Inventé dans les années 1970 par des graphistes, le terme information design était originellement associé à la visualisation de données. Emprunté plus tard par d’autres professionnels d’expertises diverses (rédacteurs de manuels d’instruction, vulgarisateurs, analystes, documentalistes, etc.), ce terme est utilisé aujourd’hui dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, l’ingénierie, l’informatique ou l’architecture, entre d’autres. Or, toutes ces différentes expertises utilisent ce terme dans une même perspective: simplifier les processus qui permettent d’avoir accès, de comprendre et de s’approprier l’information. Pour réussir cette mission, dans un écosystème informationnel multisupport et multiplateforme en constante évolution, le designer d’information est appelé à comprendre le système de traitement de l’information à partir des mécanismes de la cognition humaine pour faire en sorte que le travail soit cohérent dans l’appropriation de l’information par ses utilisateurs.
Alison Black, Paul Luna, Ole Lund, Sue Walker ‒ professeurs à la University of Reading (Royaume-Uni) ‒ et leur armée de collaborateurs experts dans le domaine, nous proposent par ce dense ouvrage de 750 pages, un panorama de l’histoire, de la méthodologie et de la pratique du design d’information qui s’articule autour de la volonté d’ancrer les origines de la discipline, de définir son statut actuel de nature interdisciplinaire et d’explorer les défis liés à son évolution.
L’ouvrage présente 49 chapitres divisés en quatre parties : 1) Historical perspectives, qui propose une synthèse sur les connaissances historiques de la visualisation de données, 2) Theoretical approaches, qui propose une approche contemporaine du design d’information, 3) Cognitive principles, qui présente des outils et des méthodes propres au design d'information, et 4) Practical applications, qui présente une mise en application exemplifiée des éléments théoriques présentés dans les parties précédentes.
Dans la première partie, les auteurs présentent une réflexion sur la complexité de la visualisation de l’information appuyée par des illustrations historiques. Ils portent un regard particulier sur la complexité de la représentation visuelle du temps et les données statistiques et ils explorent, entre d’autres, comment l’utilisation des graphiques aide à l’orientation et à la compréhension des concepts complexes, tout en exploitant les capacités cognitives et la perception humaine. L’objectif des auteurs est clair : révéler les bases du langage visuel et l’origine de certaines méthodes de design courantes (prototypage, tests utilisateurs, etc.) à partir de l’exploration des archives historiques.
La deuxième partie offre une vue d’ensemble des concepts, théories et modèles nécessaires à la compréhension des enjeux relatifs à la technologie numérique. À travers les différentes notions exposées ‒ la multimodalité, le paradigme technique de la mise en page numérique, les graphiques dynamiques et l'impact de la lecture numérique sur les aspects cognitifs et émotionnels, entre d’autres ‒, les auteurs soulignent la nécessité d’adopter une approche de design d’information plus sensible aux contraintes perceptuelles et cognitives des utilisateurs. Ils défendent ainsi l’évolution de la discipline en proposant l’adaptation des conventions visuelles, traditionnellement associées aux bonnes pratiques du design d’information à caractère statique, à un contexte numérique actuel plutôt dynamique et interactif.
Dans la troisième partie, les auteurs examinent plusieurs outils et méthodes utilisés pour répondre à différentes exigences du design d’information : les normes internationales pour le design de symboles, les particularités informationnelles de la sécurité, l’interprétation des icônes en fonction du contexte d’interaction, l’utilisation de diagrammes pour favoriser la compréhension, les principes psychologiques de la Gestalt et le rôle de la perception auditive pour supporter la cognition du système visuel, entre d’autres. La valeur de ce recueil de concepts, d’apparence hétéroclite, réside dans le cadre proposé pour organiser et classifier les différents types d'informations utilisées dans la recherche en design d'information. Les auteurs fournissent ici un moyen de positionner ces outils dans le processus de design pour permettre aux intervenants d'évaluer leur propre méthode de recherche.
La quatrième partie, nettement plus volumineuse que les trois précédentes, présente des exemples d’application autant à une microéchelle (choix de police, indexation, tableaux numériques, symboles, etc.), à des études de cas des systèmes appliqués à différents environnements (musées, routes, parcs de stationnement, aéroports, etc.) qu’aux aspects reliés aux macro-systèmes (économie, santé, éducation, etc.). Dans les derniers chapitres de l’ouvrage, les auteurs concentrent leurs propos sur la défense d’une posture du design d’information très axée sur les enjeux socio-économiques et éthiques. Ils exposent ainsi l’énorme responsabilité du designer d’information dans les processus d’aide à la décision et ils insistent sur les meilleures pratiques pour permettre l’aboutissement de projets d’envergure et signifiants pour la société.
Ce recueil d’articles deviendra, sans doute, une référence incontournable pour tous les intervenants du domaine du design d'information (praticiens, étudiants, enseignants et chercheurs) en quête d’un cadre théorique général, mais il devrait faire office de lecture obligatoire pour les intervenants des disciplines connexes telles que le design d’interaction ou le design de service. L’ouvrage, bien que de facture académique du point de vue de sa structure et de l’exigence méthodologique, sera apprécié par tout lecteur pour sa rigueur et l’effort de synthèse et de vulgarisation des notions présentées.
Deux petits bémols toutefois. Bien qu’un des objectifs des auteurs consiste à établir une corrélation entre les différents éléments théoriques provenant de la recherche et leur application pratique, nous regrettons que cet entrecroisement constant entre la théorie et la pratique affecte parfois la cohérence de la structure de l’ouvrage. En effet, une grande quantité d’éléments théoriques sont exposés dans la dernière partie qui se veut pourtant plus appliquée. L’autre point à regretter est l'absence d’un chapitre contenant une réelle réflexion quant à une vision prospective du design d’information. Malgré cela, l’approche holistique adoptée par les auteurs et le positionnement clair du designer d'information dans les phases en amont des projets révèlent le changement de fond dans l’expertise du designer d’information suggéré par les auteurs : prendre la mesure des enjeux et agir sur le contexte et les interactions qui déterminent la qualité vécue de l'expérience. En effet, le design d’information s’inscrit dans la lignée des approches centrées sur l’humain et son domaine s’élargit pour inclure des dimensions comme les besoins des utilisateurs et l’évaluation de l’expérience utilisateur. Ou bien, comme Spiekermann l’affirme plus précisément: « information design can show the way through ‒ and perhaps out of ‒ the jungle that is our modern world ».