La répétition dans les manuels épistolaires de l’âge classique : l’exemple de la « lettre de demande » Repetition in the Epistolary Manuals of the Classical Age : the Example of the “Letter of Request”
Parmi les genres de l’Ancien Régime, le « secrétaire » (ou manuel épistolaire) est l’un de ceux où les phénomènes de répétition sont les plus manifestes. Le manuel fait en effet alterner consignes prescriptives et florilèges, et édicte des règles parfois proches d’une lettre à l’autre (et même, d’une section à l’autre). Ainsi se mettent en place des routines d’écriture. Fondée sur la théorie des actes de langage, notre étude s’emploiera à montrer comment les postures énonciatives de l’émetteur, et son projet pragmatique, conditionnent des « blocs » d’actes illocutoires ‑ appelés co‑illocutions (Anquetil, 2012, 2013, 2017) ‑ et quels en sont les marqueurs linguistiques (sur le plan énonciatif, sémantique, lexical ou encore syntaxique). En nous appuyant sur un corpus de manuels qui s’échelonne sur toute la période de l’âge classique ‑ du Secrétaire de la Cour de J. Puget de la Serre (1625) à La Rhétorique de l’honnête homme, ou la manière de bien écrire des lettres de P. Colomiès (1699) ‑ nous montrerons comment les marqueurs employés révèlent le type d’interaction qui s’établit entre l’émetteur et le destinataire ainsi que les enjeux sociétaux qui en découlent. Il s’agira aussi, à travers l’étude des marqueurs, de mettre au jour les stratégies employées, et sans doute institutionnalisées ici, permettant de faire admettre la nécessité d’une transformation du monde existant, par le biais de principes de légitimation. Enfin, notre étude aura pour finalité de repérer les récurrences structurelles, d’identifier les routines d’écriture qui se dégagent des manuels – que ce soit au sein d’un même ouvrage (en confrontant préceptes et mises en application) ou d’un ouvrage à l’autre.
Epistolary manuals are one of the genres of the Ancien Régime in which the phenomena of repetition are the most obvious. The manuals alternate between prescriptive instructions and anthology, and lay down rules that are sometimes similar from one letter to another (and even from one section to another). Thus, writing routines are established. Based on the theory of language acts, our study attempts to show how the sender’s enunciative postures and pragmatic project condition “blocks” of illocutionary acts ‑ called co‑illocutions (Anquetil, 2012, 2013, 2017) ‑ and what the linguistic markers are (enunciative, semantic, lexical or syntactic). Drawing on a corpus of epistolary manuals spanning the entire period of the classical age ‑ from J. Puget de la Serre’s Secrétaire de la Cour (1625) to P. Colomiès’ La Rhétorique de l’honnête homme (1699) or La manière de bien écrire des lettres (1699) – we show how the markers used unveil the type of interaction that takes place between the sender and the recipient, as well as the societal stakes involved. Through the study of the markers, we also seek to uncover the strategies employed, and no doubt institutionalized here, to make people recognize the need for a transformation of the existing world, through principles of legitimization. Finally, the aim of our study is to identify structural recurrences and writing routines that emerge from the manuals – whether within one same work (by comparing precepts and applications) or from one work to another.
Introduction
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Le secrétaire désigne « un livre qui contient plusieurs modèles de lettres et de compliments pour ceux qui n’en savent pas faire » (Furetière, 1690 ; nous modernisons systématiquement l’orthographe). Un changement terminologique – qui voit le terme de « manuel épistolaire » succéder à celui de « secrétaire » – intervient dans la seconde moitié du xviie siècle.
1Dans l’Ancien Régime, la floraison des « secrétaires1 » coïncide avec une intense pratique épistolaire, qui sert de matière à ces manuels et à partir de laquelle ils établissent une typologie. Pour répertorier les conventions propres aux différentes espèces de lettres, ils font alterner florilèges et consignes prescriptives, proposant aussi bien des modèles de lettres que des instructions pour les composer. À la lecture de ces ouvrages, en raison notamment de leur caractère didactique, se dégagent aisément des phénomènes de figement et de répétition. Nous nous proposons de les analyser en tant que « routines d’écriture », selon une catégorie qui, articulée aux déterminations génériques, peut constituer un « instrument opératoire pour l’analyse du discours » (Née, Sitri & Veniard, 2016, p. 72). Cette catégorie nous paraît pertinente pour aborder les rituels épistolaires exposés dans les manuels car elle invite à « [déplac[er] [le] regard de l’écrit produit vers le processus d’écriture » :
La notion de routine permet ainsi de rattacher des modifications effectuées par des scripteurs individuels à des fonctionnements discursifs plus généraux qui viennent les expliquer et qui semblent s’imposer aux rédacteurs. Une telle notion pourrait dès lors ouvrir la voie à une exploration des relations entre processus d’écriture et analyse de discours. (Née, Sitri & Veniard, 2016, p. 85).
- Note de bas de page 2 :
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Voir aussi Lignereux, 2016b : « Une routine de la civilité épistolaire : l’expression de la condoléance ».
- Note de bas de page 3 :
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Cette tradition est à la fois humaniste (manuels épistolographiques de langue latine de la Renaissance : Érasme, Juste‑Lipse…) et mondaine (manuels vernaculaires venus d’Italie, qui connaissent une grande vogue à partir du xviie siècle).
- Note de bas de page 4 :
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Dans l’Avertissement au Secrétaire à la mode réformé, François de Fenne se présente comme le continuateur de Puget de la Serre : « Il y a presque un siècle que Monsieur de la Serre fit présent au public de son Secrétaire à la Mode ; il fut reçu de tous les connaisseurs avec une approbation si universelle, que l’on en conçut d’abord une opinion fort avantageuse. […] Mais, comme le vinaigre est le fils du vin, et que le temps gâte ordinairement les choses qu’il avait perfectionnées, il ne s’est plus trouvé que ceux qui ne voient que par les yeux d’autrui, qui sont demeurés dans ce sentiment avantageux. Ce serait toutefois faire tort à un si excellent auteur, et à une si belle pièce, que l’on peut appeler de l’Antiquité, que de la laisser périr : il faut en ramasser les débris, qui sont encore de mise, et qui peuvent servir, pour les incorporer dans un dessin, qui ait à peu près le même but, mais qui n’ait point de rides, et qui ne soit point à la vieille mode, comme notre Secrétaire » (Fenne, 1684, n.p.).
2Dans la mesure où les secrétaires entérinent des cérémonials épistolaires, édictant des règles et les mettant en pratique sous des formes souvent proches d’une lettre à l’autre, les routines y sont bien perceptibles2. Et ce, d’autant plus que ces manuels sont issus d’une riche tradition épistolographique3 dont ils héritent des taxinomies et des normes qu’ils font assez peu évoluer. Dans les préfaces, les auteurs n’empruntent d’ailleurs pas l’ethos de l’inventeur mais celui du continuateur, qui s’appuie sur des traités antérieurs pour les acclimater à un public nouveau ; les redites, flagrantes d’un ouvrage à l’autre, ne sont donc pas occultées, mais assumées ouvertement4.
3Pendant longtemps, cette dimension répétitive propre aux secrétaires a jeté le discrédit sur ces écrits, dont on a condamné le « psittacisme » et les poncifs, les formules qui, infiniment reprises d’un traité à l’autre, finissent par se vider de leur sens. Le discours critique déplorait que les auteurs de manuels, sans apporter de renouvellement thématique ou stylistique, se contentent de reprendre un même contenu en l’adaptant simplement (ou en feignant de l’adapter) au goût du jour. Nulle inventivité : et, partant, nul intérêt pour l’analyse. Mais depuis une dizaine d’années, le regard critique a changé et a constitué ces manuels en objet d’étude stimulant, sur le plan rhétorique et linguistique (par exemple : Goyet, 2013 ; Lignereux, 2016a). Des travaux se sont fondés sur les routines d’écriture qui s’en dégagent pour montrer la pertinence des typologies élaborées par les épistolographes : des typologies inscrites dans une tradition rhétorique, qui permettent d’appréhender des réalisations discursives répondant à un même projet pragmatique (Lignereux, 2014, 2016b, 2017).
- Note de bas de page 5 :
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Cécile Lignereux fait le point sur les principales catégories épistolaires identifiées par les manuels (catégories parfois fluctuantes d’un manuel à l’autre mais assez stables globalement). Elle cite notamment le sommaire du Parfait Secrétaire de Paul Jacob, qui reprend la distinction en trois genres issus de la rhétorique : genre épidictique (lettres de consolation, de conjouissance, de conciliation, dédicatoire, d’étrennes, de nouvelles, d’offres de service, de raillerie, de recommandation, de remerciement) ; genre délibératif (lettres de demande, d’exhortation, de persuasion, de dissuasion, d’amour) ; genre judiciaire (lettres de prière, d’accusation, de reproche, d’avertissement) : Lignereux, 2016a, p. 21.
- Note de bas de page 6 :
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« De toutes les lettres, qui sont en usage parmi les hommes, une des plus épineuses est [la lettre de demande] » (Jacob, 1646, p. 246).
- Note de bas de page 7 :
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Formule donnée par des linguistes à la notion de supplication : « La supplication est un discours risqué. Acte de langage de "la dernière chance", elle tente d’inverser un rapport de force, ne serait-ce que ponctuellement » (Albert, Bruley et Dufief, 2015, p. 9).
- Note de bas de page 8 :
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La théorie pragmatique de la politesse repose sur les notions de face (positive et négative) et de FTA, « Face Threatening Act » (par lequel on entend un acte de langage dérangeant pour le territoire de l’interlocuteur). Pour cette analyse des faces, voir notamment (d’après Brown et Levinson, 1997) Catherine Kerbrat-Orecchioni, 1998, p. 88 et 2001, p. 105‑118.
4C’est dans la continuité de cette approche que notre étude s’inscrit, en se focalisant, parmi la vingtaine de catégories épistolaires qu’identifient les manuels5, sur la « lettre de demande ». Ce type de lettre s’annonce stimulant pour l’analyse, tant l’acte de langage qui le constitue peut être dit « épineux6 », ou « à haut risque7 ». Contrairement aux lettres qui sont d’emblée plaisantes pour leur destinataire (une lettre d’amour par exemple, ou de remerciement), les lettres de demande sont « importunes » (ce mot revient souvent sous la plume des épistoliers) et « menaçantes8 » : pour la face du locuteur ‑ puisque la demande manifeste le manque dans lequel il se trouve ; et pour celle du destinataire ‑ placé devant la nécessité de répondre, ou de réaliser une action qu’il n’avait pas projetée. La « demande » oblige donc à mobiliser, pour la préservation des faces, une diversité de procédés discursifs.
5Partant de ce constat, nous avons voulu montrer comment les postures énonciatives de l’émetteur, et son projet pragmatique, conditionnent dans les lettres de demande des « blocs » d’actes illocutoires ‑ appelés co‑illocutions (Anquetil, 2012, 2013, 2017) ‑ et quels en sont les marqueurs linguistiques. En nous appuyant sur un corpus de manuels du xviie siècle ‑ La Serre, 1640 et 1651 ; Jacob, 1646 ; Fenne, 1684 ; Richelet, 1689 ; Milleran, 1692 –, nous montrerons comment les marqueurs employés révèlent le type d’interaction qui s’établit entre l’émetteur et le destinataire ainsi que les enjeux sociétaux qui en découlent.
6La présentation du cadre théorique nous conduira à définir la spécificité de l’acte de langage qu’est la « demande » et à en modéliser les phases. Nous nous emploierons ensuite à identifier les phénomènes de récurrence et de variation qu’il génère ; nous verrons notamment que la lettre de demande, tout en obéissant à un rituel identifiable, donne lieu à des modulations qui, nullement arbitraires, renvoient au travail de figuration effectué par le locuteur.
1. Les co‑illocutions impliquées par le macro-acte de langage de demande
1.1. Définition du processus transformationnel de la demande
7Pour décrire le processus de stéréotypage à l’origine de la formation de « blocs » d’actes illocutoires, notre modélisation s’est appuyée sur les travaux initiés par Cooren (1997a et 1997b). Elle tient compte de cadres prédiscursifs collectifs (Paveau, 2006 ; Nyckees, 1998) et notamment de l’arrière‑plan intentionnel (Searle, 1985) qui préside à toute réalisation illocutoire. Cette modélisation aboutit à la formalisation d’un concept que nous étayons depuis quelques années : les co‑illocutions (Anquetil 2012, 2013). Dans cette modélisation, le schéma narratif de Greimas (Greimas 1983 ; Greimas & Courtès, 1993) est convoqué pour structurer les mécanismes d’anticipation perlocutoire mis en place par les locuteurs. Ainsi, cette approche aborde les différentes phases du processus sémio‑narratif comme des éléments structurant les postures énonciatives des locuteurs et conditionnant des co‑illocutions envisagées comme :
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une superposition d’actes illocutoires ;
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hiérarchiquement ordonnés ;
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dérivés les uns des autres (Anscombre, 1977) ;
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dont la réalisation est indissociable ;
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produisant un enchâssement énonciatif (Authier‑Revuz, 1982, 1995 ; Bres & Nowakowska, 2008 ; Bres, Nowakowska & Sarale, 2016) ;
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émanant du projet pragmatique inhérent au genre discursif.
8Ainsi, la définition d’un macro‑acte de langage se doit d’envisager les contraintes pragmatiques inhérentes à sa production (ou conditions de réussite), contraintes qui doivent être mises en regard avec la trame narrative qui fonde l’intention perlocutoire.
9La description des co‑illocutions qui fondent la demande impose de définir le but illocutoire (ou visée perlocutoire canonique dans Anquetil, 2009, 2014) qui sous‑tend ce type d’acte illocutoire. Si l’on en croit la taxinomie de Searle (1979), le but illocutoire de tout acte directif consiste à amener l’interlocuteur à produire une action future. Cette catégorie des directifs reste néanmoins globalisante et mérite d’être affinée en intégrant le faisceau de valeurs qui la caractérise, comme Croll (1991) nous le propose selon trois niveaux distincts :
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la /PROPOSITION/
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la /DEMANDE/
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l’/ORDRE/.
Figure 1 : Faisceau de valeurs relatives à la demande selon Croll (1991)
10Selon Croll (1991), le but ou la visée des actes directifs établit une « relation (…) entre les interlocuteurs en vue d’une action » (Ibid., p. 53). La visée suit une orientation « transitive » (vers l’interlocuteur) dans la relation interlocutive puisque l’opération attendue est « factitive » : elle consiste à transmettre au destinataire un « programme de faire » (Ibid.) que nous avons formalisé en nous appuyant sur le schéma narratif de Greimas. Cette approche sémio‑pragmatique associe les différentes phases du processus sémio‑narratif à des actes illocutoires déterminés selon quatre niveaux :
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L’objectif de la phase 1 de manipulation est de convaincre le destinataire de la nécessité d’engager un processus transformationnel. Pour cela, le locuteur fait état d’une situation lacunaire pour lui‑même ou pour un tiers, situation lacunaire qui mérite réparation : « la situation initiale étant perçue comme négative, l’acte a pour finalité de lui substituer une situation positive » (Ibid., p. 54). Cette action se matérialise par la production d’un acte subordonné à valeur assertive. Le manque est ainsi exhibé et instrumentalisé afin d’amener l’interlocuteur à un acte de réparation en satisfaisant la demande qui lui est faite.
Aussi, comme le souligne Croll, « le requérant s’efforce de justifier et d’argumenter sa démarche en s’appuyant sur des principes de légitimité supposés partagés » (Ibid., p 63), notamment le sentiment universellement partagé du juste et de l’injuste, le devoir d’assistance (conditions de pertinence de la demande). À l’acte assertif s’ajoute donc un acte subordonné à valeur expressive, permettant ainsi au locuteur de manifester son attitude vis‑à‑vis de l’état du monde existant, état dont il évalue la transformation comme étant possible, souhaitable ou nécessaire [modalisation du faire requis]. Le requérant peut aussi opérer un « transfert symbolique et affectif négatif sur le destinataire afin qu’il soit affecté » (Ibid., p. 64). Dans ce cas, l’acte subordonné à valeur expressive s’apparentera à un blâme ou à un compliment négatif. -
La phase 2 de compétence opère une répartition des rôles entre les interactants dans le programme de faire. En effet, l’acte de réparation implique une action à orientation transitive, imposant à chacun un rôle défini comme le rappelle Croll (1991) :
- « Les requérants agissent au profit d’un tiers à qui ils sont liés » (Ibid., p. 62) ou même au profit du locuteur lui‑même qui constitue alors le bénéficiaire de l’action.
- « Le destinataire est qualifié positivement » ; il constitue le pourvoyeur de l’action (Ibid., p. 63).
Le locuteur, conscient du rôle du destinataire, fait état des compétences et du pouvoir de ce dernier afin de « faire cesser une situation considérée comme injuste » (Ibid., p. 60‑61). Cette conscience se concrétise dans la matérialité discursive par la réalisation d’un acte subordonné à valeur assertive, l’assertion des compétences du destinataire étant un préalable à la phase 3 de performance. -
Dans le cadre de la phase 3 de performance, le locuteur dote explicitement le destinataire d’un programme de faire [action future de I] afin de satisfaire sa visée perlocutoire (obtenir réparation). L’explicitation de ce programme s’exprime par la réalisation d’un acte directeur à valeur directive. Cet acte de langage constitue en quelque sorte le nœud du bloc d’actes illocutoires, puisque le destinataire contracte un devoir faire et se voit ainsi imposer une « réaction ».
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La phase 4 de sanction correspond à une anticipation des formes de rétribution possibles de la demande : reconnaissance, récompense, etc. Le locuteur n’a pas nécessairement le pouvoir de faire advenir une quelconque condamnation si la demande est insatisfaite, mais « l’interlocuteur est enfermé dans un jeu où il n’y a qu’une issue satisfaisante : accepter pour éviter une condamnation future » (Ibid., p. 66). Cette anticipation des formes de rétribution possibles peut conditionner un acte promissif de récompense en cas de rétribution positive ou une menace, sanction, en cas de rétribution négative.
11En résumé, le processus dérivationnel qui détermine l’ordonnancement des actes illocutoires impliqués par la demande peut être représenté ainsi :
Figure 2 : Représentation de l’ordonnancement des actes illocutoires impliqués par les phases du processus transformationnel
1.2. Latence et manifestation des actes de langage élémentaires
12Si la production d’un même macro‑acte de langage est soumise à des règles d’usage qui répondent à une logique narrative et rhétorique et qui déterminent une structure illocutoire, des modulations peuvent s’observer sur le plan de l’expression. En effet, les actes de langage élémentaires rattachés au macro‑acte de langage de /DEMANDE/ constituent des manifestations possibles et latentes. Leur formalisation permet au linguiste d’expliquer le processus de dérivation illocutoire et la structure intentionnelle qui sous‑tend le macro‑acte de langage. Mais la matérialisation en discours de ces différentes valeurs illocutoires dépend des « enjeux des relations socio‑langagières » propres à chaque situation, et notamment de la menace générée par la réalisation du macro‑acte de langage au sein de la relation interlocutive. En effet, le macro‑acte de /DEMANDE/ constitue par nature un acte de langage menaçant aussi bien pour les faces positives du locuteur et du destinataire ‑ images de soi ‑ que pour la face négative du destinataire ‑ son territoire ‑ (Goffman 1973, 1974 ; Brown & Levinson 1987 ; Kerbrat‑Orecchioni, 2001a) :
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l’assertion de la situation lacunaire, tout comme l’expression de l’état psychologique du locuteur vis‑à‑vis de cet état lacunaire, met en effet en évidence une insatisfaction pour le locuteur qui peut menacer la face positive du destinataire, notamment si celui‑ci endosse une quelconque responsabilité ;
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l’assertion des compétences du destinataire souligne l’impuissance du locuteur face à la situation subie, ce qui vient menacer sa face positive ;
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la demande produite par le locuteur met le destinataire dans l’obligation d’accomplir une action future, ce qui constitue une menace de son territoire ;
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la mise en garde, l’avertissement et l’acte promissif de rétribution positive ou négative de la demande créent un rapport de forces ou d’obligation qui menacent aussi bien la face positive du locuteur que la face négative du destinataire.
13Le travail de figuration effectué par le locuteur pour préserver les faces en présence consistera à rendre effectifs certains actes de langage élémentaires et à en placer d’autres en situation de latence. En effet, les quatre niveaux présentés ci‑dessus regroupent un faisceau d’actes de langage élémentaires sous‑jacents à tout macro‑acte de demande, mais la nature des actes de langage qui se matérialisent dans le discours dépend du niveau de la menace au sein de la relation interlocutive. La phase 3 ‑ qui se réalise par la réalisation d’un acte directeur à valeur directive ‑ constitue selon nous le degré ultime de la montée en tension interactionnelle, du fait de ses caractéristiques interlocutives : l’acte de langage directif ‑ à la différence des autres actes de langage élémentaires ‑ impose à son destinataire une réaction qui peut être :
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marquée ‑ acceptation et donc menace du territoire du destinataire –
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ou non marquée (pour reprendre les termes de Mœschler, 1989) ‑ refus qui constitue une menace de la face positive du destinataire mais qui a vocation à protéger son territoire.
14Partant de ce constat, nous postulons que le travail de figuration effectué par le locuteur pour préserver les faces en présence se traduit par un effacement plus ou moins marqué des phases 3 et 4, laissant ainsi à l’interlocuteur le soin de reconstituer dans son for intérieur le processus transformationnel. Ainsi, les formes d’expression de la demande seront marquées par la valeur illocutoire des actes de langage élémentaires relatifs aux phases 1 et 2. Cette modélisation des processus d’effacement de la demande tiendra compte des objets de la visée perlocutoire, ainsi que des statuts des interactants.
2. La « lettre de demande » dans les manuels épistolaires
- Note de bas de page 9 :
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Le Secrétaire de la cour déroge néanmoins à cette règle, puisqu’il présente exclusivement des modèles de lettres (La Serre, 1640).
- Note de bas de page 10 :
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François de Fenne et Pierre Richelet puisent chez plusieurs auteurs célèbres du xviie siècle – notamment le « grand épistolier » Guez de Balzac, dont plusieurs épîtres nourrissent les recueils.
- Note de bas de page 11 :
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Les auteurs de manuels épistolaires ont conscience de la variété infinie du matériau dont ils ont à rendre compte. Pour rendre compte de la diversité des lettres, Érasme mobilise l’image de Protée, dieu des métamorphoses. Leur objectif n’est donc pas d’ériger des normes absolues et contraignantes, mais plutôt de dégager des régularités pour donner forme et sens à une matière infinie… Sur cette notion de « régularités », préférée à celle de « normes », pour envisager les secrétaires, voir Goyet, 2013, p. 32 (« Dans une typologie, les règles sont moins des contraintes que des régularités »).
15Le corpus de secrétaires sur lequel se fonde notre analyse s’échelonne sur la période de l’âge classique, durant laquelle ces ouvrages connurent un grand essor. Leur structure est souvent similaire ‑ scindée en une partie théorique consacrée aux prescriptions, et une partie pratique illustrée par des modèles de lettres9 (tantôt inédites, tantôt puisées dans des recueils existants et chez des auteurs connus10). Répondant à une finalité didactique, ces traités cherchent à subsumer la diversité infinie de la matière épistolaire : ils élaborent une typologie et s’appuient sur des catégories qui leur permettent d’identifier ‑ plutôt que des normes ‑ des régularités11. Ainsi se révèlent‑ils aptes à traduire les phénomènes de répétition que génèrent les phases d’un acte de langage comme celui de la demande, dont la modélisation vient d’être proposée.
2.1. Une asymétrie de la relation épistolaire dans l’acte de demande
- Note de bas de page 12 :
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Prenons l’exemple du manuel de François de Fenne : se côtoient des lettres où l’épistolier « implore la faveur » de son destinataire, où il demande « une charge pour son parent » (Fenne, 1684, p. 102), « quelques vers » (Ibid., p. 109), « une mouche » (Ibid., p. 111), « un remède contre la fièvre » (Ibid., p. 112), « un portrait » (Ibid., p. 115) ou « des mèches de cheveux » (Ibid., p. 117).
- Note de bas de page 13 :
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D’un manuel à l’autre, on observe des variations, par exemple terminologiques. On trouve de manière concurrente les dénominations suivantes : « lettre de demande » pour Jacob, « lettre de prière » pour La Serre, Richelet et Milleran ; « lettre de demande et de prière » pour Fenne. Attention toutefois à certaines confusions : chez Jacob par exemple, la lettre de prière ne désigne pas la lettre de requête mais la lettre d’excuse. À ce sujet, voir Lignereux, 2016a, note n° 80.
16Un regard d’ensemble porté sur le corpus conduit à un premier constat : les manuels identifient une catégorie de lettres spécifique, dont la visée est transitive et factitive, puisque le locuteur incite le destinataire à produire une action future. Cette action, dont la nature peut être variée12, s’inscrit dans le contexte de la république des lettres et en épouse les codes socio‑culturels. Dénommé epistola petitoria chez les Latins, ce type de lettres est appelé « lettre de demande » dans les manuels de langue française ou, parfois, « lettre de prière »13. Cette fluctuation terminologique n’a rien d’anodin : telle qu’elle s’actualise dans le corpus, la demande se rapproche en effet du sous‑acte de langage qu’est la prière ; et, cherchant à ne pas paraître « tyrannique », elle se définit par opposition avec cet autre directif qu’est l’/ORDRE/ :
Quand on prétend quelque grâce, nous ne l’obtenons jamais que par la soumission, qui a tant de force que, si elle dompte les lions et les animaux les plus farouches, elle dompte les hommes à plus forte raison, qui sont nos amis, et d’autres nous-mêmes. (Milleran, 1692, p. 394‑395)
- Note de bas de page 14 :
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« Et je veux croire qu’en cette occasion vous considérez un peu ma personne, qui se dépouille de l’autorité paternelle pour agir par prières et par remontrances auprès de vous » (Fenne, 1684, p. 107).
17L’acte de demande assigne des rôles distincts au locuteur (présenté comme un « serviteur ») et à son destinataire et pourvoyeur (le « maître », celui qui accordera une « grâce »). Si cette asymétrie peut refléter la hiérarchie sociale ‑ lorsque l’épistolier s’adresse au roi, ou quand il requiert la protection d’un grand seigneur (Richelet, 1689, p. 364‑365) –, elle sait aussi s’en démarquer. Imposant ses propres règles, le cadre épistolaire peut aller jusqu’à inverser les relations hiérarchiques habituelles : ainsi un père adressant une lettre de demande à son fils doit‑il « se dépouille[r] », le temps d’une lettre, de son « autorité paternelle »14.
- Note de bas de page 15 :
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« Une demande respectueuse […] peut ébranler celui, à qui elle est adressée ; au lieu que l’effronterie l’en détourne tout à fait » ; le requérant doit donc faire preuve de « modestie » (Jacob, 1646, p. 251‑253).
- Note de bas de page 16 :
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Dans plusieurs articles, Dominique Maingueneau s’est appuyé sur la distinction entre « ethos dit » et « ethos montré ». Pour une clarification de cette distinction, voir par exemple Maingueneau, 2014, p. 34 : « il nous faut évoquer rapidement la distinction sur laquelle nous allons nous appuyer : celle entre ethos dit (ce que le locuteur dit sur lui‑même) et ethos montré (ce que montre sa manière d’énoncer). […] Cette distinction est exprimée chez Ducrot (1984, p. 201) à travers l’opposition entre locuteur-L et locuteur-λ. Le locuteur-L (le locuteur en tant qu’il est en train d’énoncer) est censé promouvoir les qualités du locuteur-λ (le locuteur en tant qu’être du monde, hors de l’énonciation). Cette distinction rejoint celle des pragmaticiens entre montrer et dire : l’ethos discursif se montre dans l’acte d’énonciation, il ne se dit pas dans l’énoncé ».
- Note de bas de page 17 :
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Les formules les plus fréquentes sont : « je vous supplie de… », « je vous prie de… », « je vous implore… ».
- Note de bas de page 18 :
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Identifiée comme figure dans les traités de rhétorique, la dérivation est une « figure microstructurale, variété de répétition » : « Elle consiste en ce que, dans un segment de discours, apparaissent plusieurs formes lexicales de la même base (comme un nom et un verbe du même radical) » (Molinié, 1992, p. 112).
- Note de bas de page 19 :
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Dans Le Secrétaire à la mode, cette figure de dérivation est récurrente. Elle passe par l’utilisation des mots « services » ou « servir » en fin de lettre, juste avant la formule de salutation finale : « Je serai fort aise de me faire connaître par mes services, plutôt que par mon nom, puisque votre mérite m’oblige d’être, Monsieur, Votre très humble serviteur » ; « Puisque l’occasion de vous importuner s’est offerte lorsque j’attendais celle de vous servir, je veux croire que la volonté qui m’en demeure vous sera assez considérable, pour ne refuser pas cette courtoisie, Monsieur, à Votre très humble serviteur » (La Serre, 1651, p. 79 et 80). Néanmoins, ce service ne doit pas se confondre avec la « servilité », qui est au contraire tenue à distance par les épistoliers : « j’aime encore mieux publier hautement ma bonne fortune, que de sembler en douter par des compliments serviles » (Fenne, 1684, p. 104).
- Note de bas de page 20 :
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Constructions à verbes supports : « verbes qui, à côté de leurs emplois ordinaires, se combinent avec un syntagme prédicatif […] pour construire une forme complexe fonctionnellement équivalente à un verbe » (Riegel, Pellat & Rioul, [1994] 1998, p. 415).
- Note de bas de page 21 :
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Ces formules se trouvent notamment dans les exordes de lettres. Voir La Serre, 1651, p. 78, 80 et 82 : « Le bruit de votre générosité me donne aujourd’hui la hardiesse d’implorer votre faveur… » ; « Le service que je vous ai voué, et l’amitié que je vous ai promise, me donnent la liberté de vous supplier… » ; « Encore que je sois le plus inutile de vos amis, je ne laisse pas d’être des plus passionnés pour votre service, et c’est cette passion, qui me donne la liberté aujourd’hui de vous supplier… ».
18De cette relation asymétrique, découle un ethos de soumission15. Cet ethos peut être « dit » (« je suis importun », « je suis inutile »… répètent les épistoliers) mais le plus souvent, il est « montré16 », par le biais de procédés observables de manière récurrente : l’utilisation de performatifs, typiques de la supplication, qui interviennent au niveau de l’acte directif17 ; la figure de la dérivation18 autour du mot « serviteur » (formule classique de salutation finale, qui se trouve resémantisée tout au long des lettres19) ; enfin, les constructions à verbes supports20, signalant la passivité du locuteur et la position basse dans laquelle il se place (« me donne la hardiesse de » ; « me donne la liberté de »…)21. Autant de procédés qui fonctionnent comme des marqueurs linguistiques et signalent la spécificité du projet pragmatique porté par les lettres de demande.
2.2. Des lettres de demande structurées autour des phases du processus transformationnel
19Les différentes phases du processus transformationnel, typiques de la lettre de demande, génèrent elles aussi de nombreuses récurrences.
2.2.1. Marqueurs sémantiques
20Ces récurrences sont notamment d’ordre sémantique. La première phase du processus (dite « de manipulation ») voit souvent l’émergence d’une isotopie du manque amoureux. Justifiant la demande qu’il s’apprête à formuler, le locuteur emprunte les codes de l’amour courtois : il se présente comme « allumé de désirs », aspirant à la « volupté », à la jouissance de ce qu’il requiert. Il en est ainsi dans cette lettre du Secrétaire à la mode réformé ‑ où l’épistolier, réclamant un livre à son interlocuteur, semblerait presque exiger de lui une faveur amoureuse :
Faites que je possède à mon aise, et par une vraie et paisible volupté, ce qui en passant devant mes yeux n’a fait que m’allumer des désirs, et me lasser de l’inquiétude. (Fenne, 1684, p. 105)
21Plutôt que d’attester l’intensité exceptionnelle du sentiment exprimé, les formulations choisies par le locuteur peuvent être vues comme des routines d’écriture standardisées, qui signalent le début d’une lettre de demande, où la situation lacunaire du locuteur doit être décrite de manière hyperbolique.
2.2.2. Marqueurs énonciatifs
- Note de bas de page 22 :
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Sur l’usage du pseudo-discours rapporté en contexte épistolaire, voir notamment Tardy, à paraître.
22Des marqueurs énonciatifs peuvent également être repérés, et reliés à la spécificité de cette catégorie épistolaire. La phase 3 de « performance » ‑ lorsque l’interlocuteur contracte un « devoir faire » ‑ génère ainsi un dialogisme intralocutif, dont la visée est argumentative. L’épistolier imagine les répliques du destinataire, réfutant par avance les objections qu’il pourrait avancer et recourant de ce fait au pseudo‑discours rapporté22 :
Il est vrai que je n’ai point l’honneur d’être connu de vous. Mais vous ne voudriez pas me le reprocher, pour vous servir d’excuse à me refuser [cette] courtoisie. (La Serre, 1651, p. 78‑79)
- Note de bas de page 23 :
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Pour une approche de ces modalités, voir notamment Catherine Kerbrat-Orecchioni, 1999 et Nicole Le Querler, 1996, p. 42 et 54. Issue du carré logique de la théorie aristotélicienne, la modalité aléthique du possible et de l’impossible constitue un jugement de réalité. Quant à la modalité axiologique, elle marque l’évaluation du contenu propositionnel et correspond à un jugement de valeur fondé sur un système de conventions (morales, juridiques…).
- Note de bas de page 24 :
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Par exemple, « Je ne doute point de votre pouvoir, et moins encore de votre générosité » (La Serre, 1651, p. 81).
23Sur le plan énonciatif encore, exordes et clausules de lettres se révèlent significatifs quant à l’usage qui y est fait des modalités. Pour asserter la compétence et les valeurs morales du destinataire (phases 1 et 2 du processus), l’épistolier articule les modalités aléthique et axiologique23 ‑ ce qui implique la réunion des notions de « pouvoir » et de « justice », qui tendent à faire collocation24. L’exorde d’une « lettre de prière » présentée par Puget de la Serre est en cela significatif, puisqu’il associe étroitement les notions de « générosité » et d’« autorité », qui encadrent la première phrase :
Le bruit de votre générosité me donne aujourd’hui la hardiesse d’implorer votre faveur, pour me démêler d’une affaire dont le succès dépend absolument de votre autorité. (La Serre, 1651, p. 78)
- Note de bas de page 25 :
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Comme exemple de cette modalité volitive auquel l’épistolier recourt en fin de lettre : « je veux croire que [m]a volonté [de vous servir] vous sera assez considérable, pour ne refuser pas cette courtoisie » (La Serre, 1651, p. 79).
24Quant aux clausules, elles se signalent presque toujours par le recours à la modalité volitive. Le suggèrent aussi bien les exemples de lettres donnés dans les traités25, que les prescriptions qui leur sont associées :
Et pour la fin nous promettrons [à notre destinataire] de lui en demeurer à toujours obligés, et de nous efforcer d’acquitter bientôt cette dette. […] Et que nous prions Dieu qu’il soit toujours si heureux que jamais il n’ait besoin que nous lui rendions la pareille. (La Serre, 1651, p. 15)
2.2.3. Marqueurs syntaxiques
- Note de bas de page 26 :
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Voir dans la partie prescriptive : « Et pour la fin [de la lettre de requête] nous promettrons de lui en demeurer à toujours obligés, et de nous efforcer d’acquitter bientôt cette dette ; et que si le pouvoir ou l’occasion nous manque, au moins nous en conserverons éternellement la mémoire en notre cœur » (La Serre, 1651, p. 15).
25Sur le plan de la syntaxe, enfin, le processus transformationnel génère des répétitions. Il en est ainsi de la différence de tiroir verbal, presque systématique, entre les phases 1 et 4 du processus. Si les exordes sont ancrés dans un présent d’énonciation qui rappelle le manque dans lequel se trouve le locuteur, les fins de lettres recourent à un futur plus ou moins lointain (en accord avec la quatrième phase : « reconnaissance et récompense promise »)26. Dans le Secrétaire à la mode, une lettre de prière très brève en porte témoignage : si l’on confronte les deux phrases qui la composent, on perçoit nettement le passage d’un temps à l’autre ; et le déictique « aujourd’hui » (qui insiste sur l’ancrage dans la situation d’énonciation) s’oppose aux compléments qui lui font suite (« éternellement », « dans le tombeau »), qui évoquent au contraire la projection dans un futur à valeur absolue, garant d’une reconnaissance éternelle :
Encore que je sois le plus inutile de vos amis, je ne laisse pas d’être des plus passionnés pour votre service ; & c’est cette passion, qui me donne la liberté aujourd’hui de vous supplier, de m’obliger en une telle rencontre. Tout ce que je vous puis dire, pour une première reconnaissance, c’est que je conserverai éternellement la mémoire de cette faveur, et que si je ne puis rencontrer l’occasion de m’en revancher, j’emporterai le regret dans le tombeau, avec la qualité, Monsieur, de Votre très humble serviteur. (La Serre, 1651, p. 82)
26Ces marqueurs, dont la présence est souvent conjointe, jouent un rôle de repérage et servent à identifier les lettres de demande. Les répétitions qui en découlent, longtemps décriées, peuvent participer en fait au plaisir du lecteur ‑ un lecteur qui, pour reprendre une juste formule de Cécile Lignereux, saurait « apprécier les variations rhétoriques, autour de situations et de dynamiques discursives standardisées » (Lignereux, 2016a, p. 16).
2.3. Impact du travail de figuration sur les actes de langage en présence
2.3.1. Requête directe et requête indirecte
27Au sein des florilèges que présentent les traités, maintes variations rhétoriques sont perceptibles. D’une lettre de demande à l’autre, les arguments avancés (inventio) peuvent différer, tout comme varient parfois le plan suivi et le style utilisé (dispositio, elocutio). Pour s’en assurer, il suffirait de confronter tel billet de six lignes chez Puget de la Serre, aux longues épîtres « tirées des meilleurs auteurs » recueillies par Richelet (1689).
- Note de bas de page 27 :
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Le principe de l’aptum – dont Érasme soulignera l’importance pour la rhétorique épistolaire (où le locuteur doit s’adapter au sujet de sa lettre, ainsi qu’à son destinataire) – est notamment défini dans L’Orateur. Cicéron y montre l’importance d’une « convenance » entre le contenu et le style : « L’homme éloquent est celui qui est capable de dire les choses terre à terre avec précision, les choses élevées avec force, les choses moyennes d’un ton intermédiaire » (Cicéron, 1964, p. 35).
- Note de bas de page 28 :
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Érasme, [1522] 1971, p. 465‑466. Dans la section consacrée à l’epistola petitoria, l’humaniste affirme qu’il existe deux types de lettres de demande : direct (rectus) et indirect (obliquus).
- Note de bas de page 29 :
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Jacob (1646, p. 249) mentionne les choses qui peuvent être demandées hardiment à tout le monde : l’amitié, les avis, l’instruction, le crédit, l’entremise.
28Ces variations n’ont cependant rien de contingent. Elles prennent sens au regard du précepte rhétorique de l’aptum27 (dont Érasme a souligné l’importance) et peuvent elles‑mêmes être modélisées. Telle est l’hypothèse que nous souhaitons avancer ‑ en suggérant que les variations entre les lettres de demande sont fonction de la menace générée par l’acte directif. Pour en rendre compte, il convient de revenir à la distinction, présente chez Érasme28 et reprise dans la partie prescriptive des traités, entre deux sous‑catégories de lettres de demande : la requête directe et la requête indirecte. La première est franche et ne présente nulle menace, puisque l’épistolier y a recours quand un lien étroit l’unit à son interlocuteur et qu’il ne lui demande rien de honteux29. Quant à la seconde, elle est d’usage si l’une de ces conditions n’est pas remplie, et elle correspond à une menace d’intensité variable :
Il y a deux sortes de prière, l’une directe et ouverte, l’autre indirecte et oblique. On se sert de la première en une chose qui est manifestement honnête à demander, et à l’endroit d’un bon ami. […] Mais on a recours à la seconde quand la chose qu’on demande n’est guère honnête, ou quand on n’est pas fort assuré de la bienveillance de celui à qui on s’adresse. Alors donc il faut user d’insinuation. (La Serre, 1651, p. 13)
2.3.2. Marqueurs stylistiques associés
- Note de bas de page 30 :
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Commentant la distinction érasmienne entre les requêtes directe et indirecte, l’éditeur du De Conscribendis, Jean-Claude Margolin, souligne à juste titre : « la voie directe et la voie oblique ne sont pas seulement deux méthodes opposées de demandes, mais deux styles de vie et de pensée » (Érasme, [1522], 1971, p. 465‑466). À une époque où le style classique se définit comme un idéal (aussi bien poétique que moral) de transparence et de clarté, ces réflexions distinguant deux sous-catégories dans la lettre de requête ont une portée plus générale. Dans les lettres de requête, les épistoliers revendiquent une simplicité stylistique, qui serait la garante de leur honnêteté morale (et de l’équité de leur requête) : « Je ne me mets point en peine de chercher de belles paroles, pour vous faire une belle lettre ; l’hypocrisie a tellement gâté toute cette marchandise, que je fais conscience de m’en charger » (Fenne, 1684, p. 104).
- Note de bas de page 31 :
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La distinction des trois styles – style simple (tenue), style moyen (medium), style grand et grave (grande, vehemens) – est notamment posée et définie au début de L’Orateur (Cicéron, 1964, p. 7‑8). Sur la pertinence de cette tripartition cicéronienne pour envisager la spécificité du style épistolaire, voir par exemple Tardy (2013, p. 49).
- Note de bas de page 32 :
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Que la demande indirecte soit plus complexe et plus longue à élaborer, l’organisation du traité de Puget de la Serre en porte témoignage. Dans la partie prescriptive, il consacre deux pages à la demande indirecte, alors qu’il n’avait traité la demande directe qu’en une demi-page (La Serre, 1651, p. 13‑15).
- Note de bas de page 33 :
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L’auteur du Parfait Secrétaire parle d’« artifices » au sujet de la requête indirecte, qui doit procéder par insinuations (Jacob, 1646, p. 250).
29Cette distinction (qui repose sur des critères aussi bien moraux que stylistiques30) génère des différences significatives, dont on prend la mesure en se référant à la tripartition cicéronienne des styles31. Là où la demande directe se formule ouvertement et correspond à un style simple et univoque, la demande indirecte ‑ bien plus longue et sinueuse32 ‑ recourt aux « artifices » de la rhétorique33 : amplifications, expolitions, insinuations, analogies et équivoques y sont foison.
30Plusieurs marqueurs stylistiques se révèlent donc typiques de la « demande indirecte ». Dans l’exorde des lettres, l’épistolier se confond en excuses avant d’en venir à l’objet de sa requête ‑ comme le recommande Puget de la Serre :
[Il faut] premièrement excuser sa hardiesse, en ce qu’on ose importuner de quelque requête une personne à qui on n’a jamais fait plaisir ou service qui mérite. Puis dire que néanmoins on s’assure de n’être point éconduit en sa demande parce qu’on sait qu’il est extrêmement bon, et prend un singulier plaisir à obliger un chacun. (La Serre, 1651, p. 13‑14)
- Note de bas de page 34 :
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À rapprocher de la recommandation de François de Fenne, dans la partie prescriptive du Secrétaire à la mode réformé : « [Il faut] témoign[er] qu’encore que nous ne méritions pas la faveur que nous demandons, nous ne laissons pas néanmoins de l’attendre de sa bonté […] » (Fenne, 1684, p. 27).
31Ainsi le locuteur recourt‑il fréquemment aux réparateurs et fait‑il usage d’une structure concessive et adversative, récurrente au début des demandes indirectes : « il est vrai que… mais… » (La Serre, 1651, p. 78‑79) ; « encore que… néanmoins… » (La Serre, 1651, p. 82)34.
32Les procédés d’insistance et de répétition sont également nombreux ‑ que ce soit dans la phase 1 (pour susciter l’émotion en dépeignant la situation lacunaire) ou dans la phase 2 (pour louer le destinataire). Là encore, la partie prescriptive des manuels formule des recommandations explicites ; elle en appelle à l’usage du pathos et des hyperboles :
Nous tâcherons de l’émouvoir [notre destinataire] de notre misère et infortune de laquelle nous exagèrerons la grandeur. (La Serre, 1651, p. 14‑15)
- Note de bas de page 35 :
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Formule utilisée par Catherine Kerbrat-Orecchioni (2010, p. 24). Envisageant les « procédés adoucisseurs », la linguiste affirme qu’ils « ont pour fonction d’arrondir les angles de ces FTA qui risqueraient sinon de blesser la face vulnérable de l’interlocut[eur], et donc de rendre l’échange plus courtois — conformément à la définition même de la politesse négative ».
33La riche ornementation, typique des lettres de demande indirecte, a donc une visée pragmatique : servant d’adoucissement, elle permet « d’arrondir les angles » d’un acte de langage menaçant35.
2.3.3. Présence et latence des actes de langage (principal et subordonnés)
34La distinction (entre les requêtes directe et indirecte) rejaillit enfin sur la manière dont se réalisent les actes de langage élémentaires. Lorsque les requêtes sont ouvertes et franches, l’acte directif occupe une place centrale et tend à être « exhibé ». Formulée de manière explicite, la demande se suffit presque à elle‑même ; elle n’a guère besoin de s’entourer d’actes subordonnés visant à la légitimer. Mais lorsque les requêtes sont obliques, c’est l’inverse qui se produit : dans un souci de préservation des faces, le locuteur procède par insinuation et « masque » l’acte directif ; les actes subordonnés (phases 1, 2, 4) occupent alors le devant de la scène.
35Une lettre de Guez de Balzac ‑ présente (sans nom d’auteur) dans le Secrétaire de François de Fenne ‑ est en cela révélatrice :
Il demande une charge pour son parent. Je trouve en [mon parent] une admiration si intelligente de votre vertu, tant de chaleur et tant de zèle pour votre gloire, que quand il ne serait pas tout percé de coups, et qu’il ne pourrait pas montrer ses blessures d’Allemagne, et ses blessures de Catalogne, je ne saurais croire qu’il vaille peu, connaissant au point qu’il fait, ce que vous valez. […] Je voudrais lui être aussi utile qu’il m’a été agréable. Mais je ne puis rien dans le monde, et ne sais faire que des vœux dans le désert. Je sais pourtant encore quelque autre chose : jamais homme, Monseigneur, n’a su mieux devoir que moi, les grâces que l’on fait à ses amis. (Fenne, 1684, p. 103)
36Si le paratexte nous éclaire sur l’objet même de la demande, celle‑ci n’est toutefois jamais explicite ; et dans l’ensemble de la lettre, la phase 3 (correspondant à l’acte directif) est passée sous silence alors qu’elle constitue, dans la modélisation, le nœud du bloc d’actes illocutoires.
37Dans l’extrait retranscrit, nous pouvons repérer les deux premières phases du processus transformationnel :
- Note de bas de page 36 :
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Dans la catégorie des « lettres de louange », les auteurs de secrétaires recommandent – pour se prémunir du reproche de flatterie – de recourir aux paroles rapportées (Juan Luis Vives, [1536] 1989, p. 32‑33). Voir notamment Tardy, à paraître.
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présentation du bénéficiaire comme souffrant (il a été blessé sur le champ de bataille) ‑ phase 1 de manipulation ;
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louange du destinataire, de sa puissance et de ses valeurs morales (une louange d’autant plus persuasive qu’elle n’est pas prise en charge par le seul épistolier, mais aussi par son parent, dont il se fait l’écho36) ‑ phase 2 de compétence.
38Enfin, les dernières phrases font passer directement à la phase 4 de sanction, sans que soit formulée la moindre demande explicite, dans une ellipse riche de sens. À l’assertion d’un manque (« je ne puis rien dans le monde »), succède sans transition l’expression de la reconnaissance (formulée de manière presque abstraite, et sans être reliée à un objet spécifique : « jamais homme n’a su mieux devoir que moi, les grâces que l’on fait à ses amis »). Il revient donc au destinataire de reconstituer le processus transformationnel, en formulant en son for intérieur la demande qui lui est adressée.
39Si l’acte directif reste en situation de latence, c’est bien que la requête (indirecte) présente une menace, pour la face des interactants. En prenant appui sur les phases du processus transformationnel, il est donc possible d’en modéliser les variations ‑ en montrant qu’elles sont tantôt exhibées, tantôt masquées, selon le travail de figuration qui doit être réalisé.
Conclusion
40En conclusion, notre modélisation des co‑illocutions réalisées au sein des lettres issues des manuels épistolaires de l’âge classique s’est proposée de comprendre l’organisation structurelle des actes de langage propres à la demande et de dégager ainsi trois blocs pragmatiques distincts, comme suit :
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Co‑réalisation d’un acte assertif + expressif + assertif
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Co‑réalisation d’un acte assertif + expressif + assertif + directif
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Co‑réalisation d’un acte assertif + expressif + assertif + directif + promissif
41La nature du bloc convoqué dépendrait des enjeux relationnels qui lient les interactants, notamment de la montée en tension interactionnelle provoquée par la demande et de l’objet de la visée perlocutoire. Chacun des blocs relevés déterminerait des segments répétés, ou tout au moins des motifs, qui se constitueraient en « normes prescriptives » (Moreau, 1997). Le caractère prescriptif de ces normes se fonderait sur l’apparente fréquence d’emploi des formes linguistiques identifiées, « apparente » car les formules préconisées se répètent dans les manuels tout autant que les lettres qui les illustrent. C’est donc davantage une répétition des textes exploités ‑ et reconnus pour leur art rhétorique ‑ qu’une répétition attestée par l’usage que l’on observe. La répétition aurait donc dans le cadre de ces manuels une fonction prescriptive ‑ les textes s’érigeant en modèles ‑ invitant ainsi le lecteur à la reproduction de normes comportementales caractérisables par une posture de soumission du requérant. Le projet didactique du manuel consisterait finalement à apprendre aux « apprenants locuteurs » à prier plutôt qu’à demander. Toute demande constituant une offense pour son destinataire, le locuteur devrait engager un travail de réparation qui imposerait de convertir la demande en prière. À défaut de rétribution matérielle, la soumission constituerait une rétribution symbolique et permettrait au requérant de s’acquitter de la dette contractée. Reste à savoir ce que rejoue la répétition dans ce contexte. Peut‑être les principes de servilité qui caractérisent toute société féodale, peut‑être les principes moraux d’une société judéo‑chrétienne qui récusent tout droit à la jouissance matérielle ?