Éthique et numérique universitaire : discussions avec l’Amue Ethics and Higher EdTech: discussions with Amue

avec Bertrand MOCQUET ,
David RONGEAT 
et Simon LARGER 

Entretien réalisé par Jean-Claude DOMENGET

Texte intégral

Bonjour Bertrand, David et Simon, pouvez-vous vous présenter professionnellement ainsi que l’Amue pour laquelle vous travaillez ? Quels sont vos domaines d’expertise ?

B et D > Bonjour Camille et Jean-Claude, En priorité, nous tenons à vous remercier de l’honneur que vous nous faites à participer à ce numéro de la revue Interfaces numériques. Nous sommes tous les deux employés par l’Agence de Mutualisation des Universités et des Etablissements du Supérieur (Amue), au sein de la Direction dans le Pôle Stratégie et Transformation numérique (PSTN). Pour ceux qui ne connaissent pas l’Amue, nous sommes un groupement d’intérêt public créé il y a 32 ans (Mocquet et al., 2022). L’Amue propose à ses 181 membres (établissements d’enseignement supérieur et de recherche) une gamme complète de services informatiques, de formations, d'accords-cadres et d'expertise sectorielle (Ressources Humaines, Systèmes d’information, Patrimoine et Immobilier, Finances, Formation et Vie étudiante, Recherche,...). Ces services permettent aux adhérents, toutes les universités françaises, des instituts de recherche et des écoles publiques, de :

  • 1/contribuer à la conception de leurs systèmes d'information ;

  • 2/bénéficier d'une diversité de logiciels adaptés à leurs besoins variés ;

  • 3/soutenir les processus de changement en matière de pilotage et de gestion au sein de leurs établissements ;

  • 4/assurer la formation de leur personnel ; et

  • 5/participer à la construction de l'Espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu'à la coopération internationale dans ces domaines.

Nous concernant plus directement, nous avons des visions complémentaires (stratégie par l’usage et soutenabilité informatique) du numérique universitaire au sein du PSTN, complétées par celle de Valérie Le Strat, ancienne chef de projet Formation et Vie de l’Etudiant (FVE) et aujourd’hui urbaniste des systèmes d’information de l’Amue, et pour l’ESR au sein du collectif UrbaESR avec l’association professionnelle des informaticiens du Supérieur, le Comité des services informatiques de l'enseignement supérieur et de la recherche (CSIESR). Nous œuvrons pour nos adhérents, comme pour la Direction ou nos collègues de l’Agence.

S > Bonjour, pour ma part, je suis un professionnel expérimenté dans le domaine de la gestion et du pilotage des administrations publiques. Après une maîtrise de Droit public, je suis diplômé d'un DESS d’administration publique de l'université Paris Nanterre. Après un début de carrière dans l’ESR (chargé de mission "finances" à l’Amue, vacataire en droit constitutionnel et administratif à l’université de Nanterre), j’ai occupé plusieurs postes à responsabilité au sein d'institutions publiques variées : directeur financier de l'université d'Évry-Val-d’Essonne, Directeur Général des Services (DGS) à l'université de Versailles Saint-Quentin, chef du département de la stratégie patrimoniale au Ministère (direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle DGESIP) et directeur adjoint du pôle "transfert, recherche, enseignement supérieur et orientation" à la Région Ile de France). Depuis Mars 2023, je suis Directeur de l’Amue.

D > Je suis un informaticien, ayant été formé à l'Institut Universitaire de Technologie d'Orsay. Mon parcours professionnel m'a conduit à occuper divers postes dans le domaine du développement informatique, de l'expertise technologique et du pilotage de projets à l'échelle nationale, aux cadrages de projets numériques. Actuellement, je suis responsable du numérique à l'Amue, où je m'implique également dans la veille numérique prospective pour l'Enseignement Supérieur et la Recherche.

B > Ingénieur de formation (Polytech Clermont), mon expertise de praticien repose sur une carrière universitaire enseignante, ponctuée d’expériences à responsabilité dans les technologies numériques de ce contexte (Dessaux, 2021) : coordonnateur national au Ministère au sujet des certifications des compétences numériques, vice-président numérique d’une Université, coordonnateur d’une collection de MOOC pour FUN, toujours sur les mêmes certifications… Fort de ce parcours, j’ai soutenu une thèse au MICA à l’Université Bordeaux-Montaigne (Mocquet, 2017) et débuté une autre facette d’expertises fondées sur la recherche au sujet des dynamiques de transformations numériques dans le contexte universitaire. Je documente ce sujet dès lors en tant que chercheur associé au MICA avec une approche pluridisciplinaire (qualifié en Sciences de l’Information et la Communication ainsi qu’en Sciences de l’Éducation et de la Formation par la CNU). Cette documentation se fait dans une logique d’intelligibilité (Bachimont, 2020) du numérique universitaire (Mocquet, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 ; Mocquet et al., 2016 ; Mocquet et Rouissi, 2017). Aujourd’hui, cette double expertise accompagne mes missions au quotidien autant pour les 180 adhérents de l’Agence que pour l’Agence elle-même. Pour en témoigner, ma dernière publication concerne l’organisation du numérique universitaire pour laquelle je démontre qu’il prend toutes les caractéristiques d’un rhizome au sens de Deleuze et Guattari (Mocquet, 2024).

Qu’est-ce que La collection numérique de l’Amue ?

Note de bas de page 1 :

https://www.amue.fr/publications/la-collection-numerique

B, D et S > Pour accompagner les adhérents et nos collègues en interne nous avons une mission de veille prospective (Chalus-Sauvannet, 2015) des sujets du numérique universitaire, tant pour ne pas rater des nouveaux besoins, des nouvelles technologies, de nouveaux usages que pour documenter un numérique souhaité ou souhaitable dans l’ESR. La forme visible est La collection numérique1, dont le Directeur de publication est Simon Larger, le Directeur de l’Agence, un bimestriel à caractère de vulgarisation scientifique (Mocquet et Rongeat, 2021). C'est un dispositif info-communication bimestriel (Couzinet, 2009), fruit d'une veille prospective interne (Antoine, 1992) et d'une co-rédaction avec des membres de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche souhaitant promouvoir leurs nouveaux outils/usages numériques, ou exprimer leur point de vue ou leurs retours d'expérience sur le sujet abordé. Elle vise à initier des réflexions, à sensibiliser la gouvernance, à proposer une vision future de l'Enseignement Supérieur numérique ; un objectif visant à préparer les esprits aux développements futurs. L'un des objectifs est de mettre en lumière la dynamique de changement dans la technologie numérique universitaire, et de comprendre comment elle évolue. Nous nous efforçons de choisir des thèmes couvrant l'ensemble des problématiques numériques actuelles en France et à l'étranger.

Étant donné la complexité de l’objet observé, le numérique universitaire, nous avons développé une vision holistique et systémique, pour laquelle nous jouons de la dialogie (Morin, 1990) pour en focaliser les différents points de vue des acteurs. Notre objectif est de détecter, de partager des témoignages qui valorisent les pratiques existantes, de projeter les parties prenantes... mais aussi d'enrichir le point de vue de l'Amue sur ces sujets sociétaux, organisationnels, d'usage ou technologiques relatifs à l'université numérique. En résumé, nous devons ouvrir nos oreilles, anticiper, faire le point sur la situation et offrir aux lecteurs une réflexion sur le sujet ou le domaine, car les opinions peuvent différer au sein même de la collection.

La ligne éditoriale nous est apparue évidente dès le départ : elle repose sur des travaux de recherche existants qui nous permettent de traiter un thème d'un point de vue stratégique, technologique et sociétal à travers une approche systémique, du macro au micro. Plus globalement, le choix des thèmes, découlant de notre veille, nous permet de formuler nos propositions de participation auprès de collègues ou de relations. Nous ciblons également des parties prenantes extérieures à l'enseignement supérieur pour avoir la vue la plus complète possible sur le sujet et capitaliser sur des expériences ou des analyses en dehors de notre environnement. Nous nous efforçons de couvrir le sujet de manière exhaustive et sommes généralement très bien accueillis par les auteurs que nous sollicitons. La collection numérique est ouverte sous licence CCbySA.

En quoi les questions d’éthique et de numérique vous intéressent-elles ?

B, D et S > Dans le contexte universitaire, il est indéniable que le numérique joue un rôle de plus en plus prépondérant tant dans nos vies personnelles que professionnelles. Cette omniprésence du numérique dans la vie personnelle soulève des questions importantes en matière de vie privée, de sécurité des données, de santé mentale, d'identité en ligne et de dépendance aux écrans, qui sont autant de sujets de préoccupation éthique. Il s’agit ici autant des usages de nos étudiants que de nos membres.

Sur le plan professionnel, les universités et les établissements d'enseignement supérieur ont été profondément modifiés par le numérique. Dans la gestion des établissements, le domaine de prédilection de l’Amue, les technologies numériques contribuent à un meilleur fonctionnement par l’apport de nos solutions co-construites avec les usagers, et répondant ainsi à leur besoin métier.

Cette omniprésence du numérique dans nos vies personnelles et professionnelles soulève toute une série de questions éthiques auxquelles le monde universitaire ne peut rester indifférent.

Il était nécessaire de réfléchir de manière critique aux implications éthiques de l'utilisation croissante des technologies numériques dans l'enseignement, la recherche, la documentation et la gestion des établissements d'enseignement supérieur. Cela inclut des questions telles que l'équité d'accès aux ressources numériques, la protection des données des étudiants et des chercheurs, la sécurité des systèmes d'information, l'impact environnemental des technologies numériques, ou encore les défis posés par l'automatisation et l'intelligence artificielle dans le domaine de l'éducation et de la recherche.

En décembre 2022, vous avez publié un numéro de La collection numérique consacré à « Ethique, droits et devoirs dans le numérique universitaire » (Athanase et al., 2022), pouvez-vous nous expliquer les objectifs de ce projet ?

B, D et S > Dans le contexte universitaire, il est essentiel de dissocier les concepts d'éthique, de droit et de devoir lorsqu'il s'agit d'aborder les enjeux liés au numérique. Tout d'abord, l'éthique englobe les principes moraux et les valeurs qui guident les comportements et les décisions individuelles et collectives. Dans le domaine numérique, cela implique de considérer les implications sociales, morales et humaines de nos actions et de nos choix technologiques. Par exemple, les questions d'équité, de respect de la vie privée, de transparence et de responsabilité sont des préoccupations éthiques majeures dans le développement et l'utilisation des technologies numériques dans l'enseignement supérieur et la recherche.

En parallèle, le droit offre un cadre juridique qui régit les activités et les relations dans le contexte numérique. Il définit les droits et les obligations des individus et des institutions, ainsi que les sanctions en cas de non-respect des règles établies. Dans le domaine universitaire, cela inclut des lois et des réglementations spécifiques relatives à la protection des données, à la propriété intellectuelle, à l'accès équitable à l'information, au respect de la vie privée, entre autres. Respecter le cadre juridique en vigueur est donc une responsabilité importante pour les acteurs universitaires lorsqu'ils utilisent des technologies numériques.

Enfin, les devoirs représentent les obligations morales et professionnelles que les individus et les institutions ont envers la société et leurs pairs. Dans le contexte universitaire, cela implique de veiller à ce que les décisions et les actions liées au numérique soient alignées avec les valeurs éthiques et les principes du droit, tout en contribuant au bien-être et à l'avancement de la communauté universitaire et de la société dans son ensemble.

Ainsi, en dissociant et en intégrant ces trois dimensions - éthique, droit et devoir - dans la réflexion et la pratique universitaires liées au numérique, nous souhaitions mieux appréhender les défis et les opportunités que présentent les technologies numériques dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Toujours dans un objectif de nous permettre de prendre des décisions éclairées et responsables pour façonner des espaces numériques plus éthiques et inclusifs.

Et pouvez-vous présenter ces principaux résultats ?

Note de bas de page 2 :

https://www.amue.fr/fileadmin/amue/systeme-information/documents-publications/la-collection-numerique/amue-collection-numerique_24.pdf

Note de bas de page 3 :

https://www.ccne-ethique.fr/fr/cnpen

B, D et S > Le N° 24 paru en Décembre 2022 intitulé “Ethique, droits et devoirs dans le numérique universitaire”2 est composé de 21 articles écrits par des associations professionnelles (4), des professionnels de l’éthique dans l’ESR (4) ou hors ESR (2) , des universitaires (5) et des chercheurs (6) et d’un édito de Claude Kirchner, alors Directeur du Comité national pilote d'éthique du numérique3.

Figure  : Première de Couverture du N° 24 de la Collection numérique

Figure  : Première de Couverture du N° 24 de la Collection numérique

L’ensemble des articles a été écrit entre Octobre et Décembre 2022 dont les intitulés et les auteurs sont disponibles en annexe. Comme tous les numéros, il est chapitré en cinq parties sur la thématique traitée : Enjeux et stratégie (5), Vue d’ensemble (2), Témoignage (9) Recherche (4), International (1). De par sa ligne éditoriale, il regroupe des points de vue différents selon la position de l’auteur. Ce numéro rappelle et illustre la réglementation en vigueur de nos activités numériques, précise comment mettre en œuvre une réflexion éthique sur nos pratiques et propose ainsi un panorama de témoignages et de ressources pour aller plus loin. S’adressant aux non spécialistes du Droit, ce numéro rappelle des éléments réglementaires sur le droit associé aux activités numériques des établissements, de ses usagers comme ses membres : RGPD (p.5, p. 10-11, p. 12-13, p. 36-37) , Loi pour une République numérique (p.6-7, p. 14-15), Propriété intellectuelle (p.20-21, p. 22-23, p. 26-27), la fraude (p.24-25), la réglementation concernant l’archivage (p.28-29) et le droit à la déconnexion (p.30.32).

Concernant l’éthique, traitée isolement, sujet de ce numéro d’Interfaces numériques, cette thématique est abordée dans les articles suivants :

Article

Auteur

Pages

Ethique et numérique, points de compatibilité

Bureau de SupDPO

p.5

Ethique et systèmes d'Intelligence Artificielle, sommes-nous tous concernés ?

Bernard Fallery, professeur émérite MRM Montpellier

p.8-9

Algorithmes et Intelligences artificielles, comprendre et expliquer

David Rongeat, Pôle Stratégie et Transformation Numérique, Amue

p. 14-15

Questionner l’éthique du numérique ?

Jean-Claude Domenget, maître de conférences HDR en SIC, Université de Franche-Comté, laboratoire ELLIADD, et Carsten Wilhelm, maître de conférences en SIC, Université de Haute-Alsace, laboratoire CRESAT

p.38-39

L’éthique de l’intelligence artificielle vue par un philosophe

Martin Gibert, chercheur en éthique de l’IA, université de Montréal

p.40-41

La Déclaration de Montréal

Catherine Régis, professeure titulaire, Faculté de droit, Conseillère spéciale et Vice-rectrice associée à la planification stratégique et à l'innovation numérique responsable (Université de Montréal), Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé, Membre académique associée (Mila) et Antoine Congost, chargé de projet – gouvernance de l’IA

p.46-47

Nous retenons de ces articles, que pour l’association SUP DPO, “le RGPD contribue à une approche éthique du traitement des informations par un responsable de traitement”.

Pour Bernard Fallery, il existe un risque éthique augmenté depuis la facilitation à manier des données de manière dématérialisée. S’il reconnait les grands principes énoncés par Latour ou Morin « on ne trouvera pas chez eux de recettes pour l'université, mais les conditions pour «  travailler à bien penser  » ». Pour lui, l’Université doit jouer son rôle « dans la perspective des communs numériques, mise en avant par Elinor Ostrom » (Ostrom, 1990).

Pour David Rongeat, la difficile, voire l’impossible explicabilité des décisions prises à partir d’Intelligences Artificielles pose un véritable frein à l’usage de ces technologies pour appuyer des décisions qui vont impacter la vie des citoyens : impossible d’appuyer, seule, une décision à partir d’une IA qui par nature est très largement statistique sur la base des données.

Pour Jean-Claude Domenget et Carsten Wilhem, « l’éthique du numérique gagne plus globalement à être analysée sous le prisme info-communicationnel », et repose sur « un questionnement qui s’exerce en référence à un système de valeurs, telles que la justice sociale, la responsabilité, etc ». La réflexion éthique doit être située (Zacklad et Rouvroy, 2022). Ils proposent un numéro de la revue de la Sciences de l’Information et de la communication pour questionner l’éthique depuis leur discipline.

Dans ce double dossier d’Interfaces numériques consacré à « éthique et numérique au XXIème siècle » nous proposons un regard interdisciplinaire autour d’approches compréhensives, normatives et critiques, quelles dimensions vous semblent être les plus importantes aujourd’hui dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche ?

B, D et S > Cette question soulève des aspects fondamentaux à la fois sur le fonctionnement interne des universités et sur leur rôle social dans la société contemporaine.

Du côté du fonctionnement interne des universités, plusieurs dimensions éthiques et numériques se révèlent cruciales. Tout d'abord, la gestion responsable des données et des informations est essentielle. Les universités doivent garantir la confidentialité et la sécurité des données des étudiants, des chercheurs et du personnel, en respectant les réglementations en matière de protection des données. Cela inclut également une réflexion sur l'utilisation éthique des données dans la recherche, mais aussi dans la formation et vie de l’étudiant, en veillant à éviter les biais et les abus potentiels.

Ensuite, la question de l'équité et de l'inclusion dans l'accès aux technologies numériques est primordiale. Les universités doivent s'assurer que tous les étudiants et membres du personnel ont un accès égal aux ressources et aux outils numériques nécessaires à leur réussite académique et professionnelle future. Cela implique de prendre en compte les besoins spécifiques des populations marginalisées ou sous-représentées et de veiller à ce que la technologie ne soit pas un facteur aggravant les inégalités existantes. Un effort doit être apporté à l’accessibilité de toutes les services numériques offerts à cette communauté, notamment pour les plus âgés ou les plus pauvres de ses membres. Dans ce sens, on a vu pendant le COVID-19 des universités et des collectivités territoriales donner ou prêter du matériel informatique aux étudiants boursiers pour l’accès aux ressources numériques, voire leur remettre directement des chèques numériques pour s’auto-équiper. Enfin, il convient de souligner que le numérique peut aussi être, en lui-même, un facteur d’inclusion, ouvrir vers de nouveaux publics, éloignés des lieux de formations supérieures comme dans les campus connectés où nous avons démontré qu’ils liaient les acteurs entre eux (Mocquet et al., 2024).

Par ailleurs, la gouvernance et la responsabilité dans l'utilisation des technologies numériques sont des enjeux majeurs, et doivent aujourd’hui impacter les schémas directeurs du numérique. Les établissements devraient établir des politiques claires et transparentes concernant l'utilisation des technologies, en définissant les droits et les responsabilités de chacun : Transparence, vote en conseil, clarification de ce qui va être utilisé comme données... Cela comprend également une réflexion sur l'impact éthique et social des décisions technologiques, en tenant compte des valeurs et des principes éthiques de l'institution.

En ce qui concerne le rôle sociétal de l'université, les dimensions éthiques et numériques revêtent également une grande importance. Tout d'abord, les universités ont un rôle crucial à jouer dans la promotion de la littératie numérique et de la pensée critique face aux technologies. Surtout avec l’émergence puis l’influence grandissante des réseaux sociaux et des campagnes de désinformation géopolitiques dont ils sont devenus les supports numériques, ces universités et écoles supérieures doivent former les étudiants à comprendre et à analyser de manière critique les enjeux éthiques et sociaux liés au numérique, afin qu'ils puissent devenir des citoyens éclairés et responsables dans une société de plus en plus numérisée. Le numérique fournit là-aussi de nouvelles technologies favorisant l’accès à une connaissance scientifique avérées. La diffusion des savoirs sur la culture scientifique et technique peut s’ouvrir à tous par des MOOC, des bases de données ouvertes en ligne qu’il faudrait rendre plus lisibles et visibles.

De plus, les universités ont la responsabilité de mener une recherche éthique et socialement responsable dans le domaine numérique. Cela implique de s'engager dans des projets de recherche qui bénéficient à la société dans son ensemble, tout en respectant les principes éthiques fondamentaux tels que l'intégrité scientifique, le respect des droits humains et la promotion du bien commun. La dimension la plus singulière de cette question de l’éthique dans la recherche tient dans le fait que le chercheur ou l’enseignant chercheur qui fait une découverte ne sait évidemment pas encore tous les usages qui en seront faits. C’est la raison pour laquelle, dans ce domaine, on insiste généralement sur les formes (question des conflits d’intérêts ou d’échanges de services localement, question du plagiat, de l’auto-citation à l’excès, de l’appropriation du travail ou des idées des autres), mais aussi sur les procédés (question du bien-être animal, question des rejets nucléaire, biologique, ou chimique dans l’environnement…), beaucoup moins sur les résultats de la recherche elle-même. Pour le dire autrement, on ne peut pas condamner celui qui a conçu et fabriqué un couteau, au motif qu’un autre s’en est servi pour tuer ou blesser.

Ainsi, l’une des règles de forme de la recherche scientifique est aujourd’hui au cœur des débats dans le lien entre la recherche, l’éthique et le numérique, c’est celle du plagiat et, au fond, des droits d’auteurs.

Enfin, les universités peuvent jouer un rôle de leadership dans le débat public sur les enjeux éthiques et sociaux du numérique. Elles peuvent contribuer à éclairer les politiques publiques et à sensibiliser les décideurs autant que le grand public aux questions éthiques et sociales posées par les technologies numériques, en tant qu'acteurs autonomes, influents et crédibles dans le domaine de la recherche et de l'éducation.

Note de bas de page 4 :

https://www.amue.fr/publications/les-fiches-zooms

Note de bas de page 5 :

https://www.amue.fr/offre-de-solutions-et-services/solutions-et-services/agenda-des-evenements/details/cafe-managers-mobiliser-autour-du-developpement-durable-et-de-la-responsabilite-societale-et-environnementale-15232

En tant qu’organisation de mutualisation, l’Agence dans laquelle nous œuvrons peut également participer à une meilleure éthique située au sujet de l’efficience de leur gestion ou dans la mutualisation des pratiques communes en termes d’impact sociétal. Sur le premier point, nous diffusons des fiches métiers4 pour diffuser des bonnes pratiques professionnelles, bonnes pratiques issues des communautés métiers. Sur le second point, nous contribuons à l’animation d’une communauté « Café Managers »5 sur l’impact sociétal et environnemental des universités. Nous souhaitons pouvoir les accompagner dans l’élaboration de leurs schéma Directeur « Développement Durable – Responsabilité Sociétale et Environnementale » (SD DD&RSE) par le partage des meilleures pratiques, dans l’automatisation de leurs bilans des émissions des gaz à effets de serre (BEGES) aussi appelé bilan carbone®, par des outils numériques communs, simples et efficaces, reliés à leurs solutions décisionnelles. Encore une fois, cela illustre le fait que le numérique présente autant de risques que d’opportunités, lorsqu’on l’étudie sous l’angle éthique et social.

Est-ce qu’il y a également pour vous de nouveaux objets, tels que l’IA, qui doivent être questionnés comme nous proposons de le faire dans cette partie 2 du dossier sous l’angle des sciences de l’information et de la communication ?

B, D et S > Fin 2023, nous avons publié un numéro de La collection numérique intitulé « IA et Enseignement Supérieur : quels enjeux et impacts ? » (Larger et al., 2023). Le sujet de l’impact sociétal, des incidences sur nos pratiques a bien évidemment été abordé, englobant la thématique de l’éthique autour de cette transformation majeure que va impliquer la généralisation des intelligences artificielles dans nos vies personnelles et nos pratiques professionnelles. A notre avis, l’IA est le sujet crucial autour de l’éthique en lien avec le numérique.

Note de bas de page 6 :

https://ecoinfo.cnrs.fr/

Dans cet opus nous retrouvons (p. 14-15 par Bertrand Mocquet et p. 16-17 par Pierre Cartier) des présentations générales des différents IA pour mieux comprendre l’objet observé. Le thème éthique de la régulation de l’IA est porté par l’article (p. 12-13) de Michel Robert (CINES) et Jean Sallantin (LIRMM - Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier). Les fractures sociales et inégalités engendrées par l’IA (p. 20-21) sont présentées par nos collègues (Bernard Fallery, Florence Rodhain et Saloua Zgoulli) du Laboratoire MRM. Ces impacts sociaux et toutes les réserves liées à l’usage des IA sont complétés dans un article (p. 22-23) rédigés par deux membres (Didier Mallarino et Denis Trystram) d’ EcoInfo6. La question majeure de l’impact environnemental de la construction et de l’utilisation des IA est également documentée (p. 42-43) par des membres (Julien Lefèvre, Aurélie Bugeau, Jacques Combaz, Laurent Lefèvre, Anne-Laure Ligozat et Denis Trystram) d’EcoInfo, soulevant le sujet éthique de la destruction de l’environnement par l’usage des IA.

Note de bas de page 7 :

https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique

Nous recommandons aussi la lecture de l’article (p. 44-45) de Raja Chatila intitulé « Éthique et Réglementation dans l’Intelligence Artificielle » qui met notamment en avant la publication de l’avis N° 7 du Comité Consultatif National d'Ethique7 en septembre 2023.

L’IA pose également la question de l’explicabilité des algorithmes, obligation légale mais également sujet éthique, qui sont ou seront mis en œuvre pour prendre des décisions par les administrations concernant nos concitoyens.

Mais au-delà des risques que présentent les IA - comme presque toutes les innovations de rupture, du reste - il ne faudrait pas omettre de signaler les opportunités que ces technologies offrent, par exemple dans la démocratisation de l’aide aux devoirs (facteur d’inégalité majeur, dans l’accès à la connaissance) ou dans le conseil en orientation (là aussi, domaine dans lequel il y a de fortes inégalités sociales, la France étant remarquée dans Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) comme l’un des systèmes éducatifs qui reproduit le plus les inégalités économiques), évoqués par Sophie Pène (p. 3).

Pour essayer d’aborder scientifiquement ces questions complexes, on peut commencer par établir un contrefactuel clair à l’absence d’utilisation de l’IA puis le comparer aux impacts de l’IA sous l’angle socio-économique. Si demain, une IA générative était alimentée de manière dynamique, d’une part, par les données sur les parcours de formation, du scolaire au supérieur concernant les identifications nationales des étudiants (numéro INES ou INE ou BEA est attribué à tous les candidats ayant obtenu le baccalauréat français après 1995 ou ayant déjà été inscrit dans une université française), voire continue, et de l’autre, par les données sur les parcours d’emplois (identification par numéro de sécurité sociale ou NIR), ferait-il un moins bon conseiller que notre appareil complexe d’information et conseil en orientation (compétence légalement partagée à trois, Etat, Régions et établissements, au travers de l’Office national d'information sur les enseignements et les professions-ONISEP-, des Régions, des Centres d’Information et d’Orientations-CIO-, des Centres d'Animation, de Recherche et d'Information sur la Formation - Observatoires Régionaux de l'Emploi et de la Formation- CARIF-OREF-, des missions locales, des établissement public local d'enseignement -EPLE-) et des professeurs principaux/psyEN/conseillers d’orientation, des Service commun universitaire d'information et d'orientation et d'insertion professionnelle -SCUIO IP- des établissements du Supérieur,…) ?

Si l’on en juge par ses résultats, soulignés ci-dessus pour PISA, notre appareil actuel conduit à une reproduction des inégalités, du moins ne parvient pas à réduire le niveau des inégalités de chances dans notre pays, malgré un coût public relativement important. Serait-il éthiquement condamnable de fournir aux jeunes, au moment de leurs choix les plus importants d’orientation, des chiffres solides établissant leurs probabilités de succès, au vu de leurs parcours et de leur localisation ? Sauf si le système se voulait prescriptif, mais tant qu’il s’agit de conseil et que l’information est contextualisée dans un contexte humain, il pourrait selon nous produire plus de justice sociale en aidant à ce que le système d’orientation soit un peu plus juste pour tous les jeunes.

Et pour finir…

B, D et S > En guise de conclusion de cet entretien, pour l’Amue il est évident que l'éthique est indissociable de toute évolution numérique des pratiques professionnelles des membres de notre communauté. Nous maintenons donc une veille constante sur ce sujet, conscients de son importance cruciale pour nos adhérents comme pour nous-même, dans notre mission de soutien aux universités et établissements d'enseignement supérieur. Et au-delà de cette veille, nous agissons concrètement pour renforcer les démarches de probité à l’interne (mise en place de registre de déclaration d’intérêts, de déports ou de cumul d’activité en 2023) mais aussi l’éthique des solutions ou services que nous proposons (par exemple, optimisation des consommations énergétiques par l’exploitation en mode Service, mise en conformité Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité -RGAA- de notre offre, avec un soutien sollicité en 2024 auprès du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique -FIPHFP-, pour mieux inclure les personnels en situation de handicap).

Par ailleurs, nous appelons nos collègues en université à témoigner et à partager leurs réflexions et expériences sur ces questions éthiques dans le cadre de notre prochain numéro de la collection numérique, possiblement en 2025 ou 2026. Car c'est ensemble, en partageant nos connaissances et en échangeant nos points de vue, que nous pourrons continuer à progresser vers un avenir numérique plus éthique et responsable au sein de nos institutions académiques.