Bernard Miège (2020), La numérisation en cours de la société. Points de repères et enjeux. coll. « Communication, Médias et Sociétés ». PUG, Grenoble. 154 pages
Biographie de l’auteur
Bernard Miège est professeur émérite à l’Université de Grenoble. Il est l’un des fondateurs des Sciences de l’information et de la communication, spécialiste des industries culturelles et créatives. Ses travaux portent sur les interactions entre société et communication : quelle y est la place de la technique ? De la pratique ? Qu’en est-il des outils de médiation ? Comment sont produits, distribués et consommés les contenus culturels ? Autant de questions qui se trouvent ne pas avoir de réponses déterminées dans le cadre du processus actuel de numérisation de la société.
Résumé
Notre perception du numérique est biaisée par des discours faisant dépendre le numérique de la technique et par le fait que nous nous trouvions au cœur d’un processus de numérisation de la société dont nous ne connaissons pas l’issue. La recherche scientifique, comme l’opinion publique, développe des approches qui limitent l’analyse par l’utilisation quasi-systématique de qualificatifs tels qu’ère numérique, ou adoptent des méthodologies peu rigoureuses. Pour ces raisons, Bernard Miège propose ici de faire le point sur ce que nous savons de ces évolutions tout en donnant des clés de lecture pour analyser les six aspects de la transformation en cours qu’il a identifiés.
La numérisation en cours de la société, bilan et nouvelle approche d’un processus actuel
Dans La numérisation en cours de la société, B. Miège analyse « nos perceptions du numérique » (p. 7) pour mettre en évidence la « complexité d’ancrage des techniques numériques dans […] les diverses sociétés contemporaines » (p. 125). Il organise son propos selon six axes (six chapitres) qu’il a identifiés comme étant les différents aspects du processus : la fascination et le consentement, les procès d’innovations plurielles, le renforcement de l’industrialisation de l’intermédiation et des médiations, le renouvellement en profondeur de la production de l’information et du traitement des données personnelles, les mutations des pratiques et la mondialisation du capital. Ces éléments, présentés du plus individualiste (les représentations sociales par exemple) au plus généraliste (le capital mondialisé), lui servent de base pour proposer une nouvelle méthodologie en conclusion : les travaux de recherche sur le sujet sont « partiels » ou « sectoriels » (p. 137) mais choisir de ne plus essayer de définir les évolutions et se concentrer sur la « marque dominante » du procès « se révélera [à terme] productif de connaissances » (p. 137).
Un mythe contemporain
L’auteur aborde le sujet en rappelant que le numérique ne connaît pas d’opposition effective et que les Etats sont peu enclins à réguler son fonctionnement. Il bénéficie toutefois d’une image largement positive grâce à un mythe contemporain qui le réduit à un ensemble de technologies, devenant « pour chacun une promesse de maîtrise de son environnement propre, et […] un moyen […] d’accentuation du contrôle social » (p. 21). Pour illustrer ces « récits contemporains » (p. 22), B. Miège cite J. Rifkin qui conçoit la démocratisation d’internet comme une rupture civilisationnelle qui mettra un terme au capitalisme et consacre la valeur partagée. L’auteur lui reproche de mettre en avant le rôle des infrastructures dans la construction des sociétés ainsi que sa conception des outils numériques comme base d’une matrice énergie communication. Il continue avec Y. Citton pour qui la domination des médias de masse est en cours de numérisation, provoquant la suppression des intermédiations, « essentiellement via les plateformes » (p. 24). Mais, pour B. Miège, aborder les plateformes et l’intermédiation sans aborder les GAFAM qui les incarnent revient à minorer les enjeux économiques qu’elles représentent. Au final, le récit est celui d’une « ère numérique » caractérisée par le « partage » et la « latéralité » (p. 25).
Le rapport entre numérique et technique se retrouve aussi au cœur du mythe caractérisé le paradigme industriel de la convergence, le créatif et le collaboratif, auxquels il faut ajouter, depuis le numérique, le paradigme de l’accès et de la mise à disposition. Si leur pondération varie selon les outils étudiés, ils fonctionnent « de façon coordonnée et complémentaire » (p. 28) et se retrouvent « de la production, à la consommation et bien entendu dans les actions de promotion et de communication des techniques numériques » (p. 34). La technique numérique s’ancre, elle aussi, dans le récit de la modernité, elle est porteuse de potentialités, « un trait culturel durable et marquant […] des sociétés actuelles » (p. 30). En réalité, les utilisations imposent une certaine prudence au regard d’inégalités sociales et culturelles de plus en plus importantes, de la surveillance et des craintes liées au post ou au transhumanisme.
Le concept d’innovation
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’identification de cette « révolution » (p. 35). La numérisation possède des caractéristiques propres : elle s’inscrit dans la continuité des TIC analogiques, elle développe les techniques, elle n’est pas achevée et on peut se demander si elle est effective. Or, s’il s’agit là d’un procès d’innovation, il convient de le définir. Le terme innovation est multiple et souvent utilisé de façon large. B. Miège distingue ainsi le concept (qu’il nomme innovation I) de l’innovation de rupture ou de produit (innovation II). Ce ne sont pas des changements (perfectionnements apportés aux logiciels) ni des mutations qui sont des « transformations profondes et durables généralement de pratiques informationnelles, culturelles et communicationnelles » (p. 40).
L’étude de ces notions est compliquée par des visions simplificatrices du numérique depuis qu’« on en est venu à appeler numérique […] les données de tous types qui nous sont maintenant accessibles sous une forme autre qu’analogique » (p. 40-41). Or, il serait faux de réduire le numérique à l’utilisation finale qui en est faite par l’utilisateur, « l’ensemble de la chaîne de conception – production – intermédiation – diffusion des produits » (p. 41) doit être prise en compte et il ne faut pas confondre numérique et virtuel.
Ces caractéristiques restent toutefois insuffisantes pour définir l’innovation numérique, la distinction entre innovation I et II par exemple, n’est pas toujours aisée. B. Miège prend l’exemple des industries culturelles pour expliquer l’impossibilité de construire une modélisation du procès d’innovation. Ces industries « ne sont pas […] encore […] déstructurées par les techniques numériques et surtout par les stratégies offensives des puissants groupes » (p. 51) mais dans ce domaine le procès semble aussi varié qu’incertain.
Ce sont donc les éléments caractéristiques de cette évolution qui « justifient de parler d’avancées du numérique dans les sociétés contemporaines » (p. 52).
L’industrialisation des (inter)médiations
L’émergence des GAFAM a affaibli l’influence des creative commons et de l’open access, et l’industrialisation de l’information qui en résulte prend deux formes : le positionnement stratégique des firmes du numérique au niveau de l’intermédiation et la médiatisation des actions info-communicationnelles, « spécifiquement des médiations que l’on peut qualifier d’organisées » (p. 54). Ces éléments, souvent confondus, doivent être différenciés. L’intermédiation a été bouleversée par les usages numériques, « les relations intermédiaires apparaissent comme n’étant plus neutres dans les relations entre producteurs et consommateurs » (p. 55). Mais l’intermédiation est distincte de ce qui est réalisé par des « collectifs d’internautes » (p. 56). Les plateformes sont d’ailleurs « analysées comme des infrastructures médiatiques » (p. 57). Il faut donc s’attendre à ce que la « logique organisatrice des médiatisations » (p. 60) qu’elles imposent restructurent les filières dans lesquelles elles interviennent. B. Miège rejette toutefois le concept de « capitalisme de plateforme » de N. Srnicek car seules celles qui peuvent traiter massivement les données ont de l’influence.
Le flou persiste cependant sur les orientations de cette révolution ainsi que sur la distinction entre action info-communicationnelle individuelle et groupe de médiation organisée. Par exemple, une nouvelle forme de violence est apparue à travers, notamment, les fake news et le cyberharcèlement, dans un espace duel qui articule public et numérique. Partir des comportements ou des intérêts individuels ne précise donc pas comment l’intermédiation se développe via les plateformes, il faudrait pour cela prendre en compte les plateformes de toutes tailles.
Les enjeux des algorithmes
L’évolution de l’information n’a pas commencé par le numérique, B. Miège et G. Tremblay l’avaient nommée « informationnalisation ». Mais de nouvelles caractéristiques sont apparues, telles que le remplacement progressif du support papier par le numérique et la collecte des données.
En ce qui concerne le papier, le processus est multiple (diminution des impressions, développement du complément numérique à un titre imprimé, pure players, etc.). Globalement, la substitution est en cours, « le déclin est régulier, et certains observateurs tirent déjà la sonnette d’alarme » (p. 75). Les big data, quant à eux, favorisent le « contrôle de la vie quotidienne des individus » (p. 77) tout en « bénéficiant […] d’une aura favorable » (p. 76). D’un point de vue méthodologique, se concentrer sur l’étude de ces données exclut l’aspect social des interactions en laissant « de côté le travail […], mais aussi […] l’expropriation du commun dans la vie en société » (p. 76-77), ce qui contribue à l’évolution du capitalisme.
Le traitement de ces données, quant à lui, est réalisé par des algorithmes destinés non plus à modéliser mais à agir sur le réel. Pourtant, les revendications de publication de ces algorithmes commencent tout juste à se faire entendre. L’objectif est de pouvoir capter l’attention, le code est ainsi devenu un outil d’identification des opinions permettant le développement de « stratégies dissimulées » (p. 79) tout en négligeant « les comportements humains et leurs composantes sociales et culturelles » (p. 79). Ainsi, c’est tout le circuit de traitement des données qui est désormais industrialisé. Cet intérêt pour l’attention soulève des questions d’ordre épistémologique : il n’est pas certain que l’objet du traitement des données soit la création de valeur et cela révèle des « interrogations fondamentales quant au positionnement des êtres humains face aux offres » marchandes (p. 81). Pour D. Cardon, cela revient à inclure le domaine social dans ce qui est calculable et donc à rapprocher sciences sociales et sciences dures.
Les analystes revoient donc leur méthodologie. D’autant que « les recherches appliquées à des usages précisés avec des ressources identifiées se font attendre » (p. 82) et que la production algorithmique est maintenant abordée comme un construit social par V. Bullich et V. Clavier. Il faut ajouter que « la médiatisation ne suffirait plus à qualifier l’ère dans laquelle nous sommes rentrés » (p. 84), l’hypermédiatisation produirait des interactions humaines différentes de celles créées par les médias plus anciens. Toutefois, B. Miège s’oppose à cette approche constructiviste qui généralise mais dont l’opinion pourrait se saisir malgré l’absence de rigueur scientifique alors que, selon lui, cela relève d’une phénoménologie matérialiste. La méthodologie est d’autant plus importante que, dans l’espace public, les usages liés aux données sont abordés au regard de la propriété alors que les enjeux dépassent la protection individuelle. C’est désormais de ce que A. Rouvroy et T. Berns nomment la « gouvernementalité algorithmique » (p. 86) qui doit être au centre des préoccupations.
Les mutations des pratiques
En ce qui concerne l’étude des pratiques sociales et symboliques, il est indispensable de distinguer l’analyse économique, les paramètres sur lesquels sont construites les données, l’assimilation de la pratique à « l’usage d’un outil technique » (p. 92), et les usages sociaux des techniques. La méthodologie proposée dans cet ouvrage place les pratiques au centre de la réflexion, les trois autres notions n’étant abordées que par le lien qu’elles entretiennent avec ces pratiques.
D’après les données disponibles, le développement des réseaux sociaux consacre Facebook et toutes les classes d’âge s’y retrouvent pour consulter des informations, puis pour communiquer et enfin pour commercer. Or, la classification des relations sur la base des réseaux sociaux « postule que les différenciations sociales constatées vont […] s’atténuer au fil du temps » (p. 99). Cela impliquerait que les comportements soient attachés aux outils. Pour B. Miège, cela traduit « une approche triviale » (p. 99).
La répartition des possibilités numériques est elle aussi contestée par la fracture numérique, présentée comme intrinsèquement liée à la « société mondiale de l’information » (p. 99). Toutefois, la réduction de cette fracture est illusoire (p. 99). « Ce ne sont pas les outils qui font les pratiques mais les déterminations sociales et culturelles » (p. 100), favorisant une multiplication des offres plutôt qu’un alignement des capacités. De plus, les TIC sont, par nature, inégalitaires. Enfin, la réduction de cette fracture présuppose que tous les individus ont un minimum de compétences communicationnelles. De plus, ces disparités numériques sont aussi abordées sous un angle biaisé car « l’illectronisme ne concerne pas seulement ceux qui ne sont pas connectés » (p. 101). Il faut analyser ce que des techniques, généralement pensées pour les jeunes et les classes supérieures, deviennent dans les mains des classes populaires.
Pour B. Miège, les pratiques actuelles ne peuvent être abordées qu’en incluant « les logiques d’action individuelles désormais plurielles [et] les rapports de domination à l’origine des inégalités sociales » (p. 104). Cela permet aux SIC de considérer deux tendances : l’individualisation des pratiques et l’interpénétration des sphères professionnelles et personnelles pour étudier l’articulation de la technique et du social.
Les GAFAM et les NATU dans le monde
Les industries numériques ont initié un mouvement mondialisé du capital sous diverses formes (investissement dans la recherche et développement, optimisation fiscale, etc.). Ces nouvelles pratiques soulèvent des enjeux majeurs en ce qui concerne le fonctionnement du marché. Les positions de monopole ou d’oligopole mondial des GAFAM et des NATU résultent de l’organisation économique du marché américain : le financement international par le NASDAQ et des politiques volontaristes. Prenant le contrepied de la rente que prônaient les théories économiques classiques, ces géants du numérique se sont imposés en développant des stratégies d’innovation continues en interne et en faisant converger les industries (du logiciel, du matériel informatique, etc.) en externe.
De plus, B. Miège rejette la théorie de N. Smyrnaios selon laquelle les GAFAM ont dénaturé le projet originel qu’était internet en se finançant massivement par la publicité car « elle repose sur une vision […] finaliste, comme si les constructions humaines […] étaient dans la dépendance directe et complète de leurs prémices » (p. 116). Il insiste sur l’inscription des GAFAM dans l’évolution d’une architecture de réseaux élaborée avec la création de l’Internet. Actuellement, deux formes d’oppositions et de critiques aux outils numériques se développent : les amendes et les impositions fiscales d’un côté et, de l’autre, la désinformation et la cyber-violence. Dans tous les cas, les pouvoirs publics ont un faible effet et il est peu probable que l’industrie du numérique joue le jeu de la protection individuelle.
On ne peut toutefois pas généraliser les analyses des sociétés occidentales à tous les pays du monde. Dans les pays émergents, la vidéo devient la forme de communication standard et la Russie se concentre sur les outils nationaux tandis que la Tunisie voit Facebook se répandre parmi toutes les couches de la société sans résistance. En Inde, par contre, la numérisation impose aux plateformes la diffusion de contenu locaux ainsi qu’une (auto)censure en ce qui concerne la pornographie, la religion et l’intérêt national. Mais, face à la conquête des marchés mondiaux par les GAFAM, B. Miège note que les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami) chinois se posent désormais en « alternative » et en « concurrents » (p. 123) et bénéficient d’un réservoir de consommateurs potentiels autant en interne qu’en Asie du sud. Si leur fonction n’est pas identique à celle des GAFAM, ils constituent, dit-il, « le seul vecteur des insatisfactions » (p. 123).
Analyse de l’ouvrage: l’interdisciplinarité, l’atout délaissé des SIC
B. Miège a conçu cet ouvrage comme un bilan des recherches sur la numérisation de la société, proposant à la fois des clés de lecture des différentes théories existantes et une méthodologie nouvelle. Ce bilan pose ainsi des bases pour étudier l’évolution de la numérisation de la société. L’auteur l’aborde sous l’angle de son domaine de prédilection, les industries culturelles et créatives, mais son propos porte sur la société, ce qui est bien plus large. Or, parfois, l’approche culturelle n’est pas représentative de l’évolution de la société. B. Miège a raison d’insister sur l’importance de nouvelles méthodologies dans l’analyse du numérique et l’impossibilité d’ « aborder cette question essentielle dans sa globalité » (p. 136) mais les SIC sont, par nature, interdisciplinaires. Cela constitue un atout de taille sur ce sujet, la transversalité permettrait de compenser l’impossibilité d’une approche globale par les SIC mais elle semble quelque peu délaissée par l’auteur. Pourtant, via les algorithmes, les pratiques numériques ont fait rentrer les mathématiques dans l’info-communication. Le développement du commerce numérique modifie les usages économiques, changeant juridiquement notre rapport à la propriété et notre conception de la liberté à l’échelle mondiale. Enfin, « quant à la Chine, il convient de la traiter à part, car elle devient un concurrent direct pour les big five » (p. 121) mais en mettant sur un même plan un Etat et des entreprises, le sujet bénéficierait d’une approche géopolitique.
Les algorithmes: une approche mathématique - informatique - SIC
Comme le rappelle B. Miège, les algorithmes ne servent plus à modéliser mais à influencer le réel. Si la modélisation est l’objet des mathématiques, ce sont bien les pratiques sociales qui lui assignent une utilisation finale. Il faut rappeler que les algorithmes comportent nécessairement des biais car ils sont une production intellectuelle, il faut ensuite y ajouter deux éléments : le résultat du calcul numérique est donné sur la base de paramètres non modifiables et inconnus pour l’utilisateur final, d’une part, et, d’autre part, la forme de la réponse est prédéterminée par la construction de l’algorithme. Malgré tout, la tendance est à l’utilisation des résultats fournis par les outils numériques en leur donnant une valeur de preuve. Cette confusion entre données (certes non brute) et informations est due à l’accumulation de biais, depuis la construction des programmes qui ne peuvent pas (et qui n’ont pas toujours vocation à) modéliser la réalité, jusque dans le détournement social des outils numériques. Pour comprendre et évaluer ces biais et leurs conséquences, les SIC pourraient articuler les différentes disciplines en jeu, en l’occurrence mathématique et informatique.
Le e-commerce: droit – économie - SIC
B. Miège aborde brièvement le thème de la propriété. Il considère la question de la propriété des données mais, d’un point de vue juridique, le développement du e-commerce modifie profondément le rapport de la société à la propriété des biens (culturels notamment, mais pas seulement). Les plateformes telles qu’iTunes proposent l’achat de films et de livres. S’il s’agit bien d’un achat, ce n’est pas pour autant un transfert de propriété. L’utilisateur qui achète l’un de ces produits n’obtient en réalité qu’une licence lui donnant accès au contenu numérique qui reste sur le serveur de l’entreprise. Lorsque celle-ci décide de mettre fin à cette plateforme (comme Microsoft l’a fait avec sa librairie électronique), la licence n’est plus valable ce qui rend le contenu inaccessible. En parallèle, le développement massif du streaming est synonyme d’abandon partiel de la propriété. Ce qui pourrait paraître anodin pourrait pourtant refléter un changement de paradigme dans le fonctionnement de la société et se répercuter sur la conception occidentale de la liberté qui reste fortement liée au concept de propriété.
La Chine: une approche géopolitique - SIC
Dans cet ouvrage, B. Miège mentionne la Chine comme étant un concurrent des GAFAM (p. 121) puis présente les BATX, les GAFAM chinois, comme des alternatives (p. 123). Deux points sont à noter ici : d’une part, il est tout à fait pertinent de faire de la Chine une concurrente des GAFAM au vu du contrôle qu’elle exerce sur ses entreprises et, d’autre part, considérer les BATX comme des alternatives aux GAFAM revient à rendre substituables deux systèmes de pensée opposés (le libéralisme et le confucianisme), tous deux actuellement poussés jusqu’à l’idéologie.
- Note de bas de page 1 :
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Mounk, Y. (2018). The Undemocratic Dilemma. Journal of Democracy, 29(2), 98‑112, p. 100
En ce qui concerne le premier point, le fait qu’un Etat, la Chine, contrôle des géants du numérique et concurrence des entreprises sur lesquelles les pouvoirs publics refusent la régulation, mais qui se trouvent toutes aux Etats-Unis, s’inscrit dans une dynamique internationale de domination. Les concepts occidentaux sont en pleine évolution vers ce que Y. Mounk nomme l’illibéralisme1. C’est désormais sur le terrain du numérique que l’affrontement Est-Ouest se déroule.
Ce combat idéologique oppose le libéralisme occidental au confucianisme chinois. Les deux philosophies sont désormais des idéologies mais, si elles tendent à se rapprocher, elles restent encore difficilement compatibles. Sur le fond, l’une prône la liberté individuelle quand l’autre fait primer le collectif sur l’individu, laissant peu de place à la vie privée. Dans les faits, la Chine semble ne pas hésiter à éliminer les oppositions et les différences, qu’il s’agisse de la domination sur Hong Kong comme du sort réservé aux Ouïgours. L’exemple de Huawei laisse aussi peu de doute quant à l’utilisation des données qui sont récoltées. De ce point de vue, il pourrait être dangereux de les considérer comme des alternatives aux GAFAM qui, certes, ont leurs déviances mais que nous pouvons contrecarrer sur les bases libérales que nous connaissons.