Cette note de lecture revêt un cachet particulier, et ce, pour deux raisons qui ont requis l’adoption d’une approche différente quand est venu le temps de se prêter à l’exercice. Premièrement, UXKit n’est pas un ouvrage continu au sens traditionnel du terme, mais bien un ensemble de méthodes de design centrées utilisateur, présenté sous forme de boîte à outils complète pour mener à bien un projet de conception ancré dans la recherche et la compréhension de nos utilisateurs. UXKit ne se lit donc pas de façon linéaire, chapitre par chapitre dans une optique d’assimilation théorique, mais plutôt par bloc qui reflète les étapes habituelles de la structure de développement d’un projet. Le concept de boîte à outils se présente donc sous forme de référence plutôt que d’une narration de connaissances théoriques ; une approche qui, assez logiquement avouons-le, se colle davantage au modèle mental que nous développons et faisons évoluer au cours d’un processus de conception.
L’autre point qui a forcé une nouvelle approche rédactionnelle pour cette note de lecture concerne l’auteur. Bien aisé de faire connaître son nom, Martin Ahe ne livre pourtant que très peu d’information sur son curriculum, ce qui à première vue a certes paru étrange – quelle peut donc être la valeur de cet ouvrage si le mystérieux pedigree de l’auteur demeure aussi obscur. Après investigation, Martin Ahe s’avère avoir plusieurs galons sur son épaule. Basé à Berlin, Ahe est designer UX sénior chez McKinsey & Company, une firme internationale de consultants en management, qui offrent stratégies marketing, design, solutions technologiques et autres services de support de développement pour de grandes entreprises et de nombreux gouvernements. Avec une formation en administration des affaires à Rotterdam et en gestion durable à Harvard, on comprend mieux l’origine de son intérêt pour les méthodes de conception centrées utilisateur et pour le design durable.
De retour à UXKit. Ce que nous propose Ahe ne concerne donc pas un ouvrage rédigé portant sur une nouvelle méthode, ni même une réflexion ou un positionnement quant à sa propre pratique – pas directement, du moins – mais plutôt à une articulation des idées, méthodes et approches d’autres auteurs qui eux se sont lancés dans l’élaboration des cadres de travail que nous utilisons tous aujourd’hui en design. Le terme « indirectement » était utilisé ici, car bien que Ahe ne nous propose aucun texte explicatif pour sa boîte à outils, celle-ci, de par sa seule existence, fait état d’une lacune, ou plutôt d’un trou dans le paysage méthodologique auquel il a de toute évidence été confronté. En ce sens, UXKit répond à un besoin important que peu se sont lancé à adresser : comment faire un choix face à l’ensemble grandissant des options qui s’offrent à nous au moment d’articuler notre stratégie de recherche et de conception ? Une question simple, mais qui peut se répondre de plusieurs façons, et c’est à ce niveau que Ahe contribue avec un apport intéressant – proposer une structure d’articulation des méthodes qui peut s’adapter aux situations et aux contextes particuliers de chacun.
Il serait présomptueux de penser que UXKit soit le premier effort de rassemblement d’outils de conception ; une recherche rapide sur internet permet de trouver une multitude de « kits » logiciels pour faciliter le développement de livrables de tous genres. Il serait même mal avisé de prétendre être le premier à articuler des méthodes de conception pour aider à la recherche utilisateur, il ne faut que penser aux Method Cards de IDEO qui structurent leurs 50 méthodes en catégories qui représentent la nature et l’utilité des interventions en fonction de nos objectifs. Cependant, IDEO lance effectivement sur la table un ensemble unique de propositions bien développées qui jalonnent le panorama de l’ethnographie, mais s’arrête ici leur intervention, nous laissant plutôt le soin d‘intégrer l’articulation de notre approche de conception par nous-mêmes. C’est donc très précisément ici que l’expertise de Ahe en développement stratégique se distingue avec force, prenant les efforts de IDEO et les portant plus loin pour nous supporter davantage dans la coordination de notre mission d’attaque.
Concrètement, le UXKit prend la forme d’un fichier téléchargé qui contient cinq blocs de matériel imprimable, passant de méthodes de conception aux gabarits de travail, soigneusement présentés dans un ordre qui suit l’évolution naturelle du processus de conception. Le premier bloc se résume à une grande affiche qui présente l’ensemble des méthodes de recherche du bloc 2, mais sous la forme d’un arbre de décision afin d’aider le lecteur à identifier les meilleures stratégies pour atteindre ses objectifs et ainsi bâtir un solide plan de recherche avec les méthodes proposées dans le UXKit. Ahe a ainsi rassemblé des méthodes connues, et a réussi à les mettre en perspective pour leur donner un sens et une valeur uniques en fonction des besoins de chacun ; c’est l’outil de la boîte qui devient ainsi la clé de voute de la proposition – on passe d’une collection de possibilités à un outil fonctionnel pour les articuler.
Les autres blocs de matériel se situent quant à eux, plus près des standards habituels (method cards, gabarits, fiches de recherche et de méthodes), mais lorsque mis en perspective à travers une stratégie d’attaque, le matériel prend un tout autre sens, permettant d’articuler beaucoup plus facilement un projet en développement. Les gabarits d’interface et les method cards sont donc relativement sans surprise, par contre Ahe a amené les fiches traditionnelles de recherche terrain plus loin en couvrant 37 différentes approches, principes, et outils qui sont présentés ici sous forme de référence imprimable, assurant au concepteur une trajectoire libre, mais ciblés en fonction des objectifs stratégiques du projet. Finalement, UXKit tente également d’intervenir sur l’inspiration en proposant treize citations des grands de ce monde, voulant nous éclairer et nous motiver à travers le processus. Bien qu’étant une touche intéressante au niveau conceptuel, le résultat du “bloc inspirationnel” se rapproche davantage d’une caricature de l’affiche au chat suspendu « hang in there » qui se retrouvait dans de nombreux bureaux, que d’une réelle catharsis motivationnelle.
Le bagage d’accompagnateur stratégique de Ahe transparait dans l’ouvrage – l’idée était bien dirigée – mais inversement, le produit fait état de grandes lacunes au niveau visuel (ce qui peut en plonger plus d’un dans la perplexité puisqu’il s’agit d’un outil de design). Ahe semble avoir opté pour un look rétrofuturiste avec une police de caractère rappelant le code de programmation, mais ce choix rend le tout franchement difficile à lire, surtout lorsqu’accompagné de couleurs HTML de base qui sont instantanément agressantes pour l’œil, et qui peut même aller jusqu’à remettre en question la décision d’utiliser la boîte à outils. Ceci dit, Ahe s’est montré réceptif aux critiques pour la prochaine mise à jour.
En somme, UXKit est né d’une bonne idée qui répond à un réel besoin, mais qui pour l’instant donne plutôt l’impression d’être une version 1.0, un point de départ bien entamé, mais incomplet qui, une fois passé par quelques cycles d’itération supplémentaires, saurait se tailler une place parmi les propositions pédagogiques les plus intéressantes en design. Reste à voir si Ahe poussera son projet au niveau supérieur.