre, Idriss Aberkane, le célèbre Elon Musk. Soulignons également la Plateforme Time for the Planet®3 qui postule que c’est par l’économie et l’innovation que la planète sera sauvée. Sur cette plateforme, on « achète des actions », et l’argent versé est « entièrement dédié à financer des innovations luttant contre les gaz à effet de serre et aux frais de fonctionnement de la société (10 %) »4.
- Note de bas de page 5 :
Tout l’argent généré par les innovations de Time for the Planet® est ré-investi dans les innovations. Par contre, vous toucherez des Dividendes Climat, qui matérialisent les émissions de gaz à effet de serre évités grâce à votre investissement5.
Figure 9 : le modèle économique de Time for the Planet®
Ces solutions sont aux antipodes d’une démarche dite technocritique, par exemple la low-tech, qui vise surtout à maximiser l’utilité sociale, mais qui n’exclut pas elle-même par ailleurs les démarches R&D sur les énergies renouvelables : sur l’énergie thermique des mers ou houlomotrice. Ou encore sur l’hydroélectricité, la géothermie ou les carburants alternatifs tels l’hydrogène vert. Les énergies marines renouvelables, les bioénergies, etc.
Soulignons que des engagements sont tout de même pris ; citons la RSE et la convention des entreprises pour le climat. Mais d’autres actions témoignent d’une compréhension du problème certes mais d’une volonté d’agir en cachant… Citons sans polémiquer outre mesure Total et Shell.
Figure 10 : illustration RSE et mensonge
Prenons à présent le cas des politiques, qui peuvent avoir une vision approximative des enjeux et des causes. Leurs destinataires-récepteurs sont pluriels : collectivités, citoyens-électeurs, collaborateurs politiques nationaux et internationaux, commissions…
4. La sphère politique
Dans le sondage de l’ADEME 2020 sur les représentations sociales, on peut voir que parmi les enjeux pour la France, l’environnement arrive en deuxième avec 50 % auprès d’un échantillon de 201 parlementaires.
Figure 11 : sondage ADEME – exemple 1
Mais que pour autant 74 % des politiques veulent relancer l’économie par tous les moyens.
Figure 12 : sondage ADEME – exemple 2
20 % pensent que l’impact de l’effet de serre est une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord.
Figure 13 : sondage ADEME – exemple 3
20 % (peut-être les mêmes) pensent que le réchauffement climatique est un phénomène naturel qui a toujours existé.
Figure 14 : sondage ADEME – exemple 4
Des initiatives bien entendu sont prises par le biais de réglementations, de lois pour restreindre, contraindre et diminuer les effets négatifs du système : taxe carbone, RE 2020, Ressources en eau, Climat & Résilience, la Loi transition énergétique pour la croissance verte, la Stratégie nationale bas carbone… On peut cependant douter de l’efficacité de ces mesures conformément à l’alerte du Haut Conseil pour le Climat. Nous citons son rapport de 2021 :
France Relance intègre en partie mais insuffisamment les enjeux de transition bas-carbone de l’industrie. Les besoins de financement de la filière sont conséquents étant donné les différences importantes au sein des filières. (HCC, 2021 : 94)
Le HCC précise également que : « Les effets des politiques publiques climatiques se manifestent en 2019 par une accentuation de la baisse des émissions au niveau national et dans la plupart des régions. La baisse observée en 2020 est quant à elle principalement attribuable aux mesures liées à la Covid-19. Néanmoins les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs de 2030, et ce d’autant plus dans le contexte de la nouvelle loi européenne sur le climat. Alors que les conditions climatiques sortent des plages de variabilité climatique naturelle, avec des impacts croissants, les efforts d’adaptation doivent être rapidement déployés et intégrés aux politiques climatiques dans leur ensemble. » (HCC, 2021 : 4)
Les analyses de Carbone 14 sont de ce point de vue édifiantes : l’on voit le décalage entre objectifs et réalité.
Figure 15 : analyses de Carbone 4
5. Le traitement médiatique
Les médias de masse sont l’énonciateur principal pour les citoyens et ils façonnent pour beaucoup l’opinion publique.
Figure 16 : évolution dans la presse écrite
On voit sur le graphique ci-dessus l’évolution de la part des articles évoquant le terme climatique sur 10 ans dans la PQN et dans la PQR. Bien qu’il y ait une augmentation, si on compare celle-ci à la production scientifique sur la même période, force est de constater qu’un écart se creuse. Le manque de visibilité des sujets sur le climat et l’environnement est également bien repérable à la radio (chiffres de 2019) mais aussi à la télévision, que ce soit au JT de TF1 ou à celui de France 2. Et ce depuis 2010. Remarquons la part consacrée au changement climatique parmi les sujets environnement : 0,9 %.
Figure 17 : la place du climat
Or, comme le souligne le climatologue Jean Jouzel, les médias sont vecteurs d’information et se doivent eux-mêmes de s’informer à la source. Leur impact est en effet considérable sur la population.
Ce sondage de 2019 pointe que pour 81 % des français l’information reçue influence directement la perception et incite à l’action.
Figure 18 : sondage Harris Interactive 2019
Soulignons que des initiatives se mettent en place avec par exemple des opérations journalistiques visant à alerter sur la crise climatique et ses conséquences ; à l’image de The Guardian (UN Climate Action Summit). Porteur de l’initiative mondiale Covering Climate Now, le quotidien britannique a récemment adopté plusieurs mesures radicales – intégration du taux de CO2 dans la météo, utilisation d'un vocabulaire plus adéquat, évolution du traitement photo - afin de mieux rendre compte de l’urgence climatique. La plateforme rassemble 400 médias partenaires visant à mieux rendre compte des enjeux climatiques.
Figure 19 : The Guardian
6. L’état des lieux de l’opinion publique
Une enquête annuelle par sondage menée par l’ADEME en ligne sur « les représentations sociales du changement climatique » permet de s'interroger sur les évolutions de l'opinion publique à l'égard de l'effet de serre et du réchauffement climatique.
Figure 20 : l’opinion publique – exemple 1
Les questions portent sur les causes du changement climatique, les conséquences du changement climatique, les solutions pour réduire l'effet du changement climatique, les solutions globales pour réduire l'effet du changement climatique, l'engagement personnel pour réduire l'effet du changement climatique, l'adaptation aux changements climatiques et la transition énergétique. Ce baromètre rend compte d'une préoccupation toujours plus grande de la part des Français pour les sujets environnementaux. Mais d’une sous-estimation évidente de la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique.
Figure 21 : l’opinion publique – exemple 2
Des critères sociodémographiques et idéologiques sont avancés. L’on remarque que les pourcentages de "sceptiques" sont nettement plus élevés au-delà de 65 ans. Le statut social et le capital scolaire revêtent une importance. Le niveau universitaire scientifique se montre un peu plus sceptique que le reste de la population. C’est peut-être dû à l'effet Dunning-Kruger, aussi appelé effet de surconfiance.
Figure 22 : l’opinion publique – exemple 3
Centrons-nous pour terminer ce tour d’horizon sur l’enseignement.
7. La transition dans l’enseignement
Prenons le cas de l’étude de controverses socio-techniques en école d’ingénieurs, en l’occurrence à l’ENSIL-ENSCI de l’Université de Limoges, dans l’un de nos enseignements. L’objectif est ici d’aiguiser l’esprit critique et d’analyser des positionnements. La méthode a été initiée par Bruno Latour, autre grand influenceur scientifique, depuis les années 80 à l’École des Mines de Paris puis poursuivie à Sciences Politiques. Bruno Latour et Michel Callon ont inventé le concept de « controverse socio-technique ». Ce programme est diffusé dans de nombreuses écoles d’ingénieurs dans le monde et repris dans des cadres institutionnels divers.
Les questions à se poser pour traiter une controverse sont les suivantes : Quelle est la dimension polémique ? Sur quels aspects des avis divergent et des voix s’élèvent ? Quelle est l’origine du débat ? Quand est-il apparu ? Quels sont les acteurs/groupes concernés/parties prenantes en présence ? Quels sont leur position, leurs arguments ; leurs relations ; les intérêts des acteurs ? Quel sont les régimes de véridiction ? S’agit-il de croyances, faits, preuves expérimentales ? Quels régimes de justification, d’objectivation ? Comment se construisent les grilles d’interprétation collectives d’un problème public ? Comment les connaissances expertes ont été construites, légitimées, et sont-elles mobilisées ? Par qui ? Quels relais médiatiques ? Quelles sont les marques du traitement médiatique de la controverse ? Positionnement éditorial, choix des porte-parole, ressources considérées comme faisant autorité, etc. Quel est l’impact du dispositif médiatique sur la parole ? Le débat a-t-il évolué dans le temps ? Le nombre de sources a-t-il changé au cours du temps ? Pics ou creux dans la publication ? Les acteurs mobilisés évoluent-ils au cours du temps (en nombre, en légitimité, en visibilité, en postures, etc.) ?
Les sujets que nous proposons ont trait à des questionnements sociétaux. D’autres renvoient principalement à des interrogations scientifiques. D’autres encore interrogent plus précisément des aspects techniques et environnementaux. Ces différents paramètres et les enjeux s’y rapportant sont bien entendu étroitement corrélés.
Figure 23 : exemple de poster réalisé par les étudiants de l’ENSIL-ENSCI de Limoges
Ce genre d’initiative dans l’enseignement n’est pas esseulée. Des associations et collectifs d’enseignants se constituent pour favoriser les échanges de bonnes pratiques, et porter leurs messages. Citons par exemple : « Profs en transition » : https://profsentransition.com/ ; « Enseignants pour la planète » : https://enseignantspourlaplanete.com ; « Enseignants de la transition » : https://www.enseignantsdelatransition.org/ ; ou encore CLIMATSUP :
https://www.groupe-insa.fr/nos-actualites/shift-project-groupe-insa-lancent-climatsup-insa
Un guide de compétences DD&RS a d’ailleurs été réalisé en 2016 ; il s’agit d’une initiative de la Conférence des Grandes Écoles et de la Conférence des Présidents d’universités auxquelles se sont associés des acteurs du monde socio-économique (Medef, Pôle emploi, Apec, Ingénieurs sans frontières…), des acteurs de l’enseignement supérieur (Ministères, CTI, RéUniFEDD…) et des réseaux étudiants (Refedd, Animafac…).
Conclusion
Nous achevons cet état des lieux par une proposition de concept, celui des lunettes. Il nous paraît éclairant pour évaluer les actions concrètes annoncées dans les discours, bien qu’il mérite d’être approfondi et d’être mis en pratique.
Figure 28 : le concept des lunettes
- Note de bas de page 6 :
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https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/IPCC_AR6_WGII_SummaryForPolicymakers.pdf
pp. 22-23 - Note de bas de page 7 :
- Note de bas de page 8 :
Ce concept des lunettes se base sur le fait qu’actuellement notre monde est dans une situation dite problématique, sur le plan écologique. Or les citoyens ont une appréciation de plus en plus erronée de cette situation. Cette appréciation erronée engendre des actions de correction inappropriées qui occasionnent donc des conséquences dommageables. Il en résulte une aggravation de la situation. C’est ainsi que se construit un cercle vicieux systémique. Citons le 6ème rapport du GIEC Groupe 2 avec le schéma évoquant les mécanismes de l’action6 ou encore le rapport de l’ONU7 réalisé par l’organisme des risques UNDDR8 :
- Note de bas de page 9 :
Figure 29 : Rapport de l’ONU réalisé par l’organisme des risques UNDDR9
- Note de bas de page 10 :
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https://www.stockholmresilience.org/news--events/general-news/2021-04-27-annual-report-2020.html
Mentionnons également le rapport du Stockholm Resilience Center (2020) présentant les limites planétaires10.
Ce qui serait souhaitable, c’est de disposer d’une appréciation factuelle, éclairée ; c’est de mettre en œuvre des actions de correction appropriées qui débouchent sur des corrections efficientes pour que la situation s’améliore. Ce serait alors un cercle vertueux.
Mais comment passer de ce cercle vicieux à ce cercle vertueux ? Le pont entre les deux se fait entre la situation problématique et l’appréciation factuelle. Pour réaliser ce passage, cette transition, il est essentiel d’y greffer deux branches (ici celles des lunettes) permettant à la fois l’humilité et la remise en question et d’autre part la formation et la pensée critique. Cela constitue une manière de regarder le monde différemment. C’est une forme de transition d’un état à un autre état qui peut constituer un levier d’action. Soulignons dans ce cadre les actions de sensibilisation comme la Fresque du climat mais aussi les initiatives de « Parlons climat ».