Le rôle du Parquet National Anti-Terroriste The Role of the National Counter-Terrorism Prosecutor’s Office

François Molins 

https://doi.org/10.25965/confdhmp.100

Le terrorisme place les démocraties face à un dilemme quant à la forme de réponse qui apparaît la plus appropriée. Cette forme de criminalité, dont les conséquences ont pour but d’atteindre les fondements mêmes du contrat social sur lesquels repose la paix publique, conduit en effet à se demander si face à une telle attaque, les principes de Droit et de Justice peuvent être maintenus.

Terrorism presents democracies with a dilemma: what form of response appears most appropriate. This form of crime, the consequences of which aim to reach the very foundations of the social contract on which public peace is based, indeed leads one to wonder whether in the face of such an attack, the principles of Law and Justice can be maintained.

Texte intégral

Nos démocraties doivent donc trouver un juste équilibre dans ce double impératif catégorique : garantir la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales et combattre le terrorisme avec efficacité. Comme l’écrivait Jean-Jacques Rousseau dans le contrat social, « tout État libre où les grandes crises n’ont pas été prévues est à chaque orage en danger de péril. Il ajoutait, et c’est sans doute toujours vrai,… » en pareil cas, la volonté générale n’est pas douteuse, et il est évident, que la première intention du peuple est que l’État ne périsse pas ». Personne ne peut consentir à la victoire des organisations terroristes et notamment de l’EI qui vise à substituer la charia à la démocratie. Mais personne ne peut consentir non plus à la mise en péril de nos libertés.

Concrètement, la question revient à se demander quel doit être l’axe de la lutte, s’il doit relever des seuls services secrets, être militaire ou judiciaire et, dans ce dernier cas, si la Justice devant laquelle devront comparaître les terroristes doit être la même que celle des autres criminels, ou si au contraire leurs actes sont tels, que cette Justice doit être spéciale. Ce débat est récurrent. Le monde entier a ainsi suivi celui qui s’est tenu aux États-Unis après la perpétration des plus graves attentats jamais commis en Occident, sur le cadre à donner à la détention des membres d’Al Qaeda, détention militaire ou judiciaire et sur les juges qui seraient éventuellement compétents. En France aussi, le débat qui semble aujourd’hui clos a eu lieu et c’est la voie de la Justice fondée sur le respect des droits de la défense et des conventions internationales, et plus particulièrement de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui a été choisie.

Je ne vais pas vous dresser une histoire de la Justice française, mais je crois nécessaire de vous exposer quelles ont été les dernières grandes étapes qui ont conduit à la voie suivie depuis 37 ans maintenant et qui a su se maintenir malgré les attaques terroristes parmi les plus violentes commises sur notre territoire, parce qu’elle permet d’allier principes et efficacité. En 1961, le choix fait par la France dans le contexte de la guerre d’Algérie, est celui de la Justice d’exception. Symbolisée par la Cour de Sûreté de l’État, cette Justice était spéciale du régime de l’enquête au jugement, lequel était rendu par un collège de magistrats et de militaires. La suppression de cette juridiction, très contestée dans son principe même et parfois présentée comme un symbole de l’arbitraire, fut en juillet 1981 l’une des premières décisions de François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République. Il n’existait plus alors en France de juridiction spécifiquement en charge de la lutte contre le terrorisme. Mais notre pays allait connaître une période douloureuse, le début des années 80 étant marqué par des séries d’actes terroristes frappant Paris. En effet, si l’on observe le bilan terroriste d’une année comme 1983, on peut voir que pas un mois ne s’écoulait sans que des assassinats et attentats soit commis : terrorisme palestinien avec les actes du FPLP par exemple, terrorisme que je pourrais qualifier de mercenaire avec les actes de Carlos, terrorisme dit d’État soutenu par la Libye, l’Iran ou la Syrie, terrorisme d’extrême-gauche, avec Action directe.

Pour répondre à ces attaques et se doter d’instruments de lutte dont l’efficacité ne devait pas venir s’opposer à ses principes, la France a en 1986 fait le choix très clair de placer la Justice au cœur de son action : la Justice devait disposer des moyens de faire arrêter les terroristes dans le cadre d’une procédure pénale efficace et de les traduire devant des juges. Dans ce même temps, c’est le choix d’une justice spécialisée et non spéciale qui était fait. Cette dernière distinction est fondamentale : la Justice spéciale est une justice ad’hoc qui dispose de ses règles propres. La Justice spécialisée est celle rendue par des magistrats dont le statut est identique à celui de leurs collègues, placés dans le même ordre, et qui fondent leurs décisions sur les mêmes principes. Mais spécialisé implique des acteurs dont les connaissances et les moyens permettent de répondre à une criminalité hors norme.

En France, le dispositif judiciaire antiterroriste s’est construit un peu à l’envers pourrais-je dire. Le législateur n’est en effet pas parti d’infractions spécifiques pour le traitement desquelles on aurait défini un cadre de compétence et de moyens, comme cela s’est fait en matière de criminalité organisée ou pour la délinquance financière. Au contraire, en 1986, on a commencé par construire un cadre procédural, la compétence centralisée parisienne et certains pouvoirs dérogatoires, qui s’appliqueraient à des infractions identifiées lorsqu’elles ont été commises avec un dol spécial, le terrorisme, qui est lui-même défini dans le code de procédure pénale. L’acte terroriste n’était donc qu’un critère permanent permettant de recourir à un système procédural dérogatoire. Ce n’est qu’avec le nouveau code pénal de 1992 qu’a été créée une catégorie juridique autonome : sont alors apparues les infractions terroristes, d’abord sous l’angle de la circonstance aggravante terroriste puis à partir de 1996, sous l’angle du droit pénal spécial avec l’association de malfaiteurs terroriste. Le droit antiterroriste, à la différence du droit pénal commun, s’est donc construit comme dérogatoire, comme extraordinaire au sens premier du terme.

La création de régimes dérogatoires répond toujours à deux objectifs : une meilleure efficience, grâce à des magistrats spécialisés, des services d’investigation dédiés et bons connaisseurs des subtilités, de la technicité et des enjeux de la matière, et une meilleure efficacité grâce à une répression plus sévère. Tous ces régimes dérogatoires reposent sur le même principe : pas de juridiction spéciale, mais des juridictions spécialisées. Cette distinction est fondamentale car elle marque la volonté constante du législateur d’inscrire la recherche d’efficacité que j’évoquais dans l’État de droit. Le choix fait par le législateur en France en 1986, qui alors n’allait pas de soi, est donc devenu norme et c’est ce choix qui nous permet aujourd’hui de bénéficier d’une législation particulièrement aboutie. L’anti-terrorisme, contrairement à l’appréhension que beaucoup en ont, a ainsi été novateur dans une construction juridique particulièrement originale en 1986 dont l’objectif était de garantir qu’il serait traité dans l’État de droit, car par l’autorité judiciaire. La mise en œuvre de ce mécanisme montre que l’on peut combiner spécialisation, efficacité et respect des droits.

Le principe de la spécialisation est en effet celui de l’adaptation des normes de droit commun pour lequel des moyens spécifiques sont nécessaires. Cette adaptation implique que ce sont les mêmes magistrats qui sont en charge de ces domaines que ceux chargés du droit commun, nommés selon les mêmes critères et selon le même processus ; ce sont les mêmes droits qui sont ouverts à la défense, à la fois dans le suivi de la construction d’un dossier, que dans la possibilité d’en contester la qualité juridique ou de fond ; ce sont les mêmes juges qui décident ou non de la culpabilité et selon les mêmes critères qu’en droit commun. On peut tout discuter de ces affirmations, mais les faits sont là : la contestation par les individus mis en cause dans la procédure dite de Tarnac de la nature terroriste des faits qui leur sont reprochés a conduit à ce qu’ils aient gain de cause devant la cour de cassation sur la qualification terroriste puis qu’ils soient relaxés devant le tribunal correctionnel. La seule juridiction spéciale qui existe encore, c’est la cour d’assises spécialement composée de quatre assesseurs professionnels en première instance et six en instance d’appel : elle est davantage que spécialisée puisque sa composition est, elle-même, dérogatoire. Vous savez que son origine est antérieure à la loi de 1986 sur le terrorisme puisque c’est en 1982 que les cours d’assises spéciales ont été instaurées afin de contrer la défection de jurés qui, menacés lors d’un procès d’Action directe, ne se présentaient plus et bloquaient ainsi le cours de la justice. Cette cour juge selon les règles du droit commun des assises. Sa spécialité repose en réalité sur le simple constat qu’on ne peut demander à des citoyens tirés au sort de risquer leur vie pour rendre la justice. L’objectif n’a jamais été de créer une juridiction adaptée pour obtenir une répression accrue. Cette spécialité ne peut donc être perçue comme contraire aux principes de l’État de droit. L’antiterrorisme ne se fait pas dans l’ombre. Ainsi, le processus judiciaire, par définition n’est pas masqué : la défense et les parties civiles ont le même accès à la procédure que celui qui existe en droit commun et les procès sont publics.

Le législateur français a centralisé à Paris la lutte contre le terrorisme. Ce principe de la centralisation conduit avant tout à s’interroger sur ce qu’est, juridiquement le terrorisme. De façon paradoxale, c’est d’abord de façon négative que le droit français a envisagé l’acte terroriste : il ne peut en aucun cas, constituer une infraction politique. Ce choix s’explique comme une suite logique mais aussi pour le besoin de la coopération internationale. En effet, seule une dépolitisation de l’infraction terroriste permettait de faire tomber son auteur sous le coup d’une décision d’extradition. La définition française de l’acte terroriste est donc une définition juridique et non politique. Juridiquement, tel que présenté dans le Code pénal, le terrorisme est une circonstance aggravante, c’est à dire un élément matériel ou moral qui lorsqu’il existe en sus des éléments constitutifs de l’infraction aggrave la sanction prévue pour un crime ou un délit. L’article 421-1 du Code pénal dispose ainsi que « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur les infractions suivantes… » et s’en suit une liste d’infractions.

La définition retenue en France du terrorisme n’est donc pas une définition politique mais une définition renvoyant au seul mobile objectif de la commission : troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. À la suite de cette définition, le Code liste donc des infractions de droit commun qui constituées avec la circonstance aggravante de terrorisme, deviennent terroristes. Les conséquences pénales de l’aggravation sont l’alourdissement des peines encourues. Confrontée au terrorisme dans toutes ses formes (terrorisme révolutionnaire d’action directe, terrorisme séparatisme basque ou corse et terrorisme des organisations clandestines issues du Moyen-Orient), la France n’a cessé de développer son dispositif législatif et aujourd’hui, la législation française figure parmi les plus abouties dans ce domaine.

J’évoquais le droit pénal de fond. Il permet de poursuivre et sanctionner les auteurs d’actes terroristes tentés ou consommés. Mais il va plus loin ; Plus encore que de s’assurer leur répression, l’objectif du législateur est d’empêcher que l’entreprise terroriste n’atteigne son but. Il a donc choisi d’ériger en infraction terroristes les agissements situés très en amont dans le processus criminel afin d’interrompre celui-ci avant le passage à l’acte. La législation terroriste est donc une sorte de « filet répressif » qui permet de saisir l’ensemble des agissements annonçant, préparant, soutenant et consommant l’attentat terroriste. La répression des actes précurseurs est assurée par l’incrimination d’association de malfaiteurs terroristes (aujourd’hui construction à trois étages). Le champ de cette incrimination est très large et a vocation à saisir la participation à toute entente établie en vue de commettre l’un quelconque des actes de terrorisme, sans distinction selon que cet acte constitue une action terroriste ou n’en constitue que le soutien. En outre, la caractérisation du groupement ou de l’entente formée n’est pas subordonnée à la détermination précise des infractions projetées. L’entente est punissable dès lors qu’il est établi qu’elle tend à la commission d’infractions terroristes sans qu’il soit besoin de les individualiser, ni de les préciser. Cette infraction est donc visée systématiquement dans toutes les affaires et son utilisation a permis nombre d’enquêtes qui ont évité la commission d’attentats. Cette incrimination est très large mais pour autant, elle n’autorise pas tout. La frontière entre la violence terroriste et d’autres formes de violences doit être tracée aussi clairement que possible et ne peuvent être regardées comme terroristes les infractions qui ne s’inscrivent pas dans une entreprise dont l’objet serait de créer un climat de terreur.

On peut tenter d’établir une comparaison entre la définition française du terrorisme et les définitions européennes. Dans son article 1er, la décision cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme et élaborée au sein de l’UE définit les infractions terroristes comme des infractions de droit commun présentant toutes un haut degré de gravité qui, « par leur nature, leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur qui les commet dans le but de gravement intimider une population ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ». C’est une définition assez proche que l’on trouve dans la convention de Varsovie pour la prévention du terrorisme du 16 mai 2005 élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe. Même si le mot « terreur » ne figure pas dans ces définitions, et même si le texte français est conçu en termes plus généraux, l’inspiration est identique et, sous des termes différents, les uns et les autres décrivent une même réalité. Plus notable est la différence tenant à ce que les définitions européennes semblent davantage faire reposer la définition de l’acte terroriste sur son élément intentionnel. En effet, le trouble à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur qui, dans le texte français constitue le but de l’entreprise terroriste en relation avec laquelle l’auteur de l’acte doit avoir agi, constitue dans le texte européen le but de l’auteur de l’acte lui-même. Au fond, la définition européenne est moins globale que la nôtre mais cette différence est sans grande conséquence.

Je voudrais en venir, dans un second temps et beaucoup plus rapidement, aux procès récents que j’ai connus à un double titre : comme procureur de Paris, puis comme témoin dans tous les sens du terme pour V13 et Nice. Je voudrais d’abord rappeler quels étaient, en cas d’attentat, nos compétences au parquet de Paris : les victimes, la médecine légale, la coopération internationale en matière pénale et la communication, outre bien sûr nos compétences premières qui étaient les suivantes :

  • Qualifier les faits de terroristes ou pas

  • Choisir les services d’enquête et s’il y en a plusieurs, choisir un service coordinateur

  • Activer ou pas la cellule de crise CCC 1

  • Diriger l’enquête et la sécuriser juridiquement dans tous ses actes procéduraux

  • Lancer la coopération internationale.

Je dirai quelques mots du sens de la communication qui a été la nôtre : reprendre la main, expliquer les faits, les nommer, les rendre intelligibles et imputables, les qualifier pénalement, et donner un bilan victimaire exact et objectif, dans la pleine dimension de son métier de magistrat, en respectant les principes de la présomption d’innocence, de la protection des investigations en cours et à venir et en respectant la dignité des victimes et en faisant preuve d’empathie à leur égard. Je me suis donc naturellement livré à cet exercice tant il m’apparaissait légitime et naturel. Légitime car il répondait à un besoin de nos concitoyens de savoir ce qui s’était réellement passé. Naturel car il permettait de rassurer les gens. Cet aspect, nous ne l’avons pas perçu immédiatement mais, on nous l’a dit et nous avons très vite compris que la communication que nous organisions contribuait à rassurer nos concitoyens, à « gérer les peurs » et que dans ce contexte, seule, l’institution judiciaire était en mesure d’avoir une parole objective et respectée. Nous l’avons donc intégré dans notre fonctionnement, ce qui nous a amené d’une part à communiquer régulièrement après chaque attentat ou tentative d’attentat, mais aussi à proscrire de notre communication toute recherche de sensationnel, ce qui a pu parfois aller jusqu’à éviter de rendre public certains éléments ou détails qui n’auraient rien apporté de plus à l’information du public et qui, au contraire, auraient pu contribuer à aggraver l’angoisse et la peur de nos concitoyens. Je pense, avec le recul, que cet exercice était indispensable et qu’il a pu contribuer à renforcer la confiance du public dans la justice et ainsi à renforcer la démocratie.

J’en terminerai avec ce qui va être au cœur de ce colloque : les procès exceptionnels qui se sont déroulés ces derniers mois : Charlie Hebdo/Hypercacher, Vendredi 13 et attentat de Nice. Pour bien apprécier les enjeux de ces trois procès il faut, je crois, revenir à la stratégie qui était celle des organisations terroristes islamistes et qui ont été théorisées par Abou Moussad Al Souri sous le nom de 3ème djihad. Il s’agit d’une stratégie d’attaques décentralisées en Occident par des cellules placées sous un commandement central. Le but était de déclencher une guerre civile en créant des divisions irrémédiables entre la population et les minorités musulmanes. De ce point de vue, la réponse contre ces actes terroristes s’est inscrite dans l’État de droit et notre démocratie a lutté avec ses propres armes, celles de l’État de droit. Des procès se sont tenus dans le strict respect des principes du procès équitable et donc des droits de la défense. Il est d’ailleurs notable qu’au cours de ces procès il n’y ait pas eu de défense de rupture de la part des accusés comme on a pu le voir souvent dans d’autres procès terroristes. En effet, c’est une constante, le terrorisme est toujours vecteur d’une certaine idéologie, d’un message politique, philosophique, religieux ou identitaire. Pour que le message porte et que l’objectif puisse être atteint, le terroriste veut susciter un sentiment de peur et de terreur au sein des populations : dans ces procès, les accusés ont accepté de s’expliquer sans remettre en cause la pertinence et la légitimité de la Justice.

Pour reprendre l’expression d’Antoine Garapon, la Justice est le lieu matriciel de la démocratie et la France a montré qu’elle était une démocratie judiciaire. Il n’y a eu ni intervention ni instrumentalisation du politique et le procès a transcendé tous les clivages politiques. Ceci renvoie à la mission de la Justice qui est de parvenir à la manifestation de la vérité. À travers l’enquête dirigée par le procureur de la République et la procédure d’instruction conduite par le juge d’instruction, puis à travers l’audience puis le verdict, la Justice conduit sa mission institutionnelle contre le désir de vengeance. La qualification pénale s’oppose à l’offense, et l’office du juge et la peine qui sera prononcée s’opposent à la vengeance privée. Par sa recherche permanente de la manifestation de la vérité, l’enquête va permettre d’établir le déroulement des faits, de rassembler les preuves et les indices et d’identifier et de nommer les terroristes auteurs de ces attentats puis de déterminer la culpabilité et la peine. Comme l’écrit justement Denis Salas dans son ouvrage « la foule innocente », ceci permet à la force publique, à la justice, de saisir l’auteur en mettant la main sur lui, et ainsi « d’emporter la violence hors de la cité ».

D’aucuns ont mis en cause la sévérité des verdicts en évoquant une politique pénale qui s’institutionnaliserait autour des procès terroristes dits historiques et qui irait dans le sens d’une sévérité toujours plus grande au détriment du principe de l’individualisation des peines. Je crois que sur ce point il ne faut pas confondre les choses. Ce n’est pas parce que la Cour a suivi, voire parfois dépassé, les réquisitions du ministère public qu’on peut parler d’institutionnalisation de la politique pénale. La politique pénale s’arrête à la porte des audiences. L’office du juge est individuel. Il consiste à vérifier les faits reprochés et à déclarer une personne non coupable ou coupable et dans ce cas à fixer la peine selon une logique d’individualisation. La Justice est peut-être sévère mais cette sévérité est-elle illogique au regard de la gravité extrême des faits commis ? Je ne le crois pas s’agissant de tueries de masse.

Ces procès ont aussi parfaitement répondu aux autres enjeux qui leur était posé. Le premier était celui de l’organisation. Aucun pays (sauf peut-être les Espagnols avec le procès d’Atocha mais il a duré moins longtemps que V13) n’avait organisé de tels procès. Ce faisant, la Justice française a démontré que, dès lors qu’elle avait les moyens nécessaires, elle était capable de bien s’organiser et de relever les plus grands défis.

Le second était celui du déroulement du procès. Je crois, sur ce plan, que la qualité des acteurs judiciaires, magistrats et avocats, la modification de l’ordre des questions, avec l’intervention du ministère public qui posait les questions en premier, ont beaucoup contribué à la qualité des débats.

Le troisième concernait les victimes. Il s’agissait de permettre aux victimes de s’exprimer, de raconter leur vécu personnel de l’attentat, pour mieux se libérer de leurs peurs, de leurs angoisses, de leurs traumatismes et donc, de les aider à amorcer ou parachever leur travail de reconstruction.

Le dernier est relatif à la mémoire collective que doit permettre à mon sens, tant le déroulement des débats que leur enregistrement. L’État a en effet une responsabilité : construire et organiser le travail de mémoires de tueries de masse que nous avons vécu, en l’ordonnant et en l’intégrant dans l’identité de la nation, en répondant à la nécessité de témoigner pour rappeler ce qui fait notre dignité et notre humanité. Ce travail sera poursuivi avec la prochaine construction du musée mémoriel du terrorisme.