Dans la foulée de l’approche à l’innovation par le design (design-driven innovation), cet ouvrage propose 101 stratégies de prise de décision développées d’après les savoir-faire du designer et propices à la génération d’idées nouvelles, originales et novatrices. L’ouvrage comporte sept sections : 1) cerner les opportunités, 2) comprendre le contexte, 3) comprendre les gens, 4) structurer les données recueillies, 5) explorer les concepts, 6) développer des solutions et 7) concrétiser l’offre finale. Entre dix et quinze méthodes de design différentes sont développées dans chaque section. La plupart des méthodes sont présentées sur deux pages opposées, visibles d’un seul coup d’œil. Ce format de type « fiche » favorise la consultation rapide et ponctuelle. Chaque fiche expose les objectifs de la méthode, son utilité, ses avantages, les étapes de son application ainsi qu’une exemplification dans un projet réel. Notons qu’une attention particulière a été portée à la lisibilité et à l’esthétique de l’ensemble.
L’ordre de présentation des méthodes est déterminé par leur position dans le processus d’innovation en design proposé par l’auteur, processus d’ailleurs fortement inspiré de l’approche ethnographique en design. L’originalité de la proposition ne tient pas tant dans le contenu de ce processus d’innovation que dans l’utilisation à visée structurante qui en est faite. La représentation graphique de ce processus de design est elle aussi plutôt originale. Au lieu d’utiliser les formats linéaires ou circulaires habituels, l’auteur schématise la démarche sous forme d’une matrice 2X2. Ce format a l’avantage de briser la perception de linéarité du processus et de mettre en évidence les itérations entre les différents objectifs de la démarche. Dans cette matrice, l’axe vertical oppose l’univers du réel à celui de l’abstrait alors que l’axe horizontal oppose l’activité de compréhension à celle de la fabrication. Chaque quadrant de la matrice représentant une activité de conception distincte : la recherche, l’analyse, la synthèse et la concrétisation de la solution. Dans ces quadrants, l’auteur répartit les sept objectifs qu’il considère essentiels à la réussite de l’innovation. Ces objectifs servent ensuite à regrouper les 101 méthodes de design présentées dans l’ouvrage, ces sept objectifs correspondant aux sept grandes sections de l’ouvrage.
Alors que l’intérêt pour les méthodes de design originellement développées dans les années 1960 semblait moindre de nos jours, nous assistons actuellement au retour en force d’un concept qui semble réinventé. L’offre récente d’ouvrages proposant des listes de méthodes de design ne cesse de se multiplier (ex. : la série des Design Methods, Design Thinking et Design Resarch de Robert Curdale, l’ouvrage Universal Methods of Design de Martin et Hanington, les IDEO Method Cards : 51 Ways to Inspire Design, etc.). La majorité des listes du genre proposent une série de stratégies de design, habituellement conçues pour être utilisées pendant la phase d’idéation de la démarche de conception, sous forme d’activités d’exploration, d’observation, de problématisation ou de conceptualisation. Le traitement contemporain des méthodes de design est influencé par l’apport de l’ethnographie en design, discipline qui a posé des bases méthodologiques que le design a réinterprétées et adaptées à ses besoins. L’approche habituelle se veut holistique, orientée vers la résolution de problèmes et centrée sur l’utilisateur et le contexte.
Dans cet ouvrage, Vijay Kumar, professeur au IIT Institute of Design, propose un arrimage entre le savoir-faire du design et la volonté novatrice des entreprises. L’auteur cumule plus de 30 ans d’expérience en enseignement du design, recherche universitaire et consultation professionnelle. Son expertise concerne particulièrement la conception et l’utilisation d’approches, de méthodes et d’outils propices à la découverte de possibilités inexplorées et à l’innovation centrée sur l’utilisateur. Mentionnons que, pendant plus de 12 ans, Vijay Kumar a occupé le poste de chief methodologist chez Doblin, firme de consultation en design reconnue parmi les pionnières pour l’usage des approches ethnographiques dans les projets de design en entreprise. Parmi la centaine de méthodes présentées dans l’ouvrage, certaines ont été inventées et développées par l’auteur (ex. : Analysis and Transformations, Insight Matrix et Innovation Landscape), alors que d’autres sont des classiques de l’approche ethnographique en design (ex. : Field Visit, Video Ethnography, Experience Simulation, Ethnographic Interview, Venn Diagramming, User Journey Map).
Avant d’exposer ses méthodes de design, l’auteur prend le temps de détruire les mythes de l’innovation et de présenter quatre prémisses fondamentales à la réussite d’un projet à visée novatrice. La première invite à considérer l’innovation en regard des expériences humaines plutôt qu’en regard des potentiels du produit. Ce sont les comportements, les attitudes, les activités, les besoins, les motivations de la personne qui doivent être le carburant du processus d’innovation. La deuxième prémisse appelle à l’approche systémique en mode innovation. En plus d’exposer les relations entre le produit et le système, cette approche permet d’identifier des occasions favorables à l’innovation qui auraient été extrêmement difficiles à percevoir autrement. Ensuite, la troisième prémisse vise le maintien de la culture de l’innovation en entreprise. La démarche vers l’innovation est un processus collaboratif soutenu par une mentalité partagée et favorisé par la multidisciplinarité. Enfin, la quatrième prémisse consiste à reconnaître que l’innovation est un processus qui peut et qui doit se planifier. Des approches, méthodes, stratégies et processus reproductibles permettent concrètement de viser et d’atteindre l’innovation.
Comparativement aux ouvrages du même genre, celui-ci se distingue par le rôle structurant que joue le processus d’innovation en design dans la distribution de son contenu. En tant que cadre de référence, il installe de la cohérence entre les méthodes présentées et offre un regard systémique sur l’ensemble de la proposition. Enfin, mentionnons que, même s’il n’a pas été rédigé à l’intention des designers, cet ouvrage saurait certainement intéresser les concepteurs à la recherche d’un guide pour l’application des méthodes de type ethnographique en design. L’absence de bibliographie dans l’ouvrage pourrait décevoir ceux auraient voulu en savoir davantage sur l’origine des méthodes présentées.