Entretien
avec Nicolas Nova,
Magali Ollagnier-Beldame
et Matthieu Quignard
Entretien réalisé par Isabel Colón de Carvajal
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L’école polytechnique fédérale de Lausanne : https://www.epfl.ch/
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Le fait d’être dans une école de design permet à la fois d’aborder ce genre de phénomène d’un point de vue académique (i.e. la description des pratiques actuelles) mais aussi d’avoir ce pied dans la dimension conception qui s’intéresse à imaginer les nouveaux objets techniques, à essayer d’anticiper, d’imaginer de faire de la prospective.
Nicolas Nova a débuté son parcours universitaire à Lyon dans les sciences de la vie et de la terre, et les sciences cognitives. Pendant ses études, il commence à s’intéresser à la relation, à l’interaction humain-machine, aux questions d’ergonomie. Puis il est venu en Suisse faire des études sur les interactions humain-machine, d’abord à l’Université de Genève puis ensuite à l’EPFL1. Dans ce contexte, il s’est intéressé à la compréhension des usages et des pratiques, en particulier avec des objets numériques, ce qui l’a amené au croisement de l’ethnographie et du design – design au sens de création d’objets ou d’interfaces numériques. Il a été ensuite chercheur invité à Art Center College of Design (Pasadena)2 puis il a obtenu un poste de professeur à la Haute École d’Art et Design3 de Genève, qui l’amène à faire de l’enseignement et de la recherche, toujours dans une perspective de design mais aussi ethnographique4. Il possède aussi une agence de prospective (Near Future Laboratory).
Magali Ollagnier-Beldame a une formation pluridisciplinaire en sciences cognitives avec un passage par un master en interaction homme-machine et intelligence artificielle, et une thèse en sciences cognitives. Très tôt dans ses études en sciences cognitives, elle a été convaincue que les « phénomènes intelligents » ne se situaient pas seulement dans la tête des personnes et n’étaient pas qu’individuels mais étaient distribués et partagés, que les interactions entre les personnes et avec leur entourage physique et matériel comptaient énormément. Elle a fait une thèse co-encadrée par un chercheur en intelligence artificielle, et par un chercheur en psychologie sociale des processus cognitifs qui questionnait justement l’intelligence dans les interactions avec les supports numériques, notamment les traces d’interaction.
Matthieu Quignard est chercheur en sciences cognitives et titulaire d'un diplôme d’ingénieur en informatique. De par sa formation initiale au métier d’ingénieur, il est particulièrement concerné par la conception d’objets techniques et de leurs usages. La problématique de recherche qui l’habite et l’anime est l’analyse de la collaboration entre les personnes, dans laquelle le langage et les objets sont des ressources de tout premier ordre. Dans le monde actuel, l’informatique participe beaucoup au développement des interactions entre les personnes, que ce soit par la production de média (dispositifs de médiation) ou celle d'objets eux-mêmes communicants.
ICC : Pouvez-vous expliquer votre intérêt, votre activité professionnelle liée aux objets techniques/technologiques dans les pratiques sociales et/ou interactionnelles ? De quel type d’objets techniques/technologiques est-il question dans vos recherches ?
NN : La dimension interaction humain-machine est le point de départ de mes intérêts de recherche. Les types d’objets qui m’intéressent sont les interfaces de jeux vidéo, le smartphone, les technologies de géolocalisation ou encore les objets connectés. J’ai progressivement été sollicité sur différents projets dans lesquels le numérique commençait à se diffuser dans des usages variés, c’est-à-dire du téléphone au mobilier, en passant par les objets connectés dans la maison (ex : dans la cuisine) ou dans l’automobile. Je n’ai pas non plus une expertise sur tous ces champs, mais ce qui m’intéresse dans ces projets, c’est la compréhension des usages au sein d’une pratique particulière dans laquelle ceux-ci sont employés. L’objectif étant de comprendre les usages qui en sont faits, et aussi de saisir comment ils peuvent être modifiés par les usagers, au-delà des intentions des concepteurs.
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Matthieu Quignard, Magali Ollagnier-Beldame. « Tu vends que l` truc orange », concurrence de présences à l'écran vs. hors écran dans une situation professionnelle de co-conception. Colloque Interactions Multimodales Par ÉCran, juillet 2016, Lyon, France, pp.6 - 8. <halshs-01392606>
MQ : J’ai commencé à étudier des dispositifs ou des objets dans les interactions dans un contexte d’apprentissage pour le fait qu’ils révèlent ou transforment des pratiques interactionnelles, des pratiques de collaboration. L’étude des aspects de l’écran, en tant que dispositif de communication disponible de manière complémentaire à la communication orale, permet d’observer ce que cela modifie dans la pratique des individus. Ces dispositifs sont un moyen de collecter des données (ex : des traces informatiques). Dans ce contexte d’interaction d’apprentissage, les participants manipulent des écrans partagés sur lesquels ils dessinent, construisent des structures, discutent, élaborent du sens ou des connaissances nouvelles. Ici, l’objet est plutôt traité comme un objet médium : médium pour le chercheur qui accède aux traces d'interaction ; médium pour les participants qui interagissent à travers lui. Par la suite, dans un travail que l’on a présenté avec Magali5, en contexte professionnel cette fois-ci, l’objet ou les dispositifs sont moins étudiés en tant que médiation qu’en tant qu’objets concrets mobilisés et auxquels les participants vont donner un nouveau sens. Ces objets-là vont participer à l’interaction non plus comme canal mais comme ressources.
MOB : J’ai abordé ces questions du statut des objets dans les processus cognitifs en maîtrise, en master et pendant le doctorat, dans des laboratoires d’interaction homme-machine et d’intelligence artificielle. Il y avait donc une entrée par les objets numériques dans leur intelligence et leur autonomie. La dimension matérielle et celle du support de ces objets est arrivée rapidement. Ces objets numériques ne sont pas des objets virtuels, flottants. Ils sont palpables et possèdent une matérialité, ils s’incarnent dans un support technique fait notamment de silicium, de plastique. Ils apparaissent parfois sur un écran auquel l’on se frotte ou l’on se heurte en tant que sujet, et que l’on s’approprie parfois. Je me suis intéressée à la manière dont ces objets pourraient être des prolongements du sujet, des prothèses, des externalisations de leur mémoire, des extensions pour la communication, des aides ou des supports pour différentes activités.
Je rejoins Matthieu sur les traces, notamment les traces informatiques, à la fois comme des informations a posteriori sur ce que la personne a fait, et également des supports d’appropriation de l’objet technique. Elles sont des objets intermédiaires entre ce que l’humain a fait et ce que la machine en a inscrit, ce qu’elle en a retenu et ce qu’elle lui présente. Étudier ce que le sujet fait de ces traces peut nous renseigner sur le prolongement du sujet par l’artefact.
MQ : Sur l’analyse de l’objet comme prolongement de soi ou du sujet dont parlait Magali, dans les premières études que j’ai faites, le dispositif était conçu par le chercheur et donc comme un prolongement du chercheur vers le sujet. Dans ce contexte, on observe, comme en ergonomie, un détournement de l’usage de l’objet initialement conçu par le chercheur. L’analyse des traces n’est alors pas suffisante car elle ne prend pas en compte toute l’activité, seulement celle du point de vue du chercheur qui a conçu le dispositif de traçage. On est donc obligé d’augmenter la saisie des données (i.e. enregistrer l’activité d’un point de vue extérieur) pour vraiment accéder à l’activité du sujet. L’objet est alors observé comme quelque chose de malléable : il ne joue pas le même rôle selon les sujets pour une même tâche.
MOB : Ces objets-là n’ont pas réellement une autonomie mais ils peuvent être considérés dans certains cas comme des quasi-sujets avec une forme d’agentivité (cf. notre communication dans le cadre d’IMPEC 2016 avec Matthieu). Je parlais de la matérialité des objets numériques auquel se heurte parfois le sujet, dans certains cas, les interactions que nous étudions révèlent une forme d’agentivité de l’objet.
ICC : Faites-vous une distinction entre objets techniques, objets technologiques, objets numériques ? Utilisez-vous d’autres termes associés à objets que ceux proposés ?
NN : Même si je peux utiliser ces différents termes, je trouve important de marquer une continuité entre ces notions. J’utilise couramment « objet technique » comme un terme qui englobe un ensemble de possibilités (i.e. interfaces, objets numériques, etc.). Du point de vue de l’histoire et de l’anthropologie des techniques, il n’y a pas nécessairement une rupture fondamentale entre tous ces objets, d’où l’idée d’employer ce mot ; par contre, il y a effectivement des changements entre un moteur, des pièces mécaniques et un smartphone, il y a évidemment des nuances, mais tous sont des objets techniques de mon point de vue. Les objets numériques utilisent les technologies de l’information et de la communication, une forme de miniaturisation des composants techniques. On retrouve du coup ce principe de « lignée technique » que l’on peut reconstituer, à la suite des travaux d’André Leroi-Gourhan ou de Gilbert Simondon. Et au final, « technologie » qui désignait l’étude des techniques n’a plus ce sens aujourd’hui, du fait de l’usage de la circulation de l’anglicisme « technology ».
Par ailleurs, il existe aussi le terme de « culture matérielle » courant en anthropologie, et également celui de « non-humain » qui vient du champ de la théorie de l’acteur-réseau (cf. infra). J’utilise parfois ce terme qui est intéressant, d’autant plus que les « non-humains » ne sont pas juste des « objets ».
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Numérique ne veut pas dire virtuel ou flottant. Il y a une matérialité, notamment des composants en silicium et d’autres matériaux.
MOB : Je ne parle pas d’objets technologiques mais plutôt d’objets techniques. Pour moi, les objets techniques cristallisent le savoir et les connaissances qu’un certain nombre d’individus (contemporains ou dans les générations passées) ont développés comme un moyen pour arriver à remplir un but. Il n’est pas forcément un objet numérique, informatique ; un silex est un objet technique, un stylo est un objet technique. Il y a énormément de connaissances dans une télécommande ou un silex, beaucoup de personnes ont réfléchi à l’organisation, aux fonctions, aux matières choisies pour l’objet qui instancie ces connaissances. Pour moi, l’objet technologique serait quelque chose pour lequel on passe à un niveau méta, ce serait un objet qui donne à penser les techniques, qui vient questionner la technique. L’objet numérique est de mon point de vue une sorte d’objet technique dont le support est le numérique6.
Je parle aussi « d’artéfacts » et « d’instruments ». L’artéfact est relativement proche de l’objet technique, c’est l’objet tel qu’il est finalisé, proposé à un sujet et dont il s’empare ou non et qui devient, à ce moment-là, un instrument pour lui, pour agir sur quelque chose, et atteindre un but. Donc, entre l’artéfact et l’instrument, il y a l’appropriation. On passe du côté du sujet quand on fait la distinction entre artéfact et instrument, du côté de l’utilisation qui en est faite, par un ou plusieurs sujets.
MQ : Entre technique et technologique, je ne ferai pas la même nuance. Je pense que c’est juste une question de mode. On utilise plus aisément le terme technologique pour désigner les objets conçus récemment. Les objets techniques sont plutôt des objets d'une autre époque. Dans ma recherche, le choix du terme n’a pas d’importance. L’objet est vraiment quelque chose fait pour être utilisé : il est prédestiné à un usage. Par contre, quand on parle d’instrument, il est vrai que le sujet est nécessairement présent. Le terme artefact est pour moi synonyme d’objet technique. Dans artefact, on a la chose fabriquée avec art ou technique.
ICC : Nicolas, pourriez-vous nous expliquer les actions de votre agence Near Future Laboratory ?
NN : L’entreprise Near Future Laboratory est une activité en parallèle de mon travail à l’école d’Art et Design. Il s’agit d’une petite agence composée de quatre personnes, située dans quatre pays : Madrid, Genève, Los Angeles et San Francisco. Nous gérons des projets pour des clients qui sont des organisations publiques (ex : le Grand Lyon ; la ville de Genève, Barcelone ou Zurich), ou privées (ex : SEB, Telefonica, la banque espagnole BBVA). Nous travaillons avec eux à l’élaboration de scénarios prospectifs, à partir de notre connaissance d’enjeux technologiques, sociologiques, ethnographiques, sur l’évolution possible des usages des technologies et de leur implication dans la société. Il s’agit de créer ce que nous nommons « design fiction », des scénarios prospectifs qui prennent des formes variées : un catalogue d’objets fictifs qui montre comment l’univers du client pourrait évoluer (ex : le catalogue IKEA dans 7 ans), des manuels de produits en cours de développement, des vidéos, etc. Par ce biais, nous tâchons d’imaginer des scénarios d’usages possibles sur la base d’une compréhension des changements actuels (technologiques, sociétaux, ethnographiques, politiques). L’idée est d’utiliser ensuite ce matériau afin de créer une forme de dialogue et de débat autour de ces questions auprès du client sur des enjeux qui le concernent. On nous sollicite aussi pour des expertises beaucoup plus simples comme faire une présentation à partir de nos travaux, faire de la revue de projets et du conseil classique (ex : sur smartcity, opendata). Tout cela est complémentaire de mon activité académique, mais également nécessaire car nous sommes une école professionnelle qui requiert donc que ces enseignants et chercheurs aient une activité en parallèle.
ICC : Magali et Matthieu, parlez-nous du concept de présentification, par opposition à la notion de présence, que vous avez développé dans votre communication lors d’IMPEC 2016 ? Dans quel contexte de recherche l’avez-vous mobilisé ?
MOB : Le thème d’IMPEC 2016 était la présence et les modes de présence par écran (en ligne, hors ligne, etc.). Le travail présenté avec Matthieu portait sur une situation de conception collaborative avec des artéfacts dans laquelle nous avons étudié l’activité de plusieurs personnes réunies pour résoudre un problème de conception. Ils utilisaient des objets techniques pour mener à bien leur activité, et en menant nos analyses autour de cette notion de la présence, nous nous sommes rendu compte que cette présence pouvait être questionnée au-delà d’un état : « est présent » vs. « est absent » de la situation. Nous nous sommes demandé comment les objets étaient convoqués et manipulés (ou non) lors des interactions. Il nous est apparu qu’ils pouvaient être pointés, touchés, voire brandis, et également nommés par le langage oral de manière singulière ou conjointe, et ce, qu’il s’agisse d’objets tangibles posés sur la table ou de leur représentation à l’écran. Il a donc été question de décrire et de distinguer les régimes de présence de ces différentes modalités d’existence des objets, ces modalités pouvant se faire concurrence ou au contraire s’enrichir.
Nous avons décrit un continuum dans lequel les personnes ont fait appel aux objets, soit présents « objectivement » dans la pièce, soit rendus présents (ou « présentifiés », terme que nous avons proposé) par la subjectivité des personnes, par exemple par leurs gestes (de pantomime, de pointage, etc.) ou leurs dénominations des objets. La présentification va ajouter une surcouche de présence à des objets déjà présents objectivement, une sorte de vitalité supplémentaire. Ce processus peut aussi faire entrer objectivement dans l’arène communicationnelle des objets de la situation.
MQ : Il peut y avoir une concurrence de présence entre différents objets. La présentification, c’est donner plus de saillance à l’objet dont on parle par rapport à un autre objet déjà présent. Dans cette séquence de conception, il y a un objet à l’étude forcément très saillant et présenté sur un vidéoprojecteur. Puis une personne va présenter un nouvel objet en le mimant ou en en parlant. Selon les modalités de présentification, son acte va réussir ou non. Il va prendre le devant par rapport à l’objet qui était en avant. Cela est lié à l’attention collective : arrive-t-il à tenir la focalisation de tout le monde sur cet objet-là ou non ?
Nous avons observé un phénomène de présentification involontaire des participants : il s’agit d’un incident. Le vidéoprojecteur qui cesse de fonctionner provoque une perturbation de l’attention et manifeste de lui-même sa présence. Alors qu'il n’était pas présent (il était transparent tant qu’il fonctionnait), il devient présent dès lors qu'il ne fonctionne plus. Cela met en évidence des chaînes d’agentivité entre les objets. On joue avec un objet sur un autre objet par ricochet si l’on veut arriver à rendre le dernier plus présent. Ces incidents ou dysfonctionnements perturbent la présence des objets courants. Ces bouleversements de la scène attentionnelle sont autant d'opportunités pour les participants d’introduire de nouveaux objets.
MOB : Ceci est en lien avec les questions d’agentivité et la différence ontologique de statut entre sujet et objet inanimé. Les objets sortent d’une certaine passivité et sont des agents de la situation.
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Théorie selon laquelle les objets sont sociaux et participent de la production du social, en tant qu’ils sont le résultat de l’association entre des éléments hétérogènes.
ICC : Connaissez-vous la TAR (Théorie de l’Acteur-Réseau)7 ? Si oui, quel est votre point de vue sur cette théorie ?
NN : D’un point de vue historique, la TAR est un cadre théorique stimulant et intéressant. Le fait de prendre en compte dans l’analyse non seulement les humains, mais aussi les objets (« non-humains ») avec une relation de symétrie est pertinent. De même que le fait de prendre en compte les diverses relations entre ces « actants ». Après, il y a des variantes que je ne connais pas en détail. Même s’il y a des choses intéressantes, chez Bruno Latour par exemple, il y a des aspects plus critiquables. Le premier est qu’à force de se focaliser seulement sur les relations et critiquer l’essentialisme, soit des humains soit des objets, on passe à côté de certains phénomènes. Une seconde critique est aussi le fait que, comme toute théorie qui devient un peu marquante et commence à intéresser énormément de monde, il y a une espèce de vulgate qui se crée autour, avec parfois un manque de précision sur sa définition et comment la rendre opératoire ; je le sens en particulier dans certains papiers qui restent vagues à ce sujet.
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Madeleine Akrich, « Comment décrire les objets techniques ? », Revue Techniques & Culture, pp. 54-55 | 2010, pp. 205-219.
- Note de bas de page 9 :
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Madeleine Akrich, Michel Callon, Bruno Latour. À quoi tient le succès des innovations ? 1 : L’art de l’intéressement ; 2 : Le choix des porte-parole. Gérer et Comprendre. Annales des Mines, Les Annales des Mines, 1988, pp.4-17 & 14-29.
Maintenant il y a des choses très intéressantes derrière. Je pense en particulier aux travaux de Madeleine Akrich8 sur la notion de script. Également, les travaux de Latour, Akrich et Callon sur l’évaluation du succès des innovations et la nécessité d’avoir des traducteurs, des passeurs dans cette sociologie de l’innovation9. Dans les montages théoriques que je peux mettre en place dans les projets ou avec les étudiants, il y a des choses à prendre et à laisser dans la TAR. C’est un débat qui peut d’ailleurs être intéressant : doit-on prendre celle-ci dans son ensemble, ou peut-on « prendre » seulement des composantes ? C’est évidemment discutable. Parfois, même un sentiment de relativisme un peu trop fort dans cette théorie fait que je m’intéresse plutôt à essayer de trouver un positionnement intermédiaire entre le constructivisme social et un déterminisme total des techniques.
MOB : Ce que je retiendrais de la TAR et ce qui me parle par rapport à ce que l’on a évoqué précédemment, c’est l’idée d’actant, c’est-à-dire que les entités du réseau peuvent être humaines ou non humaines. Il y a une équité théorique sur le rôle que peuvent jouer ces différentes entités dans la situation étudiée. Ce qui m’intéresse, c’est le concept de co-partenaire ou d’agentivité qui ne va pas se révéler de la même manière du côté des sujets et des objets inanimés. On ne s’empêche pas, a priori, de considérer qu’il peut y avoir une forme d’agentivité pour les objets. Il s’agit de la caractéristique spécifique de cette théorie par rapport à d’autres théories qui considèrent également le rôle des instruments et des objets dans l’activité humaine, mais pour lesquelles il y a une asymétrie entre sujet et objet. Selon ces théories, l’objet peut être un prolongement pour le sujet, une aide, mais le sujet est le primat de l’activité.
MQ : Je ne suis pas très familier avec cette théorie mais telle que je la comprends, elle est d’autant plus intéressante quand on parle d’objet numérique et d’objet de communication puisque les objets ont une potentialité d’action très importante, et ce, du fait qu’ils ont été conçus par des ingénieurs pour effectuer des tâches très précises. Ils ne peuvent pas être employés n’importe comment parce qu’ils ont justement cette force-là. Ils ont un tel impact sur l’activité des personnes qu’on ne peut plus les considérer comme simplement des entités de seconde zone. Ils participent à l’activité pratiquement autant que les humains.
ICC : Quel regard portez-vous sur les objets connectés, l’Internet des Objets (IoT) ? Est-ce un effet de mode ou une réelle révolution ? Cette vague d’objets connectés représente-t-elle une génération qui court à la perte de son humanité, ou au contraire, celle d’un lien social renoué, rendu possible par la machine ?
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Un assistant personnel intelligent développé par le Lab126 d'Amazon.com, rendu populaire par Echo. Source : https://developer.amazon.com/alexa
NN : Les objets connectés, c’est l’informatisation des objets du monde. Au-delà de l’arrivée de l’électricité et de l’électronique, ces objets contiennent une unité de traitement de l’information, comme un petit ordinateur ils peuvent communiquer entre eux par des réseaux sans fil, ils ont une mémoire (donc accumulent de l’information), des capteurs (donc enregistrent des données), et éventuellement des actuateurs c’est-à-dire qu’ils peuvent plus ou moins agir. D’un point de vue pratique, il peut s’agir de balances connectées qui permettent de suivre des indicateurs corporels sur le poids ainsi que tous les indicateurs parallèles sur l’ordinateur ; des bracelets podomètres, des assistants vocaux domestiques comme Alexa10. Ici, il y a effectivement un effet de mode avec une quantité de projets d’objets connectés, par moment complètement gadget mais parfois des objets plus essentiels, comme c’est le cas dans le monde de la santé avec des objets pour suivre sa glycémie par exemple. Il y a clairement ce potentiel technique présent qui, pour une partie des objets autour de nous, commence à se faire sentir.
Ceci dit, tous les objets du monde n’ont pas forcément vocation à se transformer de cette manière, et d’un point de vue purement moral et écologique, ce serait un problème s’ils le pouvaient, du point de vue de la quantité de production d’énergie dépensée, des données récupérées sur les usagers, etc. Mais c’est effectivement une dimension croissante de la production des objets aujourd’hui.
Concernant la question avec le lien social ou une forme d’humanisation ou de déshumanisation, je ne suis pas armé pour répondre à cette question. Cependant, une des choses qui se passe avec ces objets, c’est une automatisation, une délégation aux objets techniques, pour reprendre un terme de la TAR, c’est-à-dire déléguer à des objets techniques des actions que l’on réalisait auparavant soi-même. Historiquement, ce n’est pas la première fois : la force physique déléguée à des animaux puis ensuite à des machines en est un bon exemple. Avec les objets connectés, le processus de délégation se fait sur un type d’activités potentiellement lié à la perception. Le fait d’avoir sur smartphone des applications qui reconnaissent des morceaux de musique, le fait de déléguer sa mémoire à des objets techniques qui vont nous rappeler des anniversaires, des listes de course. Il y a ici une rupture tout de même plus importante. Or, lorsqu’une tâche est déléguée à une machine, ce n’est plus exactement la même, donc ce changement fait partie de cette théorie anthropologique de la co-évolution des humains qui produisent des machines, qui utilisent ces machines, mais qui, par conséquence, ne pensent plus de la même manière, ne font plus les mêmes activités. Ces processus sont décrits par Marcel Mauss dès les années 1930. Aujourd’hui, toutes sortes d’exemples nous montrent que ce sont les humains qui produisent ces objets techniques, et en retour, ceux-ci modifient nos manières de faire, nos habitudes cognitives, etc. Par conséquence, il y a une évolution, une trajectoire différente que si on ne les avait pas employés.
MOB : Personnellement, je ne dirai pas que c’est une révolution, au sens où une révolution est vraiment un changement de paradigme des activités et des interactions entre les individus. Il me semble que la question qui se pose également est celle de l’autonomie des objets connectés entre eux, qui peuvent communiquer donc peuvent peut-être se passer de l’humain à un moment donné pour prendre la décision de réaliser une action, même si bien sûr ces actions seraient paramétrées en amont par les humains. Je pense notamment aux maisons dites « intelligentes ». Elles sont équipées de capteurs programmés par des humains. En fonction du dépassement d’un seuil sur certains indicateurs, telle action est déclenchée. Si tel autre objet dépasse aussi tel seuil, telle autre action est déclenchée. Il est vrai que l’on peut imaginer qu’entre les personnes qui ont programmé les différents algorithmes pour une maison intelligente et le sujet qui habite la maison, la complexité du réseau des objets connectés soit telle qu’à un moment donné, il y ait en effet des actions en réponse à des algorithmes mais qu’il ne se passe « rien » (du point de vue du sujet qui habite) pour autant et qu’il soit désemparé, peut être en partie dépossédé de son pouvoir d’agir. Et même si l’on peut imaginer laisser la possibilité à l’usager de reprogrammer la réponse des algorithmes, la complexité actuelle des objets connectés fait qu’il est difficile de mettre en place des interfaces de programmation qui réduiraient la différence bien connue entre la logique de programmeur et la logique de l’usager.
MQ : Si l’on considère que le smartphone est le premier des objets connectés, la courbe est exponentielle. Pour moi, ce n’est pas une mode. On va vers de plus en plus d’objets connectés : smartphones, applications embarquées dans les smartphones ou des objets sortis du smartphone. Ces objets-là, d’une certaine façon, permettent de faire du lien social. Cela pose une question éthique car on ne sait pas où vont les données personnelles ni trop dans quel dessein elles sont exploitées. On accepte pratiquement tout quand on installe une nouvelle application. On ne lit plus les conditions.
La dénomination « Internet des objets » elle-même pose question : les objets sont-ils en train de prendre possession d’Internet ? Les algorithmes de référencement nous guident déjà vers l’information et nous détournent d’autres sites d’information. Il est donc possible que notre accès soit perturbé par les données personnelles et par les algorithmes. Lorsqu’on demande une information, on est tellement profilé qu’on nous en donne une autre. De ce côté-là, il y a un véritable danger. On voudrait parfois devenir anonyme pour avoir accès à des informations qu’on ignore.
NN : Une fois que les objets enregistrent des données sur nous, qu’en font les utilisateurs et les autres acteurs qui y ont accès ? Elles peuvent être effectivement partagées sur les réseaux sociaux, mais elles sont surtout récupérées par des entreprises qui les valorisent, à la fois pour proposer un service adapté aux utilisateurs et, éventuellement, pour les partager avec des acteurs tiers qui pourraient ensuite les revendre à d’autres pour commercialiser de la publicité, proposer d’autres services (ex : établir un partenariat entre les fabricants de podomètres connectés avec les compagnies d’assurances pouvant moduler les primes d’assurances en fonction de l’activité physique de ses assurés).
ICC : On parle d’imaginaire technologique. Quelle en est votre définition ? Est-ce un terme, une notion, un concept ? Pouvez-vous nous apporter des exemples, nous expliquer un peu plus en détail ces termes ?
NN : J’utilise le terme d’imaginaire pour faire référence à l’ensemble des représentations associées à un phénomène ou un objet donné. Par exemple, les imaginaires technologiques qui renvoient aux images, représentations et contextualisations qui leur sont associées et liées à d’autres objets techniques existants, à des pratiques données, mais aussi à toutes sortes de représentations imaginaires qui ne sont tangibles que parce qu’elles sont mises en scène dans des romans, dans des bandes dessinées, des films et d’autres œuvres culturelles.
Autour d’un objet technique, il y a tout un ensemble de représentations évoquées par ces objets. Quand on parle des interfaces gestuelles comme la Wii ou la Kinect de Microsoft, les représentations imaginaires associées à ce genre de technologies sont des choses qui proviennent de la science-fiction, de la manière dont ces technologies-là sont mises en scène dans des œuvres fictionnelles. Or, ces imaginaires, ces représentations précèdent souvent le développement d’objets techniques. Il y a du coup une relation dans les deux sens, c’est-à-dire que les représentations imaginaires nourrissent des ingénieurs et des designers pour créer des objets qui leur ressemblent, et parfois des ingénieurs créent des objets qui inspirent des réalisateurs de film. Nos représentations du monde et les objets techniques dans le monde ne sont pas des choses dissociées, ce sont des éléments liés les uns avec les autres. Par exemple, l’équipe chez Motorola qui a créé les premiers prototypes de téléphones mobiles était dirigé par Martin Cooper dont l’un de ses rêves était de faire exactement un des objets qu’il avait vu dans Star Trek : le « communicateur ».
ICC : En lien avec les objets techniques, dans vos différents projets associés à des partenaires industriels, quelle forme de collaboration, de posture aviez-vous ? Quelle expérience positive ou négative avez-vous eu de ces collaborations avec le monde industriel ? En tant que chercheur, quels conseils donneriez-vous, à la fois aux industriels et au monde académique, pour mener à bien un projet de recherche entre des partenaires privés et publics ?
NN : Un exemple assez représentatif, ce sont les projets dans lesquels j’ai réalisé une enquête de terrain pour un industriel, pour l’aider à clarifier les opportunités sur un secteur donné, montrer les limites et les enjeux où il pourrait être amené à se positionner. La première nuance est sans doute celle du temps : même si ces projets ont duré plusieurs mois, ce n’était pas un doctorat en anthropologie. La question des temporalités différentes est ici un premier point de décalage entre le monde académique et industriel. Une seconde nuance serait la dimension théorique et intellectuelle. Même si les industriels avec lesquels j’ai pu travailler peuvent avoir un intérêt intellectuel, la dimension épistémique est en fait très opérationnelle et appliquée. L’intérêt intellectuel n’est pas formalisé de la même façon que dans le monde académique. Cela exige à la fois de savoir passer des résultats de l’enquête de terrain à des propositions concrètes et d’avoir une certaine souplesse ou agilité d’esprit. C’est là qu’il y a peut-être une nuance importante au-delà du temps : apprendre à se connaître serait un conseil éventuel au monde industriel et au monde académique.
MQ : J’ai eu plusieurs expériences avec des industriels, notamment dans des projets européens où l’on a eu des partenariats avec des industriels qui ont des équipes de recherche. Sur des projets comme la maison intelligente (domotique et objets communicants), il y a un gros enjeu économique et industriel : il est donc stratégique pour les partenaires privés de s'y positionner. Mon expérience n’était pas complètement positive parce que les industriels ne se lancent pas dans la recherche comme nous. De notre côté, on se jette un peu dans l’aventure, on a des objets, des thèmes de recherche. On va pour obtenir des résultats. De leur côté, ils ont déjà des prototypes quand ils se lancent dans le projet, ils ont une stratégie commerciale, ils ont déjà fait des expériences. Dans ce projet de la maison intelligente, ils avaient déjà des éléments ficelés. Ces projets de recherche européens étaient plus un terrain de promotion et de validation de leurs produits que de recherche et de développement.
Dans ce contexte, les industriels sont moins intéressés par le fait de mettre à plat toutes les expériences, toutes les théories, ils sont justes là pour affirmer des choses et éventuellement faire quelques tests d'usage dans les différents pays européens. Souvent, s’il y a des ajustements à faire, c’est aux partenaires académiques de les faire. Le chercheur n’a pas toujours connaissance des modalités de collaboration en arrivant dans le projet, mais il y gagne par ailleurs. Il a accès à des objets techniques plus évolués parce qu’ils sont mieux finis que ceux que l’on peut développer dans le cadre des recherches académiques. Le chercheur a aussi une pénétration du marché plus importante, car les industriels ont une certaine habitude dans ce domaine. Après, le chercheur doit savoir jusqu’où il est prêt à aller dans le projet, par rapport à ses compétences données. Il faut savoir aussi poser ses propres limites face aux partenaires industriels.
MOB : J’ai eu aussi plusieurs expériences avec des partenaires industriels de différente taille. Effectivement, comme le dit Matthieu, nous sommes dans une démarche un peu différente. Nous ne pouvons pas toujours nous permettre d’être autant exploratoires que nous le voudrions. Il y a certes de la place pour faire de la recherche avec des industriels, pour tester des hypothèses mais c’est plus compliqué d’avoir une démarche inductive dans laquelle il n’y a pas d’hypothèse clairement formalisée a priori, mais dans laquelle on décrit ce que l’on observe et interroge. D’après mon expérience, il faut que les études soient bien balisées, bien définies en amont, ainsi que les types de livrables. Il y a aussi la question de la temporalité. Clairement, dans toutes mes expériences, les industriels étaient plus pressés que ce que nous pouvions offrir en termes de résultats.
On peut aussi avoir de bonnes surprises lors de ce type de collaboration. Cela m’est arrivé d’être en difficulté parce que je défendais la nécessité de plus d’études pour valider les analyses. Je sentais bien le manque de temps, puis au final, il y a eu une expérience sur laquelle on m’a clairement remerciée d’avoir insisté pour prendre plus de temps et on m’a même proposé une autre collaboration.
Je rejoins aussi Matthieu sur le fait qu’il faut savoir négocier avec les industriels, s’affirmer également, pour pouvoir retirer de la collaboration ce dont nous avons besoin d’un point de vue académique pour produire des connaissances et publier nos résultats. Un conseil serait donc de rester ouvert mais ferme dans ses propositions auprès des industriels, même si dans la temporalité ou les objectifs, ils ne voient pas toujours où l’on veut en venir. Si l’on a vraiment le sentiment qu’une étude supplémentaire vaut la peine, on peut avoir de bonnes surprises.
ICC : De manière générale, avez-vous un regard critique sur les usages actuels des objets techniques, des objets connectés ? Si oui, lequel ? Du point de vue des recherches sur les usages des objets techniques, portez-vous également un regard critique ? Si oui, lequel ? Quels sont les sujets, d’après vous, qu’il reste encore à observer, analyser, documenter ?
NN : Quand on s’intéresse aux usages des objets technologiques avec une perspective ethnographique, il y a forcément un questionnement critique. Un premier enjeu, c’est celui de l’écologie : les matériaux, les minerais employés pour créer ces objets, la quantité d’énergie que consomment ces objets, ou celle nécessaire à leur fabrication. Ces quasis invisibles font que les utilisateurs ne se rendent pas compte du travail humain réalisé par « on ne sait pas trop qui » à l’autre bout du monde. En outre, ces objets techniques ne sont pas neutres et dans les propositions qui sont faites, il y a malgré tout l’idée de déléguer des activités à des objets techniques, de numérisation, de mises en nombre, en procédures, de toutes sortes d’activité du monde. Cette délégation a des conséquences plus ou moins bénéfiques, plus ou moins intéressantes. Ce sont des limites et des dérives potentiellement importantes qu’il ne faut ni regarder avec angélisme ni d’un point de vue complétement négatif en se disant que c’est totalement catastrophique. Les humains sont des homo faber, ils fabriquent des objets et toute la question est de savoir comment peut-on trouver des avantages et des inconvénients à ces objets, et comment peut-on trouver des formes de régulation.
MOB : Les questions de recherche sont à la fois techniques, aussi bien en termes d’algorithmes que de production des machines, et sont absolument nécessaires pour qu’il y ait de l’innovation. Mais cela ne doit pas empêcher un questionnement plus « philosophique », éthique, notamment sur les enjeux sociétaux derrière les questions que nous avons évoquées. Pour cela, il est important que des recherches soient faites en collaboration avec des chercheurs académiques de différentes disciplines (notamment sciences informatiques et sciences humaines) et des industriels, pour offrir des objets qui seront à un moment donné utilisés par des personnes. Quoi qu’il en soit, il est toujours question d’humain : les usagers sont des humains, les chercheurs et les industriels aussi (et ce sont également des usagers). Toutes les personnes engagées dans des projets de recherche sont situées dans une société prise dans des tensions entre innovation, prise de risques et conservation de certaines postures, et aussi bien sûr prise dans des tensions liées à des choix politiques de soutenir financièrement (ou non) tel type d’innovation.
Les enjeux et les impacts sociétaux devraient être systématiquement évalués dans les projets de recherche. C’est déjà ce que l’on demande aux chercheurs et aux industriels lorsqu’ils déposent une demande de soutien pour un projet. Mais cette demande devrait aller un cran plus loin et être : « Quel sens cette recherche a pour vous en tant qu’humain et qu’est-ce que cela va apporter à la société ? Quel aspect de la société ou quelle direction de la société votre projet va-t-il alimenter ? » En effet, l’innovation technique et scientifique doit être engagée et responsable car elle est produite par des humains pour des humains.
MQ : J’ai l’impression que l’objet connecté est vu souvent dans une perspective mono-utilisateur. Grâce aux objets connectés, une personne peut faire plusieurs choses en même temps et donc décupler son action, son activité, être plus efficace. Il y a un individu central et des correspondants à distance auxquels il peut se connecter.
Dans notre étude, nous étions dans une situation très différente. Il s’agissait d’un groupe en co-présence avec une multitude d’objets, et s’est posée la question de la co-appropriation de ces objets. C’est une perspective assez peu répandue et qui nous interroge sur cet objet pris dans une logique d’action de groupe sous différents regards. On arrive à concevoir ou à appréhender l’objet comme on appréhende les mots, comme dans une espèce de sémiotique, comme quelque chose qui porte du sens. Au final, l’aspect technique devient secondaire. On a une appréhension de cette situation avec une multitude de personnes et une multitude d’objets qui dépasse la notion même d’objet et devient plutôt celle de support de sens, de mots et de moyens que l’on a pour communiquer et agir ensemble. C’est cet aspect de l’objet connecté, porteur de sens, de construction sociale, qui mériterait finalement un peu plus d’études.