Gianfranco Marrone, L’invenzione del testo. Una nuova critica della cultura, Roma-Bari, Ed. Laterza, 2010, 218 pages

Nanta Novello Paglianti

Université de Franche-Comté

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Mots-clés : société, socio-sémiotique, texte

Auteurs cités : Jacques DERRIDA, Umberto ECO, Jacques FONTANILLE, Algirdas J. GREIMAS, François RASTIER, Paul RICOEUR

Texte intégral

Le livre de Gianfranco Marrone porte un titre qui donne à penser au lecteur et en particulier au sémioticien, normalement habitué à travailler sur les textes.

D’abord nous allons nous concentrer sur la première partie du titre : « L’invention du texte ».

Si le travail de maniement du texte et d’analyse sémiotique sont-ils amplement diffusés, depuis quelque temps nous assistons à une application mécanique et « vide » de la théorie sémiotique greimassienne. Une grille d’analyse assez homogène qui met sur le même plan les textes les plus divers et qui réduit la richesse de l’apport structuraliste à une simple opposition binaire. D’où la nécessité de revenir sur la notion du texte même déjà longuement exploitée, sur ses origines et ses apports différents. L’auteur reprend d’un point de vue historique la définition du texte. Il ne s’agit pas d’une répétition des contributions théoriques principales qui ont enrichi ce concept à partir de la philologie à la linguistique en passant par l’herméneutique et l’esthétique. En revanche, la volonté de l’auteur est celle de reprendre les notions-clés des différentes approches qui ont structuré la conception actuelle du texte. L’importance est d’interroger ces définitions du texte pour montrer leur dérivation, leur richesse et pour redécouvrir leur pouvoir d’explication. Par exemple, les différentes contributions d’Umberto Eco pour ce qui concerne les notions d’encyclopédie et d’interprétation ou la notion de genre pour François Rastier, sont rappelées ici pour leur contribution à une définition du texte qui prend en compte sa construction culturelle et sociale.

Toutefois, Gianfranco Marrone reprend la contribution de Algirdas Julien Greimas et surtout de sa méthode rappelant que le texte est aussi un découpage que le sémioticien fait du réel et pas simplement un constat d’une réalité déjà donnée. Des structures narratives à celles discursives, l’auteur souligne l’importance de la construction du parcours de la signification, de la volonté de suivre « le fil du sens » dans tous ses déroulements jusqu’à l’énonciation. C’est l’attention attribuée au plan de l’expression, à « la porte d’entrée » des textes qui clarifie le contenu culturel, la source de provenance d’un texte.

Note de bas de page 1 :

 Jacques Fontanille, « Textes, objets, situations et formes de vie », Les niveaux de pertinence du plan de l’expression dans une sémiotique des cultures », in Transversalité du Sens, Denis Bertrand & Michel Costantini, dir., Paris, P.U.V, 2005.

Note de bas de page 2 :

 Gianfranco Marrone, L’invenzione del testo, idem, p. 26.

La nécessité aujourd’hui de ce retour aux sources, à  l’objet même de la sémiotique naît de différentes préoccupations. D’une part, l’évolution du paradigme sémiotique actuel qui a été créé depuis quelque temps en France par Jacques Fontanille (20051) : la sortie du texte en sens strict du terme pour se consacrer aux niveaux de pertinence du plan de l’expression et donc aux liens entre texte, objets, pratiques, situations et plus en général la sphère lotmanienne de la culture. Cette ouverture aux autres textes et surtout cette attention aux contextes, aux inter-textes et au social s’étaient déjà manifestées dans le panorama italien grâce aussi au côtoiement continu entre sémiotique et sciences sociales. Cette fréquentation n’a par contre jamais porté à un vrai dialogue et même à confusion et au chevauchement disciplinaire. A ce propos, Gianfranco Marrone rappelle d’une façon très pertinente, la fameuse phrase de Derrida : « il n’y a pas de hors-texte » qui ne doit pas être interprétée comme une volonté de détacher le texte de ses conditions de production mais au contraire de l’impossibilité de sortir de la textualité qui entoure et construit l’objet texte. La signification humaine et sociale assume la forme textuelle comme sa manifestation naturelle2. Le texte devient aussi un tissage qui contient à son intérieur ses conditions de production et d’énonciation extérieures.

Une autre préoccupation actuelle est la manifestation de textes toujours plus stratifiés, bâtis au croisement de différents supports, pas vraiment « fermés » et détachables de leur péri-texte. Par exemple, le phénomène toujours plus actuel de remake télévisuel, cinématographique ou les renvois inter-textuels qui construisent continûment d’autres textes, font émerger la nécessité de la sémiotique pour la construction et la compréhension du texte dont le sens commun lui attribue les plus diverses acceptions.

Note de bas de page 3 :

 Gianfranco Marrone, L’invenzione del testo, idem, p. VII, traduction personnelle.

Note de bas de page 4 :

 Gianfranco Marrone, L’invenzione del testo, idem, p. 6, traduction personnelle.

Pour revenir à nos propos, le sous-titre du livre de Gianfranco Marrone : « Une nouvelle critique de la culture » illustre parfaitement son titre. L’auteur clarifie la théorie du signe et de  la signification pour pouvoir, parmi les différentes épistémologies, bâtir une critique de la culture, fondée sur un « désir de compréhension des choses qui passe à travers une explication préliminaire et rigoureuse3 ». L’ouverture d’un texte aux autres textes et à leur nature sociale d’échange, de circulation, d’appropriation et donc d’usage est possible grâce à une théorie sémiotique sûre de ses fondements et de son avenir. L’auteur le précise dès son introduction d’une façon remarquable : « D’une part, le texte est un modèle d’investigation employé pour examiner et interpréter une réalité culturelle précise. De l’autre, les réalités culturelles prennent leur sens en tant que formes textuelles, grilles sémiotiques, configurations du sens construisant des sujets, des objets, des corps et des interactions4 ». Ces lignes mettent le lecteur face à l’importance de la sémiotique comme discipline qui s’occupe dès sa naissance du social  (socio-sémiotique) et plus en général de la culture conçue comme partie intégrante de la sémiosphère. L’attention aux sciences sociales et à leur capacité de traiter l’action sensée et le social comme manifestations textuelles sont au centre des préoccupations de l’auteur qui rend hommage à Paul Ricoeur et à ses précieux apports aux sciences humaines et sociales. D’où l’ouverture disciplinaire à l’anthropologie classique et interprétative dont la sémiotique partage une partie de ses intérêts.

Note de bas de page 5 :

 L’auteur a  toujours cultivé un dialogue avec les contributions les  plus récentes de Jacques Fontanille et Eric Landowski qui ont entamé, malgré toutes leurs différences,  une prise en compte de l’environnement social.

Enfin, la seconde partie du livre est consacrée à une série d’études pratiques, à une application des théories sémiotiques énoncées auparavant. C’est justement à ce niveau concret que le réel est interrogé en tant que texte dans ses manifestations et dans ses configurations sociales5.

Note de bas de page 6 :

 Nous renvoyons au livre de Gianfranco Marrone Corpi sociali. Processi comunicativi e semiotica del testo, Einaudi, 2001, dédié à l’espace social et à son utilisation.

Note de bas de page 7 :

 Nous rappelons  à ce propos le livre de Gianfranco Marrone : Le traitement Ludovico. Corps et musique dans Orange mécanique, Pulim, Limoges, 2006.  Nous soulignons en particulier le premier chapitre qui approfondit le traitement sémiotique du corps « Le sens du corps », pp. 11-23.

Les exemples sont très parlants et cohérents, considéré l’intérêt que Gianfranco Marrone a toujours porté pour les textes et pour leur consommation sociale6. D’une part, nous retrouvons un dialogue « littéraire » entre textes comme la mise en parallèle entre « Les aventures de Pinocchio » et la version de Giorgio Manganelli (chap. 3) ; de l’autre, nous assistons à la création des parcours textuels entre les objets et leur environnement (chap. 5 et 6), entre médias et genres textuels (chap. 3 et 4), entre le corps et ses expériences ou mieux entre le corps et ses vécus (chap. 7)7. L’auteur se soucie d’expliciter la nature sociale des objets, des médias et de leurs pratiques en montrant leur âme textuelle jusqu’arriver à ce grand texte incarné qui est le corps et son ressenti. Ces exemples illustrent les rapports enchevêtrés entre les textes et  le social, ils montrent la nécessité de ces allers-retours continus qui construisent un environnement de dialogue, de consommation et de pratique.

Ce propos est d’une grande actualité pour la sémiotique contemporaine qui avait besoin de revisiter ses fondements pour avancer vers une socio-sémiotique qui ne soit pas une simple ouverture au social mais une prise en compte substantielle et fondatrice.

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