Collaboration à distance dans les pratiques médicales
Un cas de téléconsultation cardiologique Remote collaboration in medical practice. A case of cardiological teleconsultation
En se basant sur un cas de téléconsultation entre professionnels médicaux, cet article s’intéresse aux conditions socio-interactionnelles et organisationnelles de la collaboration à distance plus qu’aux conditions technologiques. L’étude se focalise en particulier sur l’importance de la médiation réciproque dans la relation entre les opérateurs et les éléments pertinents de la pratique diagnostique. La téléconsultation cardiologique est analysée en tant que parangon d’un système à distance où les deux opérateurs ont besoin d’interagir pour avoir accès aux éléments indispensables à la définition de la situation du patient. Cette définition, impliquant une pluralité de facteurs (facteurs de risque, familiarité avec certaines pathologies, thérapies mais aussi style de vie, situation psychologique et/ou sociale, etc.), se réalise au cours de l’interaction, grâce à un processus d’alignement discursif entre les deux médecins. C’est justement cette nécessité réciproque d’une médiation, grâce à la symétrie se créant dans la distance, qui assure la réalisation de la collaboration.
Based on a specific study case of teleconsulting between medical professionals, this article not so much aims at questioning some technological circumstances, but rather aims at analysing the socio-interactional and organizational conditions to remote collaboration.
This study especially focuses on the importance of reciprocal mediation between operators, as well as on the relevant elements of diagnostic practices. Cardiologic teleconsulting is regarded as a pertinent model of analysis among collaborative remote systems, where both operators need to interact in order to access the meaningful elements defining the patient's situation. This definition encompasses various factors (risk, acquaintance to some pathologies, therapies, but also life style, psychological/social state…), and is carried out during the interaction thanks to a process of discursive alignment between the two MDs. This is this very reciprocal need for mediation that ensures collaboration, thanks to the symmetry emerging from the distance between the interlocutors.
1. Introduction
Dans les pratiques de travail actuelles, la collaboration à distance est devenue un enjeu technologique, managérial, écologique et organisationnel essentiel. Les organisations contemporaines mobilisent des métiers à spécialisation croissante, travaillent de plus en plus en réseaux géographiquement distribués et organisent leurs activités de façon interdépendante grâce à la médiation technologique. Non seulement certaines activités de collaboration, exigeant traditionnellement la coprésence entre les acteurs, peuvent désormais se réaliser à distance mais, grâce à la médiation technologique, des collaborations inédites se développent également entre professionnels qui avaient l’habitude de travailler dans des contextes séparés. Dans le domaine des pratiques médicales, les récentes technologies de l’information et de la communication (TIC) ont ouvert de nouvelles possibilités d’interaction entre les différents spécialistes impliqués dans l’activité du diagnostic.
En médecine, cette activité repose de plus en plus sur des examens instrumentaux (Berg, 1996) sans toutefois faire abstraction des caractéristiques du patient. Dans ce contexte, l’interaction entre médecins spécialistes (chargés d’interpréter les examens instrumentaux) et médecins généralistes (dépositaires d’un savoir concernant l’histoire et les caractéristiques du patient) apparaît caractéristique des applications rendues possibles par les formes de collaboration à distance. Les TIC permettent, en effet, le développement de formes inédites de collaboration qui ne pouvaient avoir lieu dans les organisations sanitaires traditionnelles. C’est donc en ce sens que l’analyse présentée dans cet article se propose de nourrir le débat sur le rôle des TIC dans la collaboration à distance.
Au cours des dix dernières années, plusieurs recherches se sont intéressées au vaste monde des applications des TIC dans les pratiques médicales (Mort et al., 2003 ; Nicolini, 2007 ; Nicolini et al., 2004 ; Taylor, 1998). L’intérêt du présent article n’est pas de proposer une vue d’ensemble de ces recherches, mais plutôt d’utiliser un cas de téléconsultation entre professionnels, qui fournit l’occasion de discuter des caractéristiques et des nouvelles opportunités offertes par la collaboration à distance, objet de ce numéro. Il s’agit, en particulier, de souligner la nécessité de déplacer l’attention de la technologie en soi vers l’étude de la technologie-en-pratique (technology-in-practice, Orlikowski, 2000), afin d’interroger les pratiques et les caractéristiques du travail médié par les technologies, plutôt que les technologies elles-mêmes et les infrastructures utilisées (Gherardi, 2010). J’illustre mon argumentation par le cas de la téléconsultation cardiologique comme nouvelle pratique médicale technologiquement médiée. En adoptant une approche épistémologique et en m’inspirant de l’ethnométhodologie et des études de la science et de la technologie, je montre les éléments composant la nouvelle pratique de la téléconsultation cardiologique. Dans ce contexte, je me focalise plus particulièrement sur la collaboration et l’importance de la médiation dans la relation entre les éléments pertinents de la pratique diagnostique.
La téléconsultation peut, en effet, être envisagée en tant que pratique médicale destinée à donner du sens (Weick, 1995) à la situation du patient grâce à la collaboration à distance entre deux spécialistes. Je me propose plus particulièrement de montrer le rôle essentiel joué par la distance (symétrique) de chacun des deux opérateurs avec l’un des objets privilégiés de la pratique médicale cardiologique (patient et électrocardiogramme) lors de la téléconsultation. Il s’agit de souligner combien il est pertinent d’ancrer la dimension interactionnelle et discursive de l’attribution de sens (et, dans ce cas particulier, de donner du sens à une situation médiée par les TIC) à un besoin d’information des usagers engagés dans ces nouvelles pratiques technologiques. La nouveauté de cette pratique de travail médié par la technologie consiste en la possibilité de « connecter » (mettre en communication) deux spécialistes qui n’interagissent normalement pas en coprésence – en raison de l’organisation du système sanitaire – et ne communiquent généralement pas de manière synchrone. Je montrerai que la nouvelle pratique est différente des pratiques préexistantes et qu’elle se caractérise par la collaboration entre les deux médecins pour donner du sens (sensemaking) à la situation du patient. La téléconsultation cardiologique est une pratique médicale inédite construite sur l’interaction synchrone entre deux spécialistes dont les pratiques, les savoirs professionnels et les instruments techniques diffèrent les uns des autres.
Je me rattache ainsi au courant d’étude connu dans le débat organisationnel sous le nom de Practice-based Studies (Gherardi, 2000 ; Nicolini et al., 2003 ; Orlikowski, 2002). Je montrerai la nécessité de prêter attention à l’écologie des relations mobilisées lors d’une nouvelle pratique (entre acteurs humains et non-humains, spécialités, formes d’organisation du système sanitaire). En effet, la collaboration à distance et les systèmes qui la soutiennent ne sont utilisables et fiables que si on les rapporte aux usagers (Suchman et al., 1999) et au contexte dans lequel ils se situent et prennent forme.
L’objectif de cette étude est double. Il s’agit, d’une part, de porter à l’attention des disciplines ergonomiques et de la communication, impliquées dans le débat sur les interfaces numériques, un courant de littérature qui réfléchit sur la relation entre technologie et pratiques de travail. D’autre part, il s’agit de tenter de traduire les observations de cette littérature en suggestions concrètes et utilisables tant dans la conception que dans l’évaluation des systèmes de collaboration à distance. Pour ce faire, cet article exploite le cas empirique de la téléconsultation, déjà connu dans le domaine de la littérature organisationnelle s’inspirant des Practice-based Studies (Bruni et al., 2007 ; Bruni et Parolin, 2009 ; Gherardi, 2010), tout en tâchant de fournir des suggestions utiles à la conception de ce nouveau système de collaboration à distance.
2. La recherche et la méthodologie adoptée
La recherche empirique sur laquelle repose cet article a été réalisée avec des collègues appartenant à l’Unité de Recherche Rucola (Research Unit Communication Organizational Learning and Aesthethics), lors de mon doctorat en Information Systems and Organization au sein du département de Sociologie de l’Université de Trento, en Italie. L’étude de cas porte sur un service de téléconsultation cardiologique offert aux médecins généralistes par une société du nord de l’Italie, sur tout le territoire national (au moment du recueil des données ils étaient 800). Ce service offre, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qu’un cardiologue (à l’époque il s’agissait de 70 cardiologues) examine à distance l’électrocardiogramme que le médecin généraliste (MG) — doté d’un appareil pour l’enregistrement des ECG — lui fait parvenir grâce à une liaison téléphonique. Ce service repose donc sur la possibilité technique de transmettre, d’une part, un tracé spécial ECG (électrocardiogramme) à dérivation réduite via une liaison téléphonique (interaction visuelle asynchrone) et d’autre part, d’établir une liaison téléphonique (interaction auditive synchrone) entre le médecin généraliste et le cardiologue. À travers un simple appareil électrocardiographe — simple dans la mesure où il s’agit d’une technologie déjà « mûre » (Parolin, 2012) — relié à la ligne téléphonique, le médecin généraliste parvient ainsi à enregistrer et à transmettre un tracé ECG au cardiologue de garde qui le visualise sur l’écran de son PC, l’interprète en communiquant oralement avec le MG, rédige le compte-rendu et le fait parvenir à nouveau au MG.
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Ceci nous rappelle le rôle déterminant de l’infrastructure technique sachant que les infrastructures qui soutiennent la communication à distance sont transparentes tant qu’il n’y a pas de panne (break down) (Gherardi, 2010).
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Dans les pratiques médicales de la médecine générale, le MG entre en relation avec le spécialiste (médecine de 2e niveau) presque exclusivement à travers la lecture des comptes rendus. Même dans les cas où le MG téléphone au spécialiste, l’interaction entre les deux médecins se réalise a posteriori par rapport à l’interprétation de la situation du patient qui est effectuée par le spécialiste dans le cadre de ses propres pratiques médicales. De ce fait, la téléconsultation cardiologique est une pratique médicale tout à fait inédite dans le système sanitaire et elle introduit la collaboration dans l’interprétation de la situation du patient entre deux différents spécialistes de la médecine.
La recherche, se basant sur une première observation du centre d’appels de la télécardiologie et sur une analyse documentaire du matériel informatif sur le service, s’est focalisée sur l’analyse des conversations téléphoniques enregistrées pendant un mois (novembre 2002). Au cours de ce mois, le centre d’appel de la télécardiologie a enregistré 1 052 conversations téléphoniques entre le cardiologue et des MG. Parmi celles-ci, 638 seulement ont été considérées « valables », selon le critère qu’il s’agissait d’interactions complètes comprenant l’intégralité de la séquence impliquée dans la téléconsultation cardiologique. Cela signifie que 36,2 % des enregistrements se réfèrent à des interactions incomplètes durant lesquelles un problème ou un échec se sont vérifiés dans l’infrastructure telle que, par exemple, l’absence d’une bonne transmission/réception du signal1. Bien qu’une analyse des échecs et des problèmes de l’infrastructure aurait pu offrir des suggestions pour l’amélioration technique du service, notre intérêt s’est plutôt focalisé sur les interactions arrivées à conclusion. C’est ainsi que nous avons abouti à une description détaillée du service en tant que résultat d’une interaction synchrone et à distance entre des spécialistes n’ayant pas l’habitude d’interagir entre eux de manière synchrone2. Parmi les 638 conversations restantes, 55,2 % ont été classifiées comme relevant de la routine (pour des certificats médicaux ou des monitorages de patients chroniques) et 44,8 % comme « problématiques » (le patient présente des problèmes ou des symptômes signalant de sérieux problèmes cardiologiques en cours). Une analyse des résultats des consultations en termes de trajectoire du patient dans le système sanitaire a révélé que, dans 51,6 % des cas, la conversation se terminait sans aucune action clinique. Dans cette catégorie plutôt ample sont réunies tant les conversations arrivant à conclusion, que les problèmes du patient qui ne sont pas de nature cardiologique, ou encore les conversations qui concernent de petits ajustements thérapeutiques ne prévoyant aucune trajectoire supplémentaire du patient dans le système sanitaire. En revanche, 30,3 % des cas, aboutissent à la prescription d’examens supplémentaires. Dans 9,6 % des cas, le patient est envoyé aux Urgences. Dans 8,5 % du reste des cas, cela se termine sans aucune consultation cardiologique car l’enregistrement de l’ECG est mal fait ou considéré insignifiant.
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Face à cette grande variété de fonctions, l’argumentation légitimant la téléconsultation, indiquée dans les documents d’information sur le service, est de prévenir les accès non justifiés aux Urgences.
À partir d’une première analyse des données, on peut ainsi remarquer que le nouveau service remplit différentes fonctions3. La téléconsultation, en tant que téléconsultation-en-pratique, est utilisée pour tenir les patients chroniques sous contrôle dans le temps et pour obtenir un deuxième avis (second opinion) sur la façon dont le patient réagit à une thérapie. Pour les médecins généralistes, il s’agit également d’une opportunité d’apprendre et d’acquérir une expertise en cardiologie, tout en étant rassurés sur leurs décisions (Gherardi, 2010). L’interaction synchrone entre le MG et le cardiologue ne reproduit pas une pratique médicale déjà existante (la visite cardiologique ; la visite du MG) qui se réaliserait désormais grâce à la médiation des TIC. La nouvelle pratique crée quelque chose d’inédit qui permet aux deux médecins de coopérer afin de donner du sens à la situation du patient, mettant ainsi en relation l’ECG et l’histoire du patient, l’aspect « clinique » (comment le patient apparaît au regard du médecin) et les informations sur le patient.
La méthodologie de recherche est ainsi très variée. Nous avons exploité des instruments d’analyse microsociale d’inspiration ethnométhodologique pour étudier les micro-pratiques de l’interaction pendant les conversations téléphoniques, les méthodes ethnographiques pour l’observation du centre d’appel et l’analyse textuelle et rhétorique pour l’analyse documentaire. Certains instruments « classiques » de l’analyse organisationnelle et inter-organisationnelle se sont, enfin, avérés pertinents pour comprendre le rôle des agents de santé et les relations entre les services du système sanitaire. De plus, la sensibilité STS (Science and Technology Studies) du groupe de recherche a permis de prêter attention au rôle des humains et des non-humains (Latour, 1992) dans la pratique de travail (Bruni, 2005). La recherche se situe dans le domaine de l’analyse de la connaissance pratique caractérisant l’approche « basée sur la pratique » (Practice-based Studies) au sein des études organisationnelles (Gherardi, 2006 ; Nicolini et al., 2003). Dans le cadre de cette recherche mettant l’accent sur la mobilisation discursive de différentes formes de connaissance, nous avions proposé le terme de « système fragmentaire de connaissance » (System of Fragmented Knowledge - SFK) (Bruni et al., 2007). Il s’agissait ainsi de souligner les pratiques discursives utilisées par les acteurs pour mobiliser ces fragments de différentes formes de connaissance s’avérant pertinentes pour la définition de la trajectoire du patient dans le système sanitaire.
3. Pourquoi la cardiologie?
La téléconsultation cardiologique est également une forme de relation inédite, ou du moins inhabituelle, entre les deux niveaux du système sanitaire. En effet, l’interaction synchrone entre le médecin généraliste et le spécialiste remplace – ou du moins soutient – l’interaction plus traditionnelle se réalisant grâce à la médiation du compte rendu écrit du spécialiste. Cette forme d’interaction ne permet pas une communication bidirectionnelle entre les deux médecins. L’interaction se réalise, en effet, a posteriori par rapport à la définition de la situation du patient qui est effectuée lors de la pratique médicale cardiologique. L’organisation du système sanitaire (du moins dans les pays européens) est telle que, dans la pratique ordinaire des activités sanitaires, le MG et le cardiologue ne collaborent pas. En revanche, c’est le MG qui interprète ou reçoit du cardiologue les informations et les interprétations sur la situation du patient. Bien que les médecins généralistes souhaitent des interactions synchrones avec tous les spécialistes, ce n’est pas un hasard si la téléconsultation se développe dans le domaine cardiocirculatoire, une spécialité médicale caractérisée par des événements dont le facteur temps est déterminant pour l’issue de l’intervention médicale. Il s’agit donc d’un domaine particulièrement important dans le cadre de l’activité du MG qui a le devoir de juger à quel moment orienter le patient vers un spécialiste. Son activité peut, en effet, avoir des conséquences sur les chances de survie du patient.
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Le MG joue un rôle clef dans l’organisation du système sanitaire et il est chargé de suivre les trajectoires du patient dans la médecine secondaire (spécialiste). Le trait distinctif de la spécialisation du MG repose sur la construction d’une relation dans la durée avec le patient. L’Organisation Européenne des Médecins de médecine générale-médecine de famille définit ainsi les caractéristiques de la discipline :
A) Elle est habituellement le premier contact avec le système de soins, permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en compte tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge, du sexe, ou de toutes autres caractéristiques de la personne concernée ;
B) Elle utilise de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires et la gestion du recours aux autres spécialités, se plaçant si nécessaire en défenseur du patient ;
C) Elle développe une approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelles, familiales, et communautaires ;
D) Elle utilise un mode de consultation spécifique qui construit dans la durée une relation médecin-patient basée sur une (...)
L’identification des symptômes de l’infarctus, et d’autres événements et/ou dysfonctionnements du système cardiocirculatoire, n’est pas si simple. D’autant plus pour un médecin détenteur d’une spécialisation différente de celle de la cardiologie comme c’est le cas du MG4.
Premièrement, les patients ne présentent pas tous des symptômes précis, facilement reconnaissables et se distinguant des symptômes liés à d’autres pathologies de nature différente. Dans ce sens, les MG considèrent ce service comme la possibilité d’ajouter aux données fournies par l’ECG et son compte rendu, d’autres informations utiles à l’interprétation de l’état du patient. L’électrocardiogramme télématique s’introduit ainsi dans la pratique médicale du MG en le munissant d’un nouvel instrument ; grâce au contact téléphonique avec le spécialiste, cet artefact fait aussi en sorte que l’interprétation de la situation du patient devienne une activité collaborative.
Deuxièmement, dans ce cas, la téléconsultation est une opportunité d’apprentissage pour les médecins impliqués qui, grâce au contact téléphonique avec un autre spécialiste, font l’expérience directe, tant des traits caractérisant les spécialités médicales spécifiques, que des processus liés à l’attribution de la pertinence, variant d’une spécialité à l’autre. Le MG, grâce au contact téléphonique, apprend en effet à prêter attention aux facteurs indispensables au cardiologue pour resituer dans son contexte l’interprétation de l’ECG.
- Note de bas de page 5 :
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En cardiologie la visite clinique cardiologique a le devoir de resituer l’ECG dans . Le MG joue un rôle clef dans l’organisation du système sanitaire et il est chargé de suivre les trajectoires du patient dans la médecine secondaire (spécialiste). Le trait distinctif de la spécialisation du MG repose sur la construction d’une relation dans la durée avec le patient. L’Organisation Européenne des Médecins de médecine générale-médecine de famille définit ainsi les caractéristiques de la discipline :
A) Elle est habituellement le premier contact avec le système de soins, permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en compte tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge, du sexe, ou de toutes autres caractéristiques de la personne concernée ;
B) Elle utilise de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires et la gestion du recours aux autres spécialités, se plaçant si nécessaire en défenseur du patient ;
C) Elle développe une approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelles, familiales, et communautaires ;
D) Elle utilise un mode de consultation (...)
L’examen électrocardiographique est l’un des instruments les plus utiles dans le diagnostic cardiologique. Dans la pratique médicale, l’électrocardiogramme (ECG) est utilisé en tant qu’instrument diagnostique dans la mesure où il est capable de détecter les anomalies de l’activité cardiaque. Toutefois, la lecture et l’interprétation de l’ECG sont strictement liées à la situation du patient5. Il n’est donc pas seulement nécessaire pour les médecins impliqués dans la pratique d’apprendre à interpréter les lignes rendues visibles par l’ECG, mais il est également indispensable de resituer le tracé dans le cadre d’une situation concrète. L’interprétation de l’ECG exige, en effet, la présence du patient auquel attribuer le tracé.
La collaboration entre les différentes figures professionnelles représente véritablement le facteur clef de la téléconsultation. En effet, ces professionnels n’accomplissent pas les mêmes pratiques et n’utilisent pas les mêmes instruments. De plus, leurs compétences médicales se caractérisent par des processus différents d’attribution de la pertinence (Weick et al., 2005) dans le cadre des facteurs pris en compte lors de la pratique médicale.
4. Téléconsultation, rôles professionnels et organisation du système sanitaire
Si le cardiologue est le spécialiste du système cardiocirculatoire, le médecin généraliste est le spécialiste qui suit le patient dans le temps et qui joue le rôle de médiateur des actions de la médecine secondaire, afin de la resituer dans la vie concrète des patients dont il assure les soins (Wonca, 2002). La médecine spécialiste cardiocirculatoire utilise les examens instrumentaux tels que l’électrocardiogramme, en tant qu’éléments essentiels à l’activité diagnostique. Dans ce sens, le compte rendu même des examens instrumentaux est une pratique médicale qui ne se limite pas à la description de l’examen, mais qui sélectionne et juge pertinents certains éléments pour donner du sens à la situation. Toutefois, la prise en considération des éléments émergeant des examens instrumentaux et donnant du sens à la situation du patient est liée et se réalise au cours des visites. Celles-ci, grâce à l’entretien clinique et à l’aspect « clinique » (comment le patient apparaît au regard du médecin), permettent de lire tout examen instrumental et d’attribuer de l’importance aux éléments contenus dans ce dernier.
Dans la téléconsultation, cette activité de lecture de l’examen instrumental traditionnellement effectuée par le cardiologue et qui implique toujours une interprétation, est liée à l’état général du patient et se réalise au cours de l’interaction téléphonique entre les deux médecins. La téléconsultation cardiologique répond au besoin des MG d’obtenir un avis spécialisé dans le domaine de la cardiologie, spécialité exigeant la réalisation d’actions urgentes en cas de crise. Dans ce sens, la téléconsultation est perçue par le MG en tant que support à l’action permettant d’appuyer l’action médicale sur l’« objectivité » de l’instrument diagnostique. Le service de téléconsultation lui offre ainsi une assurance de type instrumental (basée sur l’électrocardiogramme et l’électrocardiographe) et spécialisé (consultation cardiologique) pour son action médicale. Le MG se sert, en effet, de la lecture du tracé comme d’un élément technique légitimant l’action médicale et assurant l’objectivité technique sur le fonctionnement biophysiologique du patient. Il semble ainsi que le tracé soit invoqué en tant qu’élément d’accountability de la situation du patient, c’est-à-dire en tant qu’instrument capable de montrer et de rendre visible l’« état » du patient grâce à une connexion « directe » – non médiée par l’interprétation – avec la réalité. En même temps, le MG se sert de la consultation et de la connaissance spécialisée du cardiologue comme d’un élément d’assurance pour lui et ses propres patients.
Le compte rendu d’un examen instrumental revêt ainsi un rôle crucial pour l’interprétation de la situation de patients présentant des symptômes liés à des problèmes cardiologiques. L’interaction avec le cardiologue fournit l’occasion de construire collectivement le sens à donner à la situation du patient. Dans la nouvelle pratique, le MG joue, en effet, le rôle de médiateur dans la relation entre le cardiologue et le patient : il fournit au cardiologue une narration sur le patient en sélectionnant déjà certains éléments et fournit ainsi un premier cadre (framing) à la situation.
5. La structure de l’interaction
Comment le service fonctionne-t-il ? Comment les deux médecins construisent-ils ensemble l’état du patient ? L’analyse de la structure de la téléconsultation met en évidence des stades récurrents dans le déroulement de l’interaction :
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ouverture de la conversation entre les 2 médecins (salutations) ;
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présentation du cas de la part du MG ;
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lecture et interprétation de l’ECG ;
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salutations.
Ce n’est pas un hasard si la structure de l’interaction dans la téléconsultation est très régulière. Il y a un premier moment (rendu encore plus évident par l’attente technique de la transmission du tracé) durant lequel le cardiologue demande au médecin généraliste de présenter le patient. Ce premier cadrage (frame) de la situation représente le contexte dans lequel l’ECG est interprété. Une partie essentielle de la compétence professionnelle du médecin repose sur la capacité communicationnelle mobilisée durant l’interaction avec le patient (Cicourel, 1987). En effet, même si la médicine utilise des instruments sophistiqués de détection des caractéristiques biophysiologiques, c’est dans l’interaction avec le patient et grâce à ses spécificités individuelles que le médecin construit in situ son interprétation de la situation.
Il en est de même pour les questions posées par le cardiologue au médecin généraliste afin de donner du sens à l’ECG ainsi qu’à d’autres éléments pertinents. L’histoire clinique du patient, ses facteurs de risque, la familiarité avec des problèmes cardiologiques dans son histoire familiale et d’autres facteurs encore, sont exploités par le cardiologue pour situer l’ECG dans le cadre du contexte spécifique du patient. Tous ces éléments sont également mobilisés par les deux médecins au cours de l’interaction. L’usage d’un logiciel pour l’élaboration du compte rendu, rédigé par le cardiologue en interaction avec le MG, fait en sorte que l’ordre même des questions suive une régularité dictée par les encadrés à remplir.
6. Attribution de sens en tant qu’alignement
Au cours de la téléconsultation, le travail des deux médecins se déroule au sein de pratiques discursives (avec le patient et entre les deux spécialistes) et implique la mobilisation de ressources hétérogènes (facteurs de risque, éléments du passé, dérivations et évolutions, etc.). Travailler dans la téléconsultation cardiologique implique la prise en compte des caractéristiques du contexte pour définir la situation particulière du patient. Comment cette définition de la situation se réalise-t-elle ? Elle se réalise à travers un travail d’alignement discursif entre éléments hétérogènes : en priorité l’ECG et le patient. En lisant l’examen instrumental (et en l’interprétant déjà dans le cadre créé par le MG), le cardiologue répond à un premier cadrage (framing) de la situation du patient. Voyons maintenant comment le cardiologue s’appuie, au cours de l’interaction, sur les informations présentées par le MG afin d’interpréter les éléments visibles dans le tracé ECG.
[Salutations]
MG : bien, alors écoute, je ne sais pas si l’ECG est bien arrivé, il s’agit d’un enfant de sept ans.
C : oui, tout va bien.
MG : rien… c’est seulement pour… il doit s’inscrire à une école de foot.
C : tout va bien, une arythmie sinusale physiologique, tout va bien.
MG : bien.
Rapporter l’ECG à un enfant et le situer dans un contexte non problématique (la demande d’un certificat) permet au cardiologue de considérer l’ECG dans la norme grâce à la définition de l’arythmie (pourtant présente) comme étant physiologique.
[Salutations]
MMG : j’ai envoyé ce tracé, c’est une de mes patientes qui cette nuit… ou plutôt il y a deux nuits, fait à l’improviste, elle a eu un vomissement abondant. Intense. La raison de l’appel c’est qu’elle a eu aussi une douleur au thorax qui, mais il est probable que ce soit dû exclusivement aux efforts du vomissement… c’est une personne hyper tendue.
C : docteur, ici le tracé a fait un infarctus !
Dans ce cas, c’est le tracé même, resitué dans la situation d’une patiente déjà problématique (hypertendue) présentant des symptômes typiques (douleur thoracique et vomissement), qui indique l’infarctus. Il est intéressant de remarquer que l’examen instrumental est anthropomorphisé. C’est l’ECG même qui « a fait » l’infarctus.
Cette possibilité de détecter le dysfonctionnement du corps grâce à des comptes rendus (accounts) techniques, est un trait caractéristique de la médecine en tant que discipline ayant un fondement scientifique. La pratique médicale utilise toujours plus le diagnostic instrumental comme élément permettant d’objectiver le corps du patient et de déléguer la responsabilité du diagnostic à un savoir scientifique. C’est ce processus d’objectivation, libéré des contraintes liées aux capacités d’interprétation du médecin (comme il arrive en revanche dans le cas des symptômes et de la détection clinique), qui a justement caractérisé la médecine moderne (Berg, 1997). Cette objectivation médicale du corps du patient, ausculté à travers l’usage d’examens de laboratoire et d’un diagnostic instrumental, permet au médecin de déléguer une partie de la responsabilité de ses actions à l’instrument technique exploité et, donc, de ce fait, à la logique incorporée dans la technologie utilisée. Comme l’affirme Berg (1997), il existe un lien direct entre pratique médicale et pratique scientifique qui détermine la fin du soi-disant « art médical » et marque le passage vers la professionnalisation de la médecine. Celle-ci délègue son savoir à la technoscience des examens instrumentaux permettant au professionnel médical de se mettre à l’abri d’une mise en cause de ses responsabilités personnelles. La rationalisation du savoir médical s’exprime à la fois dans l’adoption de technologies comme instruments diagnostiques et dans la formalisation de procédures, protocoles et modalités d’action figeant le savoir médical dans des recettes « prêtes à l’usage ». La médecine instrumentale permet au médecin de construire des comptes rendus – des récits – du corps du patient et de ses pathologies reposant sur des accounts très justifiables. Le corps représenté est « raconté » à travers les données qui le rendent mesurable. Cette opération repose sur une rhétorique d’objectivité, d’impartialité de la science, qui permet de légitimer les choix des médecins ainsi que l’organisation de la médecine.
L’ECG est un objet privilégié de la pratique de la téléconsultation en vertu de sa capacité à fournir un récit et un compte rendu (account) du dysfonctionnement de l’organisme du patient. Toutefois son interprétation est nécessairement ancrée dans la situation du patient. Ainsi durant la téléconsultation on remarque la mobilisation d’une rhétorique narrative reposant sur la rationalité de l’instrument diagnostique dès lors que le tracé est compatible avec la description du patient fournie par le MG.
L’incohérence entre les deux objets privilégiés de la pratique médicale de la téléconsultation implique la recherche d’autres éléments pouvant soutenir l’interprétation de l’état du patient ou la validité de l’ECG. Par exemple, un cardiologue au cours d’un appel concernant un patient cardiopathique peut affirmer :
C’est un célibataire ? Ça veut dire que cette nuit il est seul à la maison ? (…) Envoie-le aux Urgences ! S’il lui arrive quelque chose, il ne réussira même pas à appeler l’ambulance ! Tu sais, d’habitude les cardiopathes sont sauvés par leurs femmes (…) chez nous ça fonctionne comme ça : un cardiopathe avec une douleur thoracique va aux Urgences. Le médecin de base, a tendance, même avec un électrocardiogramme normal, de l’envoyer aux Urgences.
Dans ce cas c’est l’absence d’un contrôle de la part d’un conjoint qui fait prévaloir l’envoi du patient aux Urgences malgré l’existence d’un ECG normal. C’est un détail social du patient reporté par le MG qui permet aux deux médecins, malgré l’absence de « preuves objectives », de s’accorder sur une ligne d’action commune.
Dans ces cas, le tracé cesse d’être l’instrument privilégié de l’action de la téléconsultation et devient l’un des éléments à aligner afin de soutenir une interprétation de la réalité. L’attention se déplace ainsi de la simple lecture du tracé au domaine plus large de la pratique médicale impliquant la mobilisation d’éléments variés. Parmi ces éléments : l’histoire clinique du patient, les médicaments qu’il prend, la familiarité avec des problèmes cardiologiques et les facteurs de risque, mais aussi son style de vie et ses états émotionnels.
La pratique médicale devient ainsi une pratique d’alignement de nombreux facteurs mobilisés pour soutenir l’un des deux éléments privilégiés (patient et ECG). L’imbrication, se réalisant dans l’alignement de certains de ces éléments, aura la force nécessaire pour permettre l’interprétation et, le cas échéant, pour « discréditer » la valeur des autres éléments parmi lesquels le tracé même ou les symptômes du patient.
[Salutations]
C : dis-moi
MG : c’est le tracé d’une jeune fille de 23 ans et à l’anamnèse elle n’a rien de pathologique. Elle a depuis quelque temps une douleur thoracique, je dirais aspécifique, plus de type intercostal et… c’est un contrôle pour, pour…
C : c’est une hypertensive ? Elle fume, elle fume cette jeune fille ?
MG : non, elle ne fume pas
C : elle ne fume pas, aucun facteur de risque donc, ni diabète, obésité…
MG : non, dia, di, diabète rien
C : un petit moment seulement, on le regarde.
MG : oui, puis ce, si [mot incompréhensible] vu qu’elle pratique un peu de sport
C : oui, oui.
MG : comme ça… en amateur
C : un tracé absolument normal
MG : très bien
C : donc non… ces douleurs sincèrement.
MG : oui même, même le type de douleur est plus oui, est plus, plus, plus une douleur de type intercostal, c’était surtout pour plus de sureté, pour un contrôle
C : ça va, d’accord, si c’était ce que tu pensais, ce sera sûrement comme ça, il n’y a pas de problème, le tracé est normal
MG : il est normal, très bien
C : au revoir, je te le transmets dans quelques minutes
[Salutations]
Quand le patient (tel qu’il est présenté par le MG) et l’électrocardiogramme (tel qu’il est interprété par le cardiologue) ne sont pas alignés, les deux médecins commencent à mobiliser des facteurs hétérogènes pouvant expliquer l’anomalie de cette incohérence. Ce processus d’alignement déplace l’attention du service de téléconsultation. L’attention passe en effet de l’instrument diagnostique en soi à la valeur qui lui est conférée dans le contexte élargi des éléments mobilisés.
7. Conclusions
L’objectif de cet article a été double : d’une part, montrer aux lecteurs d’Interfaces Numériques comment un courant de littérature, s’étant développé dans le domaine des études organisationnelles, interprète les pratiques de travail et analyse les systèmes de collaboration médiée par les technologies ; d’autre part, grâce à la présentation et à l’analyse de certains fragments d’interaction, mettre en évidence les ingrédients de la collaboration lors de la téléconsultation cardiologique. J’ai illustré la nouvelle pratique en tant que modalité inédite de collaboration entre deux professionnels qui interagissaient traditionnellement par le biais de comptes rendus médicaux (donc d’une interaction n’étant pas bidirectionnelle) et qui avaient des rôles professionnels, des pratiques médicales et des instruments de travail différents. J’ai ainsi montré certaines des potentialités offertes par les TIC dans la collaboration à distance. En effet, l’intérêt des TIC est non seulement de faire en sorte que les collaborations en coprésence deviennent des collaborations à distance, mais aussi de permettre des formes de collaboration entre professionnels qui, en vertu de leurs rôles et fonctions, se trouvent difficilement en coprésence. La téléconsultation fait donc en sorte que la pratique médicale d’interprétation de la situation du patient devienne une activité collaborative. Dans ce contexte, les deux médecins sont obligés de collaborer, dans la mesure où chacun d’eux n’a accès qu’à une partie des données. Ce n’est qu’en se soutenant réciproquement qu’ils sont capables d’aligner et de rapporter le tracé ECG à l’état du patient.
- Note de bas de page 6 :
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Cette définition impliquant une pluralité de facteurs (facteurs de risque, familiarité avec certaines pathologies, thérapies mais aussi styles de vie, situation psychologique et sociale, etc.), se réalise – comme nous l’avons vu – au cours de l’interaction grâce à un processus d’alignement discursif entre les deux médecins.
De plus, la définition des facteurs qui font de la téléconsultation cardiologique une collaboration à distance s’avère utile au débat plus général sur la conception et l’évaluation de tels systèmes. Mon article a ainsi contribué à étendre les perspectives, en passant de l’étude de la technologie en soi à l’étude d’un système, institutionnel et organisationnel, plus ample, au sein duquel la nouvelle pratique médiée par les technologies prend forme. Un système de coopération à distance capable de fonctionner (pas seulement d’un point de vue technique) doit s’ancrer dans l’utilité pragmatique des opérateurs impliqués et doit répondre à des besoins concrets (appuyer les décisions sur des examens instrumentaux, garantir le soutien et l’assurance du spécialiste, etc.). La téléconsultation cardiologique repose plus particulièrement sur la différence d’expertise entre les opérateurs. Une différence qui n’est pas hiérarchiquement ordonnée (le cardiologue étant l’expert et le MG l’« inexpert ») dans la mesure où les deux expertises sont nécessaires pour donner du sens à la situation du patient. L’interaction synchrone, lors de la communication téléphonique, permet au cardiologue d’accéder aux caractéristiques du patient grâce à la médiation du MG. La mise en contexte de l’examen instrumental tenant compte de la situation du patient (qui, dans la pratique cardiologique, s’accomplit au cours de l’interaction directe, au moment de la visite) se réalise – lors de la téléconsultation – grâce à la médiation du MG. Ainsi, si pour le MG l’interaction avec le cardiologue lui permet d’accéder à l’examen instrumental en tant qu’outil objectivant la situation du patient, pour le cardiologue il s’agit plutôt d’accéder au patient grâce à la médiation du MG. C’est justement cette nécessité réciproque qui assure à la fois la réalisation de la collaboration, à distance et en présence. En ce sens la téléconsultation cardiologique est l’exemple d’un système à distance où les deux opérateurs ont besoin d’interagir pour avoir accès aux éléments nécessaires à la définition de la ligne d’action. Il s’agit d’un système construit à la fois par l’infrastructure technologique et par l’infrastructure organisationnelle, c’est-à-dire par des rôles spécifiques et des compétences professionnelles qui, unis à l’infrastructure technologique, donnent lieu à une nouvelle pratique6.
Le cas présenté souligne la nécessité de prêter attention non seulement aux possibilités techniques de l’interaction mais aussi aux composantes de la pratique et, plus particulièrement, aux principes de symétrie lors de l’accès aux éléments pertinents. Il montre ainsi combien la médiation avec autrui est une nécessité réelle et pragmatique dans la mesure où elle représente l’un des éléments constitutifs des systèmes de coopération. Laissons maintenant aux concepteurs de nouvelles technologies la tâche de faire en sorte que cette nécessité devienne l’une des caractéristiques de la coopération à distance.