L’importance du secteur tertiaire dans l’économie des pays développés a presque doublé ces soixante dernières années et la grande majorité des nouvelles entreprises fondées aujourd’hui relèvent de ce secteur. Le service, qui se distingue par son caractère immatériel et intangible, met à disposition une capacité technique ou intellectuelle qui se consomme généralement au moment de sa production. Les « sciences du service » émergent comme nouvelle discipline sous la pression d’un marché en constante évolution mettant en place des ressources pour la recherche et le développement des services qui étaient autrefois majoritairement axés sur les procédés de production de biens et de produits.
C’est dans ce contexte que Robert Curedale, designer industriel australien et auteur de nombreux livres de méthodes en design, annonce au tout début de son introduction : « Service design is an emerging competence for all designers who are serious about their careers ». Sous le prétexte que le service est en train de transformer l’industrie, l’auteur revendique que les designers ont besoin de nouvelles compétences pour approcher ce phénomène puisque, contrairement aux produits, le service est intangible et changeant dans le temps. Il ajoute ainsi : « Designers who do not have the skills to discover and design for unmet needs of end users are replaced by designers who have those skills ». Voici donc la claire intention de cette deuxième édition de « Service design : process & methods » : présenter des méthodes pratiques, des processus et des outils que les designers de service peuvent utiliser pour appréhender l’expérience du bénéficiaire de service et les assister dans la conception et dans le développement de nouveaux services.
Avec plus de 200 pages de contenu additionnel par rapport à la première édition, ce livre est le dernier d’une série de plusieurs compilations de méthodes de design thinking et de recherche en design. À la différence des autres livres de référence dans le domaine, comme « This is service design thinking » de Stickdorn et Schneider (2012) ou « Service design : from insight to implementation » de Polaine et coll. (2013), ce livre adopte un format de « livre de cuisine » qui permet un accès simple et rapide au grand nombre de recettes de méthodes de design proposées.
Des treize chapitres de l’ouvrage, l’introduction en accapare déjà trois. L’auteur se limitant ici à faire une énumération de définitions empruntées de d’autres auteurs sur la notion de service, sur le design de services et les systèmes de produit-service. Nous regrettons, déjà à ce stade, la manque de prise de position de l’auteur ainsi que de développements nécessaires par rapport aux différents concepts exposés.
La suite du livre est rythmée et suit généralement les étapes du processus de design, soit la planification, la découverte, la synthèse, l’idéation, le prototypage, les tests, l’implémentation et la visualisation. Chacun des chapitres offre un ensemble de méthodes qui décrivent très brièvement les caractéristiques de la méthode en question : Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi l’utiliser ? Comment l’utiliser ? Etc. Nous devons noter cependant que la rigueur de cette structure, visant à simplifier la lecture et l’utilisation des méthodes, s’applique au détriment d’un manque d’information essentielle à sa compréhension. L’ajout des sources bibliographiques permettrait de comprendre l’origine des pratiques décrites et une description plus approfondie d’exemples concrets, avec des illustrations des possibles résultats de chacune des méthodes, pourrait servir à mieux informer le lecteur. En outre, nous sommes de graves problèmes de mise en page déçoivent les lecteurs. Des tableaux illisibles, des fautes grammaticales et quelques phrases hors contexte nuisent parfois à la compréhension du texte.
La valeur du livre réside en grande partie dans la classification d’outils servant à tout projet créatif et notamment l’identification de ceux s’adaptant plus spécifiquement au design de service. Alors que la majorité des méthodes exposées sont bien connues des praticiens du design - comme le prototypage, les personas ou les scénarios - la mise en contexte permet d’approfondir leur application dans le design de service. Quelques méthodes inspirées du marketing - comme le mystery shopping, le behavioural map ou l’emotional journey, nous semblent pertinentes pour le design de service puisqu’elles permettent d'appréhender le comportement de l’utilisateur. D’autres méthodes de planification moins connues - comme le goal grid ou le future wheel -, inspirées de la stratégie d’entreprise, nous permettent de visualiser le design de service avec une approche plus holistique que celle normalement utilisée dans d’autres contextes de design.
Pour conclure, même si l’intention générale de l’ouvrage est de permettre à une large audience de s’approprier des méthodes de design pour les appliquer à la conception de services, nous regrettons que cette collection de méthodes ne permette qu’un survol rapide de la réelle complexité du design de service. Un des mérites de ce guide consiste à réaliser l’étendue du spectre de la notion du service et les nombreux défis associés à sa conception. Or, l’absence de justification sur le choix des méthodes servant à appréhender le service dans toute sa complexité éloigne l’auteur de son intention initiale. Nous voulons mettre en évidence ici la pénurie de méthodes spécifiquement adaptées à ce phénomène et nous constatons un réel besoin de références solides en design de service qui visent à mieux comprendre et à encadrer le bénéficiaire du service dans son expérience utilisateur.