Anne Beyaert-Geslin , Sémiotique du design, PUF, 2012
Maria Giulia Dondero
1. Une perspective englobante sur l’objet de design
Cet ouvrage d’Anne Beyaert-Geslin fait de l’objet de design un lieu central de notre vie : il est étudié par rapport à l’œuvre d’art et à l’esthétique de la vie quotidienne (chapitre 1 : « La sculpture et l’objet domestique »), à notre structure corporelle et à la présence de l’autre (chapitre 2 : « Pratiquer l’objet. L’exemple de la chaise), à l’espace à habiter (chapitre 3 : « L’objet dans la scène domestique »), et à la créativité (chapitre 4 : « Deux versants de la créativité »).
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B. Latour, « A Cautious Promethea? A Few Steps Toward a Philosophy of Design (with Special Attention to Peter Sloterdijk) », Keynote Lecture, History of Design Society, Falmouth, 3rd September 2008, 2008, http://www.unsworn.org/docs/Latour-A_Cautious_%20Promethea.pdf.
La perspective de l’auteur est englobante au sens où l’objet devient un dispositif de croisement et stratification de valeurs identitaires et sociales ayant le pouvoir de transformer le rapport à nous-mêmes et aux autres. Cette perspective englobante diffère quelque peu d’autres théorisations qui ont également plaidé pour une vision du design en tant que dessin et redessin de notre paysage de vie. Bruno Latour a affirmé que le design prend en charge toute « la fabrique de la vie »1 et qu’il fonctionne comme un dispositif de renouvellement des modes de vie, et notamment comme vecteur de réaménagement de l’existant, de remédiation par rapport à des erreurs et comme séries de solutions par rapport à des problèmes. Anne Beyaert, en revanche, focalise l’attention sur les modes dont un objet de design sollicite notre sensibilité : la question du renouvellement est ce qui rapproche les deux perspectives, mais les rythmes de ce renouvellement sont assez différents : assez constants, prudents et « judicieux » pour Latour, surprenants et même révolutionnaires pour Beyaert. C’est la raison pour laquelle la comparaison entre objet de design et œuvre d’art prend une part importante dans le chemin d’investigation de l’auteure.
Le rapprochement entre l’objet domestique et l’objet artistique (notamment la sculpture dont fait état le premier chapitre) fait en sorte qu’Anne Beyaert s’éloigne de la théorie éthico-politique de la remédiation proposée par Latour – qui voit dans l’évolution du design un ensemble de réadaptations minimes et continuelles de valeurs sans de véritables discontinuités –, pour expliquer la manière dont les objets de design peuvent eux aussi assumer le rôle d’événements porteurs de scandale (du grec skandalon, qui désigne la pierre placée volontairement sur le parcours d’une personne dans l’intention de la faire tomber) à l’instar des œuvres d’art.
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Ces questions sont également traitées par des sociologues tels que N. Heinich ; voir par exemple N. Heinich et R. Shapiro (eds), De l’artification, Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, Eds de l’EHESS, Collection Cas de figure, 2012. Le problème de l’unique et du multiple ainsi que de l’authenticité, de la légitimation, du faux et de la copie sont également discutés parmi les philosophes analytiques tels que N. Goodman, J.P. Cometti, R. Rochlitz et J. Morizot. Sur le mythe de l’original, l’identité numérique et l’identité spécifique, voir aussi Luis Prieto, « Sur l’identité de l’œuvre d’art », in Création et créativité, Ed. Castella, Albeuve, Suisse, 1986.
La différence entre l’objet de Latour et l’objet pris en compte par Beyaert consiste précisément dans la rythmique du changement : dans l’acception latourienne de design il n’y a pas de ruptures mais une progression et des optimisations continuelles ; par contre dans la perspective d’Anne Beyaert, l’objet de design peut et souvent doit constituer une rupture de goût et d’axiologie pour pouvoir être efficace, esthétiquement et éthiquement. Bien sûr, il s’agit dans ce dernier cas d’un objet de design qui penche vers l’unicité et l’exceptionnalité de l’œuvre d’art mais ce qu’il importe de relever est que pour Beyaert le changement dans les actions de la vie quotidienne passe par une impression de nouveauté qui s’impose au niveau de la perception esthétique. Pour creuser la question, l’auteure trace une distinction entre les deux termes en opposition, le chef-d’œuvre et l’objet domestique, en explicitant le fonctionnement de toute la gamme d’autres objets qui incarnent des modes d’existence allant de la présence esthétique la plus forte (apanage de l’œuvre d’art et de l’objet de design rare) à une présence exclusivement pratique (objet de design banal, objet domestique) jusqu’à la totale dévalorisation (rebut). C’est à ce propos que Beyaert revalorise une discussion qui a une longue tradition en histoire de l’art et qui concerne la relation entre artisanat, art et industrialisation : la valeur d’un objet dépend-elle des matières précieuses employées ? De son unicité ? De sa rareté ? De sa pérennité ? Du talent du producteur ? Du statut du producteur ? D’une trouvaille2 ? Mais, comme nous l’avons esquissé au tout début, il ne s’agit pas uniquement de voir dans l’objet de design une forme esthétique qui vise au statut d’œuvre d’art : la question axiologique et éthique est au centre de l’ouvrage, et c’est à ce niveau que se construit l’exploration sur les différences et les similitudes entre art et design. En fait, si le fonctionnement de l’œuvre d’art et celui de l’objet de design se distinguent généralement par deux cadres de perception différents, ce qui les rapproche est le fait que : « tout comme l’objet d’art, nos chaises symbolisent un certain rapport au monde et s’offrent tels des supports matériels pour la discussion des valeurs. Elles s’offrent même comme possibilités de manifestation de l’évolution des valeurs, permettant ainsi de saisir et de fixer une diachronie insaisissable, de graduer le temps pour ainsi dire (p. 14, nous soulignons).
L’objet de design et l’œuvre d’art exhibent tous deux des systèmes de valeurs que nous pouvons accepter/partager/valoriser/critiquer et dont la manifestation nous permet de choisir, d’argumenter et de nous orienter dans le monde. Le design pris dans la synchronie est donc là en tant que proposition et sélection de valeurs à discuter, ainsi que pour témoigner d’un état d’âme collectif ; du point de vue de la diachronie, le design et l’œuvre d’art fonctionnent comme des objets qui assignent une identité esthétique et éthique à chaque époque et qui nous permettent de fixer l’évolution de notre société à travers des formes signifiant des valeurs. C’est pourtant surtout l’objet de design qui se prêterait à construire une véritable histoire sociale de l’humanité au travers de l’historique d’un goût collectif qui se déploie dans les actions de la vie quotidienne.
2. Le rapport de l’objet de design à l’œuvre d’art
Les multiples différences entre l’objet de design et l’œuvre d’art sont d’ailleurs mises en avant dans le premier chapitre de l’ouvrage. Beyart-Geslin remarque que les objets d’art non seulement sont plus « scandaleux » que les objets de design, mais fonctionnent comme des lieux de concentration et densité de valeurs, tandis que l’objet de design vise à diffuser, distribuer, multiplier, voire normaliser la radicalité, la compacité et la brutalité de l’offrande de valeurs assurée par l’art.
L’auteure explique la relation entre design et art à l’instar d’un échange réciproque de règles et d’habitudes ainsi que comme une transformation réciproque dans la hiérarchisation des valeurs en jeu dans une époque donnée : en fait, non seulement « l’art est un métadiscours du design – un redessin du dessin […] [qui], en tant que métalangage, assume une fonction de sélection, de synthèse et de reformulation des valeurs assumées par le design » (p. 15) : mais le design, à son tour, se rapproche des idéaux de l’art dans sa recherche incessante de la nouveauté et du dépassement du déjà vu et du déjà connu : il nous fait face, il nous interroge et il met à l’épreuve notre capacité à « sensibiliser » notre vie quotidienne confrontée à des présences singulières.
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Pour une histoire du design d’auteur concernant la chaise voir p. 103 à p. 120. Les designers étudiés sont, entre autres, Matali Crasset, Peter Opsvik, François Bauchet, Philippe Starck, les frères Campana, Eero Aarnio, Gaetano Pesce, Fabio Novembre, Verner Panton, Konstantin Grcic…
Il faut pourtant tout de suite préciser que dans Sémiotique du design il ne s’agit pas du tout de rapprocher ou de distinguer l’objet d’art en général et l’objet de design tout court : du côté de l’œuvre d’art, l’auteure prend en compte une variété étonnante d’objets et notamment la sculpture occidentale autant que la sculpture africaine, l’objet en marbre – qui pose la résistance au geste –, en porcelaine – qui se laisse faire –, ainsi qu’en pierre tendre – qui n’accepte que des incisions très superficielles – et, en analysant les différents ajustements entre ces matières et les gestes du producteur, identifie des styles préconisés par les matières. Du côté du design, Beyaert-Geslin analyse finement tous types de sièges (du trône au tabouret en passant par le fauteuil et la chaise proprement dite)3, mais également le vase et d’autres objets quotidiens tels que le tapis en étudiant non seulement les effets de sens des différents matériaux (plastique, bois, feutre, verre, etc.) mais également l’entrecroisement de valeurs qui engendre toute citation dans le monde du design.
En ce qui concerne le rapport entre l’objet domestique et la sculpture, l’auteure procède à une série de différentiations entre l’objet domestique, indéniablement impliqué dans des actions banales, et l’objet d’art qui est par définition intouchable, exclu de toute action autre que celle de la contemplation.
Si l’objet artistique est notamment voué à une seule pratique (la contemplation), l’objet domestique rend pertinente une grande multiplicité d’actions, de relations avec d’autres objets, de détournements de son usage premier, etc. Si la sculpture est donc seulement un objet à voir, qui demande de concentrer l’attention de l’observateur sur la concentration de formes et de valeurs exclusives propres à l’objet d’art, l’objet de design est un objet à regarder et à toucher, voire un objet de faire qui prévoit également la distraction, le détournement de l’attention de soi-même à la faveur de l’autre et de l’action.
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L’auteure tient d’ailleurs à bien différencier les différents types de totalités esthétiques composées par le tableau et la sculpture ainsi que le cadre du socle : l’un coupe et sépare, l’autre insiste sur le centre de gravité et en même temps permet le rayonnement de la sculpture dans l’espace. La question se pose de manière encore différente par rapport aux limites et aux bords de l’installation artistique contemporaine, qui fonctionne de manière bien différente de la sculpture en ronde bosse (qui repousse l’observateur à distance), et qui multiplie les points de l’attention à la recherche du contact et des prises. Nous pourrions donc imaginer un rapprochement graduel entre l’objet de design et l’installation en gardant comme pôles extrêmes de cette catégorisation la sculpture isolée d’une part et l’objet commun (auquel on ne porte pas d’attention), de l’autre. Sur la question de la constitution et du fonctionnement de la totalité diagrammatique en sciences mathématiques et dans les arts (peinture, sculpture et art environnemental), je me permets de renvoyer le lecteur à M.G. Dondero, « La totalité diagrammatique en mathématiques et en art », Visible n° 9, Badir et Dondero (...)
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G. Simmel, « Le cadre, un essai esthétique », dans Le Cadre et autres essais, Paris, Gallimard, 1993 (1902), p. 29-30.
La sculpture, mais également le tableau4, sont retirés en eux-mêmes, cohésifs dans la relation de soi à soi et c’est cette fermeture sur elle-même de l’œuvre d’art, ce « se suffire à elle-même » qui lui donne la force de s’imposer à nous. Comme l’affirme Simmel : « Cet être pour soi est le recul d’où elle prend son élan pour nous envahir d’autant plus pleinement et sereinement5 ». Cette unité et ce renfermement déterminent d’ailleurs la distance à laquelle l’objet d’art décide d’être contemplé. Si l’œuvre d’art est surtout à regarder dans son entièreté et sa plénitude d’être, l’objet nous pousse au faire et, comme l’affirme Barthes, il sert à être dans le monde d’une façon active. Si la sculpture est repliée sur elle-même, l’objet est déplié vers nous et permet le déploiement de nos actions ; si le temps de la sculpture est celui de l’étirement de la contemplation, celui de l’objet est caractérisé par la répétition de l’habitude. La contemplation de l’œuvre d’art se donne toujours sur le mode de l’imperfectif tandis que l’objet, par l’itération de l’habitude, dissipe l’attention et prévoit l’accomplissement d’une action. L’objet est en fait une double interface, entre lui et le sujet humain et entre lui et les autres objets, et s’oppose donc de manière radicale à la sculpture qui, en tant qu’île, refuse toute interface. Beyaert-Geslin apporte d’ailleurs à ce propos une correction précieuse à la notion d’interface comme elle a été formulée par des sémioticiens tels qu’U. Eco et A. Zinna : pour comprendre l’objet de design, il faut s’éloigner d’une description exclusivement « locale » des points de contact avec le corps de l’utilisateur : il faut en revanche examiner de manière globale le plan de l’expression de l’objet en le mettant en relation avec l’équilibre de forces du corps humain tout entier. C’est un rapport écologique entre l’objet et le corps de l’utilisateur qui est mis en avant, et qui témoigne par ailleurs une fois de plus la place occupée par le design dans la constitution de notre relation au monde.
- Note de bas de page 6 :
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Une analyse très intéressante de la manière dont la scène domestique (les pratiques des habitants) et la pièce (sa taille et la disposition des objets dans l’espace) se transforment réciproquement est accomplie au troisième chapitre où Beyaert-Geslin se livre à l’analyse contrastive d’un studio et d’un loft et illustre la manière dont les pratiques se configurent et reconfigurent à partir des intervalles entre les objets et des multiples fonctions qu’ils peuvent assumer dans des cadres spatiaux assez différents.
En ce qui concerne la chaise, en fait, l’auteure analyse les relations entre formes, forces de gravité et expériences de la portance proposées par chaque chaise en explorant les différents rapports entre le piètement, l’assise, le dossier, les accoudoirs et l’appuie-tête (voir notamment chapitre 2). Si d’un côté l’auteure nous propose des études prototypiques et paradigmatiques des chaises, elle se lance de l’autre dans une étude qui illustre la façon dont des formes de vie différentes se succèdent et s’opposent dans l’histoire de l’humanité, du Moyen Âge à l’époque contemporaine. Pour ce faire, l’auteure analyse les multiples instances énonciatives de l’objet-chaise en rapport avec la table, constituées par des rythmes de présence au plan de l’expression et par des axiologies au plan du contenu. C’est ainsi que Beyaert trace l’évolution des pratiques de table, essentiellement la convivialité ou le formalisme, en montrant la manière dont la taille des objets, l’orientation et les foyers de l’attention de convives se redistribuent à chaque changement des habitudes collectives (la sédentarisation, l’individualisation, la hiérarchisation sociale, etc.) et la manière dont chaque habitude est spécifiquement contrainte par la disposition des objets dans l’espace6. Cette étude de l’historicisation des formes de vie est un exercice complexe en sémiotique post-greimassienne – dirais-je, le premier – et marque un élargissement du champ d’expertise de cette approche sémiotique qui ne sacrifie rien à la rigueur méthodologique et épistémologique.
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Voir à ce propos Pierluigi Basso-Fossali. Création et restructuration identitaire. Pour une sémiotique de la créativité. Nouveaux Actes Sémiotiques [en ligne]. Actes de colloques, 2006, Arts du faire : production et expertise. sur : <http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3109> (consulté le 29/12/2012).
Il ne faudrait cependant pas trop rapidement penser que Sémiotique du design se limite à une analyse d’objets : l’ouvrage met au cœur de son quatrième et dernier chapitre, « Deux versants de la créativité », le sujet créateur et les difficultés, les impasses et les hésitations de son faire qui se définit non seulement comme un ensemble de stratégies de production de la nouveauté, mais aussi et surtout comme activité de gestion de soi et de l’ampleur de vie du sujet producteur. Le créatif en fait doit, comme l’affirme Pierluigi Basso Fossali7, passer par l’abstraction, qui est la version consciente de l’oubli, nécessaire au dépassement de l’expérience archivée, par l’imagination, qui ouvre les possibles, par l’invention, qui stabilise les nouvelles relations imagées et enfin par l’inspiration, qui certifie le caractère duratif et systématique de l’invention. Beyaert-Geslin discute le rapport entre l’œuvre à faire et les œuvres faites – à l’intérieur d’une dynamique qui met en tension l’écho et le rejet –, ainsi que la difficulté de se débarrasser des clichés et de l’évidence de tout ce qui a déjà réussi et qui nous retient toujours en faisant obstacle à une nouvelle pensée. À ce sujet, Beyaert-Geslin schématise différents types de créativité, en allant du plus révolutionnaire (et, peut-être, dangereux) au plus prudent par rapport à la tradition sur l’axe de l’intensité et du plus au moins reproductible sur l’axe de l’extension (faire chaotique, faire créatif, faire ingénieux, faire imitatif).
La création passe toujours par la destruction, voire par des pratiques de négation non seulement du déjà fait et du déjà-vu, comme dans l’art, mais surtout, dans le cas spécifique du design, par rapport à des habitudes corporelles et à des actions quotidiennes : « le prototype est méthodiquement renié par les propositions des créateurs. Plus exactement, l’énonciation consiste en ce cas à désavouer les affordances, l’invitation que l’objet fait au corps, en simulant l’échec du programme d’action et l’impuissance de la praxis » (p. 188-189, nous soulignons).
La créativité est donc envisagée comme déprogrammation et comme renouvellement non seulement de la gestion des limites identitaires du sujet créateur, mais également comme un dépassement de la doxa et des habitudes du sujet utilisateur. L’histoire de la créativité tracée en suivant les étapes du design permet de dévoiler quelque chose qui échappe à la créativité tracée en suivant les étapes de l’histoire de l’art : une moralisation des mœurs, une tentative de réformer des valeurs, de mettre au point les besoins d’une société : on rejoint ainsi par le biais de la créativité les défis du design discutés à propos de Latour dans l’ouverture du présent travail.
3. Pour conclure : le cadre théorique et méthodologique de l’ouvrage
Chaque objet d’art et chaque objet de design analysés ou seulement mentionnés par Beyaert-Geslin appelle des distinctions et des catégorisations spécifiques à chacun : le mérite majeur de cet ouvrage est la mobilisation d’un grand nombre de théories, sémiotiques autant que philosophiques, pour résoudre des problèmes anciens tels que la perception, l’esthésie, la doxa, le prototype, etc. et d’utiliser pour chaque problème non pas des théories toutes faites mais des théories qui s’ajustent à l’objet examiné.
Les références à la philosophie contemporaine touchent surtout les travaux de Deleuze, celles à la sociologie surtout à Simmel ; l’anthropologie lévi-straussienne est toujours à la base d’une sémiotique post-structuraliste ; on lira aussi dans cet ouvrage un échange et une confrontation continuelle avec les historiens et les théoriciens des arts (Wölfflin, Kandinsky, Klee, Read, Van Lier). Cet ensemble de références permet de caractériser chaque objet de design et chaque pratique domestique selon une approche théorique qui le respecte pour son exemplarité, et pour la singularité des problèmes théoriques dont il est porteur.
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Voir à ce propos J. Fontanille, Corps et sens, Paris, PUF, 2011.
- Note de bas de page 9 :
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Voir à ce propos JF. Bordron, L’iconicité et ses images. Etudes sémiotiques, Paris, PUF, 2011.
En ce qui concerne la méthodologie, elle se fonde notamment sur la sémiotique tensive, ce qui permet à l’auteure de construire des schématisations très nuancées de ses objets de recherches. Mais on retrouve à l’œuvre aussi d’autres théories sémiotiques d’avant-garde, comme la sémiotique du corps de J. Fontanille8, la sémiotique de la perception, de l’objet et de l’iconicité de J.F. Bordron9, la sémiotique de l’ajustement de Landowski, ainsi que des notions précieuses comme celle d’instance de D. Bertrand et de non-sujet de C. Coquet.
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Voir à ce propos J. Fontanille, Sémiotique des pratiques, Paris, PUF, 2008.
- Note de bas de page 11 :
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Sur ce même problème méthodologique mais cette fois décliné par rapport à l’image artistique et à l’image scientifique, je me permets de renvoyer le lecteur à MG Dondero & J. Fontanille, Des images à problèmes. Le sens du visuel à l’épreuve de l’image scientifique, Limoges, Pulim, 2012.
Cependant c’est la sémiotique des pratiques de J. Fontanille10 qui permet de poser les distinctions fondamentales sur la méthode d’analyse des œuvres d’art et des objets de design : en fait, si l’œuvre d’art peut être analysée à travers les niveaux de pertinence du texte-énoncé (configurations langagières internes)11 et de l’objet (dispositif de présentation du texte, interface avec le sujet), l’objet de design implique en revanche non seulement ces deux niveaux de pertinence sémiotique mais aussi un troisième : celui de la pratique (les actions que ces objets mettent en jeu), ce qui ouvre des nouveaux champs d’investigation pour la discipline sémiotique.