Designing Multi-Device Experiences — An Ecosystem Approach to User Experiences across Devices est paru sous la bannière O’Reilly Media en 2014. Cette publication d’O’Reilly Media s’ajoute à une impressionnante série de livres qui traitent du design d’interaction et permettent à cet éditeur américain de devenir un acteur incontournable dans ce domaine.
Bien qu’une grande majorité des ouvrages de cette maison s’adresse à un lectorat de praticiens novices ou intermédiaires, cela n’empêche pas cet éditeur d’offrir des contenus d’une qualité particulièrement raffinée. Le livre de 300 pages de Michal Levin sur les écosystèmes du design numérique s’inscrit parfaitement dans cette lignée de livres bien réalisés.
Michal Levin est titulaire de deux baccalauréats de l’Université de Tel Aviv en psychologie de la communication et en management organisationnel. Dans son livre, elle puise à même les cas concrets de ses expériences professionnelles chez Google, et ailleurs dans l’industrie du logiciel, pour mettre en relation de façon pertinente les savoirs théoriques et les savoir-faire pratiques.
Dès le départ, le lecteur plonge dans le vif du sujet et passe facilement à travers les principales approches proposées par l’auteure. Par le biais de nombreux exemples, les tableaux, images, schémas et graphiques offrent la variété nécessaire à une compréhension des propos sans efforts ni lourdeur pour le lecteur. Plusieurs exemples contextualisés aident à intensifier la compréhension d’un sujet qui pourrait, sans cette astuce, sembler hermétique. De plus, chaque chapitre propose une bibliographie digne de ce nom invitant le lecteur à approfondir ses découvertes. Ainsi, novices et praticiens aguerris du domaine y trouvent leur compte.
Dans le premier chapitre, Michal Levin fait un état des lieux et présente les enjeux des nouvelles tendances qui changent la façon de concevoir les logiciels d’aujourd’hui. Elle insiste sur la nécessité de juxtaposer les grandes approches en design, qui positionnent l’expérience utilisateur au centre du processus et les nouvelles considérations qui mettent en relief les écosystèmes complexes dans lesquels les utilisateurs contemporains manipulent une panoplie de dispositifs numériques au quotidien.
L’auteure explore les mérites de cette nouvelle façon de concevoir les interfaces numériques et fait une présentation sommaire de quelques données essentielles qui confirment l’urgence d’adapter le design de dispositifs numériques aux réalités de la pensée « multidevice » d’aujourd’hui.
Pour renforcer son argumentaire, Levin s’appuie sur des faits démontrables et cite à l’occasion de récentes recherches et statistiques. Par exemple, 30 % des utilisateurs de tablette numérique complètent les informations vues à la télévision par des contenus puisés sur le Web. De même, 2013 fut une année où les ventes d’applications pour mobiles dépassèrent les 26 milliards de dollars américains et d’ici les cinq prochaines années, le nombre d’appareils numériques connectés dépassera les 20 milliards d’unités.
Le lecteur qui désire investir son temps de lecture à des sujets tangibles qui l’amèneront vers une meilleure compréhension des impacts des nouvelles réalités numériques trouvera son compte dans cette première partie. De plus, il est clair que ce contenu a tout le potentiel de raviver la flamme entrepreneuriale chez celui qui espère créer la prochaine application lucrative totalement connectée.
Avec cette entrée en matière captivante, Michal Levin nous fait comprendre à quel point notre quotidien numérique et nos relations avec les technologies de l’information se sont transformés en quelques années. Nous voyons naître des artefacts de la communication numérique qui se côtoient, se complètent, s’entremêlent et engendrent une multiplication des possibilités interactives. Ce nouveau contexte d’utilisation fait appel à une panoplie d’objets numériques communiquant les uns avec les autres et fait vivre à l’utilisateur une expérience continue d’où un nouveau paradigme de la conception émerge.
Ces nouveaux produits interactifs mettent au premier plan le concept d’écosystème numérique où le continuum d’utilisation des applications de communication numérique est de plus en plus difficile à baliser. Dans ce sens, l’auteure cherche à organiser l’ensemble des nouvelles applications en trois grandes approches visant à maximiser l’expérience utilisateur de façon à la rendre contextualisée en fonction de l’objet numérique utilisé dans un processus multi-objets.
D’abord, « l’approche cohérente » vise une expérience utilisateur uniforme d’un objet connecté à un autre tout en maximisant l’interface logicielle en fonction des contraintes physiques du produit numérique qui la soutient. Par la suite, « l’approche continue » préconise la fragmentation de la tâche de l’utilisateur en différentes étapes optimisées en fonction des possibilités du produit numérique concerné. Par exemple, à partir de l’interface de recherche d’un ordinateur de bibliothèque, les résultats seront transférés et s’afficheront sur un appareil mobile capable de guider pas à pas l’utilisateur vers l’emplacement du livre recherché. Pour finir, « l’approche complémentaire » a pour objectif la coopération des différents objets connectés. Cela nous mène vers une utilisation synchrone des différents logiciels en jeu pour créer une seule et même expérience. Il devient alors possible pour un utilisateur de changer en temps réel la prise de vue d’une émission écoutée à la télévision à partir d’une tablette numérique comme s’il devenait un réalisateur d’un soir.
La découverte de cet ouvrage demande un minimum d’efforts de compréhension. Pour s’assurer d’en saisir toutes les nuances, le lecteur méticuleux complémentera sa lecture par l’expérimentation tangible de produits numériques à sa portée. En fait, l’exploration du fonctionnement de certaines applications complexes est un complément pratiquement incontournable à la lecture de cet ouvrage. Si le but de l’auteure était de nous faire découvrir que ces logiciels aux interfaces multiples composent déjà notre environnement proche, le livre accomplit agréablement cette mission.
Levin ne cherche pas à nous transporter dans le monde de demain. Elle ne cherche pas non plus à théoriser sur la réalité numérique de façon extravagante. Cependant, elle parvient manifestement à capter la réalité des interfaces numériques d’aujourd’hui comme un photographe qui, par une capture du réel, réussit à nous présenter le monde dans lequel nous vivons. Cet instantané nous renvoie une image surprenante de la pénétration des technologies numériques et des interfaces continues.
Le seul bémol à apporter concerne la complexité derrière les subtilités fines qui définissent chaque type d’interface. En effet, si le lecteur n’est pas lui-même un avide consommateur de produits numériques et ne possède pas une certaine expérience de manipulation d’interfaces numériques de tout genre, celui-ci risque de ne pas arriver à saisir toutes les nuances et abstractions entre les différentes approches proposées par l’auteure. Dans ce cas, il finira sans doute par se sentir dépassé par l’offre numérique qu’on lui propose. En contrepartie, le lecteur numériquement « branché » sera comblé par ce petit livre capable d’organiser sa compréhension de ce « nouveau monde » d’objets connectés.
Dans cet ouvrage, la force de Levin repose sur le postulat que l’actuel écosystème numérique dans lequel nous interagissons mérite toute notre attention. Cela permet aux lecteurs de constater que les réalités numériques se sont construites si rapidement qu’il devient nécessaire de prendre le temps d’organiser et de structurer ces environnements dans un tout cohérent. La démonstration de certaines complexités des nouvelles interfaces numériques aurait été inutile sans y apporter une certaine lumière capable d’orienter le lecteur sur les possibilités interactives des prochaines applications multidispositifs. Dans ce sens, Michal Levin vise juste et offre une réflexion de qualité par la mise en place d’une nouvelle organisation fondamentale de l’espace numérique.