Dans les coulisses des archives audiovisuelles de la Justice : les procès indignes d’être filmés Behind the scenes of the audiovisual archives of Justice. Trials unworthy of being filmed

Martine Sim Blima Baru 

https://doi.org/10.25965/confdhmp.116

23 procès ont fait l’objet d’en enregistrement en tant qu’archives historiques dans le cadre de la loi Badinter du 11 juillet 1985. Mais six autres dossiers portent sur des affaires dont la demande d’enregistrement a reçu un avis défavorable. Leur nombre est assez restreint, mais finalement proportionnel à celui des procès qui eux ont eu un avis favorable. En s’y intéressant, on peut observer quelle mémoire aurait été laissée si ces six procès avaient été enregistrés avec ceux qui sont maintenant conservés à titre de traces historiques aux Archives nationales.

23 trials were subject to registration as historical archives within the framework of the Badinter law of July 11, 1985. But six other files relate to cases for which the request for registration received an unfavorable opinion. Their number is quite small, but ultimately proportional to that of the trials which received a favorable opinion. By looking at it, we can observe what memory would have been left if these six trials had been recorded with those which are now preserved as historical traces in the National Archives.

Sommaire
Texte intégral

La loi du 11 juillet 1985 relative à la création d’archives audiovisuelles de la Justice est le reflet de la volonté de Robert Badinter de constituer une mémoire de la Justice à travers la conservation de l’enregistrement de procès dans leur intégralité, procès au pénal, au civil ou administratif et à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire.

Note de bas de page 1 :

Décret n° 2013-420 du 23 mai 2013, portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif et modifiant le décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif

38 ans plus tard, seuls les procès aux assises, un seul ayant été filmé au sein d’un tribunal correctionnel, ont fait l’objet d’un enregistrement d’archives historiques. Au mois de juin 2023, ils sont au nombre de 23 et ont tous un caractère exceptionnel : trois d’entre eux ont jugé les derniers grands responsables de la Shoah en France encore vivants à la fin des années 1980 et dans les années 1990 (Klaus Barbie 1987, Paul Touvier 1994, Maurice Papon 1997-1998), deux portaient sur des scandales sanitaire ou industriel (Sang contaminé 1992-1993, AZF 2009, 2011-2012, 2018), un sur un révisionniste (Faurisson contre Badinter, 2007), un sur la dictature chilienne (14 Chiliens, 2010), un procès symbolique d’action en réparation contre l’État français (Fait d’esclavage et de colonialisme, 2021), un de crime contre l’humanité au Libéria (Kamara 2022), cinq de crimes contre l’humanité du génocide des Tutsis au Rwanda (Simbikangwa 2014, 2016 ; Ngenzi et Barahira 2016, 2018 ; Muhayimana 2021, appel en attente ; Bucyibaruta 2022, appel en attente ; Manier 2023, appel en attente), trois sur les attentats terroristes de 2015-2016 (janvier 2015 en 2020, 2022, pourvoi en cassation en attente ; 13 novembre 2015 en 2021-2022 ; Nice en 2022, appel en attente). On le voit, la poursuite judiciaire des crimes contre l’humanité et contre les génocides domine très nettement. On peut regretter que des procès plus « ordinaires » n’aient pas fait l’objet d’une décision d’enregistrement. En termes de mémoire des faits jugés, ils auraient pu apporter des matériaux pour l’historien et témoigner de l’exercice de la justice en France au XXe et XXIe siècle. Pourtant, et bien que sans images et sans son, cette justice moins extraordinaire n’est pas complètement absente des fonds d’archives. En effet, les 23 procès ont été enregistrés parce que, selon la procédure prévue par la loi de 1985 et reprise dans le code du patrimoine en 2004, une requête aux fins d’enregistrement a été déposée et une décision favorable rendue. Ainsi entre 1985 et 20131, le premier président de la cour d’appel qui adopte les ordonnances autorisant l’enregistrement des archives audiovisuelles de la Justice, s’appuie sur l’avis d’une commission consultative des archives audiovisuelles, chargée d’examiner préalablement ces dossiers. Dans ses archives conservées aux Archives nationales, on y trouve bien sûr les dossiers des procès qui ont été filmés dans cet intervalle de dates, mais également six autres dossiers portant sur des affaires dont la demande d’enregistrement a reçu un avis défavorable. Le nombre est assez restreint, mais finalement proportionnel à celui des procès qui eux ont eu un avis favorable durant cette période. En s’y intéressant, on peut observer quelle mémoire aurait été laissée si ces six procès avaient été enregistrés avec ceux qui sont maintenant conservés à titre de traces historiques.

La position de la commission consultative des archives audiovisuelles (1987-2013) : les affaires écartées

La commission consultative des archives audiovisuelles de la Justice aura à instruire douze dossiers ayant fait l’objet d’une demande d’enregistrement. Six reçoivent un avis défavorable, six un avis favorable et seront bien filmés. Avant même que ne commence le premier procès enregistré au titre des archives audiovisuelles de la Justice le 11 mai 1987, quand la cour d’assises du Rhône s’ouvre sur le procès de Klaus Barbie, une première demande est déposée le 3 septembre 1986. Cinq autres suivront entre 1990 et 2008 qui seront rejetées.

Ces affaires écartées des caméras portent chacune sur des faits très différents. La première demande déposée en 1986 est celle d’un juriste qui attaque des journalistes dont le traitement de la campagne électorale de 1988 l’a abusé, l’amenant à faire un vote sous influence dont il conteste la validité. La deuxième demande, en 1990, porte sur un procès de droit commun pour assassinat et usage de faux en écriture. La troisième, présentée en 1993, concerne également un procès de droit commun sur des accusations de viol et d’homicide volontaire. Neuf ans plus tard, en 2004, c’est « enregistrement du procès d’un médecin accusé d’atteinte d’ordre sexuel sur certains de ses patients, qui est refusé. Suit en 2005, la requête pour obtenir l’enregistrement d’un procès contre une auteure accusée de diffamation contre des magistrats. Enfin, la dernière affaire, refusée en 2008, concerne un vol à main armée et séquestration de personnes.

À première vue on a bien six procès que la loi de Robert Badinter aurait pu désigner comme pouvant être enregistrés. Cependant, la commission n’apprécie pas les faits jugés d’un point de vue judiciaire, le possible enregistrement des procès doit également réunir une qualité supplémentaire, celle permettant de les qualifier d’archives « historiques ». La commission ne statue pas sur la qualité judiciaire des dossiers, refusant ainsi de mettre en place une hiérarchie des faits. Son avis se maintient au niveau d’une subtile analyse de la procédure judiciaire pour estimer son caractère particulièrement historique. Cet exercice est reproduit pour toutes les affaires qui lui sont soumises. La commission souligne ainsi que la décision à l’issue du procès contre les journalistes, sera en elle-même suffisamment éclairante pour les historiens, sans qu’il y ait besoin d’en filmer les débats préalables. Le cas du procès de droit commun de 1990 n’est pas susceptible, pour la commission, d’illustrer l’état de la justice de cette époque ni de traduire une étape significative de l’évolution des pratiques judiciaires. L’avis sur l’autre procès de droit commun de 1993 est rendu alors que le procès vient de commencer : la requête déposée met en avant que les débats en cours révèlent une situation intéressante et non prévisible avant l’ouverture du procès. La commission ne se prononce pas sur le fond, mais uniquement sur le fait que le caractère de révélation de ce début d’audience n’est pas avéré, que la demande aurait pu ainsi être formulée avant le début du procès, rejetant la demande sur la forme. Les débats dans l’affaire du médecin sont eux également regardés comme tout à faire ordinaires et sans caractère historique avéré, pas plus que les débats autour d’une accusation en diffamation. Quant à la dernière affaire, elle fait l’objet d’un refus d’enregistrement, la demande formulée portant sur la constitution d’archives sonores étant perçue comme détournant la finalité de la loi de 1985, la captation dans cette affaire étant vue comme une instrumentalisation par les parties afin de le transformer en preuve.

Les raisons des refus : notions d’intérêt, d’exceptionnalité et de particularisme

Note de bas de page 2 :

Le code du patrimoine est divisé en 7 livres, le livre II est consacré aux Archives. De la situation initiale entre la loi sur les archives du 13 janvier 1979 préexistante à la loi sur les archives audiovisuelles de la Justice du 11 juillet 1985, la division reste maintenue entre d’une part un titre 1 sur le régime général des archives dont les archives audiovisuelles de la Justice sont exclues pour être considérées de façon indépendante dans le titre II qui lui est uniquement consacré.

Les arguments mis en avant pour rejeter l’enregistrement d’archives audiovisuelles de ces six affaires introduisent une confusion entre le caractère historique des archives produites sur ces procès et l’exceptionnalité supposée des débats judiciaires de ceux filmés. La loi du 11 juillet 1985 en désignant les enregistrements comme devant constituer des archives historiques, sans en expliciter le sens, pouvait en effet être porteuse d’un biais de lecture, qui reste encore le filtre d’interprétation à partir duquel les captations sont toujours vues. La transposition de la loi dans le code du patrimoine l’intègre dans le corpus des autres archives au sein du même livre « Archives », mais s’agissant d’une transposition en droit constant, le code n’apporte pas un supplément de sens en leur faveur2.

Note de bas de page 3 :

La loi du 6 décembre 1954 a permis de compléter l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse d’un quatrième alinéa éditant en principe général l’interdiction d’emploi des appareils d’enregistrement visuel ou sonore. Les articles 308 et 403 du code de procédure pénale (ordonnance du 23 décembre 1958) renforcent les dispositions de la loi de 1954 en prohibant le filmage et la photographie des procès des cours d’assises et des tribunaux correctionnels.

Note de bas de page 4 :

AN archives presse sur les débats sur la transmission à la télévision des procès

La relecture des débats qui accompagnent l’élaboration de loi initiale, éclaire le sens voulu par Robert Badinter dans sa proposition fondatrice et a influencé la façon dont elle a été rédigée. En 1985, trente ans se sont écoulés depuis la loi du 6 décembre 19543 qui avait définitivement interdit aux journalistes d’enregistrer les audiences judiciaires, modifiant ainsi l’ouverture sur ce point de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Sa première intention est de la modifier comme le montrent les débats dont la presse se fait l’écho4. Au cours de ce travail préparatoire et avant même que le projet de loi soit présenté aux députés, la position initiale évolue. Les journalistes restent interdits de caméras et d’enregistreurs quand ils sont dans les prétoires. Le nouvel enregistrement créé par la loi du 11 juillet 1985 sera donc celui des documents historiques par opposition aux captations journalistiques. La diffusion immédiate à la télévision, le choix journalistique, l’enregistrement partiel par des archives pour l’historien, qui permettent l’enregistrement intégral et reflètent le point de vue de la Justice. La loi du 29 juillet 1881 n’est donc pas modifiée, le régime de l’interdiction d’enregistrement reste la norme.

L’autre aspect décisif dans cette création est que les enregistrements, bien que non journalistiques, ne sont cependant pas des archives comme celles définies par la très récente loi du 13 janvier 1979. Dans cette dernière, les archives ressortent de l’activité administrative ou judiciaire des institutions dans le cadre de l’exercice de leurs missions. La notion d’usage des archives par les administrations ou les instances judiciaires pendant un certain temps est une dimension temporelle dont le positionnement entre le temps de la création et son entrée dans un service d’archives, implique une évolution. Les archives audiovisuelles sont hors temps puisque tout de suite historiques et n’ont pas d’usage. Au cours d’un procès, les enregistrements sont scellés et conservés dans un coffre, ne pouvant être visionnés, à la fin du procès, le transfert est immédiatement aux Archives nationales. Le transfert spatial crée de plus leur patrimonialisation au sein de l’institution qui conserve les archives une fois qu’elles sont devenues historiques. Ces enregistrements sont donc des documents non journalistiques, sans usage particulier, seulement des matériaux pour l’historien et les criminologues une fois la décision judiciaire devenue définitive.

Ce cadre conditionne le positionnement de la commission consultative. Conduite par le président de la chambre honoraire de la Cour de cassation, secondée par l’archiviste du ministère de la Justice en tant que secrétaire, elle porte son attention sur la tenue des débats judiciaires, dans un souci d’appréciation de son caractère exceptionnel selon le terme utilisé pour les procès de droit commun de 1990, du médecin et en diffamation. Les archives historiques sont donc non journalistiques, sans usage, mais doivent être d’un intérêt exceptionnel. L’intérêt particulier, autre terminologie utilisée, lui répond en écho, dans les cas du premier et dernier procès examinés par la commissions. La notion d’intérêt existe bien dans la loi du 11 juillet 1985 qui désigne « un intérêt pour la constitution d’archives historique de la justice », mais pas un intérêt exceptionnel ou particulier. L’intérêt est une notion usuellement employée dans le domaine judiciaire puisqu’il est ce qui détermine la possibilité d’engager ou non une action judiciaire. Ici, il ne s’agit pas tant de l’intérêt à agir, puisque l’action judiciaire existe indépendamment du fait qu’elle sera ou plus exactement dans les 6 dossiers abordés ici, qu’elle ne sera pas filmée. L’enregistrement, quand il est validé, emporte un supplément d’intérêt en l’augmentant d’un intérêt exceptionnel ou particulier qui créant une proximité synonyme d’historique. En l’absence, les 6 procès qui ne sont pas des archives audiovisuelles de la Justice peuvent être rejetés de « la mémoire collective de la nation qu’il ne convient pas de sauvegarder, afin de préserver le patrimoine de demain. » pour citer l’argument avancé pour rejeter le procès de droit commun de 1990.

Intérêt historique ou procès historique ?

Dans une déclaration différente, Robert Badinter a explicité sa volonté de ne pas limiter les enregistrements à certains procès plus retentissants que d’autres. Dans le texte adopté le 11 juillet 1985, la nature des affaires jugées n’est pas explicitée aussi clairement. Le périmètre des procès pouvant faire l’objet d’un enregistrement se dessine par description de l’autorité compétente pour décider ou refuser l’enregistrement, président du tribunal des conflits, vice-président du Conseil d’État, président du tribunal administratif, premier président de la Cour de cassation, premier président de la cour d’appel. Les différents tribunaux qui dépendent de ces juridictions constituent les lieux où les caméras filmeront les archives audiovisuelles de la Justice.

Note de bas de page 5 :

Exposé des motifs du projet de loi relatif à l’enregistrement des débats présentant un intérêt historique rédigé en vue de la réunion interministérielle et avant saisine de Conseil d’État, ministère de la Justice, 7 mars 1985 (AN, 19 890 037/7, archives de cabinet, Premier ministre)

Les archives provenant des services du Premier ministre rendent compte de l’élaboration du projet de loi et des arguments qui l’ont accompagnée. Dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à l’enregistrement des débats présentant un intérêt historique daté du 7 mars 1985, le rédacteur a précisé que : « doivent être enregistrés les débats qui revêtent une dimension événementielle, politique ou sociologique, tel qu’ils méritent d’être conservés pour l’histoire. »5 Une estimation annuelle du nombre de procès concernés a été réalisée : la Chancellerie s’adresse aux journalistes pour obtenir cette estimation, journalistes qui sont par ailleurs totalement absents de la procédure telle qu’elle est mise en œuvre par la suite. L’estimation est de cinq à six par an.

Cette évaluation s’accompagne de la citation pour exemple de six affaires jugées en 1984, comme pouvant faire l’objet d’un enregistrement : une affaire financière lors d’un procès contre une banque, le jugement dit des Arméniens, une affaire d’un multi-infanticide, une affaire d’insémination artificielle, une affaire d’agression à main armée et le procès d’un « caïd » de la mafia. Il s’agit donc d’un avis journalistique qui est cité dans les archives ; on ne sait qu’elle aurait été l’avis d’une commission des archives audiovisuelles de la Justice si elle avait été saisie de requêtes ultérieures concernant des cas similaires. Au moment où cette évaluation est produite, les acteurs du projet sont encore dans la considération d’enregistrements qui seront réalisés par des journalistes et donc l’intérêt éditorial de la représentation dans les médias est le critère de choix.

Note de bas de page 6 :

Justice Archives Projet de loi sur l’enregistrement filmé des procès historiques : mise au point du ministère de la Justice, Dépêche AFP du 26 février 1985 ; Les procès « historiques » seront filmés, Le Monde, 26 février 1985 ; à l’Assemblée nationale, il faudra attendre vingt ans, au moins, pour diffuser les enregistrements des procès historiques, Le Monde, 5 juin 1985.

On constate cependant qu’entre 1985 et 2013, le nombre des cas présentés pour obtenir l’enregistrement d’audiences est bien inférieur à celui prévisionnel avant l’adoption de la loi. On peut également se demander comment les procès sélectionnés pour l’année 1984 auraient été appréciés sous l’angle de leur intérêt historique, supérieur à ceux des procès qui n’ont pas été reconnus comme présentant ce même intérêt les années suivantes. La presse de 1985 en rendant compte du projet a introduit une expression qui marque les esprits, en créant la notion de filmer des procès « historiques ». Cette notion est absente des archives d’élaboration du projet, mais est lancée par la presse6. Les articles eux-mêmes rétablissent bien le caractère historique des enregistrements, mais leurs titres préfèrent une accroche qui aura une grande longévité.

Le procès « historique » de Klaus Barbie un plafond de verre non franchissable

Note de bas de page 7 :

La commission préparatoire est présidée par André Braunschweig, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, entouré de Mireille Delmas-Marty, professeure de droit pénal, Marcel Dorwling-Cartier, procureur général d’Amiens, Paul Guimard, écrivain, membre de la Haute autorité de l’audiovisuel, Me Leclercq, avocat, ancien membre du Conseil de l’Ordre, Jean-Marc Theolleyre, journaliste au Monde.

Les titres de la presse ne sont pas seulement le signe d’une formule marquante destinée à leurs lecteurs pour les inciter à lire les articles. Dès la formation de la commission créée par Robert Badinter en mars 1983 autour d’André Braunschweig pour accompagner le travail d’élaboration du projet de loi, sa mission est de réfléchir aux modalités d’enregistrement du futur procès de Klaus Barbie alors que son mandat de dépôt a été pris le 5 février de la même année7. Il est certain que le contexte du procès de l’Hauptsturmführer de Lyon désigne l’instance pour être un procès historique dans l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et de ses conséquences. La porosité crée entre le procès à l’origine de la volonté d’autoriser de nouveau un enregistrement et la loi qui sera finalement adoptée, a initié une assimilation entre les notions d’intérêt historique et de procès historiques.

Note de bas de page 8 :

Projet de loi tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la Justice, élaboration et mise en œuvre, 1985 (AN, 20 150 017/7, bureau de droit processuel en matière civile)

Sur les premières années d’application de la loi, les archives de la commission sont marquées par le rôle tenu par le procès de Klaus Barbie en tant que référence à l’aune de laquelle tout autre procès est évalué. Ainsi dans le premier dossier présenté en 1986, alors que le procès du responsable nazi n’a même pas encore ouvert, la sous-direction de la législation criminelle au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces, adresse une note à l’attention du directeur du cabinet du ministre de la Justice, rappelant que la loi adoptée un an auparavant l’a été « essentiellement dans la perspective du procès Klaus Barbie. » Ceci est aussi l’une des justifications pour refuser un autre enregistrement. En 2004, l’avocat représentant la défense du médecin, auteur de la requête demandant l’enregistrement, s’inscrit en opposition par rapport à ce premier procès enregistré pour mettre en avant l’intérêt d’une telle captation : « L’enregistrement des débats permettrait en outre, aux générations futures, de comprendre le fonctionnement de la justice, puisqu’il ne semble pas qu’il existe, dans les archives audiovisuelles de la Justice de précédents enregistrements concernant des procédures criminelles similaires. L’intérêt historique ne se limite pas aux heures les plus noires de notre Histoire (affaires Barbie, le sang contaminé). ». Robert Badinter lui-même en présentant le projet de loi à l’Assemblée nationale avait pourtant précisé qu’il ne s’agissait par de filmer les grands procès, mais aussi ceux « que leur banalité même incite à en conserver un exemple […] pour conserver la mémoire de notre vie judiciaire. »8 Procès contre des journalistes, procès d’assassinat et d’usage de faux, procès de viol et homicide volontaire, procès contre un médecin, procès en diffamation, procès d’un vol à main armée, les enregistrements qui n’existent pas n’auraient-ils pas été désignés comme des procès dont la banalité aurait été reconnue comme telle par Robert Badinter ?

Depuis la suppression de l’ensemble des commissions administratives, emportant dans son périmètre la disparition celle de la commission consultative des archives audiovisuelles de la justice, quatorze autres procès ont été enregistrés après accord direct du président de l’autorité judiciaire compétente par le biais d’une ordonnance. Combien de procès ont été présentés et refusés permettant d’éclairer en négatif l’évolution de l’interprétation du caractère historique par les présidents ? Un seul cas a été médiatisé. Le du 29 septembre 2017, la chambre criminelle de la cour de cassation prend un arrêt de rejet du recours en annulation de la décision du premier président de la cour d’appel de Paris qui, par ordonnance, a refusé de faire droit à la demande d’enregistrement audiovisuel et sonore des audiences du procès d’Abdelkader Merah et de Fettah Malki (procès devant la cour d’assises de Paris, 2 octobre — 2 novembre 2017). Il faudra attendre quelques années pour que les archives des cours, quand elles rejoindront les services d’archives, puissent révéler les refus qui ont été opposés aux demandes d’enregistrement. En attendant, on ne peut que souligner le caractère toujours historique des procès qui passent sous l’œil des caméras. D’aucuns peuvent même remarquer une spécialisation du filmage en œuvre depuis 2014, autour des procès du génocide des Tutsis au Rwanda qui sont pour l’instant tous captés en tant qu’archives audiovisuelles de la Justice, et des procès sur les attentats terroristes de 2015-2016 dont le retentissement et l’éclairage donnés aux enregistrements, sont à la hauteur du traumatisme de la société.

Les archives de la commission consultative des archives audiovisuelles de la Justice sont conservées aux Archives nationales sous le numéro de versement 20100441.