Des intelligences TRES artificielles, Jean-Louis Dessalles, Odile Jacob, 2019
Jean-Louis Dessalles est enseignant-chercheur à Télécom Paris Tech depuis 1981. Des intelligences TRES artificielles, paru en 2019 est son septième livre dont le titre prend le contre-pied de toutes les promesses que nous pouvons lire ou entendre depuis des années sur l’IA en insistant sur la fait que la réalité est bien moins “futuriste” qu’escomptée. En effet, on ne compte plus le nombre de fictions ou d’interventions plus ou moins alarmistes nous mettant en garde face à un soulèvement des machines ou une prise de conscience imminente. Ce livre consiste à distinguer fantasmes et réalité. L’auteur tend à montrer que, s’il est difficile d’établir quelles seront les capacités de l’IA de demain, celles-ci sont encore aujourd'hui limitées, à tel point qu’il faut se demander si nous pouvons réellement parler d’une “intelligence” même en la qualifiant d’« artificielle ».
Dans son premier chapitre intitulé « Les promesses de l’intelligence artificielle », Dessalles recense quelques promesses de l’IA et précise en quoi elles n’ont pas été tenues. Il cite, entre autres, Herbert Simon qui en 1965, affirmait : « les machines seront capables, d’ici 20 ans, de réaliser n’importe quelle tâche accessible à l’homme ». Or, l’auteur constate que c’est chose encore impossible en 2020. Selon ce dernier, la principale difficulté pour développer une réelle IA est que toutes sont dépourvues de ce qu’il appelle le « sens commun » propre à l’humain. Dans le chapitre 2 « Les prouesses de l’IA numérique », l’auteur fait un historique des avancées techniques de l’IA. Il s’agit d’un chapitre ardu au premier abord mais nécessaire à la compréhension du fonctionnement de l’IA. On y aborde les conditions nécessaires au développement d’une IA capable, grâce à un “réseau de neurones”, d’apprendre par elle-même et de devenir une vraie intelligence, sans le concours de l’humain.
Le chapitre 3 « Dangers réels et dangers fantasmés » énumère les problèmes sociétaux que pose et posera l’IA à court terme. Ce faisant, l’auteur fait la part des choses entre le réel de la science-fiction. Le paragraphe d’introduction au chapitre 4 « l’IA zombie : savoir-faire sans rien savoir » le résume habilement : « Une planète qui tourne autour du Soleil se comporte de façon à décrire une ellipse parfaite. Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne de penser que la planète est intelligente et sait ce qu’est une ellipse. Un réseau de neurones entrainé pour la reconnaissance d’images sait-il qu’il a reconnu un chat ? Sait-il seulement ce qu’est un chat ? Peut-on être intelligent sans rien savoir, à la manière d’un zombie qui saurait effectuer les tâches intelligentes d’un être humain, mais seulement de manière réflexe ? L’intelligence artificielle qui suscite l’engouement actuel est à bien des égards une IA zombie. Et cela ne va pas sans poser quelques problèmes ».
L’idée générale du chapitre 5 « Du réflexe à la réflexion » tient au fait que l’IA agit toujours par réflexe, mue par son algorithme et non par réflexion. Dans le chapitre suivant, « Ce que l’intelligence veut dire », l’auteur présente deux conceptions de l’IA reposant sur 2 desseins distincts ; son design consiste soit à lui permettre de réaliser des tâches intelligentes, soit à singer l’intelligence : « nous avons là deux conceptions de l’IA, selon l’objectif qui lui est assigné [...] [veut-on] qu’elle réalise des tâches intelligentes, ou qu’elle se montre intelligente ? ».
Dans la partie finale intitulée “Perspectives”, Dessalles conclut que les conceptions actuelles de l’IA sont insuffisantes pour développer une véritable intelligence. Cet ouvrage propose une approche critique du thème de l’intelligence artificielle, en développant notamment ce que sont, les vrais enjeux et questionnements liés à l’avenir de l’IA. Cependant, centré sur le cognitivisme, il est insuffisant pour répondre, ou essayer de répondre aux questions qu’il ouvre, particulièrement dans le chapitre 3. Par exemple, l’auteur ne relève pas la différence entre corrélation et causalité. Or, l’IA est incapable de distinguer les deux alors même que c’est quelque chose de primordial dans les prises de décision. Cette confusion est également présente parfois chez les humains, ce qui nous fait relativiser notre supériorité intellectuelle par rapport aux machines, mais elle n’est pas systématique, Homo étant capable s’il s’en donne la peine de différencier l’une et l’autre. On pourrait en outre critiquer la manière dont l’auteur aborde la notion de travail, thème anthropologiquement central pourtant.
Ce livre pourrait utilement être complété par trois ouvrages. En premier lieu, En attendant les robots - Enquête sur le travail du clic (Antonio Casilli, Seuil, Paris, 2019), qui traite de la présence de travailleurs derrière la "fausse" intelligence artificielle, ou ce qu'on appelle en anglais artificial artificial intelligence. Ensuite, à propos des questions éthiques et morales qui entourent l'IA, le livre de Laurence Devillers Des robots et des hommes - Mythes, fantasmes et réalité (Plon, Paris, 2017) retient l’attention. Concernant les robots et le travail, l’ouvrage Emanciper le travail, (Bernard Friot, La Dispute - Travail et Salariat, Paris, 2014) dépasse les clichés en précisantnotamment la différence entre emploi et travail.