Histoire du transmédia. Genèse du récit audiovisuel éclaté résulte de la journée d’étude proposée par le laboratoire Astram (université Aix-Marseille) au mois de mai 2013 et regroupe l’ensemble des interventions.
Cet ouvrage s’articule autour de la volonté des auteurs de définir à la fois la notion de « transmédia » et de développer celle-ci dans une histoire, moins récente qu’elle n’y paraît.
Sébastien Denis introduit cet ouvrage en rappelant que le terme « transmédia » est souvent confondu avec celui de « crossmédia », et cela y compris par de grands producteurs d’objets transmédiatiques, tels qu’Arte. L’auteur précise que le transmédia est un ensemble narratif cohérent, composé d’unités toutes différentes et que le crossmédia est une même trame fictionnelle ou documentaire, développée sur différents supports de diffusion prenant en compte le spectateur de manière active. Malgré ces précisions, l’auteur rajoute que le développement de l’entertainment au cours du dernier siècle (et notamment les franchises cinématographiques) a favorisé le brouillage des terminologies. « Ce qui n’est a priori que de la franchise et du crossmédia peut aussi être du transmédia du fait de la continuation sous d’autres formes de la fiction dans laquelle textes et paratextes se complètent ».
Ce flou terminologique est également souligné par Claire Chatelet et Marida Da Costa qui rappellent les travaux des deux auteurs ayant théorisé la notion de transmédia :
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Marsha Kinder considère que la télévision et les jeux vidéo façonnent « une forme double de sujet spectatoriel ». Le récepteur, autant passif qu’actif, s’identifie aux dispositifs (et à ses personnages).
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Henry Jenkins a développé la notion de « transmédia storytelling », en tant que dissémination de contenus à travers de multiples plateformes et médias, supposant de ce fait que chaque média apporte un contenu unique et que cette scénarisation plurielle ait été conçu en amont.
Partant de cette base de réflexion, les deux auteures proposent quant à elles d’analyser le transmédia non plus à partir des contenus mais à partir des modèles et stratégies de production. Par ces regards croisés, nous comprenons la difficulté de définir le transmédia et les nombreuses portes d’entrées analytiques possibles pour le comprendre.
Si la notion de transmédia apparaît comme encore mouvante et réajustable, elle n’est pas si récente que cela, ni même innovante, ainsi que le soulignent Jacques Sapiega. Lucie Mérijeau et Sébastien Roffat reviennent d’ailleurs sur les prémices du transmédia. La première rappelle la saga Little Nemo in Slumberland, un comic-trip de Windsor Mc Cay parue au début du 20e siècle dans deux journaux new yorkais. Les lecteurs ont suivi pendant près d’une dizaine d‘années les aventures de Nemo, calquées sur la temporalité quotidienne : Noël, commémoration, etc. Le temps sériel créait ainsi des attentes fortes de la part du lectorat et lui permettait également de saisir le récit en cours de route. Outre la longue sérialité de Little Nemo, Lucie Mérijeau relate que ces aventures ont aussi été déclinées avec un court métrage, un spectacle (les aventures dessinées coïncidaient avec celles présentées sur scène), une comédie musicale et même des produits dérivés. Cet exemple illustre bien la connexion des médias en réseau sous forme de déclinaisons d’univers et par la publicité.
Un autre phénomène est également rapporté : celui des studios Disney, lors de la sortie de Blanche Neige et les sept nains (1937). Outre l’importante campagne publicitaire radio dont le film a bénéficié avant sa sortie, Blanche Neige avait aussi été décliné sous forme de bande dessinée depuis 1934. Ainsi, au moment de la sortie, les spectateurs étaient déjà familiers de cet univers. Ce qu’il y a de notable avec ce gros succès Disney, c’est la manière dont la promotion a été envisagée : les personnages ont été sortis du film, au sens propre. En effet, les nains ont été interviewés à la radio, certains des héros ont accueilli les spectateurs lors des séances ; d’autres encore ont discuté avec Mickey et Donald à la radio ; un spectacle de music-hall a été créé. Disney a ainsi été le premier à exploiter toutes les technologies à sa disposition pour créer un univers cohérent : nous sommes ici en présence de ce que nous pourrons qualifier de « proto-transmédia ».
Nous comprenons ainsi que si le terme « transmédia » est récent, sa pratique, elle, ne l’est pas. Mélanie Bourdaa souligne d’ailleurs que le transmédia storytelling est une pratique à la fois ancienne et courante à Hollywood. Elle convoque pour cela la mise en action des fans, notamment dans le cas des franchises : les fans participent de la narration augmentée, en débattant sur Internet, en créant des fan fictions, par le bouche à oreille, etc. L’auteur rappelle également que les films hollywoodiens bénéficient d’une forte promotion avec, au minimum, le développement d’un site Interactif. La publicité, la promotion participent d’une dynamique transmédiatique.
Tous ces exemples mettent ainsi en évidence que l’interactivité et la déclinaison d’un même univers sur plusieurs supports ne sont pas des innovations et ont été développées depuis déjà une centaine d’années, sans porter l’appellation de « transmédia ». Trois chapitres d’Histoire du transmédia. Genèse du récit audiovisuel éclaté sont consacrés aux formes transmédiatiques récemment apparues (première décennie du 21e siècle) et développées sur Internet. Fabienne Bonino s’intéresse au webdocumentaire. L’auteur souligne que, sur le web, le contenu doit être stimulant et rapide : cela crée une opposition de fait avec le documentaire qui implique une temporalité étendue. Avec le webdocumentaire, l’approche du réel convoque le mode participatif, délinéarise le documentaire, le mettant en scène par des recours à des procédés repris à la fiction. Fabienne Bonino recense ainsi trois types de narration, soulignant que l’internaute devient à la fois acteur et producteur de son univers audiovisuel :
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La narration incarnée : l’internaute, plongé dans un univers « dont vous êtes le héros », mène l’enquête.
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La narration spatio-temporelle : le temps des interviews peut différer du temps réel mais une time-line permet de se rendre compte de la temporalité.
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La narration métaphorique : l’internaute clique sur des objets et accède à une visite guidée ou thématique.
Outre Internet, ce qui caractérise le transmédia tel qu’il est compris aujourd’hui, c’est son rapport aux jeux vidéo. En effet, Stéphane Natkin rappelle que l’histoire du jeu vidéo est marquée par l’apparition de nouvelles technologies qui ont toutes permis de créer de nouveaux contenus et modifié les techniques de production, ainsi que l’économie du secteur. L’auteur évoque les Jeux en Réalité Alternée (ou ARG), précisant que, de cette manière, le jeu devient sans limite spatiale ni temporelle. L’univers du jeu rejoint celui de la réalité puisque le jeu se poursuit dans la vie réelle et utilise tous les médias : SMS, téléphone, radio, réseaux sociaux, télévision, presse écrite…
Bruno Cailler et CML reviennent d’ailleurs sur In Memoriam, l’ARG développé par Eric Viennot vendu à plus de 500 000 exemplaires. À travers cet exemple, ils établissent des typologies économiques et narratives du transmédia, ainsi qu’une cartographie des publics. Ils concluent que les ARG sont à la charnière de l’évolution du transmédia et qu’ils participent de la naissance des modèles économiques et techniques. Ils soulignent également que la structure narrative des ARG reste somme toute limitée par l’architecte, restreignant de ce fait l’influence du joueur sur le récit.
Histoire du transmédia. Genèse du récit audiovisuel éclaté remet en perspective, l’économie et les enjeux du transmédia et amène le lecteur ainsi que le spectateur à s’interroger sur ses pratiques tant numériques que médiatiques et ludiques.