Partie II. La profession en « action » : analyse d’un dispositif de projet
Chapitre 1 – La mise en place d’un projet
Sommaire
Texte
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Ce terme, très courant dans le langage des architectes et des maîtres d’ouvrage, est ambigu. S’il veut désigner une intervention strictement architecturale et urbaine, il se traduit généralement aussi par des effets sociaux. Ainsi, à la suite des interventions urbaines dites de « requalification », on constate le plus souvent une « requalification » de nature sociale au sens où l’intervention sur les logements et sur l’espace public provoque des changements dans la composition sociale des quartiers ou secteurs concernés. Ce qui est très clair pour le cas de Bercy où la « requalification » s’inscrit dans un processus de remplacement d’une population d’origine populaire par une population de cadres et professions intellectuelles et supérieures. C’est ainsi qu’en lieu et place d’un quartier pittoresque fait de chais et largement occupés par des négociants en vin, on trouve aujourd’hui un cinéma et une allée de boutiques de jardinage, librairie, agence de voyance, gastronomie et vins fins. Entre 1954 et 1999, les habitants de la catégorie « employés, ouvriers, et personnels de service » passent de 74% à 35%, tandis que dans le même temps la proportion des « artisans, commerçants et cadres » passe de 14% à 42% sur ce quartier. Cette transition est bien décrite par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, La Découverte, « Repères », 2005, pp. 63-64. Sous ce regard, les notions, de « qualité de vie », « qualité urbaine », « requalification », omniprésentes dans le langage actuel des professionnels de la ville comme dans celui des élus en charge de l’urbanisme, doivent être considérées avec prudence. Pour une illustration critique et suggestive, cf. Eric Hazan, LQR, la propagande du quotidien, Raisons d’agir, 2006, pp. 75-83.
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Cf. sur ce point Olivier Chadoin, Thérèse Evette (Dir.), Activités d’architectes en Europe, nouvelles pratiques, « Cahiers Ramau 3 », Ed. de la Villette, 2004, Dominique Lorrain, Gerry Stocker (Dir.), La privatisation des services urbains en Europe, La découverte, 1995, et Gilles Verpraet, « Le dispositif partenarial des projets intégrés : pour une typologie des rapports publics/privés », in Annales de la recherche urbaine, n°51, 1991, pp. 102-112.
Le choix de la « requalification1 » du quartier de Bercy à Paris et de ses anciens entrepôts répond à des enjeux singuliers. Certes, il comporte l'idée de transformation territoriale mais dans le contexte particulier d'une grande capitale. De plus, intégrant dans son programme un parc, des logements, des équipements et une zone d'activité, il concilie les préoccupations actuellement affichées des projets urbains comme la « qualité de vie », sans ignorer le poids de la contrainte économique qu’impose aujourd’hui le recours à l’investissement privé dans l’aménagement urbain2. De par les acteurs mobilisés et les procédures utilisées, il est en fait représentatif du système français d'intervention dans le domaine de la production architecturale et urbaine : des schémas de planification globale aux procédures d'aménagement devenues classiques dans le monde de l’urbanisme et de l’architecture ; la Zone d’Aménagement Concertée étant en France une de ces procédures fréquemment utilisées pour encadrer les projets d’aménagement menées conjointement par le public et le privé).
Zone d'aménagement concertée : définition
La ZAC (Zone d'Aménagement Concertée), instituée par la Loi d'Orientation Foncière (LOF) de 1967 remplace la ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité) à laquelle on reproche une grande rigidité. Cette procédure permet à une collectivité publique d'équiper des terrains en vue d'une opération d'urbanisme par concertation entre les collectivités publiques et les promoteurs privés. Elle impose de façon simultanée plusieurs éléments : le premier est un règlement particulier d'urbanisme (PAZ et RAZ) qui déroge à la planification réglementaire (au Plan d’Occupation des Sols, POS, devenu Plan Local d’Urbanisme, PLU) sur son territoire. Le second consiste en un programme d'équipements. Le troisième institue des relations contractuelles avec un aménageur public ou privé. Le dossier prévoit donc les équipements publics à réaliser et leurs modalités de financement. L'initiative de la ZAC provient d'une personne publique mais le réalisateur peut être un aménageur privé. L'article L. 311-1 du code de l’urbanisme définit ainsi les ZAC comme des zones « à l'intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d'intervenir pour réaliser ou faire réaliser l'aménagement et l'équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement public a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés ». Aussi, on distingue-t-on souvent ZAC privées et ZAC publiques. Dans le premier cas, l'aménagement est confié par convention à une société. Dans le second, l'aménageur est la collectivité elle-même ou un organisme à qui elle délègue une partie de ses prérogatives : Établissement Public ou Société d’Economie Mixte (SEM), (ces dernières fournissant un outil plus souple que les établissements publics dans la mesure ou, régie par le droit privé, elles permettent des partenariats plus étendus).
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Cf. L’urbanisme des modes de vie, Ed. Electra - Moniteur, 2004.
Enfin, il recèle une originalité dans la coordination des intervenants et dans les liaisons entre projets au point que l’opération urbaine de la ZAC Paris-Bercy est souvent mise en exergue pour montrer de nouvelles manières de produire la ville. Sa description illustre en fait un mode de production urbain et la manière dont les architectes s’y positionnent. Ce projet a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses publications dans le monde de la production urbaine et architecturale. Ainsi, entre autres, Alain Bourdin et Ariella Masboungi en font un « modèle » de la production urbaine française contemporaine tant du point de vue de l’organisation de son processus que de celui de la forme produite3.
1.1. Paris-Bercy : « continuer la ville »
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Pour une information complète sur ce point, voir la revue Paris Projet n°11-12.
L'aménagement du quartier de Bercy, dans le XIIe arrondissement de la ville de Paris, offre donc un terrain privilégié pour aborder les modalités d'élaboration et de gestion d'interventions urbaines d'une certaine ampleur. Porté par une stratégie déjà ancienne et permanente de rééquilibrage de la capitale vers l'Est, affiché dans le plan programme d'aménagement de l'Est de Paris4, l'objectif est, à l’époque, d'aménager de « nouveaux quartiers comprenant des équipements importants et contribuant à la mise en valeur du site de la Seine (...), de créer des quartiers attractifs dans des espaces enclavés par la présence d'importantes emprises ferroviaires. » La conception de ces quartiers, toujours selon ce programme, doit trouver un juste équilibre entre habitations et activités, intention concrétisée par la construction du Palais Omnisports de Paris-Bercy et du Ministère des Finances. Le développement de cette partie de la ville s'engage d'abord sur la rive droite de la Seine, à partir de la restructuration de la gare de Lyon en 1983, avant de s'étendre du centre vers la périphérie à Bercy.
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On pense ici à la notion de « développement durable » comme nouvelle dimension de l'aménagement. Elle est évoquée, entre autres, par Francis Beaucire in « Contraintes écologiques et développement durable », in Philippe Genestier (Dir.), Vers un nouvel urbanisme ; faire la ville, comment ? pour qui ?, La documentation française, 1996.
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L'idée de patrimoine peut être rapprochée non seulement d'une matrice normative, le règlement des architectes des bâtiments de France (ABF), mais également d'un style politique au sens où l’Etat libéral semble avoir vu dans le patrimoine une manière de se raccorder à la société civile d'une part et d'en maîtriser les mutations successives de l'autre en lui proposant un principe éthique explique Yvon Lamy, « Patrimoine : un style politique ? », in L'alchimie du patrimoine, discours et politiques, Ed. de la MSHA, 1995, pp. 214-225.
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C'est en 1977 (loi du 3 janvier) que l'architecture est dite d'intérêt public, en même temps que les vocables « environnement » et « architecture » sont associés avec la création des Conseils en Architecture Urbanisme et Environnement (CAUE). En avril de cette même année est aussi créé le Ministère de l'environnement et du cadre de vie.
La Zone d'Aménagement Concerté (ZAC) Paris-Bercy s'étend sur une superficie de 51 hectares. Elle est un projet qui s’affiche comme « volontairement qualitatif ». S'il s'agit à travers lui de reconvertir un lieu et d'étendre la ville et son centre, l'opération ne rassemble pas pour autant les indices d'une régénération urbaine classique. Sur ce site aux données historiques omniprésentes, la recherche d'un plus grand équilibre entre espaces bâtis et espaces verts a guidé l'action urbanistique5. La présence d'un grand parc de 13 hectares, très tôt inclus dans le programme, l'atteste de même que les représentations des professionnels ou des décideurs pour en décrire la logique d'aménagement et de production. Le lexique récurrent employé, qualité, espace public, quartier, harmonie, continuité, mémoire, patrimoine6 est significatif d'une manière de concevoir cette partie de la ville. En ce sens, cette opération acquiert le principe de sa justification, comme celui de ses adhésions, dans les récentes approches d'aménagement qui valorisent les notions de « cadre de vie » et la « qualité de vie7 », sans négliger la maîtrise des aspects économiques par la sollicitation d'investisseurs privés. Tous les acteurs en soulignent l'exemplarité, et au fond la spécificité, par la gestion du processus décisionnel ou par la nature des choix urbains retenus.
La réalité et l'histoire du processus sont davantage contrastées en raison de la segmentation de la ZAC en trois secteurs selon une logique spécifique d'affectation : un parc de 13 hectares qui structure l'ensemble ; un groupe de logements en relation directe avec le parc et les équipements qui l'accompagnent ; une zone de commerce et d'activité essentiellement consacrée à l'agro-alimentaire. Cette partition, lisible sur le plan et matériellement constituée, permet de comprendre la nature des systèmes d'activité engagés, acteurs et professionnels. Elle montre aussi le principe premier de la régulation globale du projet à savoir la volonté de transformation démonstrative d'un quartier parisien de qualité. D'ailleurs le parc et les logements en front de parc résument aux yeux de beaucoup la conception et la réalisation de cette ZAC car fédérateurs d'un urbanisme qualifié « d’exemplaire » par la presse professionnelle du monde des architectes et urbanistes ; par contre, la zone d'activités, pourtant très tôt présente dans le processus, est souvent ignorée des descriptions faites par cette même presse.
Si le consensus sur la signification de l'opération est primordial pour expliquer la réussite que la plupart des observateurs lui attribuent, il demande à être explicité. Il faut considérer les systèmes de relations tels qu'ils ont été vécus par les acteurs. Au découpage en trois zones du projet correspond une organisation des acteurs en référence aux objets produits : le parc, les logements et les équipements afférents (crèche, écoles...), les bureaux. L'équilibre entre action publique et action privée, dont on sait dans l'usage de l'espace combien les intérêts divergent quelquefois, est radicalement différent entre le parc ou les habitations qui le bordent et la zone commerciale, qui revêt la forme d'une véritable ZAC privée. Les professionnels ont dû, eux aussi, accommoder leurs préoccupations par des modes de coopérations adaptés à chaque zone et entre zones pour garder la cohérence d'ensemble instituée par la définition de la Zone d’Aménagement Concertée.
1.2. Le renouveau d’une stratégie urbaine
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La place de Bercy dans ce processus général de changement, avec ses décisions et outils, qui affectent la capitale, comme la « gentrification » et « déprolatérisation » qui l’accompagnent, sont décrit par Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, op. cit. pp. 56-76.
A l'origine de l'aménagement de Bercy et de sa mise sur l'agenda politique, il y a l'affirmation d'une nouvelle politique urbaine qui trouve son en 1977 avec l'élection d'un maire à Paris. Elle induit une autre vision de l'urbanisation de la capitale par la reformulation de tous les documents d'orientation de l'urbanisme dont le Schéma de secteur Seine-Sud-Est de 1973, le Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme (SDAU) de 1977, et surtout, le Plan programme pour l'Est de Paris de 19838.
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Selon Pierre Merlin, il relève d’une « planification stratégique » au sens où il met l'accent sur la nécessité d'associer des acteurs de niveaux différents et traduit bien la recherche d'une cohérence générale dans les systèmes de décision publics. Cf. Les outils de l'urbanisme, PUF, 1985 et Pierre Merlin et Françoise Choay, Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, PUF, 1988.
Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme
(SD et SDAU)
Le Schéma Directeur est un outil qui relève à la fois des procédures de la planification et de l'urbanisme réglementaire. Situé en amont des opérations, il vise à définir des orientations majeures et stratégiques sur le long terme. Son objet est de localiser les espaces à préserver et ceux destinés à l'urbanisation en envisageant le placement des grands équipements publics et en définissant les grandes étapes de réalisation. En général il s'applique à plusieurs communes formant une agglomération. Paris a cependant le sien propre. Il est opposable aux collectivités publiques dans leurs décisions d'aménagement et d'équipement mais pas directement aux propriétaires des sols. Les documents d’urbanisme réglementaires régissant le droit des sols (POS devenu PLU, et ZAC) doivent être établis en conformité avec lui. Il comprend un plan (échelle 1/10 000 et 1/25 000), un rapport expliquant et justifiant les choix opérés, et des annexes techniques. Depuis la loi du 7 novembre 1983 son élaboration est décentralisée et intercommunale. Il est soumis à enquête publique9.
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Cf. « A propos de Paris. De la ville au travail urbain », Les annales de la recherche urbaine, n°44-45, 1989.
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Sur ce point cf. François Chaslin in catalogue de l'exposition du Pavillon de l'Arsenal, Paris, la ville et ses projets, Ed. Babylone - Pavillon de l'Arsenal, 1988.
Le Plan Programme pour l’Aménagement de l’Est de Paris donne un cadre programmatique cohérent aux transformations envisagées pour ce secteur. Commandité par la Municipalité, élaboré pour identifier les insuffisances d'aménagement et repérer des possibilités d'action urbaine. Ce Plan Programme « indique des volontés sans jamais apparaître comme un carcan, en proposant une référence qui (...) s'appuie sur les données géographiques et historiques des lieux existants pour la construction dans la capitale » rapporte François Grether10. Il est, selon le Maire de Paris (en 1990), un instrument exemplaire de la politique menée par la ville en faveur d'un développement équilibré dont les aménagements portent la marque « d'un urbanisme qui fait une large place à la qualité de vie, qui permet à l'architecture d'être à la fois belle, mais aussi de mieux s'intégrer aux paysages parisiens. » Cette affirmation de principe reflète la stratégie d'une nouvelle collectivité publique, majeure. La capitale se singularise par rapport à l’Etat11 qui l’a longtemps considéré comme son territoire.
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Pour une vue générale de ces orientations, cf. Paris Projet n°19-20, 1988.
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Il est alors délégué général au district de la région de Paris. Grand commis de l’État sous les IV et Ve République. Il joua par ailleurs un grand rôle dans la mise en place de la politique d’aménagement des villes nouvelles.
A la fin des années soixante-dix, Paris prend progressivement conscience des potentialités de développement qu'offre l'Est parisien12 : Paris-Bercy est emblématique de cette nouvelle donne urbanistique que consacre le slogan « Paris se lève à l'Est », largement repris sur les documents de communication de l’opération comme sur les panneaux de chantier de cette dernière. C'est à la fin des années soixante, sous l'égide de Paul Delouvrier13, que cette idée commence à être développée et qu'elle s’accomplit progressivement à travers le Plan d'Occupation du Sol (23 janvier 1977) et le SDAU (17 mars 1977) au moment où Paris devient une municipalité avec l’élection de son premier maire en 1977.
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Dans le cadre de la loi du 7 août 1957 sur l'urbanisme, ce décret instaure la procédure des Zones à Urbaniser en Priorité, instrument majeur de l'urbanisme opérationnel des années 1960/70.
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Cette loi, dite LOF, a pour objet l'encadrement de l'évolution des agglomérations urbaines à travers trois types de document : les Schémas Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme, les Plans d’Occupation des Sols et les Plans d’Aménagement de Zone des ZAC. Elle pose la naissance du régime des ZAC comme dispositifs d’aménagement urbain reposant sur la réunion et la concertation des acteurs lors de la préparation et de l'exécution des opérations d'urbanisme.
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La loi Malraux instituant le régime des secteurs sauvegardés encadrés par un Plan de Sauvegarde et Mise en Valeur (PSMV) est votée le 4 août 1962.
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Les représentants du mouvement dit « culturaliste » attirent l'attention sur les ensembles urbains et considèrent le patrimoine bâti comme « la part la plus immédiatement perceptible du patrimoine culturel ». Cf. Maurice Goze « La ville-patrimoine et l'habitat ancien : le syncrétisme des politiques », in Yvon Lamy (Dir), L'alchimie du patrimoine, discours et politiques, op. cit. pp. 463-489.
L'aménagement de l'Est parisien se précise au moment où la capitale se confronte au résultat d'un développement périlleux permis par le décret de 195814 et le plan d'urbanisme directeur de la ville, qui ont favorisé une rénovation brutale du paysage parisien et de ses faubourgs. Lorsque l'Atelier Parisien d'Urbanisme (APUR) se voit chargé de la rédaction du Schéma Directeur de la ville et du Plan d'Occupation des Sols, prévus par la Loi d'Orientation Foncière de 196715, il prend une position critique vis-à-vis de la rénovation telle qu'elle fut pratiquée dans les faubourgs parisiens jusqu'alors. Destruction du paysage périphérique et altération du centre sont alors compris comme un seul et même effet pathologique lié à une seule et même cause, la rénovation urbaine. Elle était menée par des sociétés d'économies mixtes (SEM) naissantes et des sociétés privées sur des secteurs entiers de la capitale (Les Halles, Belleville...). Jouissant d'une grande liberté d'action dans la définition urbaine et architecturale des opérations, ces sociétés appliquaient des critères d'augmentation des plafonds de construction ou de recul des alignements sans autre considération plus qualitative. Dans un contexte politique et culturel où la notion de patrimoine16 commence à s'étendre à de nombreux secteurs, l'irréalisme de cette solution progressiste d'adaptation de la capitale est dénoncé par l'APUR. Cette attitude est confortée par les réflexions critiques d'une nouvelle génération d'architectes qui élabore une autre idée de la ville dans laquelle les données historiques et culturelles sont réévaluées et comprises comme traces17.
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Yves Janvier considère la patrimonalisation comme l’un des changements majeurs de cette période susceptible de pousser l'urbanisme à réviser ses méthodes et ses concepts traditionnels. L'aménagement urbain face aux nouveaux enjeux de société, rapport DAEI, Mai 1995. Le slogan qui donne son titre au célèbre opuscule de E. F. Shumacher (Small is beautiful, Seuil, 1973) illustre également le climat de cette période. Il trouve son pendant en architecture avec le slogan « less is more ».
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Cf. Anne Querrien, « Compositions urbaines », Les annales de la recherche urbaine, n°32, Octobre 1986, pp. 3-4.
L'APUR, structure d’aide et de conseil en urbanisme pour la ville de Paris, préconise une rupture avec les politiques urbaines antérieures pour cette zone. Le programme est simple et deux axes majeurs le constituent, « retour aux traditions réglementaires de l'urbanisme parisien et suppression de la coupure centre – périphérie ». Alors que se forme une pensée patrimoniale sur le centre-ville et que le développement de Paris demeure une nécessité, la réponse n'est plus celle de la conquête de terrains vierges (ou rendus vierges) par un urbanisme brutal, mais celle d'une « réappropriation harmonieuse des franges du centre » et d'un urbanisme de valorisation. Il ne faut plus assaillir les faubourgs mais étendre la ville depuis son centre et établir sa « continuité ». Plus fondamentalement, à partir de ces années-là, le problème n'est plus l'inscription de l'aménagement urbain dans la « ligne droite du progrès » tracée par les bulldozers et la densification mais la conciliation du respect d'un centre historique avec les impératifs de développement de la ville contemporaine18. En d'autres termes il faut « composer avec la ville au lieu de composer la ville19 ».
La convergence entre la décision politique de donner à la capitale un statut de municipalité et le renouveau d'une pensée urbaine manifeste une inflexion de direction pour son aménagement. Paris-Bercy est d’abord le produit de la rencontre de ces changements socio-politiques et d'une autre manière de penser et de faire la ville.
1.3. Genèse d'une intervention
Compris dans le vaste secteur Seine-Sud-Est, Bercy cumule au chapitre de ses atouts une bonne proximité du centre, le pont de Bercy est à trois kilomètres de Notre Dame de Paris, et de vastes emprises publiques disponibles à requalifier. Dès la publication du schéma de secteur Seine-Sud-Est, le site est un enjeu stratégique dans le programme de mise en valeur de l'Est de Paris en général, et dans le renforcement de l'identité de la capitale en particulier. Il est significatif que cette opération se nomme Paris-Bercy à l'inverse d'opérations plus difficiles à rattacher à l'idée d'extension du centre comme « Seine Rive-Gauche » qui, elles, ne bénéficient pas de la charge symbolique que confère l'association au nom de la capitale et de sa « bonne rive ».
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Antoine Haumont, rapporte que les éléments subsistants de l'industrialisation du XIXe arrondissement, aux portes de Paris, sont apparus dès les années quatre-vingt comme des enjeux majeurs de la politique d'aménagement de la proche périphérie parisienne. Cf. « L'Ile de France, développement, aménagement et environnement », Les annales de la recherche urbaine, n°50, 1991, pp. 4-14.
Issu de l'industrialisation du XIXe qui a créé « aux portes de la capitale une collection de milieux locaux, à l'équilibre relativement durable20 », le quartier de Bercy est un lieu riche d'histoire. Demeuré longtemps à dominante rurale, il comprend de vastes entrepôts du XVIIIe, des d'activités viti-vinicoles et une importante couverture végétale, de plus de 500 arbres de qualité. Il est composé d’un tissu urbain original en bords de Seine qui forme et un lieu à part, à la fois protégé et proche de la capitale et de ses activités. On évoque à son propos un « lieu de mémoire » : on y a, par exemple, retrouvé en 1991 les plus anciennes traces d'une activité commerciale sur les bords de la Seine avec les restes de pirogues de bois datées d'environ 4000 avant J.-C. Elles ont d'ailleurs donné leur nom à l'une des rues de ce nouveau secteur de Paris.
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Le manifeste de ces orientations est publié en 1975 par Jean-Louis Subileau dans le numéro 2 de la revue Paris-Projet. Les thèmes récurrents du catalogue de l'exposition du Pavillon de l'Arsenal donnent également une bonne illustration de cette politique. Cf. Paris, la ville et ses projets, Ed. Babylone - Pavillon de l'Arsenal, 1988.
Dès les années soixante-dix des signes évidents de déclin des activités sont pressentis et le schéma directeur approuvé en 1977 affirme clairement les objectifs à poursuivre pour ces terrains : « faire un quartier d'habitation et d'activités avec l'implantation d'un grand équipement public au voisinage du boulevard de Bercy à l'articulation avec le pôle tertiaire de la Râpée ». Signe des temps, plutôt que vision stratégique, le SDAU insiste sur la valeur et la prégnance des données contextuelles et prescrit la création d'un espace vert. C'est la période où l'APUR érige en doctrine sa vision culturaliste : contextualisme, intégration urbaine, retour au principe de l'îlot comme entité première, distinction lisible entre espaces publics et privés, diminution des hauteurs, efforts de conservation de l'existant, maintien des activités. En ce sens Paris-Bercy, dont les trois lignes de force sont l'attention aux traces de l'histoire, la continuité du tissu parisien et la valorisation d'espaces de qualité urbaine et de vie, est bien exemplaire de l'application des orientations urbaines développées par l'APUR dès 197521. La décision de construire le grand équipement public projeté dans le SDAU, le Palais Omnisports de Paris-Bercy, confortent également l'intention d'intervenir sur ce site.
- Note de bas de page 22 :
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Sont présentés ici tous les éléments réglementaires et les événements qui ont progressivement permis la reconnaissance de ce site comme enjeu et déclenché l’action. J’ai bien conscience des risques d’une lecture finaliste d’une telle présentation. Aussi, il s’agit plus ici de « repères » pour le lecteur que d’une véritable généalogie.
- Note de bas de page 23 :
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ZEUS (Zone d’Évolution Urbaine de la Seine) est en fait une anagramme du groupe bancaire SUEZ pour désigner sa filiale immobilière.
Repères chronologiques22
1973 : Approbation du schéma de secteur Seine sud-est
1977 : Approbation du SDAU de la ville de Paris
1978 : Construction du Palais Omnisports de Paris-Bercy
1978 : Pierre-Yves Ligen, président de l'APUR, prend la tête de la Direction de l'Aménagement Urbain de la ville de Paris.
1981 : Décision du transfert du Ministère des Finances à Bercy
1983 : Le plan programme pour l'aménagement de l'Est parisien reprend et précise les orientations du SDAU de 1977.
1983 : Approbation puis modification de la ZAC Lyon-Bercy en fonction de l'arrivée du nouveau Ministère des Finances
1985 : La ZAC Corbineau-Lachambaudie amorce un quartier d'habitation au nord du site
1985 : Jean-Pierre Hennequet, président du groupe ZEUS, lance le projet de construction d'une cité du vin et de l'alimentaire
1987, Février : Approbation par le Conseil d'État de la ZAC de Bercy
1987, Février : Lancement de la première consultation internationale pour le projet de parc.
1987, Décembre : Le projet de l'équipe Marylène Ferrand, Jean-Pierre Feugeas, Bernard Huet, Ivan Le Caisne et Bernard Leroy est retenu pour la constitution du parc.
1988, Avril : concession de l'opération à la SEMAEST (société d’économie mixte pour l’aménagement de l’est parisien)
1989, Juillet : Un protocole d'accord est signé entre la SEMAEST et la société ZEUS23 : la SEM s'engage à vendre des droits à construire à ZEUS
1990, Mai : Début de la construction de la cité du vin et de l'alimentaire
1991 : Découvertes archéologiques sur le site
1992 : Avril : approbation par le Conseil d'État d'une « charte d'aménagement de Paris » qui insiste tout particulièrement sur les espaces publics dans la capitale.
1995-98 : Poursuite de l’opération vers la zone d’activité. Mise en service de la nouvelle ligne (14) de métro « Météor ». Ouverture d’un multiplexe cinématographique en fond de parc. Installation d’une cinémathèque par le Ministère de la Culture dans l’ancien American center. Restauration des anciens chais et finition de « Bercy-village » (zone d’animation commerciale en fond de parc) en cours.
- Note de bas de page 24 :
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Ces deux projets avortés ont également influencé la définition du secteur de l'actuelle opération du 13e arrondissement Seine Rive-Gauche, face au site de Bercy. Deux opérations qui devraient être reliées par une passerelle « habitée » sur la Seine entre la bibliothèque de France et le parc de Bercy. « Lancement d'un concours pour un pont habité à Paris », Le Monde, 6 mai 1997.
D'autres ambitions contribuent à la définition du périmètre d'intervention et du programme de la ZAC de Paris-Bercy. Les propositions des années quatre-vingt d'utiliser ce bord de Seine pour deux grands projets de portée internationale, l'exposition universelle de 1989 et les Jeux Olympiques de 1992, en font partie. La création de l'un des deux pôles de l'exposition universelle y est étudiée avant son abandon en 1983. Plus tard, pour les Jeux Olympiques, il est envisagé d'y implanter une partie importante des installations (le village, le centre de presse et le stade nautique) qu'aurait complété le Palais Omnisports de Paris-Bercy (POPB) déjà en place. Si ces études n'ont pas abouti, elles ont toutefois confirmé les grands principes d'aménagement retenus pour le secteur Seine-Sud-Est24 en général et pour Bercy en particulier. Le POPB, inauguré en 1984, apporte à ce secteur une importante animation et conduit à une adaptation des équipements dans son périmètre. Le boulevard de Bercy est ainsi doublé entre la rue de Bercy et la Seine. Équipements renforcés par la décision du transfert du Ministère des Finances en 1981 (Paul Chemetov, Borja Huibodro, architectes), terminé en 1989. Ainsi, lorsque la future ZAC de Bercy trouve la définition de son périmètre elle bénéficie d'un environnement largement favorable avec les deux grands équipements susmentionnés qui affirment l'identité de cette nouvelle partie de la ville.
La création d'une autre ZAC à proximité, Corbineau-Lachambeaudie, lui donne d'autres limites. D'une surface de trois hectares, elle borde les emprises ferroviaires sur une longueur de 700 m, depuis la rue de Chambertain jusqu'à la place Lachambaudie. Elle est créée de façon complémentaire en 1985 avant le déménagement des négociants en vin et, est composée essentiellement de logements. Parallèlement à l'ouverture de cet aménagement préliminaire, la forme urbaine de la ZAC de Bercy émerge véritablement, sous l'égide et selon les méthodes de l'APUR. Le Plan d'Aménagement de Zone (PAZ, plan de la ZAC) est peu à peu affiné par un travail sur les espaces publics commandité à une architecte et l'organisation de deux concours, dont l'un porte sur des propositions d'aménagement pour le fond de parc et l'autre sur la réalisation du parc lui-même.
- Note de bas de page 25 :
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Cette partition est décrite ici sous le registre du programme, c’est-à-dire par son contenu projeté. Elle est reprise plus loin (chapitre 2) comme principe de lecture de la répartition des tâches, avec une présentation des intervenants pour chaque zone, et donc comme élément d’une division du travail et de l’action en plan.
1.4. Trois directions de projet25
- Note de bas de page 26 :
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Le programme du projet qui est décrit ici est celui qui a guidé la réalisation de la ZAC, telle que j’ai pu observer entre 1995 et 1996. Entre cette période et aujourd’hui des évolutions ont eu lieu et des bâtiments ont pu changer d’affectation. Ainsi, par exemple, l’American Center resté longtemps vacant abrite aujourd’hui la cinémathèque française (« maison du cinéma »).
En définitive, la ZAC Paris-Bercy, approuvée par le Conseil d'État en 1987, à peine un an après la décision négative pour l'accueil des J.O. à Paris, propose un programme qui s'étend sur 51 hectares dont 41 sont la propriété de la ville de Paris. Elle comprend l'ensemble des entrepôts, les programmes récemment achevés d'équipements publics dont il s'agit de traiter les abords, et la voirie environnante. Sont prévus dans le Plan d'Aménagement de Zone : un parc de 13 hectares (700m x 170m), un quartier face au parc de 120 000 m² avec 1 200 logements, des commerces, des locaux d'activité, une crèche, une école et des parkings, un centre d'affaires pour l’agroalimentaire. Ce n'est pas, comme à l'accoutumée dans les procédures d'aménagement, un grand édifice public qui structure l'ensemble mais, signe latent d'une politique urbaine renouvelée, un espace vert qui remplit cette fonction26.
Le parc ou Jardin de la mémoire
- Note de bas de page 27 :
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Le numéro 30-31 de la revue Paris Projet éditée par l’APUR est entièrement consacré aux parcs parisiens.
Affirmé comme « épine dorsale » de l'opération, c'est autour du parc que s'organisent les éléments construits. Il répond à la volonté du Conseil de Paris de faire des parcs des espaces de composition urbaine qui créent « des quartiers mêlant habitat et activité sur d'anciens sites industriels » ; qui forment des équipements à l'échelle de Paris ; qui offrent aux quartiers voisins des « espaces de détente et une identité nouvelle qui les valorisent27 ».
- Note de bas de page 28 :
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Celles-ci sont résumées dans le n°27-28 de la revue Paris-Projet.
Sa conception fait l'objet d'une consultation internationale en 1987 dont le programme est significatif eu égard à la tonalité de cette opération. Les données qui en définissent l'orientation confirment la vocation et le symbolisme culturel recherché28 : « le lieu doit être traité à l'échelle de Paris et comme un espace majeur de la ville » (on parle du dernier des grands parcs parisiens) ; « les candidats devront tirer parti de la beauté et de la singularité du lieu en s'appuyant sur la trame des voies existantes et la présence du bâti ancien ; imaginer un programme proche du quotidien accueillant la fréquentation traditionnelle des grands jardins ; améliorer les rapports du parc avec la périphérie. » Bref, comme le soulignait de façon significative le programme du concours « faire un parc plus proche du quotidien que du spectaculaire. » Un concours international est organisé. Fin 1987, le projet lauréat est significativement baptisé Jardins de la mémoire. Il s'appuie sur les strates historiques existantes et entend affirmer une connexion entre le parc et la ville. Il s'efforce de préserver un maximum d'arbres et une partie des bâtiments anciens en leur donnant des fonctions adaptées aux thèmes du parc (serres, jardins pédagogiques…).
Cet élément voulu et désigné comme « majeur du programme » constitue un réel point fort de légitimation de l'opération. Il semble posséder les attributs contemporains de la fameuse « qualité urbaine » et fait l'unanimité chez tous les acteurs professionnels de l’opération : « c'est une demande de tout le monde, de gauche ou de droite, personne n'a jamais été contre les jardins » commente l’un des acteurs engagés dans ce projet.
Le quartier d'habitation dit « front de parc »
Le quartier d’habitation situé en « front du parc » sur une longueur de 400 mètres, est l'autre élément fort du programme. Ce « front d'habitation » demeure, en termes de programmation de l'opération, subordonné au parc. L'opération repose sur trois acteurs : une maîtrise d'ouvrage déléguée, la SEMAEST aménageur de la ZAC, qui veille à l'équilibre et à la gestion financière de l'opération ; un architecte coordonnateur (Jean-Pierre Buffi) chargé de la composition urbaine pour le découpage des lots à bâtir et l'assemblage architectural ; des maîtres d'ouvrage en grande partie d'origine publique, notamment organisme HLM, se répartissant les lots pour les 1400 logements prévus (370 en secteur libre, le reste en secteur dit « aidé » : « Prêt Locatif Aidé », « Prêt Locatif Intermédiaire ») et les équipements qui y correspondent.
L'une des originalités de l'aménagement de cette partie de la ZAC est le rôle de l'architecte coordonnateur qui précise les formes urbaines et architecturales ainsi que leur articulation après définition du Plan d’Aménagement de Zone (PAZ). Conformément aux principes d'une « ville respectueuse de son passé », Jean-Pierre Buffi travaille à la mise au point d'une « pré-architecture » par l'analyse des plans de Paris et par la reprise des deux thèmes de la continuité bâtie et de l'îlot, déjà exprimés dans les études de l'APUR. L'objectif premier est d'éviter la collusion de styles architecturaux trop différents. Ces règles de composition architecturale doivent aussi s'accorder avec la conception du parc puisque les îlots sont délibérément ouverts en cohérence avec la trame transversale du parc de manière à « faire entrer le parc dans les îlots » explique Jean-Pierre Buffi. Cette composition préalable guide la répartition et la désignation des architectes d'opération auxquels on associe des maîtres d'ouvrage. L'aménageur (SEMAEST) et l'architecte coordonnateur sont aussi des partenaires très présents : « les lots de maîtrise d’œuvre ont été définis de façon à ce que le même architecte intervienne des deux côtés de la voie ou de part et d'autre de l'espace intérieur des îlots afin d'obtenir des séquences architecturales homogènes. Les architectes d'opération ont été choisis en fonction de leur aptitude à travailler dans un tissu urbain », rapporte l'architecte coordonnateur. Plus d'une dizaine d'architectes d'opération, dont quelques stars et quelques « jeunes architectes », ont travaillé sur ce secteur sous sa coordination. Situation peu banale, SEMAEST, APUR, coordonnateur ont choisi les architectes dont les profils et les productions sont en harmonie avec la « philosophie de l'opération » et les ont imposés aux maîtres d'ouvrages, évidemment plus difficilement vis-à-vis des maîtres d'ouvrages privés. Dans tous les cas, cette démarche est facilitée par un marché immobilier alors en expansion, « on choisit des maîtres d'ouvrage », ce qui n'est plus le cas quand les investisseurs se font plus rares et plus exigeants. De plus, certains maîtres d'ouvrages dits « sociaux » (OPAC, OPHLM) dépendent directement de la ville de Paris ou participent au capital de la SEMAEST, ce qui rend plus aisées les relations contractuelles.
Un centre d'affaire pour le vin et l'agroalimentaire ou Fond de parc
- Note de bas de page 29 :
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Le « concept » de « mart » est la réponse proposée par la société d’investissement pour la future zone d'activités : Les marts sont des centres d'affaires permanents, d'exposition et de vente, ouverts aux professionnels d'un même secteur d'activité. Ils regroupent des antennes commerciales d'entreprises, fabricants, importateurs, distributeurs exclusifs d'une ou plusieurs branches d'activité. (...) Les marts marquent l'apparition d'un nouveau mode de distribution né aux États-Unis. Les premiers marts en Europe sont ceux réalisés à Bruxelles, Amsterdam et Düsseldorf. Bercy – expo sera le premier mart dans le secteur agroalimentaire, explique-t-on dans Le nouveau Bercy, A l'Est Paris s'éveille, Document de présentation de la ZAC, 1993.
Enfin, un grand centre d'activité pour le vin et l’agroalimentaire occupe le fond de Bercy. Cette zone s'étend sur 14 ha, jusqu'aux emprises SNCF de la Râpée. Tirant une fois de plus parti de l'histoire du lieu, la ville souhaitait réinstaller des entreprises viti-vinicoles en leur associant des activités « plus attractives » tel que le commerce du vin. Cette zone devait recevoir des bureaux, des hôtels et des activités de type commercial. Pour son aménagement, la Ville de Paris lance un concours auprès de différents investisseurs. Après l'examen de plusieurs programmes, le projet de la société ZEUS (Zone d'Évolution Urbaine de la Seine, constituée pour la circonstance), est retenu. Ce consortium réunit des investisseurs tels que la Banque Nationale de Paris, le groupe SUEZ, le groupe ACCORD et la Lyonnaise des eaux pour ne citer que les plus connus. ZEUS propose la création d'un centre d'affaires consacré au vin et à l'agroalimentaire29, associant espaces d'expositions, bureaux, commerces, artisanat, entrepôts et équipements alimentaires. L’architecte Michel Macary, mandataire de ZEUS lors du concours, est désigné pour coordonner les projets. A l'instar de son confrère Jean-Pierre Buffi pour le front de parc, il gère la synergie entre architectes en élaborant un cahier des charges architecturales sur un programme relativement diversifié.
- Note de bas de page 30 :
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Aujourd'hui baptisé Bercy-Expo, l'activité choisie pour être dominante à l'origine ne l'est plus.
Initialement la proposition comprend : un pôle économique réservé aux professionnels, le « Capval », centre d'affaires permanent du vin et de l'alimentaire30 de 130 000 m² baptisé actuellement Bercy 2, conçu par l’architecte Henry La Fonta ; un pôle grand public avec un Bercy village réalisé dans les anciens chais de la cour St Emilion restaurés par l’agence d’architecture Valode et Pistre ; un centre d'exposition dans le pavillon de Bercy réhabilité par Desmoulin, Loupins et Dagan ; et enfin, un pôle d'équipements communs élaborés selon les programmes par Macary, Ceria, Coupel, Soler, Valode et Pistre.
L'appel aux sociétés privées pour l'aménagement de l'espace urbain est alors perçu comme une voie prometteuse pour financer l’équilibre de l’opération, et soulager d'autant les fonds publics. Cela apparaît également comme le gage d’une dynamique économique dans cette zone de Paris (activités, emplois…).
Le périmètre de la ZAC Paris-Bercy et le contenu de ses aménagements sont en définitive largement conditionnés par la stratégie de la Ville de Paris et la nouvelle approche de l'aménagement urbain portée par l'APUR. Les premières réflexions convergent vers des aménagements consensuels illustratifs d'une nouvelle manière d'agir sur la ville dont les termes clefs sont « environnement », « histoire » et « qualité de vie ». Entre les objectifs d'aménagement arrêtés dès 1977 et l'approbation de la ZAC par le Conseil d'État dix ans plus tard, de nombreuses études affinent le projet jusqu'à en donner le visage actuel, quitte à gommer dans le discours de professionnels ce qui est jugé comme étant des échecs. La ZAC, déterminée initialement comme une entité territoriale cohérente, fait l'objet d'un découpage en trois grandes zones dans lesquelles les objets produits sont distincts. La zone confiée à ZEUS, « une ZAC privée dans la ZAC publique », se distingue avec la production du parc, archétype d'une commande publique. Le front de parc s'efforce quant à lui de concilier architecture et urbanisme par le biais d'une coordination architecturale, instrument technique et prescriptif de régulation de la production urbaine. Globalement l’opération Paris-Bercy reste dominée par des méthodes d'intervention publiques dites « rénovées » et ses finalités orientées vers la préservation d'intérêts collectifs tout en recherchant un équilibre avec l'implication de l'action privée.
1.5. Les temporalités de l'action
L'une des caractéristiques fondamentales de tout projet urbain est sa durée, longue, ponctuée d'avancées rapides, de temps de latence ou de retournements. Plusieurs temporalités se croisent, se contredisent, ce qui nuit à la clarté des enjeux et de la critique.
- Note de bas de page 31 :
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Sur les paradigmes de la synchronisation et sur l'opposition monochrone-polychrone, ou Kairos/Chronos, Informations sur les sciences sociales, Vol. 36, n°1, Mars 1997.
De la confection des plans directeurs précités et des premières études réalisées par l'APUR en 1973 jusqu'à l'approbation de la procédure de la ZAC par le Conseil d'État en 1987, ce temps de la réflexion s'étale sur une quinzaine d’années. Parti d'objectifs généraux tel que celui du rééquilibrage vers l'Est, le projet consiste en l'inscription progressive des priorités générales de l'aménagement de la capitale sur le site particulier de Bercy. Cette empreinte initiale est déterminante pour la suite de l'opération. Elle initie un processus et à ce titre lui donne une première matérialisation virtuelle, d'autant qu'elle est portée par une collectivité publique d'une grande stabilité politique. L'ouverture d'une procédure de ZAC et la mise en place d'un organisme chargé de l'acquisition et du remembrement des terrains s'actualise dans un temps pratique et opératoire. Les contraintes du partenariat public-privé au cœur de la définition de la ZAC exigent de composer un calendrier qui ordonne le temps de l'édification en fonction des rentrées financières envisagées, c'est un temps géré et administrativement balisé. Le futur y est construit comme une suite d'étapes qui échelonnent certaines actions mais, une fois lancée la machine, rares sont les retours en arrière, même si les projets prennent leur temps. Cette logique d'un temps monochrone31, linéaire, perçu comme une contrainte extérieure, dans laquelle il faut se mouler pour parvenir à un maximum d'efficacité, reste cependant insuffisante pour évaluer l'ensemble du projet.
La zone du fond de parc en particulier, fonctionne sur d'autres registres temporels. Le projet ZEUS, amorcé bien avant les autres parties de l'opération (dès 1989), est en retard comparativement au parc et au front d'habitation que l'on peut alors considérer comme terminés selon nos interlocuteurs. Ici le temps est stratégique : « un temps à saisir ». Les débuts de l'opération dans les beaux jours de 1980 ont favorisé son décollage en un temps relativement court, puisqu’entre l'acquisition de la zone et l'ouverture du « Capval » moins de deux années se sont écoulées. Mais l’opération s'est brusquement arrêtée sous le coup de la crise du début des années quatre-vingt-dix. L'opération stagne faute de conjoncture favorable et les programmes de construction évoluent considérablement. Ce temps efficace engendre une modification pure et simple du but, l'attente d'une reprise économique ou le déplacement vers d'autres territoires des investisseurs initiaux.
- Note de bas de page 32 :
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Fait rare, ce projet a été publié et commenté par tous les magazines d’architecture et d’urbanisme sans exception. De même, il a fait l’objet d’analyses dans au moins deux ouvrages d’urbanisme (Nicole Eleb-Harlè, L'aménageur urbain face à la crise de la ville, Ed. de l'Aube, 1997 ; Alain Bourdin, Ariella Masboungi, L’urbanisme des modes de vie, op. cit.
Enfin, vient le temps de la critique qui s'efforce, lui, de relater l'histoire réelle des processus. Si l'excellence de la méthode est louée tant pour la définition des objectifs que pour la maîtrise des liens entre urbanisme et architecture, des débats doctrinaires resurgissent opportunément sur la pertinence des positions élaborées pour le développement de la ville. Entre les promoteurs d'approches historicistes ou les tenants de démarches plus contemporaines déliées en partie du passé, le déroulement de l'opération est l'occasion de débattre du futur des villes. Le discours de la méthode, savamment orchestré dans le cas de Bercy, couplé à une autre sur le sens des décisions, offre désormais un terrain fructueux à la critique urbanistique et architecturale. C’est ainsi, que le cas de Bercy sera repris très largement par toute la presse professionnelle et la critique architecturale, y voyant l’incarnation d’une manière « exemplaire » de faire la ville32.