Nous avons questionné trois porteurs (dont un binôme) de projets à forte composante numérique sur la place de l’imaginaire dans la conception et la gestion de leurs projets respectifs, dans un premier temps, puis plus généralement sur l’importance de l’imaginaire dans leur activité. Leurs réponses montrent l’importance d’une prise en compte de l’imaginaire dans la conception et la mise en œuvre de projets innovants, et indiquent différentes manières d’aborder la notion et de l’intégrer au processus de développement du projet.
1. Pouvez-vous présenter succinctement votre projet et la place que vous y occupez ou occupiez ?
ÉRIC LACOMBE : Le projet Sitra sur lequel nous avons travaillé – dont le sigle avait pour signification initiale « Système d’Information Touristique de Rhône-Alpes Tourisme » mais dont le champ s’est élargi puisqu’il ne se limite plus ni à la Région Rhône-Alpes ni à l’information touristique – est à la fois un réseau d’utilisateurs, une plateforme de travail collaborative et une gamme de services.
Notre rôle fut de faire une évaluation technique de la version 2, pleinement opérationnelle depuis l’été 2014. Nous avons piloté cette mission avec le support technique partiel d’un collègue pour valider la pertinence de l’architecture technique et la qualité du code.
L’objectif de la mission était d’identifier les risques techniques majeurs ainsi que les opportunités, en liaison à de probables scénarios d’évolution. Il s’agissait d’une demande à l’intersection d’une démarche qualitative et prospective.
Sitra est donc un système d’information hybride, technique et humain, dont la finalité est de gérer des données et informations pour réaliser des projets. Il réunit près de 10 000 utilisateurs et héberge plus de 750 projets numériques. Son évaluation technique ne peut être dissociée de son évaluation globale.
Pour des raisons d’efficacité, la mission a été découpée en deux phases : une phase d’appropriation et une phase d’analyse/synthèse. La première vise à obtenir une « vue hélicoptère », permettant d’identifier les points sur lesquels concentrer nos efforts. La seconde caractérise les points de vigilance, et formule les recommandations associées.
MATHILDE SARRÉ-CHARRIER ET HÉLÈNE JEANNIN : Nous sommes à l’origine d’une démarche de recherche qui nous est propre. Nous la qualifions de « sociocréative ». Elle mobilise des notions usitées dans ces deux domaines que sont la sociologie et la créativité – selon l’acception donnée au terme par les tenants de la méthode CPS, pour Creative Problem Solving (Isaksen et al., 2003). En outre, nous étudions, pour davantage de complémentarité, un même phénomène. Chacune dispose de méthodologies propres tout en convergeant vers des thématiques du même ordre, comme l’imaginaire. La sociologie vise, dans sa fonction caméraliste notamment (Boudon, 2002), qui consiste à renseigner plutôt qu’à expliquer, à établir des bilans, sans généralement assortir ceux-ci de préconisations. La créativité est au cœur du processus de résolution de problèmes, via différentes techniques (Isaksen et al., 2003) comme l’appel à la dynamique de groupe en vue de trouver des solutions originales et adaptées au contexte (Lubart et al., 2009). Elle peut donc constituer une suite à des études sociologiques. Il devient possible d’assurer une transition : de la connaissance approfondie d’un objet et à la détection de problèmes (démarche sociologique), à une phase active de recherche de solutions (un des champs d’action de la créativité).
Notre démarche s’applique à des travaux portant sur des sujets de prospective qui concernent les mutations de la société et questionnent les évolutions des usages des nouvelles technologies. Nos recherches se situent en amont du processus d’innovation qu’elles viennent alimenter.
CHRYSTA PÉLISSIER : Le Projet MOOC auquel nous avons participé a été mis en place par l’Université Montpellier 2 entre février 2013 et mars 2014. Ce projet a débuté par ma participation à deux comités constitués au sein de l’université :
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un comité TICE, ayant un rôle politique et stratégique. Il regroupe des représentants désignés officiellement par chaque composante d’enseignement de l’université ;
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un groupe de travail MOOC constitué une dizaine d’enseignants-chercheurs de l’université, innovants avec le numérique dans les démarches de formation.
Le second groupe a rédigé un appel à projets MOOC, envoyé à tous les enseignants de l’université. Laurent Vassallo et moi-même avons répondu à cet appel pour s’engager dans la scénarisation d’un MOOC, la création de ressources (notamment audiovisuelles), l’animation, la mise en place de l’évaluation et l’analyse des usages de ce dispositif (Pélissier et Vassallo, 2014). Le MOOC « Ville durable : être acteur du changement » a été ainsi retenu pour participer à la première vague de MOOC (janvier 2014) mis en place dans le cadre le projet National FUN (France Université Numérique) lancé le 2 octobre 2013.
2. Qu’entendez-vous par imaginaire, au regard de votre projet ? En quoi cette notion vous a paru essentielle ?
CHRYSTA PÉLISSIER : Le travail demandé par la mise en place de MOOC n’a plus rien à voir avec l’enseignant qui se retrouve seul à faire ses cours à distance. La mise en place d’un MOOC demande la création d’une équipe pédagogique qui se doit de mettre en place des procédures de travail collaboratif (souvent à distance), qui ne sont toujours pas stabilisées à ce jour : d’un côté, il faut créer des espaces d’échanges et de l’autre des procédures de gestion des flux d’information (Pélissier et Bezeghiche, 2014). Les espaces d’échanges permettent de produire ensemble un scénario pédagogique, des ressources (notamment audiovisuelles), les activités proposées aux participants et les annonces diffusées lors du déroulement. Les flux correspondent à des procédures de déplacements et d’intégration des informations et des ressources entre les différentes étapes du déroulement du MOOC (conception du scénario, production des ressources et des activités, intégration sur la plateforme, génération et diffusion des annonces d’animations).
Les espaces et les flux sont sans cesse utilisés par l’équipe. En effet, le scénario dans ce dispositif n’est pas figé (comme il peut l’être dans l’enseignement à distance). Il est dynamique et demande une adaptation pour minimiser l’abandon des participants (90 % des inscrits en moyenne). La gestion de cette dynamique pédagogique demande de l’imagination aux différents acteurs et concepteurs du MOOC. Cela concerne notamment les ressources liées aux activités proposées et la création d’indicateurs de mesure de popularité. Ces derniers n’ont pas forcément l’habitude d’être mis en place pour des groupes aussi grands, et, de plus, hétérogènes en termes de motivation et de stratégie d’apprentissage des participants (ces derniers n’étant pas tous intéressés par le certificat).
ÉRIC LACOMBE : Situant l’imaginaire entre la réalité et sa représentation formelle partagée, notre projet convoque cette notion à plusieurs niveaux : d’une part au niveau du fonctionnement et des usages, d’autre part au niveau de l’existant et des attentes, enfin en fonction des différents profils des acteurs, qu’ils soient stratèges, concepteurs, gestionnaires ou simples utilisateurs.
Cette notion s’est avérée être d’autant plus essentielle que l’approche agile ad hoc suivie par l’équipe de développement a donné la priorité aux besoins des utilisateurs et à l’évolutivité de la solution, en limitant la documentation technique au strict nécessaire.
Les utilisateurs étant au cœur du système, les imaginaires étaient inévitablement présents, se déclinant sous plusieurs formes, imaginaire du tourisme ou imaginaire technique, selon leur profil et leur culture. L’enjeu était alors d’aligner ces imaginaires sur une vision partagée de la réalité, via par exemple des « mises au point » et la constitution d’un glossaire des termes clés. Nous l’avons constaté avec l’emploi du concept « d’analyse sémantique », porteur d’un imaginaire source d’incompréhensions avant d’en avoir précisé le sens.
Ces différentes considérations nous ont conduit à privilégier une approche par la schématisation. Cette approche nous a permis de couvrir efficacement un large champ d’étude, en multipliant les points de vue, pour traduire au plus proche les représentations mentales (schèmes), et capter en particulier les relations entre les éléments du système.
Concrètement, cette approche a fait ressortir une des conclusions de l’étude : le système produit insuffisamment de données sur ses propres usages. Il en résulte un double risque : le premier est celui de la dérive d’usage si l’imaginaire des utilisateurs ne s’accorde pas au potentiel de l’outil ; le second est celui d’une dérive évolutive si l’imaginaire des concepteurs se trouve en décalage avec les usages réels.
MATHILDE SARRÉ-CHARRIER et HÉLÈNE JEANNIN : L’imaginaire possède ses propres territoires, variables en fonction de l’aire géographique, culturelle, historique, sociologique, économique, politique.
Il dépend des cultures et de la temporalité à plusieurs niveaux. Ainsi dans sa dimension macro, il renvoie au symbolique et touche l’ensemble de notre société ; dans sa dimension micro, il contribue à façonner un objet ou un service. De plus en plus technologisés, ces derniers contribuent à faire surgir à leur tour des imaginaires inédits.
Sur le plan opérationnel nous intégrons l’imaginaire en tant que matière première dans le processus d’innovation ; le cheminement par les perceptions, les émotions et les représentations sociales (ces dernières opérant sur une très longue temporalité, telle une mémoire diffuse informant les imaginaires) ayant été peu exploré, un chantier de recherche reste à défricher et c’est le but de notre démarche socio-créa.
Le recours aux techniques de créativité lors de certaines phases de notre démarche intègre de manière centrale la mobilisation de l’imaginaire puisqu’il s’agit de faire le lien entre, d’une part, ce qui est de l’ordre du rêve, des désirs, des idées parfois irréalistes, farfelues ou extravagantes et, d’autre part, les éléments qui relèvent des contraintes objectives ou opérationnelles. Dans un contexte où l’Occident valorise la pensée scientifique et rationnelle pour expérimenter, concevoir et valider les découvertes et les inventions, l’imaginaire, compris comme un ensemble cohérent et dynamique de récits et d’univers de formes, de textes et d’images, se déploie au pluriel à travers différentes formes et représentations. L’imaginaire est ainsi formalisé dans des réalisations à différentes étapes de nos travaux : « les imaginaires » informent et forment les objets techniques dans le processus d’innovation.
3. Considérez-vous que, dans un projet comme le vôtre, l’imaginaire doit être commun, partagé ? Comment cela a-t-il fonctionné dans votre projet ?
MATHILDE SARRÉ-CHARRIER et HÉLÈNE JEANNIN : Nous nous appuyons sur des ateliers faisant coopérer une diversité d’intervenants : équipe académique, partenaires industriels, artistes, illustrateurs – professionnels confirmés –, étudiants en design, hypermédia, graphisme.
Ces ateliers sont nourris en amont par des travaux de sociologie qui permettent d’y intégrer une étude descriptive des imaginaires en tant que systèmes dynamiques et cohérents de récits et de formes, et d’anticiper, voire de dresser une prospective de certains imaginaires technologiques. Car s’il nous paraît si important de traiter de l’imaginaire comme matière première dans l’innovation, notamment technologique, c’est parce que dans les industries contemporaines, les imaginaires mobilisés se fixent dans des objets, produits ou services qui à leur tour, enrichissent les imaginaires et génèrent de nouvelles recherches. Et les technologies contemporaines sont de plus en plus des « technologies de l’esprit » et de l’imaginaire, comme le soulignait déjà Michel Foucault.
L’imaginaire des participants y est sollicité pour aboutir à des coproductions, dont la particularité est de formaliser des composantes des imaginaires mis en commun. En ce sens le processus de co-production constitue un point de convergence des imaginaires individuels. Il met aussi en évidence des combinaisons d’imaginaires.
Ensuite il est essentiel de procéder à l’analyse des imaginaires car ils se réalisent dans des œuvres mentales et matérielles. Pour ce faire, les cartographies constituent une représentation sociale collective qui rend possible la rencontre des imaginaires des différents acteurs. Nous utilisons le terme cartographie en dehors de sa conception mathématique. Ainsi, il ne s’agit pas de mesurer les imaginaires mais de disposer d’une représentation qui permette de s’orienter et de mettre en évidence des axes structurants qui les caractérisent afin de pouvoir s’y repérer.
CHRYSTA PÉLISSIER : Dans le cadre de la conception d’un MOOC, l’imaginaire doit être partagé de manière à favoriser les échanges entre les participants, entre les participants et l’équipe pédagogique du MOOC et entre les différents membres de l’équipe pédagogique. L’ensemble ouvre les portes à la réussite du projet, c’est-à-dire la satisfaction des participants du MOOC qui pourront en parler et inciter d’autres personnes à s’inscrire et un taux de réussite important aux évaluations pour l’équipe pédagogique (indicateur de satisfaction).
1. Entre les participants, partager cet imaginaire favorise la mise en place d’événements qui prolongent le rassemblement du MOOC, comme :
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la création d’un réseau de personnes physiques qui défendent les mêmes valeurs (du développement durable dans le cas présent) et se retrouvent dans une ville à une heure précise pour une rencontre, à l’occasion (ou non) d’une manifestation ;
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la diffusion d’informations auprès d’autres réseaux de personnes, d’autres acteurs qui n’étaient pas inscrits au MOOC (présentation du MOOC dans les blogs personnels des participants par exemple) ;
2. Entre les participants et l’équipe pédagogique, partager cet imaginaire permet par exemple d’identifier les motivations des participants et ainsi mieux y répondre. Ces motivations sont à la base du scénario pédagogique. C’est par des interactions participants/équipe que la magie du MOOC prend son envol avec par exemple la participation forte des participants au forum de discussions qui ne sont aujourd’hui pas pris en compte dans les évaluations pour l’obtention de l’attestation/certificat ;
3. Entre les différents membres de l’équipe, il s’agit d’échanger sur les expériences (MOOC mais aussi dans l’enseignement à distance) et le ressenti des uns et des autres qui feront que le MOOC sera mieux préparé en amont, plus réactif dans le déroulement, et donnera l’envie aux membres de l’équipe de renouveler l’expérience en intégrant son vécu enrichi de celui des autres.
ÉRIC LACOMBE : Sitra est un outil à l’interface de multiples utilisateurs aux usages forts différents : offices de tourisme, prestataires tourisme et loisirs, agences web et développeurs, diffuseurs et éditeurs.
Avec des métiers si variés, on ne peut donc s’attendre à ce que l’imaginaire soit complètement commun et partagé. Cela n’est d’ailleurs pas indispensable, puisque la mission de Sitra est de permettre à chacun de mener ses propres stratégies numériques, collectivement ou individuellement. Cette philosophie est par ailleurs remarquablement insufflée par la directrice du projet, Karine Feige.
Pour acquérir une vision complète du projet, nous avons multiplié les points de vue, et donc les schémas, avec différents degrés d’abstraction et de détail, en fonction des besoins.
Nous avons pour cela fait appel à plusieurs modélisations systémiques pour représenter la plate-forme selon différents points de vue complémentaires : interaction des systèmes d’après Alain Touraine, articulation des systèmes d’après Jean-Louis Le Moigne, intelligence des systèmes d’après Jean Piaget.
Nous nous sommes également inspirés de plusieurs méthodologies en nous appuyant sur des standards utilisés en conception comme les diagrammes UML (Unified Modeling Language), mais aussi une catégorisation conceptuelle dérivée de schema.org, et en enfin sur la Graphique de Jacques Bertin, pour optimiser la lisibilité des schémas.
L’outil principal utilisé fut une application fonctionnant sur tablette tactile, DrawExpress, qui se distingue par son usage intuitif et sa remarquable productivité.
Cette approche s’est révélée fructueuse puisque nous avons identifié une série de points de vigilance, qui sans être critiques aujourd’hui, sont à prendre en compte dès à présent, pour garder la maîtrise stratégique de l’évolution du système.
4. Pensez-vous qu’on pourrait "former à l’imaginaire" dans la conception de projet numérique, et plus généralement, à l’ère du numérique ?
CHRYSTA PÉLISSIER : À partir de la réflexion sur ce projet, former à l’imaginaire, c’est donner la possibilité de réaliser une production pédagogique (technique et/ou conceptuelle) dans laquelle on ne maîtrise ni les motivations des inscrits, ni les méthodes de production, ni les compétences des membres d’une équipe indispensable à l’avancement du projet. Pour seul repère, nous avons la forme des productions finales, réalisées par les autres concepteurs/producteurs lors des sessions précédentes (autres MOOC diffusés dans notre cas), leur récit d’expérience, quelques documents du type « guide » du montage de MOOC disponibles en ligne, et notre vécu de participants à un tel projet.
Or, dans nos configurations actuelles de projet de formation, ces composants sont posés en amont : l’enseignant définit les objectifs en fonction des connaissances disciplinaires en lien avec l’obtention d’un diplôme (motivation des participants), les méthodes de production instrumentées à l’aide de plateformes de formation communes (MOODLE par exemple) proposant des activités pré-formatées (quiz, glossaire, petits jeux, etc.). Les compétences maîtrisées sont celles de l’enseignant seul qui peut fait rarement appel à des collaborateurs pour une production pédagogique.
ÉRIC LACOMBE : Cela semble effectivement une idée à développer. La créativité s’apprend, les méthodes sont nombreuses, les mettre en œuvre est à la fois un choix personnel et un choix politique. Mais plus largement ce sont les sciences humaines qui sont à enseigner aux informaticiens, et une culture technique minimale à l’ensemble des utilisateurs de ces technologies. Le numérique appelle l’apprentissage d’un nouveau langage, et le développement de la créativité. Les programmeurs en ont conscience : le traitement de l’information ouvre de multiples portes. Ce sont celles qui ont du sens qu’il faut donc privilégier.
Une formation n’est sans doute pas suffisante car développer l’imaginaire demande du temps, et passer du plan de la réalité à celui de l’imaginaire nécessite un double détachement : un détachement momentané du flux des activités quotidiennes mais surtout une déconnexion aux technologies numériques, devenues dangereusement addictives.
MATHILDE SARRÉ-CHARRIER et HÉLÈNE JEANNIN : Nous mobilisons la notion d’imaginaire sur des travaux portant sur des sujets relatifs aux évolutions de la société et des nouvelles technologies. À titre d’exemples, citons :
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Les nouveaux territoires de la relation client, tout particulièrement pensée dans une perspective multiculturelle.
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Le vêtement communicant.
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Le corps augmenté et connecté, c’est-à-dire le corps avec ses extensions numériques.
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La ville et les territoires augmentés en relation avec la mobilité : le nouage du monde physique et du cyberespace.
Par conséquent, intégrer l’imaginaire en amont (par exemple dans la conception de services sur des questions de prospective) et développer la formation aux diverses techniques associées nous paraît d’autant plus indispensable que nous vivons une situation d’innovation intensive. Cela nécessite de passer par des approches que nous avons expérimentées et formalisées : modélisation des imaginaires, utilisation de la socio-créa et/ou des pratiques artistiques à des fins de recherches et de conception, etc.
5. Pour conclure, utilisez-vous aujourd’hui la notion d’imaginaire dans vos travaux et vos projets ?
MATHILDE SARRÉ-CHARRIER et HÉLÈNE JEANNIN : La notion d’imaginaire est devenue de plus en plus centrale dans nos projets ces dernières années. Elle est désormais présente à plusieurs niveaux dans nos recherches puisqu’elle apparaît à la fois en tant qu’objet de métaréflexion sur le processus d’innovation et également en tant que matière première pour nos questionnements en amont du processus d’innovation.
ÉRIC LACOMBE : Les projets numériques sur lesquels j’interviens aujourd’hui font une place croissante à l’imaginaire. En tant qu’architecte de l’information, l’enjeu est de définir des services et structures de données associées qui, tout en s’appuyant sur l’existant, actualiseront au mieux le potentiel du couplage de l’humain et de la machine.
Ces deux acteurs ont des rôles complémentaires, le second devant être bien évidemment au service du premier. Cela suppose néanmoins l’acquisition par le plus grand nombre d’une culture technique numérique, et pour les designers/concepteurs/architectes/urbanistes des compétences supplémentaires telles que la compréhension structurelle et opératoire des schémas mentaux et de communication, compris comme outils de représentation, mais aussi d’élaboration des connaissances. C’est en quelque sorte ce que suggère Robert Estivals dans sa Théorie générale de la schématisation.
Nos travaux vont dans ce sens : en s’appuyant sur la schématisation, ils visent à développer des méthodes d’analyse, de représentation et de production, pour favoriser le passage des données à l’information, de l’information à la connaissance, de la connaissance à l’action, et de l’action aux données. Nous tentons ainsi de boucler un cercle vertueux.
CHRYSTA PÉLISSIER : Ce projet de MOOC nous a permis de réfléchir d’une part sur nos activités d’enseignant et d’autre part sur la formation à l’université de demain.
En tant qu’enseignante, certains de mes cours se divisent maintenant en trois parties : dans un premier temps nous faisons découvrir plusieurs solutions techniques en demandant aux étudiants une réalisation à partir de chacune de ces solutions. Dans un second temps, nous leur demandons de décrire pour chaque solution technique utilisée les fonctionnalités proposées et les usages qu’ils en ont eus dans le projet réalisé. Enfin, dans une troisième étape, nous demandons qu’ils imaginent une « solution idéale » (qui n’existe pas), et qu’ils nous décrivent les fonctionnalités qui répondraient le mieux à « leur besoin d’usager ».