Rencontre
Ma ville musée. La visualisation à bonne distance

avec Sophie Offenstein ,
Antoine Edel 
et Roxanne Villet 

Entretien réalisé par Anne Beyaert-Geslin

Texte intégral

Trois étudiants du master professionnel Design (Innovation, Technologies, Arts) de l’université Bordeaux 3 ont construit un site internet rassemblant, à la façon d’une playlist, les œuvres des collections publiques de leur ville. Le projet pose la question de la distance à l’œuvre : le savoir ne doit pas se substituer à l’expérience, expliquent-ils.

Intitulé Ma ville musée, le projet de Sophie Offenstein, Antoine Edel et Roxanne Villet, s’inscrit dans le cadre des réalisations du master pro dirigé par Stéphanie Cardoso. Il répond à la double contrainte imposée au groupe : utiliser les données open data mises à disposition par les collectivités territoriales pour donner forme à des parcours urbains facilitant la relation entre les deux rives de la Garonne. En l’occurrence, les données publiques mises à disposition se présentaient sous forme d’austères tableaux excel. Elles croisaient des descriptions variables selon le lieu de conservation, plus ou moins détaillées, mais indiquaient toujours le nom de l’artiste et une date. Même librement téléchargeables, les données disponibles sous cette forme sont difficilement utilisables par l’usager car, rangées par musée, elles permettent de retrouver une œuvre et non son auteur ou à l’inverse l’artiste plutôt que l’œuvre, sans compter que la date associée est généralement celle de l’exposition et non de la création. En ce sens, le traitement des données par les jeunes designers s’offre déjà comme une valorisation autorisant des exploitations futures.

Pour Sophie, Antoine et Roxanne, l’interface devait être la plus simple possible. Le cœur du site Ma ville musée est un plan interactif de Bordeaux, qui permet de situer la totalité des œuvres des collections publiques. On s’écarte ainsi de leur affiliation au musée, entérinée par la structuration des notices, pour les situer à l’échelle de la ville et les inscrire dans le patrimoine urbain. Relié à ce fonds redimensionné, le promeneur peut alors créer sa playlist autour d’un artiste ou d’un thème de son choix, tandis qu’un random fait défiler, de façon aléatoire, la liste d’autres promeneurs ou celle qu’a proposé un musée en particulier.

L’élaboration de la playlist suppose que l’ensemble des œuvres ait été préalablement indexé et que chacune d’elle soit associée à une fiche descriptive. Elle induit en outre la mise en relation des calendriers des différents lieux de conservation, qui permettent d’augmenter les possibilités des collections permanentes par des expositions temporaires. Des propositions de médiation sont également prévues, qui associent une œuvre ou un parcours à un quizz ou une anecdote. Ainsi le site sédimente-t-il un très grand nombre de données, elles-mêmes susceptibles de générer d’autres données relatives au nombre, au profil ou aux préférences des visiteurs, par exemple.

Sur l’écran du visiteur n’apparaît pourtant que la partie superficielle de cet iceberg d’informations. Pour lui, l’enjeu est simplement de parcourir la ville sur les pas de Francisco Goya, par exemple, de reprendre une visite antérieure mise en mémoire ou de suivre un autre promeneur à la recherche des artistes bordelais célèbres, par exemple. Lorsque le parcours choisi est validé, sa durée est évaluée. Le promeneur peut alors être guidé par géolocalisation d’un lieu à l’autre. Lorsqu’il arrive face à l’œuvre, un outil de médiation se déclenche et livre, sous forme de jeu ou de notice, toutes les informations disponibles.

Le souhait des concepteurs est de valoriser un patrimoine bordelais qui leur est très cher, de permettre aux visiteurs de s’approprier les œuvres et de se mettre en action. Leur message implicite pourrait être : « venez voir, soyez actifs et curieux ». Mais l’appropriation recherchée doit composer avec la distance. L’interface entend au demeurant s’approcher de l’œuvre pour capturer un détail significatif, par exemple, mais se garde bien de multiplier les vues pour éviter une quelconque restitution virtuelle. La visualisation ne procure « pas la même émotion » que l’œuvre, assurent-ils, il ne s’agit pas de remplacer l’expérience de cette œuvre. Le but n’est pas de se substituer à la perception mais de donner des informations, d’aiguiser la curiosité du visiteur, de le mettre en action et de l’amener à se questionner. Bref « trouver un juste milieu et ne pas trop en faire », ménager un certain « recul ».

En somme, le site ne veut surtout pas reproduire l’expérience immersive de l’audioguide qui « coupe le son ambiant ». Si l’audioguide s’impose ici comme un contre-modèle, quel modèle, quelle métaphore inspire donc les jeunes designers ? Ma ville musée tient à la fois du courrier des lecteurs et du livre d’or, expliquent-ils. C’est une sorte de courrier des lecteurs pour un journal artistique en ligne en même temps qu’un livre d’or à l’échelle de la ville. Mais si toutes ces références sont envisageables et, par leur complémentarité, témoignent de l’intérêt du projet, le modèle le plus insistant reste celui de l’autobus et plus précisément celui de ce « bus de l’art contemporain » qui, une fois par mois, emmène les visiteurs vers quatre lieux bordelais, institutions muséales ou lieux alternatifs pour un parcours ménageant toujours de nouvelles rencontres et des surprises. On prendrait ainsi Ma ville musée comme on prend un autobus, en promeneur actif, compétent, demandeur de découverte, pour se rendre devant les œuvres…

Le projet Ma ville musée a été rendu public comme les autres projets des étudiants du master et cherche un développement. Ses concepteurs poursuivent leur route de designer. Sophie s’implique dans un projet de logement temporaire pour les jeunes de 18 à 30 ans ; Antoine est designer au sein d’une entreprise spécialisée dans les technologies futures et Roxanne dans l’événementiel.