Alors que les termes de design numérique, design d’interface et autres vocables désignant autant de domaines se ressemblent, se mêlent, s’entremêlent… et malheureusement se confondent par méconnaissance de leurs champs respectifs, « Le design interactif : du web design aux objets connectés » offre un regard clair et précis dans la compréhension de ce qui définit le design interactif des années 2010 et ce qu’il apporte, de façon grandissante, à la conception d’interfaces, à l’aube d’une hyperconnexion toujours plus grande d’objets toujours plus petits, issus de process toujours plus complexes dans des interfaces qui se veulent paradoxalement toujours plus invisibles par leurs usagers. Benoît Drouillat, UX Designer, président fondateur de Designers interactifs et auteur de plusieurs ouvrages, apporte ici au sein d’un ouvrage volumineux (255 pages) une bible pour les néophytes comme pour les experts du design interactif, fruit d’un vrai travail de rationalisation et d’explication sur la nature, les composantes, et au final les méthodologies du design interactif.
Découpé en deux parties, la première moitié de l’ouvrage remet à plat la définition du design interactif et le resitue dans un contexte où de nombreux autres domaines se croisent, sont concomitants ou encore se regroupent. Ce parcours permet de délimiter une frontière entre les différentes notions liées au design numérique et, sans qu’une définition contraignante de ce qu’est ou devrait être le design interactif soit imposée, les enjeux liés à ce dernier sont finement mis en valeur. Nous sommes ainsi invités à retracer l’origine du design d’interaction avec un mot d’une importance capitale, trop souvent oublié dans l’application de la théorie : le dialogue. Car c’est bel et bien le « dialogue » de l’interface avec l’utilisateur, passant par une conception de l’interface centrée sur celui-ci, qui est au cœur du design d’interaction.
Le design interactif est une approche globale, englobant différents courants de conception : architecture de l’information, design d’interaction, design d’expérience utilisateur… que l’ouvrage passe méticuleusement en revue afin d’en établir, pour chacun, leurs origines historiques, leurs évolutions, mais aussi et surtout, les apports, livrables et profils mobilisés de chacun au sein d’une conception d’interface. On appréciera à la lecture de ce travail de contextualisation une réelle volonté de faire comprendre l’importance et les desseins du design interactif, à la confluence des objectifs des différentes briques qui le compose et qui sont souvent oubliés dans l’application simple de méthodologies parcellaires d’un tout, transformant ainsi formalisme en formatage.
À l’issue de ce panorama, les différents terminaux interfaces de l’ère actuelle post « ordinateur », au sens classique du terme, sont étudiés. Cette mise en perspective permet de comprendre l’importance d’une méthodologie d’élaboration d’un dialogue cohérent et pertinent entre l’utilisateur et l’interface alors que le nombre d’interactions évolue constamment, que leur nature se diversifie, et que par là même, les attentes des usagers s’en trouvent changées également : à une « belle » interface graphique, s’adjoignent des notions de temps/focus d’attention, de temps d’attente, de fragmentation/priorisation de contenus, etc…, autant de facteurs qui bouleversent une approche linéaire consistant à délivrer une information sans penser aux contraintes/possibilités que lui incorporera son réceptacle ou son destinataire final. L’enjeu est ainsi d’autant plus fort que l’avènement des objets connectés renforce l’importance du design d’interaction dans la conception d’interfaces, qui, alors que la technologie se mêle de plus en plus au corps, rendra impardonnable toute dissonance entre homme et machine, rappelant alors au premier la présence, normalement invisible, du second.
Au terme de cette première partie, la seconde partie de l’ouvrage nous offre un regard sur la pratique de cette aspiration et sur la concrétisation de ces enjeux. Autour de cinq étapes identifiées dans le déroulement d’un projet, nous parcourons la manifestation réelle de cette approche centrée autour de l’utilisateur en articulant autour de chaque phase le champ des possibles et des réalisations, délimitant périmètre, méthodologie, enjeux, mais aussi et surtout la description précise des différents livrables attendus. Chaque étape se voit ainsi étudiée dans sa spécificité et dans son importance, dans le processus global de design interactif, afin de mettre en lumière les informations les plus importantes, les méthodologies de réflexion et d’élaboration. Didactique, cette partie peut se parcourir linéairement ou être consultée transversalement, au gré des besoins de chaque projet, tant l’attention est mise sur la compréhension et la méthodologie de réalisation de chacun des livrables de façon autonome aux autres, et ce même si les liens connexes avec les autres documents sont explicités. Un grand nombre de ressources sont annexées à chaque partie décrite afin d’approfondir le sujet.
La conclusion de l’ouvrage le rappelle, des mots mêmes de l’auteur : « Le design d’interaction dispose d’un vaste potentiel d’innovation qui n’est ni totalement visible, ni totalement exploité par les entreprises ». La lecture de cet ouvrage incontournable, fruit d’un travail ne pourra que combler cette lacune. L’une des forces de cet ouvrage réside dans sa construction, à la fois rigoureuse, pratique, et organique, puisque nous progressons ainsi dans l’étude d’un aspect du design centré utilisateur à un autre, de façon logique, cohérente et parfaitement articulée, pour ensuite rentrer au cœur de la pratique une fois que l’essence de la théorie est présentée. Le design interactif : du web design aux objets connectés apporte non seulement une méthode, mais aussi et surtout une véritable culture du design interactif, fournissant ainsi à la fois la grammaire et le vocabulaire nécessaires au dialogue entre le designer et le domaine, nous ramenant ainsi à la notion cruciale évoquée en amont : que ce soit vis-à-vis d’un usager face l’interface ou du designer/concepteur face à sa son processus de création, la clé du succès réside dans la réussite du dialogue, dans sa richesse et son ajustement.