Introduction des journées d’études de Liège - 29-30 avril 2004
Les journées liégeoises ouvrent un second volet de réflexions sur l’hétérogénéité du visuel, consacré cette année aux syncrétismes. Dans l’extension la plus large, on entend par syncrétisme toute combinaison, au sein d’un ensemble relativement homogène, de grandeurs appartenant à au moins deux ordres distincts. Préciser la notion de syncrétisme et circonscrire son champ d’application revient d’abord à déterminer ce que peuvent être ces “ ordres ”. Dans le dictionnaire de Greimas et Courtés, deux acceptions sont distinguées de ce fait. Dans une première acception (dérivée de Hjelmslev), la détermination des ordres est purement analytique, de sorte que toute grandeur ayant plusieurs fonctions sémiotiques (par exemple Ève représente les fonctions “ sujet ” et “ destinateur ” dans Ève donne une pomme à Adam) est le produit d’un syncrétisme. Selon une seconde acception, les ordres indiquent des sémiotiques différentes tant dans leurs formes que dans leurs substances, tels l’opéra ou le cinéma, où les sons se mêlent aux images et aux actions jusqu’au Gesammtkunstwerk wagnérien ; dans ce cas, les ordres relèvent, préalablement à l’analyse, d’une distinction sensorielle. Partagée entre ces deux acceptions, la notion de syncrétisme fait le grand écart. Il y aurait toutefois à considérer également, à l’entre-deux de ces acceptions, des syncrétismes énonciatifs au sein d’un même ordre sensoriel.
Quand des systèmes sémiotiques spécifiques (comme le scriptural et l’iconique) se manifestent dans une même substance ou sur un support matériel unique, leurs productions sont relativement séparées. Texte et image peuvent co-habiter dans un livre, ils n’en occupent pas moins des plages réservées. Mais il arrive aussi que, dans le livre ou sur la toile, mots et images soient plus intimement liés et que l’unité immédiate de leur appréhension soit faite de cette relation. Ainsi Michel Butor relevait-il, dans Les mots dans la peinture, la présence de mots, d’écrits, de légendes, au sein même des tableaux, et ceci depuis la peinture médiévale. L’hybridité des affiches publicitaires et électorales ne serait alors qu’une manière de renouer avec des recettes de l’art ancien car, tout en faisant circuler le langage soit autour, soit à l’intérieur du dispositif de représentation, elles se prêtent à un parcours de lecture unique. Et la bande dessinée, comme discours syncrétique constitué en genre à part entière en Occident, recourt également à un procédé ancien : on peut faire remonter le phylactère au rouleau manuscrit qui se déroulait devant les lèvres de Gabriel dans les premières Annonciations. Entre diachronie et synchronie, entre superposition et juxtaposition des systèmes, se déterminent ainsi l’extensibilité des syncrétismes énonciatifs et, de manière sous-jacente, l’hétérogénéité des discours visuels.
N’y a-t-il pas moyen, cependant, de pousser plus avant le point d’indiscernabilité entre texte et image ? Les artistes du XXe siècle ont marqué leur intérêt pour les écritures idiosyncratiques et les pseudo-écritures. Dans les œuvres de Michaux, de Miró, de Réquichot ou de Twombly, est-ce encore sous la forme du syncrétisme que s’affrontent les ordres de l’écriture et de l’image ? Sans vouloir discuter dans le cadre de la présente rencontre les écritures comme images (tels les calligrammes et les graffitis), il nous paraît néanmoins nécessaire de poser la question de la spécificité sémiotique des écritures et des images jusque dans la perte de leur référentiel respectif — le verbal et le figuratif. Comment relever les syncrétismes dans l’abstraction, dans l’art conceptuel, dans l’art brut, dans le pop art ? Nos journées liégeoises se posent comme objectif d’interroger l’inclusion de l’écriture dans l’image plutôt que leur juxtaposition, inaugurant peut-être par là même une nouvelle approche de la notion de syncrétisme.