L’ouvrage de Sylvie Daumal, Design d’expérience utilisateur, s’est assigné le projet de clarifier les principes et les méthodes d’une des pratiques de design qui se sont imposées dans le contexte des usages du numérique. Il s’adresse aux professionnels qui ont la charge de concevoir des produits et des services numériques innovants et aux entreprises qui y ont recours. L’originalité de sa démarche tient peut être de son souci d’être le reflet fidèle d’une communauté de pratique qui ne cesse de s’étendre en France.
L’introduction de l’ouvrage propose quelques définitions de l’expérience utilisateur. Sylvie Daumal prend le soin de préciser, en préambule, le caractère problématique de la terminologie design, qu’elle resitue dans une perspective fonctionnaliste, en revendiquant l’héritage de Steve Jobs. Pour l’auteur, « le design est une discipline orientée sur la résolution de problème ». Elle s’inscrit dans le sillage du design thinking, une méthodologie qui consiste à générer de nombreuses solutions à un problème donné puis à sélectionner la plus pertinente. Si la place et la définition de ce design thinking auraient mérité de plus larges développements, on peine à la resituer dans ce contexte.
Selon Sylvie Daumal, l’expérience dont il est question dans expérience utilisateur est « la perception et le ressenti d’un individu qui utilise un système dans le contexte d’une interaction humain-machine ». Cette expérience est à la fois subjective et reste déterminée par son contexte. Ce n’est pas celle-ci qui est désignée, mais les éléments qui la conditionnent, rappelle-t-elle, à juste titre.
Le design de l’expérience utilisateur s’inscrit dans la lignée du design centré sur l’utilisateur, qui fut popularisée par le designer industriel Donald Norman. Cette démarche consiste à définir un produit ou un service en plaçant les préoccupations de l’utilisateur au centre du processus.
Sylvie Daumal réinscrit cette approche du design dans le contexte de son émergence comme profession et comme « effet de mode », car elle a subi un engouement foudroyant. Sans s’attarder, elle en précise la visée : « répondre au souhait du commanditaire tout en servant l’utilisateur ». De cet équilibre difficile entre objectifs marketing et souci de l’intérêt de ce dernier découle la démarche. La complexité des usages – fragmentation des terminaux, hybridation du monde physique et du monde numérique – contribuent à justifier l’approche systémique du design d’expérience utilisateur. Cette approche consiste à distinguer les composantes d’une expérience interactive : canal utilisé, point de contact mis en œuvre, terminal sur lequel se matérialise l’interface et type d’interaction mobilisée. À plus d’un titre, Sylvie Daumal insiste sur la nécessité de designer en priorité pour les points noirs qui se manifestent dans l’utilisation des produits et des services numériques.
Dans le chapitre dédié au processus de l’expérience utilisateur, l’auteur distingue trois sujets d’étude autour desquels se constitue la démarche de design : l’utilisateur, le contenu et le contexte. S’inscrivant dans l’héritage des autres pratiques de design, elle énonce les phases successives – mais non linéaires – d’un projet : recherche, concept, prototype, design. Elles sont caractérisées par le recours à de nombreuses itérations, pour aboutir au résultat final.
L’ouvrage met clairement en évidence, au chapitre 2, le rôle stratégique qui est assumé par le design d’expérience utilisateur. C’est dans ce chapitre que les éléments opératoires de la méthodologie s’articulent : brief, cahier des charges, cadrage du projet, inventaire et analyse du contenu, proposition de valeur, etc. Sylvie Daumal n’oublie pas de resituer également la place de cette conception du design dans le processus d’innovation.
Logiquement, une très large place est accordée à l’utilisateur, au chapitre 3. Il s’agit ici de « comprendre » et de « connaître » les personnes qui seront amenées à devenir les usagers d’un produit ou d’un service numérique et de formaliser, par différentes méthodes, la synthèse de cette compréhension. L’auteur y égraine les outils méthodologiques : études, analyses de statistiques, interviews, observations de terrain, tri par carte, personas, etc. Elle ne se contente pas de reprendre les modes opératoires déjà décrits par ailleurs dans les nombreux ouvrages anglo-saxons sur le sujet, elle y intègre la lucidité de son regard professionnel. On pourra regretter, en revanche, de ne pas disposer d’un corpus d’exemples plus nourri.
L’idéation, c’est l’étape du projet pendant laquelle on imagine puis sélectionne les solutions de design les plus pertinentes. Cette phase comprend diverses techniques destinées à faire germer les idées – croquis, benchmarking, brainstorming, six-to-one, atelier – puis celles permettant de les formaliser et de les communiquer – arborescence, diagramme de flux, etc. L’auteur explique pour conclure ce chapitre comment les méthodes de gestion de projet dites « agiles », permettent d’impliquer le client et les utilisateurs dans le processus d’élaboration, pour faciliter l’adhésion au projet.
Lors de l’itération, il s’agit essentiellement de prototyper et de tester des interfaces. Ici, les techniques évoquées sont connues et ont déjà été traitées dans d’autres ouvrages : scénarios, interfaces filaires, maquettes graphiques, prototypes interactifs.
Le panorama dressé par Sylvie Daumal, très exhaustif, entre certes en recoupement avec la littérature déjà prolifique disponible en langue anglaise, mais son intérêt réside davantage dans l’éclairage spécifique apporté par l’auteur. D’une part, il s’agit de la capacité réflexive qu’elle a su mobiliser pour enrichir ce qui aurait pu être un énième recueil méthodologique. D’autre part, l’ancrage dans un contexte de marché français, permet d’opérer un intéressant passage dans notre culture des méthodologies et des techniques de design qui se sont essentiellement développées outre-Atlantique.