Partie III. L’architecte dans l’espace de la maitrise d’œuvre

Chapitre 2 – Fonctions, métiers et professions : « tensions » internes à la maîtrise d’œuvre

https://doi.org/10.25965/ebooks.562

p. 105-124

Sommaire

Texte

La notion de maîtrise d’œuvre désigne donc un ensemble hétérogène d’activités professionnelles qui s’inscrivent dans des ensembles fonctionnels larges aux articulations complexes et sujets à des stratégies d’investissement et de concurrence.

Note de bas de page 1 :

Recentrage qui n'est sans doute pas étranger à l'émergence de la notion « d'objet » et a son succès en architecture à partir des années quatre-vingt.

À cette nouvelle organisation correspond non seulement une redéfinition de la fonction traditionnelle de l'architecte par recentrage sur l'exercice de la conception1 mais également un positionnement de « nouveaux métiers ». En outre, ces modifications s'accompagnent de glissements de sens assez significatifs qui conduisent à utiliser les termes de « maîtrise d’œuvre » et « maîtrise d’ouvrage », de « concepteur », « monteur d'opérations »... et non plus « d'architecte », de « commanditaire », « client » et de « chantier » qui laissaient transparaître une plus grande simplicité des processus. Lorsqu’on étend la réflexion à l'ensemble des intervenants en matière d'aménagement de l'espace, on constate de façon récurrente la croissance du nombre des prétendants à l'intervention dans les processus de production des ouvrages.

Des professions qui ont longtemps assuré une maîtrise d’œuvre étendue se voient aujourd’hui de plus en plus circonscrites à une fonction spécifique tandis que d’autres se constituent en mettant l’accent sur de nouvelles missions. Il y a donc là une identification nécessaire des positions professionnelles qui sont en concurrence pour le monopole ou l’appropriation de la définition de l’une ou plusieurs fonctions du processus de maîtrise d’œuvre.

Dans ce jeu de relations pour l’appropriation des fonctions du processus s’institue un « chassé-croisé » des professions de la maîtrise d’œuvre. Certaines professions se positionnent vers des missions en amont du processus de production des bâtiments tandis que d’autres se recentrent sur des missions spécifiques. Chacune des quatre professions de la maîtrise d’œuvre est donc affectée de manière différente par cette dynamique.

Note de bas de page 2 :

Le cas des infrastructures reste singulier : largement investi par les ingénieurs et les grands groupes de la construction, les architectes y sont peu présents.

Note de bas de page 3 :

 Pour Pierre Bourdieu la notion de trajectoire ne peut être construite comme l’histoire « des positions successives occupées par un même agent ou un même groupe ». En effet, explique-t-il, « les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l’espace social, c’est-à-dire, plus précisément dans les différents états successifs de la structure de la distribution des différences espèces de capital qui sont en jeu dans le champ considéré ». Cf. « L’illusion biographique », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62-63, 1986, p. 69-72.

Tenant le propos aux quatre professions constituant le cœur de la maîtrise d’œuvre de bâtiments2 (architectes, ingénieurs, économistes de la construction, OPC), je cherche ici à cerner les évolutions globales et significatives à propos des missions sur lesquelles celles-ci se positionnent dans le processus de production d’un ouvrage. Il s’agit en fait en retraçant les évolutions de « trajectoire3 » de ces quatre professions de la maîtrise d’œuvre de saisir les modalités de circulation et de concurrence qui se jouent dans la division du travail d’un ouvrage et de situer les architectes dans cette lutte. Ce n’est en effet qu’en reconstituant les « trajectoires » des professions et la manière dont celles-ci négocient les frontières de leur territoire dans le processus de production d’un ouvrage que l’on peut saisir comment se déploient les ressources que ces dernières mobilisent dans la lutte qui les oppose. L’analyse est présentée par profession et appréhende donc les stratégies de positionnement dans le processus de production de chaque métier à l’aide d’illustrations par des cas concrets présentés sous la forme d’encadrés.

2. 1. Les architectes : diversification et spécialisation

Note de bas de page 4 :

Raymonde Moulin et Al., Les architectes, métamorphose d'une profession libérale, op. cit.

Note de bas de page 5 :

Ce phénomène de « réduction » de la mission de l’architecte qui a été développé en première partie est unanimement constaté dans les travaux sur cette profession (quelle que soit la posture théorique empruntée). Ainsi par exemple, Florent Champy explique que « les architectes ne peuvent espérer reconquérir leur position perdue dans la coordination du travail de l’ensemble des participants de la conception tant les obstacles sont nombreux » (in Sociologie de l’architecture, op. cit. p. 103), et Christian De Montlibert, de son côté, montre que la fonction de synthèse et de coordination de l’ensemble du processus ne fonctionne plus dans les faits mais subsiste comme une « idéologie » qui a pour « double fonction d’assurer leur pouvoir dans leur concurrence avec leurs partenaires tout en masquant à leurs propres yeux leur appréhension de perdre la place centrale qu’ils avaient su acquérir dans le processus d’aménagement de l’espace » (in L’impossible autonomie de l’architecte, op. cit. p. 50). Autrement dit, et on y reviendra en conclusion, ce n’est pas parce que cette place n’existe plus dans les faits que l’entretien de la croyance en sa subsistance ne produit pas des effets réels.

Chez les architectes, déjà, en 1973, le travail de Raymonde Moulin et son équipe4 montrait que la mythique fonction de synthèse et d'orchestration traditionnellement dévolue à l'architecte était vouée à l'obsolescence sous la contrainte du marché. Depuis, il s'est ajouté à leur situation une croissance importante des effectifs professionnels et, à en croire les différentes études disponibles, comme les propos des architectes, la maîtrise complète du processus d'édification n'est plus qu'un rêve ancien5. Si, comme on l ‘a vu, la concentration des moyens de production dans de grosses agences demeure marginale, on constate cependant de nombreux changements qui laissent penser qu'une organisation nouvelle se forme au niveau de la distribution des postes et des tâches dans le processus de la conception architecturale.

Progressivement, trois processus conjoints se sont développés : diversification des activités d’une part, recentrage sur la conception de l’autre, et enfin, spécialisation sur des lignes de produits ou d’ouvrages spécifiques. Recentrage sur la conception face à la segmentation du processus et à la prise d’autonomie de certaines professions et missions telle que celle de coordination et d’OPC. Diversification des activités liées à l’invention ou l’investissement de nouveaux postes et métiers (urbaniste, designer, programmateur) sur la base de la formation initiale d’architecte sous le coup de la croissance des effectifs diplômés et du développement de nouveaux besoins. Enfin, au niveau des agences, on note un mouvement général de spécialisations, plus ou moins contraintes, du fait des modes de sélection sur compétences des concours et d’une demande accrue de « qualité » du côté de la commande.

L’investissement de nouvelles missions

Note de bas de page 6 :

Cf. François Barré, « Pour une diversification des métiers de l’architecture face à la commande » in L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, PUCA, 1997, pp. 11-12.

Note de bas de page 7 :

Guy Tapie, tente toutefois une typologie des nouvelles fonctions assurées par les architectes faisant l’hypothèse que ces fonctions sont avant tout des fonctions liées à l’urbanisme, in Les architectes : mutations d’une profession, L’Harmattan, 2000, pp. 231-250.

Note de bas de page 8 :

Cf. Jean-Philippe Guillemet, La formation initiale et continue des architectes, in Elisabeth Courdurier, Guy Tapie (dir.), Les professions de la maîtrise d’œuvre, op. cit. p. 11.

Note de bas de page 9 :

Cf. Christian de Montlibert, L'impossible autonomie de l'architecte, PUS, 1995 et Olivier Chadoin, Trajectoires de jeunes diplômés en architecture et recomposition d’un champ professionnel, DEA de sociologie, Université de Bordeaux II, 1995.

Si le thème de la diversification reste accepté dans son principe et acquis pour cette profession (puisqu’il est même encouragé au niveau de la Direction de l’Architecture6), il est très malaisé d’en saisir les lieux de réalisation. À défaut d’établir une liste sèche des nouveaux territoires professionnels des architectes7, on peut s’accorder et sur le développement de métiers liés à l’urbanisme et à l’environnement, et sur celui de compétence de conseil et de service lié au développement d’une offre d’assistance ou d’AMO. L’investissement de missions en amont ou sur d’autres domaines (études urbaines, programmation, urbanisme, paysage, design) est pensé comme l’investissement d’un métier distinct. Les architectes qui se consacrent à l’urbain, par exemple, le font souvent sur la base d’une formation supplémentaire et établissent une distinction entre leur métier d’architecte et celui d’urbaniste. On remarque effectivement pour les architectes un usage prégnant de la formation en cours de carrière et une forte croissance du nombre de professionnels possédant une double qualification (architecte DPLG et DESS « urbanisme », architecte et paysagiste, architecte avec Certificat d’Études Approfondies en Architecture, CEAA, « patrimoine, environnement »)8. Ce double mouvement qui contribue à un élargissement de la définition de leur expertise et par-là même à une élévation générale du niveau de qualification des professionnels, est lié à deux facteurs. D’abord, la re-formation en cours de parcours professionnels semble répondre à une volonté de diversification des marchés des agences et d’adaptation par la formation à l’évolution des marchés. Ensuite, la multiplication des formations complémentaires est liée au recul de l’âge d’entrée sur le marché du travail par une large fraction des diplômés de ces dix dernières années qui ont eu à faire face et à la crise du secteur et à l’augmentation du nombre de diplômés9, notamment les nouveaux profils entrants dans les écoles d’architecture.

Note de bas de page 10 :

C’est moi qui souligne.

Présentation du métier d’architecte par le Ministère de la culture
Extrait du « Guide des formations aux métiers de l’architecture », 2005
Les métiers10 de l'architecte : Des domaines d’intervention diversifiés

Les missions qui sont confiées à un architecte sont multiples. Elles vont de la conception et la réalisation de bâtiments (1), aux interventions sur la ville et le territoire. L'architecte doit maîtriser la représentation dans l'espace, être capable de concevoir un projet architectural et d’en conduire l'exécution.
L'architecte travaille au sein d'équipes pluridisciplinaires composées d’ingénieurs, de paysagistes, d’urbanistes, d’économistes, de sociologues et de plasticiens.
Ses services peuvent être sollicités par des particuliers, des chefs d'entreprise, des propriétaires institutionnels (compagnies d'assurance, banques...) ou des professionnels de l'immobilier (promoteurs, administrateurs de biens). L'État, les collectivités territoriales, les Sociétés d'Économie Mixte ou les organismes HLM assurent également une part importante de la commande d'architecture dans le domaine des équipements publics, écoles, hôpitaux, salles de sport, etc.
Un architecte peut donc intervenir dans les domaines suivants :
la conception et la réalisation de bâtiments, la gestion et le suivi de chantiers, l'entretien, la réhabilitation, la transformation et l'agrandissement de bâtiments, la sécurité des constructions, la décoration intérieure ou extérieure d’un bâtiment, la programmation, le montage d'opérations, la conception et l'aménagement d'espaces publics, les études d'impact et environnementales, l'enseignement et la recherche, le conseil aux collectivités territoriales, l'assistance à la maîtrise d'ouvrage privée, l'expertise auprès des tribunaux, le paysagisme, l'urbanisme, le design, l'infographie et les nouveaux médias, la scénographie, l'architecture navale, les métiers de l'organisation et de la communication, etc.

Des modes d’exercice différents

Le mode d’exercice des architectes reste majoritairement libéral, avec une augmentation des architectes exerçant en société par rapport aux individuels. Les autres se répartissent entre les agents publics de l’État (…) ou des collectivités territoriales, les salariés, les architectes exerçant à l’étranger et les architectes sans activité (2).
La concurrence accrue, en particulier sur le plan international, va inciter les architectes à opérer des regroupements permanents ou temporaires, associant des professionnels de qualifications diverses (ingénieurs, paysagistes, urbanistes, économistes...), travaillant dans des bureaux d’études techniques et des cabinets d’architecture et à travailler en réseau (ce qui implique de revoir l’organisation des sociétés d’architecture). Enfin, on peut souhaiter que soit renforcée la représentation des architectes dans les structures publiques, en particulier au sein des collectivités locales.
(2) Le mode d’exercice des architectes : libéral (83,6 %), architectes exerçant en sociétés (12,9 %), individuels (70,7 %). Les 16,3 % restant se répartissent entre les agents publics de l’État ou des collectivités territoriales (3,3 %), les salariés (8,4 %), les architectes exerçant à l’étranger (0,2 %) et les architectes sans activité.

Note de bas de page 11 :

Le développement de cette représentation des processus de production de la ville contemporaine est sans aucun doute lié au relatif désengagement de la puissance publique dans le montage des opérations architecturales et urbaines et le recours croissant à un partenariat entre public et privé. Ce phénomène, qui n’est pas ici directement mon objet mériterait, une étude particulière. Un certain nombre de travaux existent néanmoins sur ce sujet, notamment initiés par le réseau Ramau, cf. entres autres, Olivier Chadoin, Thérèse Evette (Dir.), Activités d’architecte en Europe, nouvelles pratiques, Ed. de La Villette, 2003.

Au niveau des processus de production et de la place qui occupent les architectes, comme on l’a vu, les processus ont évolué depuis un mode de production de la ville de type « hiérarchique » vers un mode de production de type « négocié » (cf. partie 1, chapitre 3). Dans le premier type, les processus restent séquentiels, hiérarchisés et centrés sur la spécificité des expertises alors que dans le second, les systèmes d’expertises s’ouvrent pour laisser la place à la pluridisciplinarité et à un mode de travail par projet11. De fait, avec ce passage, les fonctions techniques et de conception se sont modifiées pour s’élargir à de nouveaux professionnels (économiste, manager, sociologue, communicant…). Aussi, c’est l’espace professionnel qui s’est ouvert.

Note de bas de page 12 :

Guy Tapie identifie ainsi cinq figures de compétences des architectes : « l’architecte-urbaniste concepteur », « l’architecte-manager », « l’architecte-programmateur », « l’architecte- coordonnateur », le « passeur stratégique », in Sociologie de la fabrication des espaces – architectes et autres professionnels, Rapport d’Habilitation à Diriger les Recherches, Université Victor Segalen, Bordeaux 2, Section sociologie, sous la direction de François Dubet, pp. 118-119. Voir également « Profession et pratiques. La redistribution des activités des architectes » in Cahiers de la recherche architecturale, n° 2-3, novembre 1999, pp. 65-74. Cette lecture en termes de « compétence » reste dans l’ensemble attachée à la volonté de repérer l’émergence de « nouvelles compétences » des architectes sans pour autant considérer les ressorts de cette capacité « multipositionnelle » que leur confère le capital symbolique attaché au titre.

Cette complexification des modes de production de la ville a eu pour effet d’engager le travail des architectes dans un cadre « pluridisciplinaire », ou mieux « interprofessionnel », mais surtout, favoriser le développement de métiers de l’articulation. Cette double évolution des besoins de médiation et de coordination conduit la profession d’architecte à un re-positionnement dans les processus de production d’un ouvrage entre la « préparation de la conception », sa « transmission » et sa « conduite ». Dans la mise en place de la distinction entre production architecturale et production urbanistique, on relève quatre grandes figures qui s’imposent à l’intersection de ces deux champs de production et du côté de la préparation de la conception : l’architecte-urbaniste-concepteur, l’architecte-médiateur, l’architecte-traducteur, l’architecte-programmateur12. Pour exemple de ce type de profil, articulant une formation de base en architecture à l’investissement d’un autre territoire, on peut citer au moins deux cas (le cas de l’architecte coordonnateur développé précédemment en illustre un autre).

Note de bas de page 13 :

Les Certificats d’Etudes Approfondies en Architecture, dispensant une formation d’une durée de 1 à 2 ans selon les écoles d’architecture sur le modèle des DESS, ont aujourd’hui disparu.

Un architecte-urbaniste

M. Magritte, architecte DPLG, par ailleurs titulaire d’un CEAA13, environ 40 ans, se définit comme « architecte-urbaniste ». Il a créé son agence en 1998 et travaille seul en usant d’une « politique de co-traitance, souvent pluridisciplinaire, qu’impose l’urbanisme ». Selon lui dans ce domaine « le plus important est que les différentes professions travaillent pour faire émerger un projet de façon non sectorisée et il faut travailler dans un autre esprit que celui d’une hiérarchie des professions ». Ses principaux marchés sont « l’urbanisme et le territoire ». Il a d’ailleurs le sentiment d’être « un architecte du territoire ». Il travaille essentiellement avec les collectivités territoriales sur des POS (plan d’occupation des sols), l’élaboration de stratégies urbaines, et la requalification d’espaces publics. « L’aménagement du territoire et l’aide à la maîtrise d’ouvrage » sont des « marchés porteurs ». Pour lui l’urbanisme est une compétence distinctive par rapport aux « architectes purs qui font plutôt du bâtiment ». Selon M. Magritte, les exigences des commanditaires ont beaucoup augmenté et il y a « une pression de plus en plus forte sur les délais, les prix et le contrôle du projet ». Selon lui les différentes lois liées à la maîtrise du développement urbain et à l’environnement (paysage, eau, air, renouvellement urbain) vont avoir de fortes incidences sur les métiers d’architecte et d’urbaniste et leurs relations aux maîtres d’ouvrage. En ce sens pour M. Magritte, l’aide à la maîtrise d’ouvrage va se développer car « l’intercommunalité croissante engendre un rapport au projet qui s’alourdit » et, « il va falloir s’y préparer », conclue-t-il.

Un architecte-programmateur

M. Millet est architecte DPLG de formation et possède un CEAA. Il exerce en indépendant le métier d’architecte et de programmateur depuis 15 ans. Son agence comprend quatre architectes salariés. Lui, se charge essentiellement des missions de programmation. Pour lui c’est « vraiment un travail spécifique et prenant », aussi il ne fait « pas plus de trois programmations par ans ». Concernant la capacité des architectes à investir des fonctions de programmations, elles ne sont pas, selon M. Millet, une donnée systématique. Ce qui compte avant tout selon lui c’est « la méthode » et la capacité à « s’adjoindre les compétences nécessaires ». Ainsi, M. Millet fait appel à des spécialistes de différents domaines pour élaborer ses programmes (BET, paysagistes, historiens, sociologues, économistes, plasticiens…). Il définit son activité par une « situation d’entre-deux » entre la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d’ouvrage. Il explique le développement de son métier au sein de l’agence par la situation de besoins de la maîtrise d’ouvrage : « on s’aperçoit que souvent les maîtres d’ouvrage publics, en particulier les petites communes, ont une méconnaissance complète de l’acte de bâtir (…) c’est donc à partir de ce constat que nous avons trouvé intéressant de proposer aux maîtres d’ouvrage cette mission d’assistance ». De plus il y avait selon M. Millet une « volonté économique » car « la profession a des difficultés à trouver du travail et peu à peu elle s’éclate : il y a des gens qui font du design, du paysage, des études de programmation… » qui plus est, selon lui, « ce sont des professions où la compétence des architectes est toujours très honorable et bien exploitée ».

Note de bas de page 14 :

Cf. Everett C. Hugues, « Dilemmes et contradictions de statut », in Le Regard sociologique, EHESS, 1996, pp. 187-197, qui développe cette notion pour montrer justement comment les changements de profils sociaux et de rôles des professions sont au principe de dilemmes identitaires.

Note de bas de page 15 :

Sociologie de l’architecture, op. cit. p. 106.

Note de bas de page 16 :

La notion de « capital symbolique » empruntée aux travaux de Pierre Bourdieu renvoie ici au crédit et à l’autorité attachés au titre (« architecte »), et à la croyance ou reconnaissance qu’y accordent encore les professions de la maîtrise d’œuvre partenaires des architectes.

Note de bas de page 17 :

Cf. La noblesse d’État, grandes écoles et esprit de corps, Minuit, 1989, p. 172-174.

Note de bas de page 18 :

Croyance qui est au cœur de la constitution historique de cette profession et de son système de valeurs comme le montre Christian De Montlibert, in L’impossible autonomie…op. cit. p. 48-50.

Néanmoins, comme on l’a déjà dit, la diversification et l’investissement de nouvelles missions de la part des architectes est encore vue par une fraction de la profession comme posant des problèmes identitaires eu égard à un modèle historiquement institué de la maîtrise d'œuvre libérale qui fonctionne comme un « stéréotype professionnel14 ». Pourtant, cette dispersion atteste d’une forte capacité d’adaptation et d’une forte mobilité dans le processus de conception de la part des architectes. Il est à cet égard significatif que le titre « architecte » demeure et qu’il soit suivi d’un autre qualificatif désignant une autre fonction (architecte-urbaniste, concepteur, coordonnateur…) À la différence des autres professions, qui ont fondé leur position dans les processus sur une technicité reconnue (par division du travail), la compétence des architectes se caractérise effectivement plus par son aspect généraliste. Plus exactement, la revendication d’une culture générale transversale aux fonctions des processus de production place, de fait, les architectes en position favorable pour investir de nouvelles fonctions. Si, comme le dit Florent Champy les architectes sont dans une situation paradoxale, dans la mesure où ils sont obligés de « mobiliser des compétences qui relèvent de domaines dans lesquels ils ont perdu leur pouvoir, pour préserver l’autonomie de leurs choix esthétiques, alors même que ces choix ne repose sur aucun savoir incontestable mais sur la mise en œuvre d’une culture15 », il faut tout de même rappeler qu’ils disposent encore d’un « capital symbolique16 » important dans la lutte qui les opposent aux autres professions de la maîtrise d’œuvre. Tout se passe en fait comme si le titre continuait pour eux à fonctionner non pas seulement comme une garantie de compétence technique mais aussi comme une garantie de dignité. Or, comme l’explique Pierre Bourdieu « plus la définition du titre et la définition du poste est floue, plus il y a de la place pour le bluff et plus les détenteurs de capital social et symbolique ont de chances d’obtenir un rendement élevé de leur capital scolaire17 ». En ce sens, les architectes possèdent un atout de poids dans la lutte pour l’appropriation de nouvelles missions dans le processus de production des ouvrages. De ce point de vue il n’est finalement pas étonnant de les voir développer des identités qui se traduisent souvent par la multiplication des épithètes : architecte-coordonnateur, architecte-concepteur, architecte-urbaniste, architecte-programmateur... Loin du paradoxe ou de l’hybridation, il semble en fait que la force symbolique attaché au titre d’architecte constitue une ressource pour l’appropriation de nouvelles fonctions dans le processus de production. Mieux encore, en conservant le terme architecte tout en se positionnant sur de nouvelles missions, la croyance en la représentation généraliste et au supposé talent de synthèse18 qui caractériserait ce métier trouve les moyens de sa préservation.

Stratégies de spécialisation et « réseautage »

Note de bas de page 19 :

Cf. Françoise Piotet, La révolution des métiers, op. cit., pp. 8-9. L’exemple, emblématique de cette extension de la spécialisation citée par l’auteure, est celui des commissaires-priseurs étudiés par Alain Quemin dans ce volume (« ‘De l’espace privé à l’espace professionnel’ - Les commissaires-priseurs », pp. 317-344).

Note de bas de page 20 :

Cette évolution, constatée par de nombreux travaux, n’est pas une tendance spécifiquement française. Cf. Bernard Haumont, Véronique Biau, Patrice Godier, « Les segmentations des marchés de maîtrise d’œuvre : esquisse européenne » in Christina Conrad (dir.), L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, PCA, 1997, pp. 29-49 ou encore Guy Tapie, Les architectes, mutations d’une profession, op. cit. pp. 191-201.

Note de bas de page 21 :

Il faut aussi noter, à titre d’indice, que la majorité des agences présentent leurs références en les classant par type d’ouvrage (logements, bureaux…), et arrangent cette présentation en fonction du type de commande pour lesquelles elles sont candidates. Cf. sur ce point Christophe Camus, A la recherche de l’architecture – Observation participante d’une agence, LET, 1998.

Note de bas de page 22 :

Cf. Guy Tapie, « Rôles et positions des architectes dans les projets architecturaux et urbains : une comparaison franco-espagnole », in L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, vol. 3, PUCA, 1998, pp. 53-62

Dernière figure marquante de l’évolution du métier d’architecte : la spécialisation. Comme le souligne Françoise Piotet, cette tendance à la « spécialisation » s’étend aujourd’hui à la grande majorité des métiers19. Pour les architectes, elle renvoie à un recentrage sur un segment particulier des marchés de la construction20 de la part d’un certain nombre d’agences d’architecture. Celle-ci semble toucher un nombre encore limité d’agences et renvoie en particulier au positionnement sur des lignes de produits complexes et contraignants du point de vue de la prise en charge du déroulement d’activités spécifiques et réglées (hôpitaux, bâtiments industriels, réhabilitation de patrimoine). Elle suppose une adaptation particulière des agences à ces types de commande. Néanmoins, si elle se révèle être un important atout d’adaptation économique, elle comporte certaines contradictions. D’une part, elle met en cause l’image de l’architecte « créateur universel » (« de la poignée de porte à l’ensemble urbain », affirment encore certains) ; d’autre part, elle peut poser des difficultés pour faire face aux cycles des marchés et se repositionner sur d’autres types d'ouvrages21. Aussi, la spécialisation, qui renvoie à une fragmentation des marchés du bâtiment, cohabite le plus souvent dans le champ de l’architecture avec le développement de logiques de réseaux et d’associations permettant d’investir de nouveaux segments de commande. Elle se double en fait d’une « stratégie organisationnelle ». À ce niveau, elle ne marque pas une évolution profonde du métier, mais un changement au niveau des modes d’organisation des agences avec l’émergence du modèle de « l’agence réseau22 » qui fonctionne sur des logiques d’association, une grande mobilité des salariés d’agence et l’entretien d’un solide carnet d’adresses. Cette logique permet en fait aux agences d’architecture d’éviter la concentration et explique le faible développement des structures ayant de gros effectifs salariés. Il s’agit donc pour ces dernières de développer des associations de manière stratégique, selon les commandes, avec des partenaires réguliers en fonction des projets.

Il faut cependant mentionner une autre logique liée elle aussi à la spécialisation : celle du développement d’une compétence complète sur une ligne de produit. Dans certains cas, la spécialisation peut être revendiquée et aboutir à une logique d’offre de compétence diversifiée au sein du processus. C’est par exemple le cas de l’agence décrit ci-après. Celle-ci est partie d’une spécialisation en termes de conception sur les espaces de travail et a progressivement mis en place une offre complète de service liée à ce secteur du marché de la construction.

Note de bas de page 23 :

Sur ce cas, cf. aussi Philippe Meurice in L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, vol. 3, PUCA, 1998, pp. 109-118.

Note de bas de page 24 :

Ce terme de « space planning » comme celui de « space planners » (parfois traduit par « planificateurs d’espaces ») est utilisée dans ce monde professionnel pour désigner une mission qui consiste à optimiser l’utilisation des espaces construits, notamment les espaces de travail, et rentabiliser un projet immobilier. L’usage d’un terme anglo-saxon est en fait utile pour ces professionnels en termes de stratégie distinctive vis à vis des architectes d’intérieur en ce qu’il permet d’insister moins sur l’aménagement et la décoration des espaces intérieurs que sur la recherche d’optimisation et de rentabilité dans l’usage des biens immobiliers. De fait, les structures qui revendiquent cette orientation du métier ont principalement investi le marché de l’immobilier de bureau et d’entreprise. Ces professionnels revendiquent non seulement un savoir en termes d’aménagement mais également un rôle de conseil en gestion des organisations. Pour exemple, une entreprise « d’aménagement et de space planning » définit sa prestation de la manière suivante sur son site Internet (c’est moi qui souligne) : « Nos space planners sont de vrais multi-spécialistes qui maîtrisent les différentes matières nécessaires à la réussite de ce type de projet (les espaces de travail) : architecture, design, organisation d'entreprises, réseaux et télécoms, décoration, second œuvre du bâtiment, cloison, mobilier, maintenance, déménagement... Notre résultat : des implantations réussies aux meilleurs coûts où il fait bon travailler. » Aussi, les références mobilisées par ces professionnels sont-elles le plus souvent celles des sciences de la gestion.

Une agence d’architecture spécialisée

Espace architecture23 est décrite comme une agence d’architecture spécialisée dans les lieux de travail. Créée par trois architectes associés en 1981 elle a axé son développement sur une « déclaration d’intention » : « l’usine, l’organisation du travail, l’organisation des espaces ». Ainsi, « très vite l’agence à été confrontée aux équipes d’ingénieurs process et à une réflexion sur les process, les flux, les stocks, l’ergonomie… tous ces éléments de conception de l’espace qui, traditionnellement n’ont pas grand-chose à voir avec l’architecture ». Peu à peu les architectes constatent qu’elle « ne peut se satisfaire d’un positionnement d’architectes » pour répondre aux conditions de spatialisation des activités industrielles. Aussi, commente l’un des architectes, « nous avons décidé d’élargir notre champ d’intervention vers l’amont de la programmation et vers l’aval, avec le « space-planning24 », l’organisation et la spécialisation que nous avions mises en place a été modifiée par une dynamique de diversification ». C’est de cette façon qu’en 1987 et 1995 l’agence d’architecture s’est associée successivement avec deux cabinets européens de consultants travaillant sur ce thème de l’organisation spatiale du travail. Aujourd’hui, l’agence compte 25 salariés répartis en trois départements : architecture et ingénierie, programmation-space planning, infographie et supports.

Finalement, les jeux de concurrence et de division du travail entre professions au sein du processus de production des ouvrages engagent les architectes dans trois directions distinctes : la diversification des missions, la spécialisation, le développement de stratégies de réseau.

Note de bas de page 25 :

Cf. Denis Segrestin, « Les communautés pertinentes de l’action collective », Revue Française de Sociologie, XXI-2, pp. 232-248, cité in Françoise Piotet, La révolution des métiers, PUF, 2002, pp. 7-8.

Si la diversification permet à l’architecte de préserver la croyance au caractère généraliste de son métier, la spécialisation l’entame fortement en mettant en cause la croyance aux figures du génie créateur et du chef d’orchestre omniscient. De surcroît, elle engage le plus souvent les agences dans une rationalisation des méthodes de travail et une répétitivité qui fait entrer l’architecte dans une « stratégie d’organisation » axée sur l’efficacité et la compétitivité ; notions peu compatibles avec la représentation de créateur historiquement attachée à son activité. Aussi, l’idée d’une spécialisation reste-t-elle très souvent déniée par les architectes. C’est ainsi qu’un architecte dont environ 60 % du chiffre d’affaire est réalisé dans le secteur de l’immobilier tertiaire explique « le mot ‘spécialisation’ ma toujours ennuyé. Je me sens tout aussi capable de dessiner une maison individuelle qu’une usine de 600m² (…), ce que je sais faire sur l’un, je sais forcement le faire sur l’autre, à l’école on ne vous apprend pas à dessiner par secteur, logement, tertiaire… (…), il est vrai qu’on commence à avoir des références dans ce domaine (l’immobilier tertiaire). On a en fait une spécialisation entre guillemets, mais moi je déteste dire que l’on est spécialisé. En fait on a une spécialité, c’est un domaine qu’on connaît bien, voilà c’est tout ». Dès lors qu’intervient une « spécialisation » plus poussée et un accroissement de la division du travail des architectes, c’est effectivement la construction de « communautés pertinentes25 » qui est rendue problématique. C’est en ce sens sans doute qu’il faut entendre ce déni de spécialisation ; en ce qu’il met en cause la représentation unitaire de la profession d’architecte, qui reste une nécessité pour l’action collective et le sentiment de « faire corps » (professionnel).

Enfin, la stratégie de réseau, qui repose sur l’élaboration de partenariats et d’alliances avec d’autres agences d’architecture et d’autres professionnels de la maîtrise d’œuvre (BET, économistes…), permet aux architectes de conserver une petite taille d’organisation tout en postulant sur des projets importants. Ainsi, le dilemme posé par une identité de créateur mise en avant et la nécessité de développer une stratégie organisationnelle trouve-t-il là un moyen de résolution. Reste cependant le problème de la cohésion de ces équipes créées « par projet » qui engagent à chaque fois les architectes à négocier la part de leur travail, leurs honoraires également, avec leurs confrères ou d’autres professionnels associés.

Note de bas de page 26 :

Contrairement aux économistes de la construction et OPC, le métier d’ingénieur a donné lieu à de nombreux travaux sociologiques et historiques, que manifeste une imposante bibliographie. Mon propos n’est cependant pas de refaire l’histoire ou la sociographie de ce groupe mais de saisir la manière dont ce dernier se positionne dans le processus de production des ouvrages en tant que métier de la maîtrise d’œuvre.

2.2. L’ingénierie26 : stratégies de spécialisation et développement organisationnel

Note de bas de page 27 :

Jusqu’au XVIIIe siècle, le savoir de la construction est indissociablement architectural et technique. C’est seulement dans la première moitié du XIXe siècle que débute une concurrence entre ingénieurs et architectes, notamment avec le développement d’écoles d’ingénieurs indépendantes et l’opposition entre deux pôles antagonistes : l’école des Beaux-Arts (fondée en 1806) et l’école polytechnique (1794). La polémique qui est supposée opposer depuis ces deux professions s’appuie en fait sur deux conceptions antagoniques de la construction : d’un côté les ingénieurs reprocheraient aux architectes leur manque de considération pour les choses techniques ; de l’autre les architectes reprocheraient aux ingénieurs leurs réalisations utilitaires sans sens artistique, trop proche des considérations de l’industrie. Mais en réalité cette opposition semble être de « surface ». En effet, Hélène Lipstadt montre, en analysant sur la longue durée l’histoire des relations entre ces deux professions, que cette polémique est surtout présente chez les architectes et peu chez les ingénieurs. Elle fait alors l’hypothèse que l’utilité de cette polémique est finalement d’éviter aux architectes d’aborder les questions qui concernent leur métier. Cf. Hélène Lipstadt et Al., Architectes et ingénieurs dans la presse, polémique, débat, conflit, CORDA-IERAU, 1980, commenté par Gérard Ringon, Histoire du métier d’architecte en France, op. cit., pp. 88-92.

L’histoire des relations entre architectes et ingénieurs est finalement l’histoire du développement de deux figures par séparation27 : d’un côté celle de l’architecte artiste, de l’autre celle du « technicien savant » capable de rationaliser son travail et son organisation. Cette représentation est encore forte dans l’opposition entre structure d’ingénierie et agence d’architecture. D’un côté des structures aux méthodes et à l’organisation des tâches relativement rationalisées, de l’autre des agences d’architecture de faible taille travaillant « par projet ». Il ne s’agit néanmoins pas pour moi de refaire ici cette histoire, mais plutôt de saisir de manière synchronique la position qu’occupent les ingénieurs et leurs Bureaux d’Études Techniques (BET), partenaires obligés pour la construction, au sein des processus de production des ouvrages et les stratégies qu’ils déploient pour y tenir leur place, si ce n’est l’étendre.

Spécialisation et « remontée » vers la conception architecturale

Note de bas de page 28 :

Ces deux secteurs de l’ingénierie sont représentés en France par deux syndicats : le Syntec pour les grandes sociétés d’ingénierie et la Chambre des Ingénieurs Conseil de France (CICF) pour les structures de petites tailles.

Note de bas de page 29 :

Cf. Sihem Ben Mahmoud Jouini, (Dir.), Co-conception et savoirs d’interaction, PUCA, 2003.

Le monde des bureaux d’études techniques et sociétés d’ingénierie se positionne en fait sur deux types de prestations : conseils et études d’une part et prestations d’études techniques d’autre part28. Ces missions d’ordre techniques sont en principe liées aux fonctions de « mise au point constructive ». Il s’agit de développer une « conception technique » qui complète la « conception architecturale » des constructions ; c’est-à-dire passer du « quoi faire » au « comment faire29 ». Aussi les BET, généralistes (dits « tout corps d’état ») ou spécialisés, sont-ils des partenaires privilégiés des architectes dans la maîtrise d’œuvre. Traditionnellement, ceux-ci travaillent comme sous-traitants ou associés, plus rarement salariés, pour assister les architectes dans la mise au point technique de leur projet. Néanmoins, on observe dans ce monde de l’ingénierie, et une stratégie de spécialisation des prestations, et une stratégie de développement de grandes structures capables de fournir des prestations complètes, qui offrent un gain d’autonomie par rapport aux architectes. Ainsi, certains parlent aujourd’hui, à propos de la collaboration des ingénieurs avec les architectes, non plus de « mise au point constructive » mais de « co-conception » ; traduisant par là le fait que les ingénieurs travaillent au plus près des architectes, les accompagnant dès le stade de la conception.

Note de bas de page 30 :

Cf. Philippe Alluin Ingénieries de conception et ingénieries de production, PUCA, 1998.

Note de bas de page 31 :

Le terme désigne les taches relativement classiques et codifiées (notamment par l’usage de ratios et de formules de calcul éprouvés), de calcul des forces, poids et mesures des constructions.

Note de bas de page 32 :

Idem, p. 31.

On observe cependant une chute des performances d’activité de la part des BET dits « tous corps d’état » au profit des BET30 spécialisés. Indéniablement, les structures généralistes qui ont misé sur « l’ingénierie de calcul31 » font les frais du développement de l’informatique et des délocalisations qui concourent à déqualifier leurs prestations32. D’un côté les bureaux d’études spécialisés semblent toujours réclamer plus d’innovation et misent sur une exploitation de compétences pointues, de l’autre les BET généralistes (dont le travail est aujourd’hui grandement changé par l’usage de l’informatique) ont recours de façon croissante à des personnels de faible niveau. Pour le dire autrement, la structuration des compétences obéit à une logique de séparation entre « exécution » et « conception ». Ainsi, on note que dans ces structures, les profils recherchés sont plus souvent issus de formations de type IUT voire Baccalauréat technologique qu’ingénieurs proprement dits. A l’inverse, les BET qui se sont spécialisés sur des « niches » liées à des matériaux ou à des mises en œuvre singulières (bois, textile, HQE…) placent la compétence de leurs collaborateurs à un haut niveau et font de la stabilité des personnels un argument stratégique. Par conséquent, c’est dans ce champ des spécialisations que se rencontre le plus un renouvellement dans la prise en charge des fonctions du processus.

Note de bas de page 33 :

Ce qui d’ailleurs est assez révélateur de la situation française dans laquelle les architectes sont très peu « techniques » et plus centrés sur l’image, comparativement aux anglo-saxons qui sont beaucoup plus précis sur le volet technique des projets ou à d’autres pays européens comme l’Allemagne ou encore l’Espagne où architectes et « architectes techniques » (apajerador), sont formés ensemble.

Un bureau d’études techniques spécialisé

Le bureau de M. Dubuffet est spécialisé dans la production d’ouvrages à structure métallo-textile. Compte tenu de la faible présence de structures concurrentes sur ce secteur relativement spécialisé et des innovations qu’il engage, le BET travaille avec « un réseau d’acteurs connus ». En effet, au vu de la nouveauté et de la spécificité du secteur, M. Dubuffet est obligé de « travailler très en amont et en partenariat avec l’architecte qui le contacte très vite ». Il précise : « il n’est pas possible pour moi d’imaginer des équipes par projet comme dans les agences d’architecture. En ingénierie, et surtout en ingénierie spécialisée, il y a un savoir-faire qui s’acquiert dans l’entreprise ; je suis obligé d’avoir des compétences pérennes ».
Le métallo-textile est en effet un matériau nouveau qui au-delà de ses caractéristiques techniques, offre une possibilité et une opportunité de renouvellement de la forme architecturale. Son esthétique translucide est souvent mise en avant par les revues professionnelles. Ce fait a pour le BET deux conséquences liées : la nécessité d’un travail conjoint avec les architectes très tôt dans la conception du projet d’une part, et la mise en place d’une capacité à « concevoir avec » les architectes d’autre part : « Les architectes qui ont la volonté de travailler avec nous sur l’image de leur bâtiment s’adressent effectivement relativement tôt au BET, généralement sur la base d’une esquisse. Il s’ensuit une discussion sur la possibilité technique ou non de s’approcher de la forme voulue. Cette étape est d’autant plus importante que pour nous le travail avec l’architecte est une manière de ne pas dissocier la mise au point technique et l’esthétique. »
Pour M. Dubuffet, « il s’agit de ne pas séparer les différentes facettes du projet (techniques, fonctionnelles, esthétiques, économiques), mais de les aborder ensemble en les hiérarchisant dès la conception. On ne se situe donc pas dans une logique de type problème architectural = réponse technique. Lorsqu’on travaille en ‘co-conception » on est dans une approche et une compréhension globale, holistique, du projet. Cela signifie que dès le stade de l’esquisse un projet doit-être assuré d’une conception pertinente. En général, la structure est dès l’esquisse relativement bien définie. Évidemment nous n’avons pas tous les détails mais nous sommes déjà très proches du réel. Ce travail est par ailleurs facilité par la présence de deux chefs de projet dans le BET ayant un profil d’architecte-ingénieur qui font que se met finalement en place un dialogue entre un architecte technique et un architecte un peu moins technique33. Cette spécificité des ouvrages complexes en général a amené le BET à se doter des compétences d’architectes qui « parlent le même langage ». En effet il faut parvenir à passer du langage de l’architecte au langage technique et vice versa. « Pour cela nous avons une équipe intégrée d’architectes qui va très bien travailler avec des architectes, lesquels ont quand même le souci des ingénieurs. Le travail se fait donc le plus souvent sur le mode de la ‘co-conception’ avec l’architecte. Ce mode de travail amène parfois le bureau d’étude à innover ou à rechercher de nouvelles solutions techniques pour parvenir à la forme proposée. À partir de là, l’innovation technique se fait par le défi que pose la forme. Cela est particulièrement visible et fréquent aujourd’hui avec par exemple les architectures deconstructionnistes comme celle de Bernard Tschumi, Franck Ghery ou Coop Immelbau… et, plus généralement avec le travail sur l’image qui prend beaucoup de place chez les architectes aujourd’hui ». Avec cette méthode on sort donc d’une logique de division du travail entre architecte et ingénieur, l’un attendant des réponses de l’autre sans véritable collaboration, pour entrer dans une logique où le problème est d’organiser la collaboration et de gérer la relation au niveau de la conception. « En fait lorsqu’on travaille en ‘co-conception’ avec l’architecte il s’agit de mobiliser chez les ingénieurs une capacité à concevoir qui se distingue de la capacité à développer. Évidemment, il n’est pas question de se substituer à l’architecte. Notre métier reste la conception technique et nos clients sont d’abord des architectes. Il faut alors avoir la capacité à s’imprégner de ce que souhaite l’architecte, comprendre son projet qui est plus ou moins défini soit par des mots ou des dessins, pour le traduire de manière technique. Il ne s’agit pas pour autant toujours d’innovation mais plus souvent d’invention au sens où l’on compose avec ce que nous connaissons et maîtrisons déjà comme connaissance. Simplement il s’agit de partir de là pour inventer quelque chose qui corresponde à la demande de l’architecte. » Avec cette stratégie, le BET de M. Dubuffet remonte finalement en amont du processus de production et se positionne sur la mission de conception de l’architecte : « Il est vrai que l’on remonte d’un cran dans l’organisation du processus puisque nous sommes présents aux côtés des architectes très tôt : lorsque les architectes viennent nous voir ils n’ont en effet bien souvent qu’une image et nous travaillons alors avec eux à la manière d’aller aux mieux vers cette image voulue ».
Cette spécialisation et ce travail proche de l’architecte place en fait le BET dans une situation particulière de collaborateurs de la conception architecturale qui conduit M. Dubuffet à parler de « co-conception » : « pour le travail sur la structure et l’enveloppe, on touche très directement à la forme du bâtiment. La collaboration peut alors débuter dès la phase concours ou au stade Avant-Projet Sommaire (…) De fait nous sommes très proche de l’architecte sans en être complètement un sous-traitant mais pas non plus seulement un service d’ingénierie, nous sommes dans une position entre-deux. Cette fonction n’existe en fait pas vraiment encore en France. Curieusement, ce métier existe vraiment dans les pays où l’architecte est plus technique comme en Angleterre, mais en France nous avons encore du mal à faire reconnaître une ingénierie enveloppe. Cela en dépit même de la forme des bâtiments contemporains qui appelle de plus en plus de co-conception. Cette question de la reconnaissance de la co-conception est d’autant plus importante que le travail en co-conception engage des rencontres et des réunions qui font que celui-ci a un coût. Néanmoins, il est très difficile de chiffrer le coût de la co-conception pour la valoriser puisqu’en principe c’est l’architecte qui conçoit et on ne nous demande pas de faire de la co-conception ».
Cette stratégie, de « remontée » vers la conception architecturale, passe aussi par une politique de gestion du personnel au sein du BET qui est composé d’ingénieur mais aussi d’architectes et une organisation très proche de celle d’une agence d’architecture : « Non seulement nous avons des ingénieurs et des chefs de projet qui de par leur expérience maîtrisent la conception et l’intelligence constructive (…) mais il y a aussi une question d’organisation car le plus souvent le rythme de travail et la manière de s’inscrire dans le processus n’est pas la même chez les ingénieurs que chez les architectes. Nous avons donc progressivement adapté notre organisation au travail par projet tel que le pratiquent les architectes. Nous sommes en fait structurés comme une ingénierie mais nous fonctionnons un peu comme une agence d’architecture lorsque nous travaillons avec des architectes. Nous sommes en effet obligés de fournir à l’architecte les éléments en fonction de ses besoins et de son rythme d’élaboration du projet, ce qui réclame une souplesse relative ».

Un Bureau d’études techniques « environnement »

Le BET de M. Turner a développé depuis cinq ans environ un secteur Haute Qualité Environnementale (HQE). Tous les collaborateurs du bureau sont ingénieurs ou diplômés de niveau DESS ou Doctorat car selon M. Turner « c’est un bon profil. La formation fac donne une compétence théorique et généraliste importante pour les secteurs sur lesquels l’entreprise intervient. Surtout ils savent s’adapter à des évolutions d’intervention ». La structure travaille avec trois ou quatre BET avec « lesquels elle a l’habitude de travailler » et ces « relations de travail sont en train de se formaliser ». Pour ce qui est de son intervention dans le processus, M. Turner la situe à deux niveaux : d’abord côté maîtrise d’ouvrage, avec une mission d’AMO spécialisée (généralement avec un programmiste) et une mission spécialisée HQE (participation au choix des concepteurs et suivi de l’opération jusque parfois après la livraison) ; ensuite, côté maîtrise d'œuvre, avec des interventions moins ordinaires et plus floues car « c’est une mission indissociable d’une mission d’ingénierie de conception et qu’il est difficile de trouver sa place et de décrire sa mission ». En effet, le caractère innovant du travail du BET positionne celui-ci dans des phases où il n’intervenait pas jusqu’ici et surtout, met en cause le découpage instauré par la loi MOP : « Quand on intervient dans une équipe, il y a toujours un bureau d’étude fluides, un BET structure. Nous intervenons comme spécialistes HQE sur les fluides et sur la structure. On apporte une compétence que les autres n’ont pas et on intervient à leur place dans des phases dans lesquelles ils n’intervenaient pas (…) on démarre vraiment dès l’amont, le dialogue avec l’architecte et ensuite avec le bureau d’étude ».
Ce qui fait dire à M. Turner, que « du point de vue du processus de conception, il y a de plus en plus besoin d’une ingénierie généraliste capable de traduire, en termes objectifs, les effets du plan » et donc « dans le processus de conception il y a un couple de compétence nécessaire entre la conception architecturale et la conception strictement technique ». M. Turner explique que son activité correspond à un vrai phénomène pour le « durable » et l’environnement. Cependant il reste que l’avenir n’est pas si certain : « est-ce que c’est un nouveau métier, une nouvelle démarche, qui sera porteur ? Ce sont des questions très ouvertes. On en a au moins pour 4 à 5 ans mais ensuite cela risque de se banaliser (…) ce qui veut dire qu’il faut qu’on soit toujours en recherche. C’est aussi pour cela que nous militons pour l’ingénierie de conception ».

Note de bas de page 34 :

Cette tendance est illustrée par l’analyse des marchés de l’ingénierie in Elisabeth Courdurier, Guy Tapie (dir.), Les professions de la maîtrise d’œuvre…, op. cit.

Note de bas de page 35 :

Etudiant les évolutions du droit en Italie, au Moyen-âge, l’historien Gerschenkron explique que dès que les juristes ont eu conquis leur autonomie chacun a commencé à diviser la discipline de manière à « être le premier en son village plutôt que d’être le deuxième à Rome », cité in Pierre Bourdieu, Choses dites, Ed. de Minuit, 1987, pp. 52-53.

Comme en attestent les deux exemples choisis ici, la spécialisation génère un positionnement nouveau des BET et favorise un renouvellement des compétences. Pour autant, elle fonctionne sur un mode paradoxal : d’un côté, elle oblige au développement d’une culture professionnelle spécifique et à un réseau de partenariat stable qui rend l’environnement de travail et de marché plus stable ; de l’autre, elle est une source d’incertitude sur la stabilité dans le temps d’une spécialisation des structures et de leur « ressources humaines ». C’est sans doute en ce sens qu’il faut comprendre la tendance des structures d’ingénierie de ce type à recruter des profils universitaires qui, plus généralistes et « repositionnables », permettent de faire face aux aléas des marchés spécialisés34. Pour bien comprendre le phénomène de spécialisation et mieux appréhender sa durabilité sans doute faudrait-il distinguer ce qui est de l’ordre de la spécialisation stratégique sur des marchés de court terme (amiante, acoustique…) et ce qui est de l’ordre de la spécialisation contrainte par le marché (liée à des évolutions structurelles des politiques de maîtrise d’ouvrage, de logement, environnement). Pour l’heure, on constate cependant que ces mouvements comparables à « l’effet Gerschenkron35 » sont au principe d’une nouvelle fragmentation du processus de production et donc d’un possible renouveau dans les tâches prises en charge traditionnellement par les BET, en particulier pour ce qui concerne le partage des tâches entre ingénieurs et architectes.

Concentration des missions et rationalisation de l’activité

A l’inverse, la stratégie des grandes sociétés d’ingénierie (Technip, OTH, SETEC pour ne citer que les plus connues) est d'offrir un service global qui inclue tous les aspects de la production avec des prestations pour les unes orientées « espace », pour d'autres « organisation », pour des troisièmes « techniques » :

« Nous avons une série de structures voisines dans le groupe qui sont constituées autour d'ingénieurs du bâtiment et d'autres plutôt chargées de réfléchir sur les organisations. L'une fait par exemple du conseil et de l'audit auprès des collectivités locales, ce qui veut dire qu'ils sont plus en amont encore que la programmation. Ils font des études de stratégies de développement, d'ingénierie culturelle (...) Nous sommes, nous, davantage concentrés sur les questions spatiales ».

On est donc là, face à une concentration des missions dans de grandes structures qui se traduit par une division du travail et une rationalisation des activités d’ingénierie.

En fonction de la taille des BET, un découpage en départements s'opère (chacun est spécialisé dans une prestation). Ce découpage s’estompe quand les commandes l'exigent. L'enjeu principal est de mieux se positionner sur les marchés de la construction et de les capter en se rapprochant du client et en l'aidant à définir ses besoins (proposer des prestations « clé en mains »). Il est ainsi plus aisé de le convaincre surtout dans le secteur privé :

« Nous travaillons à 90 % pour le privé (...) Pour nous la programmation est le meilleur moyen d'entrer chez un client parce que c'est par là que commence la réflexion sur une construction (...) Elle est correctement réalisée dans la mesure où l'on fait à la fois la partie amont (programmation) et aval (assistance à l'installation, installation dans les nouveaux bâtiments) et bien évidemment l'ingénierie de maîtrise d'œuvre. Pour bien faire de la programmation, il faut réaliser et construire les immeubles pour se rendre compte de la réalité physique de nos recommandations initiales » (société d’ingénierie).

Note de bas de page 36 :

La société d’ingénierie la plus connue et la plus représentative de ce type d’organisation est OTH (Omnium Technique). Elle intervient dans le domaine du bâtiment, des infrastructures sur l’ensemble du territoire français comme à l’étranger. Constituée de trois secteurs (bâtiments, infrastructures, industrie) et d’un ensemble de filiales spécialisées elle est capable d’intervenir autant dans le domaine de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, l’ingénierie de calcul, ou le pilotage de chantier. Elle emploie 570 personnes dont 300 ingénieurs pour un chiffre d’affaire de 460 MF en 1999, Cf. « Les professions de la maîtrise d’œuvre », op. cit. p. 110.

Cette conception de la programmation et de l'assistance à maîtrise d'ouvrage est portée par les grands bureaux d'études indépendants36 mais aussi par quelques rares agences d'architecture. Le secteur privé (bureaux, industries) est particulièrement adapté pour développer ce type de « service complet et intégré » allant des études préalables à la réalisation.

Un bureau d’études techniques diversifié

Le groupe Gilles est une structure d’ingénierie qui compte plus de 400 personnes et travaille autant à l’export que sur le territoire national. Ses missions sont concentrées dans les domaines de l'irrigation, des réseaux urbains, et de l'assainissement. En outre, il y a dans la société une activité d'études et de conseils (plans directeurs, études techniques, sectorielles, économiques, institutionnelles). Nos interlocuteurs du groupe Gilles expliquent que pour mener à bien ses missions, la structure s’est diversifiée dans divers métiers, comme l'environnement et le conseil : « Il y a tous les aspects de la gestion des déchets, de la dépollution de sols (avec de la maîtrise d'œuvre aussi derrière) et des activités qu'on appelle ‘consulting’, c'est-à-dire accompagnement des délégations de services publics qui sont plutôt de l'assistance à maîtrise d'ouvrage. La branche conseil n'est pas seulement centrée sur la maîtrise d'œuvre. Elle fait aussi les études en amont. Tout ce qui est, eau potable, assainissement, épuration, aménagement des rivières, ressource en eau, études réglementaires d'environnement. Que ce soit en étude amont, conseil, expertise, AMO, ou maîtrise d'œuvre… Cette branche représente plus de la moitié des effectifs ». Ainsi, la structure a-t-elle intégré de nouveaux profils pour développer ces missions complémentaires à la maîtrise d'œuvre : « je crois que ce qui se développe, c'est la maîtrise d'œuvre tous métiers (…) c'est un développement flagrant du groupe aujourd'hui ».
Pour décrire les profils de compétence des effectifs du groupe, les représentants font plus appel à une répartition par fonctions : « on dispose de profils maîtrise d'œuvre, compétence travaux, suivi des travaux (…) et aussi des profils de maîtrise d'œuvre dans l'activité marketing, ou environnement ». Autrement dit, la prise en charge des fonctions telles que le marketing, l’environnement, est assurée par des ingénieurs. Ces professionnels sont donc à la fois porteurs d’une culture de maîtrise d'œuvre traditionnelle et ont développé des compétences pour assurer d’autres fonctions : « dans l'ensemble, ce sont quand même des gens qui viennent de formations traditionnelles des métiers de la maîtrise d'œuvre qui, après, disposent d’un complément technique avec des formations en environnement, économie ou autre » commente un de nos interlocuteurs. Néanmoins, le groupe dispose également d’autres compétences et métiers. Ainsi, par exemple un économiste et une division juridique sont présents « pour gérer les contrats, le suivi des contrats, les contentieux… Ce sont des gens qui sont spécialisés dans le juridique et tout ce qui est réglementation environnementale, les études réglementaires, et l'accompagnement des projets ».
Pour parler de leur organisation, les représentants de ce groupe parlent « d'élargissement de l'offre » : « l’idée, c’est de proposer une offre originale en disant : voilà, on a toutes ces compétences, on vous propose ça (…) s’il s’agit par exemple d’un marché passé avec un industriel, on va pouvoir lui offrir une compétence large pour prendre en charge son projet. On peut assurer la recherche de son site. On peut l’accompagner sur tous les aspects. On apporte une offre sur les aspects économiques, les aspects études réglementaires, les aspects techniques, etc. ».

Note de bas de page 37 :

Ce phénomène dit « d’esthétisation de l’architecture », notamment dans la commande publique, est décrit par Florent Champy, « Commande publique d’architecture et segmentation de la profession d’architecte », in Genèses, n° 37, 1999, pp. 93-113 ; Champy Florent, Les architectes et la commande publique, Paris, PUF, 1998, et également par Véronique Biau qui insiste sur l’usage de l’architecture et du nom des architectes à des fins de communication par la maîtrise d’ouvrage publique, dans L'architecture comme emblème municipal, Paris, Plan Construction et Architecture, 1994.

Note de bas de page 38 :

À partir des années quatre-vingt on voit également se populariser en architecture les notions « d’image architecturale » et « d’objet architectural » pour designer des bâtiments à l’esthétique singulière rompant avec leur contexte, souvent décriés pour leur inconfort en termes d’usage, mais dont les formes sont censées être expressives et originales. Le parangon de cette approche de l’architecture « objet », ou « machine célibataire » pour ses détracteurs, est sans aucun doute le Musée Guggenheim de Bilbao réalisé par l’architecte Californien Franck O. Ghery, d’ailleurs largement repris dans le monde publicitaire.

L’évolution des structures d’ingénierie selon ces deux voies, spécialisation des prestations et développement d’offres organisationnelles complètes, montre que ces métiers s’autonomisent vis à vis de l’architecte en remontant en amont du processus de production des ouvrages ; en se rapprochant des clients pour les assister dans la préparation de la commande. Là encore, la stratégie d’autonomisation s’opère par un positionnement au plus près des intérêts de la maîtrise d’ouvrage qui finalement diminue la dépendance des ingénieurs vis à vis des architectes. La conséquence essentielle de ces positionnements, comme l’illustre l’exemple de la « co-conception » décrit précédem-ment, est de contribuer à réduire la prestation de l’architecte à sa dimension esthétique, si ce n’est à l’utilisation de l’architecture et du nom de l’architecte (fonctionnant alors comme une marque) à des fins de communication37. Pour exemple de cet usage du nom et de l’image de ces « bâtiments coquilles38 » on peut citer le bâtiment de l’hôtel « Holiday Inn » conçu par Christian de Porzamparc à Paris face à la cité de la musique, dont il est également l’auteur. La société hôtelière, après avoir obtenu un bâtiment de cet architecte de renom, s’est en effet réservée le droit de recourir à d’autres compétences pour en concevoir la disposition et l’aménagement intérieur ; ce qui fut la source d’un conflit public. Mais, c’est encore là une manifestation évidente de la ressource que jouent les architectes dans cette lutte des places dans le processus de production des ouvrages : le capital symbolique attaché au titre.

2.3. L’économie de la construction : la recherche d’une définition intellectuelle et autonome de l’activité

Note de bas de page 39 :

Cf. www.untec.com.

Note de bas de page 40 :

C’est moi qui souligne.

Le métier d’économiste de la construction compte entre 6000 et 7000 professionnels regroupés en environ 3500 cabinets dont la taille oscille entre deux et cinq personnes. Elle est plus connue sous le terme ancien de « métreurs vérificateurs ». Cette dénomination a été abandonnée en 1967 et remplacée par celle « d’économiste de la construction » porté par l’Union Nationale des Techniciens et Économistes de la Construction (UNTEC). Ce changement n’est évidemment pas anodin. Il témoigne de la part de ce métier d’un positionnement renouvelée dans les processus de construction et d’une volonté de reconnaissance sociale accrue. Il s’agit en fait par ce passage pour les anciens « métreurs vérificateurs » d’une part de parvenir à autonomiser leur intervention, et d’autre part, de lui faire reconnaître un caractère de prestation de service de nature intellectuelle. La présentation de la profession en ouverture du site Internet de l’UNTEC39 est symptomatique de cette recherche d’autonomie et de reconnaissance de la part de ces professionnels. Elle donne une définition du métier d’économiste de la construction qui insiste à la fois sur son caractère ancien, son indépendance, et son importance dans le processus de production des ouvrages : « La profession d’économiste de la construction, dont l’origine remonte à plusieurs siècles40, a évolué avec le développement de l’industrie et des techniques du bâtiment. Successeur du « toiseur », puis du métreur, l’économiste de la construction, professionnel libéral et indépendant, intervient aujourd’hui dans toutes les phases de la construction depuis l’intention de construire du maître d’ouvrage jusqu’à la gestion du bâtiment en passant par les phases de programmation, d’études et de conception puis de réalisation ».

Du « métreur vérificateur » à « l’économiste de la construction »

Note de bas de page 41 :

Effectivement avant 1973, les maîtres d’ouvrage publics avaient la possibilité de confier et le programme et la conception du bâtiment à un même architecte. Or, l’architecte étant rémunéré proportionnellement au coût de l’ouvrage celui-ci pouvait être tenté de faire dépenser plus d’argent à son client.

Dans ce passage d’une position hétéronome de sous-traitant ou salarié de l’architecte sur des missions subalternes, les changements législatifs ont eu une grande influence. La loi Maîtrise d’Ouvrage Publique (loi MOP) a, en quelque sorte, consacré leur rôle et engagé leur intervention de manière plus autonome et plus en amont des projets de construction (plus proche de la commande). Effectivement en 1973 un décret (du 28 février) sur le mode de calcul des rémunérations des architectes décompose l’ensemble des tâches requises pour la construction d’un édifice et donne une visibilité à l’intervention des anciens « métreurs vérificateurs » en détachant, parmi les neuf tâches identifiées, une tâche « d’assistance aux marchés de travaux » et en obligeant les architectes à fournir un « coût d’objectif de l’opération » avant même la construction dans le cadre de la commande publique41. Cette première étape donne donc aux économistes de la construction la possibilité de revendiquer un territoire légitime dans la division du travail. Ce processus d’autonomisation progressive passe ensuite, par la publication de la loi MOP qui, en 1985, interdit aux maîtres d’ouvrage publics s’engageant sur la conception d’un ouvrage, de déléguer la « détermination financière de l’opération », comme d’ailleurs le programme. Du coup, ce texte consacre la stratégie d’autonomisation des « métreurs –vérificateurs » qui traitent alors non plus seulement sous la houlette de l’architecte mais directement pour le compte des maîtres d’ouvrage, et revendiquent alors le titre « d’économistes de la construction ».

C’est en ce sens que la majorité des économistes de la construction font de la loi de 1973 puis, de celle de 1985, des dates clefs dans leur exercice. Certains établissent même dans leurs propos une distinction entre économistes classiques ou traditionnels et économistes d’aujourd’hui. L’idée est ici que les premiers couvrent des fonctions de type « métreurs-vérificateurs–prescripteurs » (estimations, description des travaux et contrôle de coûts pour les architectes ou les entreprises) et que leurs prestations restent hétéronomes dans le processus car majoritairement liés à la demande des entreprises de travaux et des architectes, donc sans liens directs au projet et dans un rapport de service d’exécution eu égard aux autres métiers de la maîtrise d’œuvre. Partant, de nombreuses petites structures d’économie de la construction semblent encore prises dans un rapport de dépendance avec des agences d’architectures qui leur fournissent parfois plus de 50 % de leur volume d’activité. Un des indices évident de cette fragilité latente est la proximité physique des agences d’économie de la construction et de celles d’architecture (le partage d’un même bâtiment).

Les seconds, dits « économistes nouveaux », eux, seraient plus autonomes car plus fortement partie-prenants de la maîtrise d'œuvre et reconnus directement par la maîtrise d’ouvrage. Pour désigner ce nouveau profil, la notion « d’ingénierie économique » est mobilisée par l’UNTEC. Avec cette évolution essentielle, la profession a acquis une visibilité et une reconnaissance de la spécificité de son expertise auprès des commanditaires. De plus, dans les pratiques, elle traite de façon croissante directement avec la maîtrise d’ouvrage. Ceci, dans le cadre de prestations d’AMO ou d’appels d’offre faisant la demande explicite d’un économiste comme dans celui, plus en amont, du montage d’opérations (plan de financement, faisabilité…).

Un économiste de la construction « traditionnel »

M. Renoir, se présente comme un « économiste de la construction traditionnel ». Pour lui, c’est l’ancien métier de métreur qui est aujourd’hui celui d’économiste : « c’était la formation classique du métreur que maintenant on appelle économiste, qui est celui qui décortique les éléments de la construction ; quel que soit le type d’ouvrage ». Il a débuté son activité en 1964 et a suivi l’évolution de son métier et sa diversification « au rythme des lois et décrets » : « à partir de 1970, on s’est retrouvé dans l’ingénierie sans le savoir et il a fallu s’adapter. Alors, c’était soit continuer une activité de métreur classique, mais les clients disparaissaient soit s’orienter vers l’ingénierie. À partir du moment où on a commencé à comprendre, c’est devenu très prenant. Puis après, il y a eu la loi MOP et là c’était encore autre chose ». Ainsi, aujourd’hui une grosse partie de son activité est dirigée vers l’industrie, en direct vers les maîtres d’ouvrages en tant que maître d'œuvre.
M. Renoir réalise environ 80 % de ses affaires directement avec les maîtres d’ouvrage L’autre pan de son activité se réalise ensuite avec des architectes et des entreprises. Le secteur privé est constitué d’entreprises et d’artisans pour des études de prix et des quantitatifs : « là c’est le métier de métreur ». Mais, commente M. Renoir, « ces clients disparaissent et il faut s’adapter ». Ainsi, il explique que les économistes trouvent d’autres secteurs de travail. À ce propos, il cite deux de ses collègues économistes qui travaillent essentiellement pour un organisme public de propriétaires bailleurs (ANAH) ou des régisseurs et font finalement de « l’aide à la maintenance ». Ce sont des opérations qui, explique M. Renoir, échoient aux économistes car « elles n’intéressent pas les architectes et les BET » et, dans ces cas « l’économiste travaille donc directement avec le maître d’ouvrage ».
En 30 ans d’activité, M. Renoir dit avoir vu radicalement changé sa profession : « on est passé d’une position obscure où l’on travaillait pour des entreprises fiscalement et juridiquement en position de sous-traitance, à la fonction de maître d'œuvre. Et cela s’est fait tout seul puisque les entreprises pour lesquelles on travaillait ont disparu ». De même, M. Renoir observe qu’actuellement « les jeunes économistes ont une culture générale, que nous on n’avait pas, parce que nous on avait surtout une culture technique ; de même ils ont une formation juridique importante parce qu’on a enfin compris que participer à une opération c’est participer à un contrat et on s’est rendu compte que maintenant le juridique devenait incontournable ». Aussi, selon lui, les économistes sont désormais « capables de jouer un rôle de conseil auprès des clients par leur compréhension des relations entre la technique et les coûts ».

Cette évolution trouve donc son origine directe dans les exigences de prévisibilité financière et de garantie face aux risques de la part des maîtres d’ouvrage et fait glisser la profession d’économiste sur des fonctions un peu plus vers l’amont des processus de construction.

Pour autant, ce déplacement n’est pas une direction exclusive du métier. Aussi, est-elle assez rarement décrite comme stratégique et semble se faire au gré de l’évolution de la demande des maîtres d’ouvrage. Rares sont les agences d’économie de la construction qui décrivent ce tournant comme une modalité stratégique d’adaptation de leur structure. Tout se passe en fait comme si c’était ici la demande qui fonctionnait comme facteur naturel de changement et d’adaptation de l’offre de services de ces professionnels. En ce sens, tous les économistes interviewés observent l’évolution des exigences d’économie de la maîtrise d’ouvrage non comme une donnée de marché opportune mais comme un fait auquel ils ont à répondre sur la base de leur compétence et capacité présente :

« Aujourd’hui les maîtres d’ouvrage sont de plus en plus proches de l’économie de leurs projets, ils s’adressent à nous en souhaitant avoir des améliorations sur tout le programme, en souhaitant que l’on trouve des solutions technico-économiques qui les satisfassent et qui rentrent dans le projet. Donc, ils en demandent de plus en plus aux maîtres d’œuvre (…) Les conséquences pour nous sont claires : c’est une surcharge de travail parce qu’on a une lourdeur de traitement des dossiers qu’on ne connaissait pas avant. Il faut être de plus en plus précis. Et tout cela ça va très vite, par sursauts, ce n’est pas linéaire, il faut que l’on s’adapte et qu’on réponde ».

Note de bas de page 42 :

Le reste des missions se ventile comme suit : 15 % pour le compte d’entreprises de travaux, 11 % concernent des missions de coordination et 7 % des missions diverses. Selon une enquête réalisée en 1994 par le syndicat des économistes de la construction auprès de ses adhérents. Cf. UNTEC, L’économiste de la construction aujourd’hui et demain, Livre blanc sur la profession, 1995.

Pour beaucoup d’économistes de la construction, les activités demeurent donc hétérogènes, si ce n’est contraintes. Ce glissement du métier d’économiste vers l’amont des processus n’est donc pas pour le moment saisi dans tout ce qu’il a de potentiel pour une nouvelle structuration de la profession, comme en atteste dans les propos la référence à une division du métier entre « économie de la construction traditionnelle » et « économie de la construction actuelle ». En réalité, cette période fait cohabiter des structures « d’économie traditionnelle » avec des structures diversifiées « de fait » et il reste délicat d’établir la logique de ce mouvement. Ainsi en 1994, c’est 43 % des missions des économistes de la construction qui sont encore réalisées en collaboration avec des architectes et des ingénieurs, et 24 % seulement sont faites directement pour le compte de maîtres d’ouvrages42. C’est aussi que les prestations d’AMO sont fortement concurrencées. Elles sont le lieu d’investissements d’autres professions qui y font valoir d’autres formations. Deux variables semblent expliquer cet état du monde de l’économie de la construction : d’une part, la répartition des structures professionnelles de ce secteur selon la taille des agglomérations ou des bassins potentiels de marchés ; d’autre part la trajectoire du chef d’agence, sa période d’installation, et sa formation de base. Les économistes dont la trajectoire est marquée par un passage dans des cabinets d’architecture ou des entreprises d’exécution paraissent en effet plus attachés que d’autres à une définition « traditionnelle » du métier.

La quête d’une assise légitime 

Aussi pour faire valoir sa place dans le processus de production des ouvrages, ce métier est-t-il à la recherche d’un modèle de savoir légitime d’assise de son intervention. Comme en attestent les possibilités d’évolution actuelles du métier vers plus d’autonomie, la mise en place d’une formation plus généraliste, délivrant un « certificat d’expertise », paraît être pour les économistes une voie d’accès à la reconnaissance du caractère intellectuel de leurs prestations. C’est la condition d’une définition « autocéphale » de leur activité, sur le modèle libéral. Une telle option dégagerait sans doute cette profession d’une position fragile et hétéronome car liée à la demande et aux marchés des architectes, des BET, ou des entreprises.

Note de bas de page 43 :

Cette volonté de professionnalisation et de reconnaissance nous fait retrouver le thème de la barrière et du niveau développé par Edmond Goblot. Cf. La barrière et le niveau, Alcan, 1925.

Note de bas de page 44 :

On retrouve là les critères classiques d’une « professionnalisation » tels que les résument Matthieu Bera et Yvon Lamy in Sociologie de la culture, A. Colin, 2003, pp. 114-115 : (1) « l’existence d’une structure associative qui permette d’imposer certaines régulation internes et d’affirmer une autonomie par rapport à d’éventuels pressions externes » ; (2) le développement d’une expertise, de compétences spécifiques qui nécessitent souvent l’aménagement d’apprentissages longs et systématiques et donc d’un corps enseignant » ; (3) « l’instauration d’une relation de service, garantie par un code de déontologie, qui permet d’imposer une autorité sur les clients ».

Note de bas de page 45 :

Outre la formation « sur le tas », encore présente pour de nombreux professionnels, le niveau requis jusqu’à présent pour cette profession, était celui des diplômes de l’éducation nationale de niveau III, IV et V au plus (BEP « construction et topographie », Baccalauréat professionnel « Étude de prix », BT et BTS « étude et économie de la construction »). Aujourd’hui les représentants de la profession se sont engagés sur la mise en place d’une formation de niveau Bac +3 avec une Licence professionnelle « Études et économie de la construction », qui recrute ses effectifs après un DUT « génie civil », un BTS « Bâtiment et économie de la construction » ou encore des DEUG généralistes. De même, l’UNTEC est présent au sein du Comité européen des Économistes de la Construction (CECS) dont l’objectif est de mettre en place un réseau d’écoles et d’universités européennes délivrant sur la base d’une formation homologue un diplôme européen d’économie de la construction.

Cette stratégie de positionnement claire, du côté des professions libérales intellectuelles de niveau supérieur43, se manifeste dans cette profession par (1) la création d’un office professionnel de qualification (OPQTEC) chargé de clarifier et de « qualifier » les prestations des économistes de la construction, (2) la mise en place d’un code de déontologie professionnelle, permettant d’affirmer une autorité auprès des clients, (3) la volonté de se doter de formations de niveau supérieur clairement identifiables et reconnues. C’est donc bien le chemin d’une « professionnalisation » qui s’engage pour ce métier44. Par ailleurs, la variété des demandes en matière d’expertise économique légitime le besoin d’une culture générale plus large. C’est là un point de vue d’ailleurs bien saisi par les instances professionnelles de l’économie de la construction qui réclament une clarification et une reconnaissance de leur statut par la mise en place de formations laissant une grande part à la « culture générale45 ». Le point de comparaison utilisé est d’ailleurs celui d’une expertise instituée et protégée telle que celle des architectes : « le terme économiste de la construction regroupe des personnes très différentes. Par rapport aux architectes qui ont une activité cernée, les économistes de la construction peuvent intervenir à toutes les phases du processus de production et d’utilisation du bâtiment ». Cette entreprise de clarification est d’ailleurs aujourd’hui entamée dans le cadre de diverses « démarches qualité » et de « qualification » qui, comme ailleurs, font leur entrée dans le monde de la construction : « On a commencé à travailler à définir le métier et le processus métier. On a dégagé 11 métiers différents qui peuvent, en tout ou partie, être exercés par les économistes de la construction. C’est dire le champ d’activité ! L’économiste intervient de plus en plus en AMO, en assistance aux entreprises… c’est très vaste » explique un économiste de la construction délégué de l’UNTEC. Certes on peut s’interroger sur la capacité de ces seules démarches de qualité et de qualification à clarifier la position de ce métier. Néanmoins celles-ci semblent participer de la stratégie des professionnels pour faire valoir leur position dans les processus de construction. Aussi, l’OPQTEC délivre désormais la certification « économiste de la construction » et travaille avec l’UNTEC à ce que celle-ci soit réclamée systématiquement dans le cadre des marchés de maîtrise d’œuvre.

Note de bas de page 46 :

A l’inverse des références disciplinaires des économistes de la construction français qui restent « techniques », celles des « quantity surveyor » britanniques sont en fait celles des sciences de la gestion et du « consulting ». Ils revendiquent un statut d’expert indépendant et l’usage de méthodes typiquement gestionnaires comme le « Total Quality Management » ou « l’analyse de la valeur » qui leur permettrait de maîtriser la « qualité » en étant présents pendant l’ensemble du déroulement des opérations de construction. Ces professionnels issus de grands cabinets de conseils et de management sont, en Angleterre, capables de concurrencer de grandes agences d’architecture. Ils font aujourd’hui leur entrée sur le territoire français en proposant leurs services pour de « grands projets ». Là encore, on assiste à l’entrée de la rationalité comptable dans le monde de la construction, portée par un discours sur la « qualité » et le développement des partenariats public - privé pour le financement des opérations de construction. Sur cette figure cf. Mel Lees, « Evolution du partenariat et des formes contractuelles en Grandes Bretagne », in François Lautier (Dir.), Les maîtrises d’ouvrage en Europe : évolutions et tendances, PUCA, 1998, pp. 103-110 et Graham Winch et Martin Symes, « Les mutations dans l’industrie du bâtiment britannique : partnering, financement privé et renouvellement urbain », in Olivier Chadoin, Thérèse Evette (Dir.), Activités d’architectes en Europe : nouvelles pratiques, op. cit, pp. 114-135.

Ainsi, la demande croissante de la part des commanditaires de maîtrise des coûts dès l'amont des processus de production des ouvrages constitue une opportunité pour le positionnement de cette profession et son autonomisation. La figure de référence pour penser l'appropriation de nouvelles fonctions dans le processus qui est souvent mentionnée par les économistes de la construction est celle du « quantity surveyor46 » anglais, professionnel autonome de la gestion financière des projets de construction faisant valoir les intérêts économiques de la maîtrise d’ouvrage dès la conception auprès de l’architecte.

2.4. Ordonnancement, Pilotage et Coordination : la recherche d’un modèle de référence

Note de bas de page 47 :

Si la loi MOP définit une mission dite « complète » qui permet à l’architecte de maîtriser l’ensemble du processus de production d’un ouvrage depuis la conception en passant par le pilotage du chantier et jusqu’à la réception, celle-ci est plutôt utilisée pour des projets de construction de petite taille. Au surplus, le fait de disposer d’une « mission complète » ne signifie en rien que l’architecte ne soit pas assisté par un professionnel de l’OPC ou par une entreprise pour sa mission de pilotage de chantier. De ce point de vue, il faut noter que c’est au milieu des années quatre-vingt, au moment de l’émergence et la reconnaissance du métier d’OPC qu’émerge également le terme « d’architecte-concepteur » revendiqué par une fraction de la profession d’architecte.

Note de bas de page 48 :

Cité in Les professions de la maîtrise d’œuvre, op. cit., p. 165

Ce métier se situe à « l’articulation » des phases de conception et de construction dans le processus de production des bâtiments. Sa reconnaissance correspond à l’autonomisation des fonctions d’ordonnancement et de pilotage des chantiers, c’est-à-dire de la coordination des entreprises d’exécution, traditionnellement dévolue à l’architecte47. Elle consiste à « analyser les tâches élémentaires portant sur les études d’exécution des travaux ; déterminer leurs enchaînements ainsi que leurs chemins critiques par des documents graphiques ; harmoniser dans le temps et dans l’espace les actions des intervenants au stade des travaux ; mettre en application les diverses mesures d’organisation arrêtées au titre de l’ordonnancement et de la coordination jusqu’à la levée des réserves dans les délais impartis dans le ou les contrats de travaux48 ». L’émergence de cette mission dans la division du travail est à mettre en rapport avec la relation qu’entretiennent les architectes et les entreprises d’exécution.

L’émergence d’un métier : entre l’abandon du chantier par l’architecte et la sortie du salariat

Note de bas de page 49 :

Cf. sur ce point Elisabeth Campagnac, Les grands groupes de construction en Europe, L’Harmattan, 1995. Ce mouvement et ses conséquences pour l’architecte dans le secteur de la commande publique est par ailleurs décrit par Florent Champy, in Les architectes et la commande publique, Paris, PUF, 1998.

Note de bas de page 50 :

Cf. Tapie Guy, Les architectes : mutations d’une profession, L’Harmattan, 2000.

Le recours aux entreprises d’exécution selon la méthode des « lots séparés » par corps de métiers s’est estompé au fur et à mesure que les grands groupes du BTP ont opéré leur concentration. Aussi, le recours à la méthode de « l’entreprise générale » s’est-il généralisé, imposant avec lui une coordination de chantier réalisée par l’entreprise d’exécution49. C’est sur la base de ce constat que Guy Tapie oppose deux figures de l’architecte correspondant à deux modes d’organisation des entreprises de conception : la méthode de l’entreprise générale qui engendre, dit-il, « une coordination simplifiée » mais « un architecte soumis » ; la méthode des lots séparés qui, poursuit-il, « complexifie la coordination » mais laisse l’architecte en position de « garant » du processus de production50. En fait le positionnement des professionnels de l’OPC correspond bien de ce point de vue à un rétrécissement de la mission de l’architecte et à la prise de position d’une nouvelle profession dans le processus de production des ouvrages. Ces professionnels sont néanmoins encore peu nombreux à exercer leur mission de manière indépendante (leur nombre est évalué à environ 4000 par leur syndicat professionnel, l’Union Nationale des professionnels de la coordination en OPC, UNAPOC). Ils sont encore pour beaucoup salariés des entreprises d’exécution ou des grands groupes de la construction.

Note de bas de page 51 :

Cf. Sociologie de l’architecture, op. cit. p. 99.

L’OPC n’exerce pas de mission de conception et n’intervient en fait pas directement sur les projets. Sa mission est limitée à un double objectif : maîtriser les délais d’une part, organiser et coordonner les interventions des entreprises d’exécution d’autre part. De ce point de vue, il est un garant indirect des exigences de prévisibilité et de qualité dans la réalisation des constructions qu’engagent les maîtres d’ouvrage. Ces objectifs, pris en compte par les OPC, ont également des répercussions sur leurs missions de coordination. Cela d’autant, comme l’explique Florent Champy, que « la complexité croissante des bâtiments, due tant aux progrès techniques (la climatisation constitue un exemple d’innovation technique majeure) qu’à la prolifération des normes » impose le recours à ces « nouveaux spécialistes, les pilotes de chantier, qui se chargent de coordonner le travail de ces dernières (les entreprises d’exécution), sauf pour les plus petites opérations51 ».

« Se défaire de l’exécution » : vers un modèle de compétence et une reconnaissance sociale ?

Note de bas de page 52 :

Depuis 1989, une série de directives européennes (Directives 92/57/CEE du 24 juin 1992 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé à mettre en œuvre sur les chantiers temporaires et mobiles) visent à améliorer les conditions de santé et de sécurité sur les chantiers de construction. Les professionnels de l’OPC sont en effet très nombreux à disposer d’un agrément dit CSPS (Contrôleur Sécurité, Protection de la Santé) qui leur permet, en plus de leur mission de coordination, d’exercer une mission de contrôle de la bonne application des conditions de sécurité et de santé sur les chantiers.

Aussi, ce que cherchent à faire valoir ces professionnels pour faire leur place dans le processus de production des ouvrages, c’est une compétence alliant la connaissance technique à des méthodes de coordination qui empruntent leurs références au monde du « management ». Au-delà même des prérogatives de sécurité et d’assurance52, qui sont surtout perçues comme un atout et un attribut de distinction pour l’obtention des marchés, il semble que ce métier cherche surtout à développer des méthodes et des références qui lui permettent de se positionner dans le processus comme incontournable, et pas seulement comme un acteur ayant hérité d’une mission hétéronome abandonnée par les architectes. Aussi, les professionnels de l’OPC mentionnent-ils, avec une occurrence relative, le déploiement nécessaire de compétences de type « managériales » pour répondre aux exigences de suivi et de coordination posés par les maîtres d’ouvrage. Pour justifier ce positionnement, les OPC font valoir que la fragmentation des missions de maîtrise d’œuvre, la croissance du nombre des spécialités intervenantes, les conduit à passer plus de temps à « animer les réunions d’équipes sur le chantier, et à faire en plus du pilotage un véritable travail de management ». Il s’agit pour eux de faire valoir la qualité et la nécessité de leur mission en lui donnant une référence nouvelle sur le registre de la gestion et de la coordination des actions. Un tel glissement ferait ainsi passer ce métier d’une activité de type fonctionnelle, basée sur le travail des plans, du temps et des lots de construction, à une gestion de type plus « managériale », non seulement centrée sur les hommes et les relations, mais surtout en position de leadership au niveau du chantier. C’est là un facteur essentiel qui pourrait aller dans le sens (similaire à celui des économistes de la construction), d’une remontée vers la maîtrise d’ouvrage et faire des OPC des acteurs incontournables. Ainsi placés à l’interface des architectes et des entreprises, et y parlant au nom des intérêts de la maîtrise d’ouvrage, ils sont à même de revendiquer un « pilotage élargi » qui pourrait aller jusqu’à leur association au niveau de la conception aux côtés de l’architecte.

Note de bas de page 53 :

Anselm Strauss différencie à propos du travail d’articulation dans le monde médical trois niveaux distincts : « Au premier niveau, coiffant l’ensemble, on trouve le travail du médecin chargé du cas. C’est lui qui en a la vue la plus large, spécialement si le cas n’est pas trop problématique. Il voit les interventions nécessaires pour en gérer le déroulement. Autrement dit, il a le tableau d’ensemble : les traits principaux de l’arc de travail, les tâches principales à effectuer, décidant de leur moment, leur ordre successif ou simultané, etc. (…) Au second niveau, on trouve le travail des personnes qui organisent, mettent en route, supervisent et monitorent les tâches demandées ou ordonnées par le médecin. (…) A un troisième niveau, il y a les tâches mêmes qui sont faites de groupes ou de séquences de tâches. Par exemple pour faire une radio, il faut prévenir et quelquefois préparer physiquement le malade pour la séance, s’arranger avec le département de radiologie pour programmer le rendez-vous, faire venir un brancard ou un fauteuil roulant, conduire le malade à la radio puis le reconduire dans son unité et l’aider peut-être à se remettre au lit. » Cf. « Le travail d’articulation », in La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., pp. 197-200.

Note de bas de page 54 :

Il est en effet significatif que ces professionnels soient le plus couramment appelés OPC (« l’OPC », « un OPC » voire parfois pour les architectes « mon OPC »), c’est-à-dire par le nom de la mission ou de la fonction (Ordonnancement, Pilotage et Coordination) et non par celui d’un métier.

Une telle stratégie vise en fait à faire passer ce métier d’un « travail d’articulation » hétéronome, de « second niveau53 », car encore guidé par la conception architecturale, à un « travail d’articulation », de « premier niveau », aux côtés du maître d’ouvrage ou de l’architecte ; plus près des tâches de conception, plus nobles, moins attachées à l’image de l’exécution qui est celle du chantier. Ce que jouent donc là les professionnels de l’OPC c’est à la fois un positionnement plus autonome dans le processus mais aussi les gains qui y sont associés en termes de statut et de reconnaissance sociale ; c’est-à-dire être plus près d’une « profession » que d’un « métier », définit plus par « l’être » que par le « faire54 ».

Un OPC au service de la maîtrise d’ouvrage

L’agence de M. Duchamp est une structure unipersonnelle située dans une petite ville de province. Âgé de 40 ans environ, M. Duchamp a d’abord travaillé comme collaborateur d’architecte pendant une dizaine d’années, puis il a suivi une formation de conducteur de travaux pour ensuite se charger des études de prix et de conduite de travaux en entreprise avant de fonder, en 1996, sa propre structure. Il se définit comme un « coordinateur généraliste et traditionnel ». Il exerce sur un département où ce type de compétence est encore peu présent (environ une dizaine de coordinateurs). De plus, explique M. Duchamp, « chaque coordinateur travaille avec ses économistes et ses architectes ». Il fait par ailleurs de la coordination de sécurité mais, « ce n’est pas un marché essentiel. Cependant, comme cela est obligatoire pour tous les chantiers, cela donne un atout et une spécificité de plus vis-à-vis des clients ». Selon lui l’activité de coordination est « en plein boom » : « on a des carnets de commande pratiquement pleins sur un an à un an et demi ». En particulier, pour lui, la demande de coordination est énorme et il a « du mal à faire face ». Aussi, il hésite entre les formules de partenariats et de développement de son agence en termes de personnel.
Il explique ce trop-plein d’activité par la demande qui lui est adressée par de jeunes agences d’architecture : « les architectes qui se sont longtemps occupés des chantiers laissent de plus en plus tomber ce qui est lié à la coordination (…) les anciens architectes qui avaient l’habitude de tout faire ne délèguent pas grand-chose alors que les jeunes, qui eux ont été formés surtout à la conception, délèguent beaucoup ».
L’agence de M. Duchamp se développe assez fortement. Il envisage donc de recruter un collaborateur pour faire face à un carnet de commande bien rempli. Il envisage le recrutement d’une personne qui, comme lui, aurait une formation de conducteur de travaux car pour lui c’est une bonne formation qui permet de toucher un peu à tout. Néanmoins, pour faire de la coordination cette formation seule ne suffit pas. De son point de vue, il faut également être passé par les entreprises et avoir une bonne expérience de leur fonctionnement. Selon lui, le problème est que, pour l’instant, il n’y a pas de qualification véritable pour le métier d’OPC : « Il y a des stages mais ce qu’il faut c’est surtout avoir travaillé au niveau des entreprises pour comprendre comment elles fonctionnent en termes de suivi, métré… ».
Concernant la demande, M. Duchamp observe que de plus en plus, « depuis que les missions sont bien séparées », il est amené à faire plus que de la coordination, de « l’animation et du management sur les chantiers ». Ainsi, le nombre de réunions et de négociations est énorme. À cet égard, il considère que sa mission est une mission de « service pour la maîtrise d’ouvrage ». Ceci, en particulier dans les cas où il est face à des entreprises qui n’ont pas de conducteur de travaux. Cet aspect « managérial » de l’activité est selon M. Duchamp, acquis essentiellement par expérience car la condition de coordinateur est selon lui celle d’un entre-deux : « on est coincé entre l’entreprise et le maître d’ouvrage et il faut jouer avec les deux car notre client, c’est le maître d’ouvrage, mais notre partenaire c’est l’entreprise. Il faut donc arriver à jongler. C’est un problème de relations et, c’est l’expérience qui est nécessaire ».

Note de bas de page 55 :

Le terme peut-être approximativement traduit par « planificateur de projet » ou « gestionnaire de projet ». Le Project manager est en fait un professionnel qui est associé au projet dès la conception architecturale de sorte que soit inclus dès cette phase les contraintes d’exécution et de mise en œuvre des matériaux par les entreprises d’exécution. Le principe général vise à ce que dès sa conception le projet tienne compte, voire associe, des acteurs et des méthodes de l’exécution dans un souci de maîtrise des coûts et délais de la construction. En général le « project manager » est responsable de la gestion de l’ensemble du projet et il est en contact direct avec le client. En Grande-Bretagne le « project manager » est né dans le cadre d’une refonte des méthodes de la production architecturale sur fond d’encouragement de « public private partnerschip » (PPP). Il s’impose particulièrement dans la méthode du « Partnering » actuellement très discutée en Grande Bretagne. Sur les sources du développement de cette figure et ses méthodes, cf. Graham Winch, Martin Symes, « Les mutations dans l’industrie du bâtiment britannique : partnering, financement privé et renouvellement urbain », in Olivier Chadoin, Thérèse Evette (Dir.), Activités d’architectes en Europe : nouvelles pratiques, op. cit., pp. 114-135.

Note de bas de page 56 :

« OPC-SPS, Cicad consultants certifié ISO 9001 », in Le Moniteur-BTP, n° 4937, 10 juillet 1998, p. 23.

Note de bas de page 57 :

L’OPQIBI (Organisme Professionnel de Qualification de l’Ingénierie, Infrastructure, Bâtiment et Industrie), créé le 3 janvier 1969 à l’initiative de trois syndicats professionnels (CICF, Syntec Ingénierie, Fédération des professionnels de l’ingénierie) est un organisme (association loi de 1901) qui délivre des « certificats de qualification technique » et un label aux prestataires (cabinets et sociétés) qui exercent des missions d’ingé­nierie (conseils et études) dans six domaines : infrastructures ; industrie ; bâtiment ; énergie ; environnement ; loisirs, culture et tourisme. L’OPQIBI fait valoir ces qualifications auprès des maîtres d’ouvrage et des clients par une activité de communication (avec par exemple une présence active au salon des Maires). Il propose une nomenclature recensant pas moins de 160 qualifications. Pour une présentation cf. www.opqibi.com.

Note de bas de page 58 :

Selon les propos de Maurice Pinard cité in « OPC, certification et normalisation au programme de l’UNAPOC » in Le Moniteur-BTP, n° 4878, 23 mai 1997, p. 29.

Là encore, comme pour les économistes de la construction, cette stratégie de redéfinition de la mission des OPC passe par le recours à la qualification et à la certification. Le modèle professionnel qui sert de référence à ce positionnement est celui, déjà revendiqué par certains et considéré par les offices de qualification, du « project manager55 » anglo-saxon. On trouve un indice de cette évolution dans la certification ISO 9001 pour les missions d’OPC. En effet, celle-ci précise qu’elle ouvre la voie à la « reconnaissance d’un pilotage élargi faisant intervenir la mise en œuvre du chantier dès la conception des bâtiments et tend vers le management de projet56 ». De même, l’Union Nationale des Professionnels de l’Ordonnancement et de la Coordination (UNAPOC) rappelle que la compétence de coordinateur fait également partie des missions d’assistance à la maîtrise d’ouvrage telles que définies en 1994 par l’OPQIBI57 (Missions 0401 et 0402 et 0403, rubrique « Management de projet ») et que les méthodes du « project management » sont pour la profession « sinon un modèle, du moins une référence pour l’évolution de la profession58 ».

A l’inverse des économistes qui misent également sur la formation, chez les OPC cette volonté est encore peu perceptible. Certes, ils mentionnent souvent que les formations des OPC sont aujourd’hui encore imparfaites et méritent d’être élargies et complétées par des stages et un « apprentissage relationnel » mais ajoutent que :

« la formation de conducteur de travaux est une bonne formation qui permet de toucher un peu à tout mais, seule, elle ne suffit pas. Il faut aussi avoir une bonne expérience du fonctionnement des entreprises et des relations (…) Le problème c’est que pour l’instant il manque une vraie qualification du métier (…) on est dans une profession qui évolue très vite et on ne peut pas passer son temps à regarder dans les bouquins. Il faut faire des stages, des réunions, avoir une formation plus large ».

Finalement, leur positionnement par la « qualification » se double d’une vision relativement instrumentale de la formation qui traduit plus une attente à court terme référée à des « missions » (voire des marchés), qu’un investissement à long terme visant une reconnaissance sociale, comme c’est le cas chez les économistes. C’est là sans doute un des symptômes de leur faible autonomie et de leur position qui demeure attachée au salariat.