L’étude porte sur les emplois du marqueur de cohérence discursive mais étudié en contexte de soin. Dans le cadre d’un projet, DECLICS, nous nous sommes focalisés sur la distribution fonctionnelle de mais en fonction du rôle du locuteur (médecins vs thérapeutes). En appui sur la littérature scientifique, trois macro-fonctions de mais (interlocutive-interactionnelle, logico-argumentative et logico-sémantique) sont décomposées en 17 types dont 16 sont présents dans le corpus DECLICS2016. Le relevé systématique des 122 occurrences de mais présentes dans le corpus a permis d’étudier la fréquence d’emplois comparatifs entre médecins et thérapeutes. Les résultats quantitatifs indiquent que les médecins emploient davantage mais que les thérapeutes, ce, indépendamment de leur service hospitalier. Grâce à une analyse qualitative, nous éclairons ensuite les mécanismes interactionnels en jeu lors des entretiens thérapeutiques médicaux vs cliniques, en déterminant les fonctions prépondérantes, secondaires et tertiaires assignables à chacune des 122 occurrences de mais. Sur ces 122 occurrences d’emplois, 32 occurrences sont le fait d’une fonction prépondérante unique, 80 emplois correspondent à une bi-fonctionnalité du marqueur et 10 d’une tri-fonctionnalité. Les résultats montrent que les macro-catégories interactionnelles et sémantiques permettent la distinction des rôles des soignants, et on constate un lien entre l’utilisation de la fonction prépondérante argumentative et la fonction secondaire logico-sémantique de type circonstanciel. Les résultats ont permis d’extraire deux patterns d’emplois de la tri-fonctionnalité de mais, utilisée presque exclusivement par les thérapeutes. Cette étude montre que les médecins utilisent mais pour activer des opérations logico-argumentatives, les thérapeutes activant préférentiellement un but interactionnel.
The study focuses on the use of discursive coherence marker but examined in care context. In the framework of DECLICS project, we focused on the functional distribution of but according to the role of the speaker (doctors vs therapists). Based on scientific literature, three macro-functions of but (interlocutive-interactional, logical-argumentative and logical-semantic) are broken down into 17 types, 16 of which are present in the DECLICS2016 corpus. With the systematic account of the 122 occurrences of but present in the corpus we study the quantitative frequency of comparative use between doctors and therapists. The quantitative results indicate that the doctors employ more but than therapists do, regardless of their respective hospital service. With a qualitative analysis, we reveal the interactional mechanisms during medical versus clinical therapeutic interviews, by determining the preponderant, secondary and tertiary functions assignable to each of the 122 occurrences of but. Of these 122 occurrences, 32 correspond to a single predominant function, 80 correspond to a bi-functionality of the marker and 10 to a tri-functionality. The results show that the interactional and semantic macro-functions allow the distinction of the roles of caregivers, and we observe a link between the use of the preponderant argumentative function and the secondary logical-semantic function of circumstantial type. The results made it possible to extract two patterns of use from the tri-functionality of but, mainly used by therapists. This study shows that doctors use but to mark logical-argumentative operations while therapists use but for an interactional purpose.
Introduction
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Dispositif d’Études Cliniques sur les Corpus Santé, projet structurants inter-laboratoires, financé par la région AURA.
1Dans le cadre du projet DECLICS1, notre étude porte sur l’analyse pragmatique des discours oraux de soignants et de patients, afin de mettre en évidence les mécanismes interactionnels en jeu dans une relation de soin. Ce projet repose sur une collaboration transdisciplinaire entre médecine, psychanalyse et sciences humaines. Pour cela, un protocole expérimental a été mis en place pour recueillir la parole de patients et de soignants dans le cadre du suivi de maladies chroniques. De ce projet découle un corpus, dénommé DECLICS2016, constitué d’entretiens oraux authentiques entre soignants et patients, enregistrés dans plusieurs services d’un C.H.U. À partir de ce corpus, nous relevons et décrivons des évènements interlocutoires présents dans les consultations médicales et dans les entretiens thérapeutiques. Pour instruire cette étude, nous avons choisi d’étudier le marqueur de cohérence discursive mais pour vérifier s’il peut éclairer les mécanismes interactionnels en jeu dans un contexte de soin.
1. Étude pragmatique de la relation de soin
2Le marqueur de cohérence discursive mais est relevé puis analysé comme tout lexème dépendant de son co-texte et contexte, dans la lignée des travaux sur la linguistique de corpus (Léon, 2008). Nous cherchons à déterminer la distribution et la fonctionnalité des emplois de mais, variant a priori selon le locuteur (médecin vs thérapeute) et le service hospitalier, et ce, afin de révéler les rouages interactionnels en action lors des échanges en contexte de soin. Pour exemplifier, est-ce que la cohérence discursive associée à l’usage de mais (par le médecin ou le thérapeute) est une aide, qui, lorsqu’elle est ainsi engendrée par le discours, bénéficie au patient ?
3Dans la lignée de la théorie des actes de langage (Vanderveken, 1990 ; Searle, 1972 ; Austin, 1962) et celle de la logique interlocutoire (Trognon, 2003), l’analyse pragmatique d’extraits révélateurs proposée a pour but de mettre en exergue les processus sociocognitifs sous-jacents aux échanges. L’analyse interlocutoire s’avère utile pour comprendre le fonctionnement de l’interaction (Goffman, 1973) et dégager l’intersubjectivité à l’œuvre dans la construction du discours, notamment au niveau de l’enchaînement des tours de paroles, qui sont à la base des activités langagières (Roulet et al., 1985).
4On sait par ailleurs que les emplois de ponctuants (Vincent, 1993), de marqueurs de structuration de la conversation (Auchlin, 1981), de régulateurs verbaux (Kerbrat-Orecchioni, 2005) servent à l’articulation des énoncés (Traverso, 1999). Qu’en est-il de la cohérence discursive associée à l’usage contextuel de mais en conversation de soin ? Nous prendrons pour exemple l’extrait [1] ci-dessous.
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Les services hospitaliers sont codés par les lettres A, B et C pour préserver le caractère confidentiel des données (cf. § 3.1.).
- Note de bas de page 3 :
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Pour notre étude, les occurrences de mais produites par le patient ne sont pas considérées, seules celles des soignants sont analysées. L’emploi de mais par le patient pourrait être une recherche complémentaire à cette étude (cf. § 6.).
[1] – Service A2
MED1[0h05m09] : est-ce que vous arrivez à ne plus aller sur les sites de rencontres ou ça c'est un peu dur encore + de contrôler {ton interrogatif}
PAT1[0h05m20] : j'ai eu des hauts des bas disons qu'au début d'année si j'y allais j'y suis allé une fois
MED1[0h05m25] : ouais
PAT1[0h05m26] : non mais3 j'y vais quand même beaucoup moins c'est sûr
MED1[0h05m27] : mais encore
5Dans l’extrait [1], l’interaction est composée de cinq interventions analysées dans le tableau 1 ci-après. L’analyse interlocutoire éclaire le fonctionnement de cet extrait d’interaction et permet d’interpréter les intentions des interlocuteurs.
Tableau 1 : Analyse interlocutoire d’un extrait révélateur
Interventions |
Marqueurs utilisés pour l’analyse interlocutoire et interprétation du rôle de chaque intervention |
Actes de langage |
MED1[0h05m09] : est-ce que vous arrivez à ne plus aller sur les sites de rencontres ou ça c'est un peu dur encore + de contrôler {ton interrogatif} |
Question sur les effets secondaires du médicament qui ont déjà été discutés lors d’une consultation antérieure (encore) |
Acte directif |
PAT1[0h05m20] : j'ai eu des hauts des bas disons qu'au début d'année si j'y allais j'y suis allé une fois |
Réponse à l’acte directif du médecin, utilisation de l’expression « disons qu’« pour reformuler sa réponse |
Acte assertif |
MED1[0h05m25] : ouais |
Confirmation entérinant indirectement les propos précédents de PAT |
Acte assertif indirect |
PAT1[0h05m26] : non mais j'y vais quand même beaucoup moins c'est sûr |
Utilisation de « non mais » pour répondre à la question du médecin en minimisant les conséquences via des atténuateurs « beaucoup moins », « c’est sûr » |
Acte réactif de type déclaratif |
MED1[0h05m27] : mais encore |
Réaction à l’intervention précédente, interprétation de « beaucoup moins » en « encore » et insistance |
Acte expressif |
6L’emploi, par le médecin, du marqueur mais dans l’extrait [1] correspond à un acte assertif à valeur indirecte réactive. Sa valeur première nous semble interactionnelle : cet emploi sert à réagir aux propos du patient. L’extrait [1] montre que le médecin contre argumente pour déceler la vérité concernant le vécu du patient face aux effets secondaires négatifs du traitement. De la même manière, l’étude de l’ensemble des usages et occurrences d’emplois de mais sera conduite pour déterminer la variabilité fonctionnelle, tout en considérant les rôles différenciés de thérapeute et de médecin.
2. Cadre théorique
7Notre étude s’inscrit dans le cadre des travaux conduits en santé (Batt, Trognon et Vernant, 2003). La consultation médicale, genre défini par Lacoste (1993), puis analysé sous divers angles (Vergely et al., 2010 ; Fournier et Kerzanet, 2007 ; Cosnier, 1993), tient sa particularité du fait du rôle déterminant joué par le patient au cœur de ce dispositif médical. On sait ainsi que, dans le cas de maladies chroniques, le patient embrasse une posture d’expert en lien avec un vécu expérientiel singulier de la maladie (Préau et Siméone, 2018 ; Tourette-Turgis et Thievenaz, 2013). Face à ce statut d’expert, le soignant adopte des stratégies discursives adaptées, revendiquant, par exemple pour le médecin un statut de détenteur de savoir médical. S’opère toujours une forme de négociation, notamment des savoirs et des pouvoirs, qui gagne à être dévoilée par l’analyse interlocutoire.
2.1. La négociation étudiée à travers l’emploi de marqueurs de cohérence discursive
8Nous abordons la négociation, conçue initialement par Roulet et al. (1985) dans ses travaux portant sur le modèle fonctionnel et hiérarchique, dans sa version révisée par Kerbrat-Orecchioni (2005, p. 94) qui la définit comme :
tout processus interactionnel susceptible d’apparaître dès lors qu’un différend surgit entre les interactants concernant tel ou tel aspect du fonctionnement de l’interaction, et ayant pour finalité de résorber ce différend afin de permettre la poursuite de l’échange.
9Les négociations conversationnelles peuvent porter sur (1) l’échange en général, (2) les thèmes abordés, (3) l’alternance des tours de parole ou encore (4) la valeur pragmatique et sémantique des énoncés produits mais aussi sur (5) les identités des participants qui peuvent faire l’objet de négociations. Le rapport de place qu’engendre toute interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1987) est mis en scène via la négociation verbale, jusqu’à ce que les participants se concèdent mutuellement l’attribution d’une position haute vs basse (cf. Caron-Pargue et Auriac, 1997, par exemple). Ainsi, les mécanismes de négociation en interaction peuvent concerner les aspects organisationnels de l’interaction (tours de parole, structure de l’échange), le contenu discuté (thèmes abordés) comme le rapport de place. Dans une consultation médicale ou un entretien clinique (voir notre méthodologie § 3.), on s’attend à ce que le médecin active une position haute en tant que détenteur de savoir médical, au regard de ses aptitudes et de son habitus à conduire un raisonnement clinique (Jouquan, Parent et Audétat, 2013 ; Audétat, Laurin et Sanche, 2011). On envisage qu’il puisse, dès lors, activer chez le patient l’adoption d’une position basse, repérable au statut qui situerait alors ce dernier comme demandeur d’aide médicale. Pour rendre compte de la négociation des savoirs et des pouvoirs, l’entretien médical se prête ainsi a priori assez bien au dévoilement des stratégies de cohérence discursive partagée, révélant les opérations logico-argumentatives sous-jacentes à la prise de parole. Plusieurs marqueurs sont candidats à retracer ces opérations logico-argumentatives.
2.2. Les marqueurs de cohérence discursive : le choix de mais
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D’après l’étude de Chanet (2003, p. 15), mais et donc sont les marqueurs les plus employés en français parlé avec un taux respectif de 10595 pour mais et 8075 pour donc, soit 1 emploi toutes les 42 secondes pour mais et 1 emploi toutes les 55 secondes pour donc.
10Le cadre pragmatique de notre étude engage à identifier puis analyser finement les mécanismes fonctionnels présents dans l’interaction de soin. Pour mener à bien une analyse pragmatique interlocutoire (Trognon, 1988), il est nécessaire de repérer des marqueurs linguistiques tels que les reprises et répétitions (cf. Delsart, 2020), les régulateurs verbaux (Kerbrat-Orecchioni, 1990-1992), les pronoms, les connecteurs de discours (Rossari, 1992) etc., qui articulent les énoncés et servent d’appui aux études interlocutoires des discours. Le relevé systématique de ces marqueurs, le traitement éventuellement statistique de leur position vs quantité, servent à expliciter les contextes interactionnels dans lesquels ils sont produits et/ou qui les produisent, pour dévoiler in fine la place occupée par chaque locuteur dans le discours (Ghiglione et al., 1977). Divers courants linguistiques (voir Rossari, 2000 ; Culioli, 1990 ; Ducrot et al., 1980) ont étudié les marqueurs de cohérence discursive, pour rendre compte de leurs structures et de leurs fonctionnements au sein des discours oraux. Ces diverses approches ont révélé les valeurs multiples que peut prendre une seule et même occurrence. Nous avons fait le choix d’étudier le marqueur de cohérence discursive mais qui permet a priori de dévoiler les opérations sociocognitives sous-jacentes aux actes de langage auxquels il est associé. Nous considérons mais comme un connecteur logique (Caron, 1984) en lien avec sa structure syntaxique formelle p mais q. La sélection opérée sur mais nous a conduit à être focalisés sur l’un des deux marqueurs les plus utilisés à l’oral4 (Chanet, 2003, p. 15).
2.3. Les fonctions variées de mais
11Les études successives de mais (Anscombre, 2017 ; Gomez-Jordana Ferary et Anscombre, 2015 ; Roulet et al., 1985 ; Anscombre et Ducrot, 1977) ont permis d’élargir sa fonction principalement adversative pour peu à peu détailler l’éventail de valeurs associées aux usages de mais. Plusieurs chercheurs ont dénoté la fonction interlocutive de mais (Golder et Favart, 2013 ; Schlamberger Brezar, 2012, 2005, 2002 ; Landré et Friemel, 1998) notamment via l’utilisation de locutions figées telles que « oui mais » / « non mais », qui n’engagent pas toujours la valeur contre-argumentative fidèle à l’emploi de mais. La fonction concessive (Marchello-Nizia, 2009 ; Morel, 1996 citée par Meleuc, 1998), la fonction phatique (Schlamberger Brezar, 2015 ; Adam, 1990), comme la fonction métalinguistique (Giancarli, 2017) ont pu être dégagées. Bouchard (2002) décrit aussi l’utilisation de mais à travers une fonction de modalisation et d’appui de discours. Au sein d’une étude grammaticale, Ponchon (1990) distingue six valeurs adverbiales attribuables à mais : (1) la nuance circonstancielle, (2) la modalisation, (3) l’exclusion, (4) la rectification, (5) la concaténation et (6) un faisceau de valeurs adversatives expliquant que ce marqueur varie d’une fonction de conjonction jusqu’à celle d’adverbe. Enfin, l’étude sur corpus de Chevalier (2007) dégage cinq fonctions discursives possibles pour mais : (1) opposition, (2) refus de conséquence, (3) transition de tour de parole, (4) retour sur un sujet différent et (5) restriction de sens. La revue de littérature est reprise en partie méthodologique (voir § 3.3. Tab. 2 ci-après).
3. Méthodologie
12C’est en nous basant sur les travaux présentés ci-dessus (§ 2.) que nous avons, d’une part, procédé au relevé des différentes occurrences d’emploi de mais dans le corpus DECLICS2016, puis, d’autre part, interprété chaque occurrence et ainsi catégorisé chaque emploi fonctionnel de mais, ce, en relevant les éléments des co-textes et du contexte.
3.1. Présentation des données de l’étude
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Les normes de transcription utilisées dans le corpus DECLICS2016 s’inspirent de celle du corpus du GARS (Université d’Aix-Marseille) et de VALIBEL (Université de Louvain-la-Neuve), disponible sur : http://www.uclouvain.be/valibel.
- Note de bas de page 6 :
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La base de données textuelles orales VALIBEL de la variation aux variétés est disponible sur : https://sharepoint1.umons.ac.be/FR/universite/facultes/fti/services/Documents/UMONS_Corpus_9_Fr%C3%A7_de_Belgique_Bardiaux.pdf.
- Note de bas de page 7 :
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Avis positif du CERES (Conseil d’évaluation éthique pour les recherches en santé) de Paris-Descartes. Obtenu le 28/02/2017.
13Les enregistrements d’entretiens entre patients et soignants au sein du projet DECLICS sont retranscrits selon les normes5 du GARS (Blanche-Benveniste et Jeanjean, 1987) et de VALIBEL6. Les données rendues anonymes respectent le caractère éthique de toute recherche en santé7, et le lien confidentiel qui lie le patient à ses soignants. Les échanges se déroulent au sein de trois services hospitaliers : (1) d’infectiologie, (2) de neurologie et (3) de nutrition, désignés aléatoirement par A, B et C.
- Note de bas de page 8 :
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Les thérapeutes ont tous été recrutés par l’intermédiaire de l’association Médecine et Psychanalyse dans la Cité.
- Note de bas de page 9 :
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L’étude interlocutoire complète gagnera à être actualisée en ce sens, mais l’objet de cette contribution concerne plutôt le distinguo médecin vs thérapeute quant aux stratégies de négociation des soignants.
14Trois types de participants constituent nos données d’appui au sein du corpus DECLICS2016 : trois patients atteints de maladies chroniques, trois médecins spécialisés et trois thérapeutes d’orientation psychanalytique8. Les consultations médicales ont une durée moyenne de 24 minutes ; les entretiens thérapeutiques une durée moyenne de 69 minutes. À noter que les patients participant à notre étude peuvent être qualifiés de défensifs, leurs représentations et comportements étant plutôt défiants envers le système hospitalier. Le déroulé problématique de leur suivi médical est en partie lié à la difficulté de soigner une maladie chronique (voir Do et Bissières, 2018, par exemple). Dans le cadre des maladies chroniques, le patient peut adopter une posture d’expert (cf. Préau et Siméone, 2018) entraînant un processus de négociation entre des savoirs expérientiels (ceux du patient) et les savoirs médicaux (ceux du médecin), savoirs respectifs clairement distribués entre patient et soignant (cf. Delsart et Auriac-Slusarczyk, 2020). Seules les occurrences des soignants seront néanmoins considérées pour cette étude, s’agissant d’une première investigation des propos, préalable à l’étude interlocutoire complète de DECLICS2016 ; nous n’avons pas pour l’instant coté les emplois de mais des patients9(voir notre discussion en § 5.). Cette étude de cas vise à révéler les stratégies discursives des médecins, quant à la cohérence discursive liant leurs prises de parole. Le but est d’analyser, prioritairement et de manière fine, les différents emplois de mais, pour engager une discussion réflexive et formative, à terme, entre linguistes et médecins. Nous parlerons par simplification du corpus DECLICS2016, tout en sachant que les données sont ici restreintes à un sous corpus délimitant seulement trois consultations médicales et entretiens cliniques correspondant aux seules données actuellement exploitables, au regard du déploiement progressif de DECLICS2016 (voir Auriac-Slusarczyk et Delsart, 2021). Ces données, de faible empan ou représentativité, sont sélectionnées pour les besoins d’une étude à visée qualitative, et permettent d’amorcer une comparaison entre stratégies médicales (médecins) et stratégies thérapeutiques (thérapeutes).
3.2. Jugement(s) d’acceptabilité croisé(s) et méthode de cotation
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Le co-texte gauche le plus court est constitué d’un mot et le plus long de vingt mots.
- Note de bas de page 11 :
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Le co-texte droit le plus court est constitué d’un mot et le plus long de dix-huit mots.
15Pour déterminer les fonctions de mais (voir le tableau récapitulatif plus bas § 3.3.), nous avons délimité les co-textes gauches10 et droits11, en considérant suffisamment d’éléments verbaux renseignant les topics droits et gauches. Une première interprétation de l’emploi de mais à partir de ses co-textes droits et gauches a été effectuée, et chaque occurrence d’emploi de mais fut caractérisée en appui sur la littérature scientifique (cf. § 2.) en repérant trois niveaux fonctionnels : (1) une fonction prépondérante, (2) une secondaire (cf. Bolly et Degand, 2009) et parfois (3) une tertiaire, révélant le caractère polyfonctionnel de mais. Une seconde expertise a été conduite vérifiant le taux de correspondance inter-juges, qui est parvenu à un accord inter-juges de 100 % sur l’ensemble des fonctions prépondérantes, secondaires et tertiaires. La cotation en fonctions prépondérantes et secondaires a repris une méthode déjà utilisée pour étudier le marqueur discursif donc (Delsart, Auriac-Slusarczyk et Pironom, 2020). Certains emplois demeurent délicats à interpréter, notamment en ce qui concerne l’attribution d’un niveau prépondérant vs secondaire à certaines fonctions. Chaque occurrence est considérée, et nous illustrons, ci-après, la démarche de cotation des fonctions en cas d’emplois cumulés de mais ; dans l’extrait ci-dessous [2], le locuteur emploie plusieurs occurrences consécutives de mais. Chaque occurrence, comptabilisée, est analysée de manière indépendante.
[2] – Service B
PAT2[0h06m30] : et euh je suis partie dans ce fameux : clinique + qui est qui est passée à côté de beaucoup de choses + j'aurais pu passer dans la machine pour lithotripsie et perdre ma vie + #1 aujourd’hui #
THE2[0h07m12] : #2 mais # mais j'ai pas entendu
PAT2[0h07m14] : lithotripsie
THE2[0h07m15] : oui oui ça je : j’ai entendu mais mais après mais après quoi {ton interrogatif}
16Dans ce cas l’accord inter-juge a abouti à proposer que mais1 et mais2 correspondent à une macro-fonction interactionnelle-interlocutive de type phatique, mais3 et mais4 correspondent à une fonction prépondérante logico-sémantique de type concaténation et à une fonction secondaire interactionnelle-interlocutive de type changement d’orientation et enfin mais5 correspond à une macro-fonction prépondérante logico-sémantique de type circonstanciel et à une fonction secondaire logico-argumentative de type appui de discours (cf. Tab. 2 ci-après).
3.3. Les catégories fonctionnelles et types de mais
17Pour dégager le panel varié d’usages fonctionnels de mais, nous avons subdivisé les fonctions repérées dans la littérature (§. 2) en trois macro-catégories : (1) interactionnelle-interlocutive ; (2) logico-argumentative à valeur adversative ; (3) logico-sémantique (voir Tab. 2). Sur les 17 types fonctionnels théoriques de mais extraits de la littérature, seule la fonction retour sur un sujet différent (Chevalier, 2007), pré-classifiée dans la rubrique logico-sémantique (cf. Tab. 2), n’a pas été retrouvée parmi les 122 occurrences extraites de DECLICS2016.
Tableau 2 : Les macro-fonctions et types fonctionnels de mais dans le corpus DECLICS2016
- Note de bas de page 12 :
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Les extraits choisis dévoilent la fonction prépondérante de mais, n’excluant pas cependant l’adjonction d’une fonction secondaire et/ou tertiaire.
- Note de bas de page 13 :
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La conséquence implicite (refusée) correspond ici à envisager de faire quelque chose (arrêter de prendre un traitement par exemple) pour traiter l’augmentation du taux de sucre.
- Note de bas de page 14 :
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À noter que la fonction circonstancielle de mais reste secondairement adversative.
Macro-fonctions |
Types de mais |
Définitions des types de mais |
Sources théoriques |
Extraits illustratifs issus du corpus DECLICS201612 |
Fonction interactionnelle, interlocutive |
Figement – structuration conversationnelle |
mais est employé dans les locutions figées « oui mais / non mais ». Le marqueur est dépossédé de sens et de poids argumentatif, il sert à l’interlocution. |
Schlamberger Brezar, 2015 ; Chevalier, 2007 ; Golder et Favart, 2003 ; Landré et Friemel, 1998 ; Auchlin, 1981 |
PAT2 : ça m'énerve quand je me force pour manger et que j'ai ce ce bidou là MED2 : non mais c'est sûr + après il faut pas manger s- en vous forçant |
Transition tour de parole |
mais permet d’articuler les tours de paroles, il est toujours situé en début de tour de parole. |
Chevalier, 2007 ; Caron, 1984 |
PAT3 : en même temps j’ai des (rires) j’ai des moments où que ça va pas {rires} c’est THE3 : comme pas mal de personnes PAT3 : oui THE3 : mais vous pensez que vous vous êtes pas normal {ton interrogatif} |
|
Changement d’orientation, de sujet |
mais est employé pour changer de sujet, il marque une rupture. |
Chevalier, 2007 |
THE1 : voilà donc c'est : on a bien compris ça + mais par exemple si ces traitements vous avaient pendant dix ans complètement apporté euh une vie quasi normale on va dire + euh que pouvait apporter l'opération |
|
Réactif |
mais est utilisé en réaction à ce qui vient d’être dit. Il est souvent positionné en début de tour de parole. |
Chevalier, 2007 |
PAT2 : parce que comme euh + la sophrologie je veux continuer ++ MED2 : mais + euh c'est c'est la la sophrologie avec la psychologue extérieure {ton interrogatif} |
|
Phatique, segmentation |
mais est utilisé pour accentuer une exclamation ou une interrogation. |
Schlamberger Brezar, 2015 ; Adam, 1990 |
THE3 : c’est chez vous c’est quoi c’est une location c’est chez vous c’est {ton interrogatif} PAT3 : non chez moi enfin bah dans ma maison quoi THE3 : non mais votre maison elle est quoi elle est achetée elle est {ton interrogatif} |
|
Fonction logico-argumentative à valeur adversative |
Opposition, inverseur d’orientation, contre-argumentation, réfutation |
mais sert à opposer deux arguments (non pas p mais q) ou de réfuter l’argument p au profit de l’argument q. |
Schlamberger Brezar, 2005, 2015 ; Chevalier, 2007 ; Golder et Favart, 2003 ; Landré et Friemel, 1998 ; Ponchon, 1990 ; Roulet et al., 1985 ; Ducrot, 1980 ; Anscombre et Ducrot, 1977 |
PAT3 : c’est déjà un bon point {rires} #1 voilà c’est # THE3 : #2 non mais c’est pas un bon point # vous pourriez me dire je suis pas prêt encore |
Renforcement- renchérissement |
mais permet de renforcer l’argument p grâce à l’argument q ou de renchérir sur l’argument p avec l’argument q. |
Schlamberger Brezar, 2015 ; Adam, 1990 |
PAT3 : voilà ++ mais je mets plus de temps à la récupérer enfin {rires} je mets moins de temps à la perdre et plus de temps à la récupérer THE3 : bien sûr + mais vous la récupérez |
|
Refus de conséquence |
le locuteur utilise mais pour exprimer son refus concernant la conséquence de ce qui vient d’être dit. |
Chevalier, 2007 |
PAT2 : mon s- mon sucre il monte MED2 : ouais + mais ça c'est normal + c'est vrai que c'est + c'est euh + dans la régulation du taux de sucre + c'est aussi régulé par les hormones + et donc il y a l'hormone du stress13 |
|
Concession |
mais permet de relier deux propositions indépendantes. |
Schlamberger Brezar, 2015 ; Landré et Friemel, 1998 ; Morel, 1996 cité par Meleuc, 1998 ; Adam, 1990 |
PAT1 : ah oui là c'est beaucoup c'est beaucoup accentué MED1 : ça c'est vrai que c'est : des choses qui sont difficiles à prévoir mais il arrive que la chirurgie aggrave euh |
|
Modalisation |
mais permet au locuteur d’exprimer son point de vue. |
Bouchard, 2002 ; Ponchon, 1990 |
MED2 : l'autre + la possibilité qu'on a c'est aussi d'enlever l'insuline pour euh + mettre un traitement euh PAT2 : non je préfère le garder MED2 : par injection PAT2 : je pense que c'est bien MED2 : ou quoi + mh mais on peut on peut aussi le garder + après là je regardais un peu en même temps qu'elle cherchait |
|
Appui de discours (ponctuant de débat, régulation orale) |
mais permet la progression du discours et articule les étapes du discours du locuteur qui s’en sert d’appui. |
Bouchard, 2002 |
THE3 : ces différents points noirs et qui elle est pas du tout descendante qui est plutôt euh au contraire évolutive tranquillement hein mais bon + parce que c’est c’est pas rien de de de s’arracher à son enfance |
|
Fonction logico-sémantique |
Circonstancielle |
mais permet au locuteur d’apporter des précisions concernant les circonstances du discours. |
Ponchon, 1990 |
PAT3 : et : donc euh : ils le diront ils le commandent en fait et puis ben ils m’appellent jamais ils le reçoivent jamais MED3 : d’accord + bah du coup après c’est pas une urgence mais14 euh ça sera quelque chose à faire dès que la rupture de stock sera résolue |
Concaténation (additive, archi-connecteur) |
mais permet d’ajouter une précision sur le discours, il est proche de l’archi-connecteur et. |
Schamberger Brezar, 2015 ; Vincent, 1993 ; Ponchon, 1990 |
THE1 : ce qui était peut-être une petite tendance PAT1 : voilà THE1 : #1 personnelle # PAT1 : #2 ah oui oui # bien sûr oui THE1 : mais que ça les a augmentés |
|
Rectification- restriction de sens, de portée |
mais permet de rectifier l’argument p au profit de l’argument q ou de restreindre le sens, la portée de p au profit de q. |
Chevalier, 2007 ; Ponchon, 1990, 1992 |
MED1 : d'accord + bah dans ce cas-là on va augmenter mais tout doucement on va mettre Stalevo soixante-quinze le matin et Stalevo cinquante à + midi + seize heures + vingt heures donc on arrête le Modopar |
|
Phatique métalinguistique (topoi d’enchaînement) |
mais perd sa valeur oppositive et sert à la progression sémantique ; il embraye la suite |
Giancarli, 2017 ; Schlamberger Brezar, 2002,2015 |
THE3 : bon parce que bon c’est pas : c’est une claque mais c’est une claque euh je dirai que voilà vous pourriez être aussi nourri du fait de de de les voir |
|
Appui l’orientation contraire |
mais renforce l’orientation contraire au propos tenu en introduisant des éléments congruents |
Chevalier, 2007 |
THE2 : #2 non donc # le rétroviseur juste un peu + pour donner un petit coup vers le passé sur ce qu’il y a derrière + mais si je suis le nez tout le temps sur le rétroviseur qu’est-ce qui va se passer {ton interrogatif} |
3.4. Cotation et ventilation des emplois de mais en fonctions prépondérantes, secondaires et tertiaires
- Note de bas de page 15 :
-
La polyfonctionnalité indique que le sens dépend de chaque contexte d’emploi : parfois il y a superposition des fonctions, parfois complémentarité, parfois trois fonctions distinctes se dégagent.
- Note de bas de page 16 :
-
L’étude de Bolly et Degand décomposait seulement en deux fonctions. L’étude de mais nous a conduit à envisager une troisième fonction, dite tertiaire.
18À l’instar de l’étude conduite sur le marqueur donc par Bolly et Degand (2009), la catégorisation fonctionnelle de mais révèle une polyfonctionnalité15, que nous avons décomposée en fonction prépondérante, secondaire16 puis tertiaire. Chaque occurrence de mais extraite est analysée en fléchant sa fonction prépondérante assortie d’une ou deux fonctions complémentaires. Il s’est agi d’affiner les emplois de mais pour hiérarchiser les fonctions conformément à la poly-fonctionnalité du marqueur mais (cf. § 2.2.). Nous présentons ci-dessous un extrait où mais possède selon notre interprétation une tri-fonctionnalité, et illustrons simultanément notre méthode de cotation.
[3] – Service A
THE1[0h23m11] : c'est ça autrement dit chez vous ce que vous diriez c'est que + les traitements du Parkinson ont augmenté
PAT1[0h23m18] : tout à fait ouais
THE1[0h23m18] : ce qui était peut-être une petite tendance
PAT1[0h23m21] : voilà
THE1[0h23m21] : #1 personnelle #
PAT1[0h23m22] : #2 ah oui oui # bien sûr oui
THE1[0h23m23] : mais que ça les a augmentés
19Dans l’extrait [3], mais comporte une valeur de transition de tour de parole, de concaténation et de renforcement-renchérissement. La valeur de transition de tour de parole est retenue comme fonction prépondérante car mais est positionné en début de tour de parole et utilisé par le thérapeute pour reprendre la main sur l’échange ; c’est donc la macro-fonction interactionnelle-interlocutive qui prime pour cette occurrence. Mais a une fonction secondaire à valeur de concaténation car il permet au thérapeute d’ajouter une précision à son propos antérieur (« ce qui était peut-être une petite tendance personnelle »). Enfin, mais a une fonction tertiaire de renforcement-renchérissement car le thérapeute réitère sa position (« ont augmenté » / « ça les a augmentés »).
3.5. Statistiques inférentielles
- Note de bas de page 17 :
-
Les tests de Wilcoxon et Kruskal-Wallis sont des tests statistiques non paramétriques, permettant d’établir s’il existe une différence statistique significative entre deux et plus de deux moyennes respectivement (ici entre les deux rôles pour le premier test et entre les trois services pour le deuxième test). Ils sont davantage adaptés aux échantillons de petites tailles que leurs homologues paramétriques (tests de Student et ANOVA).
20Afin de vérifier l’équilibre fonctionnel et discursif des paroles des soignants, nous avons utilisé des tests de comparaison, les tests de Wilcoxon et de Kruskal-Wallis17. Nous avons ainsi cherché à déterminer si l’emploi du marqueur mais dépend (ou non) de l’appartenance à un service en particulier et s’il spécifie les rôles (médecins vs thérapeutes). Pour analyser la distribution des fonctions prépondérantes et secondaires, nous avons appliqué les tests exacts de Fisher (cf. Bolly et Degand, 2009, p. 13). Une étude précédente portant sur le marqueur donc a dévoilé un emploi différentiel entre médecins et thérapeutes ; considérant que donc peut être un indicateur de métier (spécifique à l’exercice de la médecine, cf. Delsart, Auriac-Slusarczyk et Pironom, 2020), nous formulons l’hypothèse que les rôles d’acteurs (médecins vs thérapeutes) différencient en contexte de soin leurs stratégies d’emplois de mais. Nous contrôlons la variable service (A/B/C) mais nous ne pouvons pas, en revanche, contrôler la variable genre, au vu du peu de soignants constituant notre échantillon (6 sujets et 2 conditions).
4. Résultats
21Nous présentons les résultats quantitatifs (§ 4.1.) concernant les occurrences d’emploi de mais par les soignants en fonction des rôles (médecins vs thérapeutes) et services (A/B/C). Puis, nous présentons les résultats de l’étude qualitative (§ 4.2.1. et 4.2.2.) concernant les fonctions prépondérantes et secondaires, et le lien éventuel entre les deux. Enfin nous instruisons les éléments sur la fonction tertiaire (§ 4.2.3.).
4.1. Étude quantitative des occurrences d’emploi de mais par les soignants dans les différents services dans le corpus DECLICS2016
22Sur les six échanges, on totalise 122 occurrences d’emploi de mais réparties entre les médecins et les thérapeutes (Tab. 3). Sur ces 122 occurrences d’emploi, 32 sont limitées à une fonction prépondérante unique, 80 comportent une bi-fonctionnalité (voir § 4.2.1. et § 4.2.2.) et 10 comportent une tri-fonctionnalité (voir § 4.2.3.).
Tableau 3 : Nombre brut et ratio/minutes/mots des occurrences d’emploi de mais par service et selon le statut du soignant
Service A |
Service B |
Service C |
Total |
Moyennes |
|
Médecins |
15 (0.652) / (0.009) |
23 (1.095) / (0.010) |
6 (0.193) / (0.003) |
44 (0.586) / (0.008) |
14.67 (0.647) / (0.008) |
Thérapeutes |
23 (0.365) / (0.005) |
21 (0.388) / (0.006) |
34 (0.365) / (0.009) |
78 (0.371) / (0.007) |
26.00 (0.373) / (0.007) |
Total |
38 (0.441) / (0.006) |
44 (0.586) / (0.008) |
40 (0.322) / (0.007) |
122 (0.428) / (0.007) |
|
Moyennes |
19.00 (0.509) / (0.007) |
22.00 (0.742) / (0.008) |
20.00 (0.279) / (0.006) |
Légende : le ratio d’emploi par minute et le ratio d’emploi par rapport au nombre de mots (après le /) sont indiqués entre parenthèses.
23Mis en rapport avec la durée moyenne de consultation médicale (24min) et d’entretien clinique (69 min), on comptabilise 14,67 emplois de mais en moyenne pour les médecins contre 26 emplois pour les thérapeutes ; soit une moyenne de 0,647 mais par minute pour la consultation et 0,373 mais pour l’entretien clinique. Aucune différence n’est significative, que ce soit entre services (p = 0.9639 pour le nombre brut, p = 0.2058 pour les ratios d’emploi par minute et p = 0.5647 pour les ratios par mot) ou selon les rôles (p = 0.2683, p = 0.6579 et p = 0.6625 respectivement).
24Concernant les 32 fonctions prépondérantes uniques employées par les soignants (cf. Fig.1), 53 % sont du fait des médecins et 47 % des thérapeutes. Les médecins, lorsqu’ils emploient une fonction prépondérante unique, privilégient la macro-fonction logico-argumentative (47 % des cas) alors que les thérapeutes privilégient la macro-fonction interactionnelle-interlocutive (67 % des cas).
Figure 1 : Fonctions prépondérantes uniques utilisées par les soignants
4.2. Étude qualitative de la poly-fonctionnalité du marqueur mais dans le corpus DECLICS2016
- Note de bas de page 18 :
-
Il paraît plus essentiel de présenter les tendances chiffrées pour valider/invalider ces proportions sur des études comparatives que proposer des illustrations d’extraits qui sont produites et accessibles dans le volume de thèse d’Aline Delsart.
25Nous détaillons la répartition des différentes fonctions prépondérantes (§ 4.2.1., Tab. 4 et Fig. 2), puis secondaires (§ 4.2.2., Tab. 5 et Fig. 3) et illustrons par un extrait caractéristique18.
4.2.1. Les fonctions prépondérantes de mais dans le corpus DECLICS2016
Tableau 4 : Fonctions prépondérantes de mais dans le corpus
Service A |
Service B |
Service C |
Rôle |
Service |
|||||
MED1 |
THE1 |
MED2 |
THE2 |
MED3 |
THE3 |
Total |
Seuil p |
Seuil p |
|
Fonction interactionnelle, interlocutive |
|||||||||
Figement – structuration conversationnelle |
1 |
3 |
2 |
6 |
1 |
6 |
19 (33 %) |
0.0722* |
0.7111 |
Transition de tour de parole |
2 |
7 |
4 |
1 |
0 |
3 |
17 (30 %) |
0.6625 |
0.5647 |
Changement d’orientation, de sujet |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
2 |
4 (7 %) |
0.0593* |
0.8825 |
Réactif |
1 |
0 |
3 |
2 |
1 |
5 |
12 (21 %) |
1.0000 |
0.2566 |
Phatique, segmentation |
1 |
1 |
0 |
2 |
0 |
1 |
5 (9 %) |
0.1573 |
0.7470 |
Total |
5 |
12 |
9 |
12 |
2 |
17 |
57 |
0.0765* |
0.9639 |
Fonction logico-argumentative à valeur adversative |
|||||||||
Opposition |
1 |
1 |
4 |
3 |
0 |
1 |
10 (22 %) |
1.0000 |
0.1229 |
Renforcement – renchérissement |
1 |
2 |
1 |
1 |
1 |
4 |
10 (22 %) |
0.1967 |
0.5220 |
Refus de conséquence |
0 |
3 |
1 |
0 |
0 |
0 |
4 (9 %) |
1.0000 |
0.5220 |
Concession |
1 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 (2 %) |
0.5050 |
0.3679 |
Modalisation |
2 |
0 |
1 |
1 |
0 |
2 |
6 (13 %) |
1.0000 |
1.0000 |
Appui de discours |
1 |
2 |
6 |
2 |
0 |
3 |
14 (31 %) |
0.6579 |
0.4973 |
Total |
6 |
8 |
13 |
7 |
1 |
10 |
45 |
0.6625 |
0.6514 |
Fonction logico-sémantique |
|||||||||
Circonstancielle |
2 |
2 |
0 |
3 |
1 |
6 |
14 (35 %) |
0.1212 |
0.8632 |
Concaténation |
1 |
4 |
1 |
4 |
0 |
2 |
12 (30 %) |
0.0722* |
0.6347 |
Rectification |
1 |
2 |
0 |
1 |
4 |
4 |
12 (30 %) |
0.6531 |
0.1154 |
Phatique métalinguistique |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
2 (5 %) |
0.1876 |
0.5353 |
Appui l’orientation contraire |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 (0 %) |
1.0000 |
1.0000 |
Total |
4 |
9 |
1 |
8 |
5 |
13 |
40 |
0.0809* |
0.5647 |
Total (fonctions de mais) |
15 |
29 |
23 |
27 |
8 |
40 |
142 |
||
Total d’emplois bruts de mais |
15 |
23 |
23 |
21 |
6 |
34 |
122 |
Légende : pour le total, le ratio d’emploi calculé en pourcentage est présenté entre parenthèses après le nombre brut. Quand le seuil p est significatif il est assorti d’une * si tendanciel (entre 0.05 et 0.08) et de ** s’il est inférieur à 0.05.
- Note de bas de page 19 :
-
Les valeurs p étant inférieures à 10 % mais supérieures au seuil de significativité de 5 %, on peut conclure qu’il existe une différence tendanciellement significative entre les médecins et les thérapeutes ; ces derniers font davantage usage des macro-fonctions interactionnelle et logico-sémantique.
26Au plan des catégories fonctionnelles, la plus mobilisée par les médecins est la macro-fonction logico-argumentative pour 43 % des emplois, puis respectivement 35 % pour la macro-fonction interactionnelle-interlocutive et 22 % pour la fonction logico-sémantique. Concernant les thérapeutes, ils utilisent majoritairement la macro-fonction interactionnelle-interlocutive pour 43 % des emplois, puis respectivement 31 % pour la macro-fonction logico-sémantique et 26 % pour la macro-fonction logico-argumentative. Sur la base des tests de Wilcoxon et de Kruskal-Wallis, nous constatons une tendance significative au profit des macro-fonctions interactionnelle (p = 0.0765) et logico-sémantique (p = 0.0809) pour les deux rôles de soignants19 (cf. Fig. 2). La différence significativement tendancielle porte sur l’usage interactionnel et sémantique de mais qui, dépendant du rôle de soignant, concerne notamment les fonctions de figement (p = 0.0722), de changement d’orientation, de sujet (p < 0.0593) et de concaténation (p = 0.0722). En revanche, la macro-fonction logico-argumentative de mais ne distingue pas les rôles.
Figure 2 : Nombre de catégories fonctionnelles prépondérantes utilisées par les médecins et les thérapeutes
Légende : les astérisques* rappellent que la différence est tendanciellement significative (cf. Tab. 4).
27Les extrait sélectionnés 4 et 5 ci-après illustrent ces tendances.
[4] – Service A
PAT1[0h02m23] : je partais un petit peu en arrière mais beaucoup moins
MED1[0h02m25] : c’est pire
PAT1[0h02m26] : ah oui là c'est beaucoup c'est beaucoup accentué
MED1[0h02m27] : ça c'est vrai que c'est : des choses qui sont difficiles à prévoir mais il arrive que la chirurgie aggrave euh
[5] – Service C
PAT3[1h25m02] : #2 un dossier comme ça #
THE3[1h25m03] : oui
PAT3[1h25m03] : et : et voilà {rires}
THE3[1h25m06] : mais ça c’est l’adversaire {ton interrogatif}
28Dans l’extrait [4], le médecin emploie mais en activant une fonction prépondérante logico-argumentative de type concession, alors que dans l’extrait [5], le thérapeute emploie prioritairement mais comme marqueur interactionnel interlocutif de type réactif.
4.2.2. Lien entre fonctions prépondérantes et fonctions secondaires de mais dans le corpus DECLICS2016
29Nous avons cherché à déterminer s’il existait un lien entre l’emploi de telle fonction prépondérante et de telle fonction secondaire. Les résultats sont présentés ci-après (Tab. 5), en précisant la distribution des fonctions secondaires de mais, telles qu’employées par les soignants selon qu’ils sont médecins ou thérapeutes.
Tableau 5 : Nombre et pourcentage de fonctions secondaires de mais utilisées respectivement par les médecins ou les thérapeutes
Médecins |
Thérapeutes |
Total |
|
Fonction interactionnelle-interlocutive |
2 (20 %) |
8 (80 %) |
10 |
Fonction logico-argumentative |
11 (31 %) |
25 (69 %) |
36 |
Fonction logico-sémantique |
12 (35 %) |
22 (65 %) |
34 |
Légende : ratio d’emploi calculé en pourcentage est présenté entre parenthèses après le nombre d’occurrences brut.
30Il n’y a pas de différence significative d’emploi différenciant les médecins et thérapeutes (p = 0.6518) quant à la fonction secondaire qu’ils activent pour mais dans leurs discours respectifs. On constate en revanche un lien tendanciel significatif qui relie la fonction prépondérante logico-argumentative et le type circonstanciel de la fonction secondaire logico-sémantique : en fait, les mais employés dans une fonction prépondérante de type opposition ou appui de discours ont davantage de chance d’être associés à une fonction secondaire de type circonstanciel (p = 0.0733).
31D’un point de vue pragmatique, il semble que mais permette au locuteur de planifier son discours ; ce faisant, en pensant et en entendant simultanément ses propres propos, lui vient l’idée de préciser les circonstances de ce qu’il objecte (opposition) ou pointe (appui de discours). C’est en quelque sorte le souci même d’ajustement à son auditeur, qui, au-delà d’une politesse linguistique (cf. Goffman, 1973), forcerait un ajustement cognitif (précisions circonstancielles) progressif au besoin d’entendement du patient/auditeur. Le tour indique, là, une pédagogie médicale en train de se faire.
Figure 3 : Présence vs absence d’une fonction secondaire de type circonstanciel par rapport à chacune des fonctions prépondérantes de la macro-fonction logico-argumentative
Légende : est porté le nombre d’occurrence brut pour chaque fonction secondaire circonstancielle telle que surajoutée à chacune des six catégories de fonctions logico-argumentatives prépondérantes de mais
32Les extraits [6], [7] et [8] ci-dessous illustrent ce lien entre emplois logico-argumentatifs et circonstanciels.
[6] – Service A
PAT1[0h17m28] : oui voilà bien sûr
THE1[0h17m30] : rentrer un moment mais là c'est vraiment vous qui me parlez de ce que de ce que vous
[7] – Service B
MED2[0h11m06] : ouais + c'est ça c'est que vous voulez pas forcer mais après l'idée c'est + peut-être manger moins
[8] – Service C
THE3[1h32m20] : indépendamment de la maison + il y aura ce qu’il vient consolider aussi la maison parce que je pense que : vous êtes : tout à fait prêt pour ça + mais que là {bruit de bouche} #1 il y a un évènement #
33Dans les extraits [6] et [7], mais a une fonction prépondérante logico-argumentative de type opposition et une fonction secondaire logico-sémantique de type circonstanciel.
34Les éléments co-textuels (là, après), accompagnant les occurrences de mais, s’interprètent comme des effets d’insistance, qui enrôlent autrui dans le déroulement des conséquences. Dans l’extrait [8], mais a une fonction prépondérante logico-argumentative de type appui de discours et une fonction secondaire logico-sémantique de type circonstanciel.
4.2.3. Les emplois trifonctionnels de mais dans le corpus DECLICS2016
35Sur les 8.2 % d’emplois trifonctionnels de mais (10 sur 122), on observe deux patterns distincts. Pour le premier, mais est employé avec une fonction prépondérante interactionnelle-interlocutive, secondaire logico-sémantique et tertiaire logico-argumentative. Ce pattern correspond à quatre occurrences d’emploi sur les dix répertoriées (occurrences 2, 5, 6 et 10). Pour le second, mais est employé avec une fonction prépondérante interactionnelle-interlocutive, secondaire logico-argumentative et tertiaire logico-sémantique. Ce pattern correspond à trois (3, 8 et 9) des dix occurrences concernées.
Tableau 6 : Répartition fonctionnelle des dix emplois trifonctionnels de mais
Occurrences situées/fonctions |
F° prépondérantes |
F° secondaires |
F° tertiaires |
|
1 |
THE1 – Service A |
*Renforcement-renchérissement |
Transition tour de parole |
Circonstancielle |
2 |
THE1 – Service A |
*Transition tour de parole |
Concaténation (archi-connecteur) |
Renforcement-renchérissement |
3 |
THE1 – Service A |
*Figement – structuration conversationnelle |
Appui de discours |
Phatique métalinguistique |
4 |
THE2 – Service B |
Opposition |
Circonstancielle |
Réactif |
5 |
THE2 – Service B |
*Transition tour de parole |
Concaténation |
Renforcement-renchérissement |
6 |
THE2 – Service B |
*Figement – structuration conversationnelle |
Circonstancielle |
Opposition |
7 |
MED3 – Service C |
Circonstancielle |
Réactif |
Renforcement-renchérissement |
8 |
THE3 – Service C |
*Réactif |
Modalisation |
Restriction de sens |
9 |
THE3 – Service C |
*Réactif |
Modalisation |
Restriction de portée |
10 |
THE3 – Service C |
*Changement d’orientation, de sujet |
Concaténation (archi-connecteur) |
Appui de discours |
Légende : les trois services sont distingués par le mode grisé ; les fonctions prépondérantes interactionnelles sont repérées par astérisque *
36On remarque que dans la quasi-totalité des cas (9/10), ce sont les thérapeutes qui utilisent la tri-fonctionnalité du marqueur mais (cf. extrait [9] ci-dessous). Dans la majorité des cas de tri-fonctionnalité, la catégorie fonctionnelle prépondérante est de nature interactionnelle (8 cas sur 10). Les thérapeutes, prompts à activer le souci de l’autre propre à leur déontologie professionnelle, emploieraient majoritairement la fonction prépondérante interactionnelle, afin, selon nous, d’enrôler autrui dans leur discours, la fonction logico-argumentative de mais apparaissant ainsi uniquement secondairement. Seul le médecin 3 du service C (occurrence 7) a occasionnellement utilisé la tri-fonctionnalité de mais, en activant pour sa part un emploi prépondérant logico-sémantique de type circonstanciel. Dans l’extrait illustratif [9], le marqueur mais a une fonction prépondérante interactionnelle-interlocutive, une fonction secondaire logico-argumentative et une fonction tertiaire logico-sémantique.
[9] – Service A
THE1[0h56m42] : juste comme ça pour revenir dans votre enfance dans laquelle et votre adolescence qui nous a quand même bien un petit peu montré l'ambiance dans laquelle un petit peu de manière difficile vous avez vécu mais bon + toutes les enfances et toutes ont leur part
37Les thérapeutes semblent ainsi se saisir d’une opportunité interactionnelle qu’ils aménagent pour introduire des macro-fonctions argumentative ou sémantique caractérisant secondairement mais. Mais intervient probablement pour assurer le rôle de thérapeute que Roulet et al. (1985) auraient qualifié d’acte essentiellement réactif au plan de la structuration du dialogue, acte destiné alors à mobiliser tout particulièrement l’interlocuteur (ici le patient), la contradiction argumentative ou sémantique portée par mais restant alors complémentaire, seconde.
5. Discussion
38Les résultats issus de l’étude quantitative (§ 4.1.) montrent que les rôles tendent à se distinguer : le médecin emploie davantage le marqueur mais que le thérapeute. Cette différence pourrait s’expliquer par la capacité du médecin à raisonner, poser un diagnostic (cf. Jouquan, Parent et Audétat, 2013 ; Audétat, Laurin et Sanche, 2011). Nous supposons ainsi qu’avec davantage d’occurrences d’emploi de mais (122 occurrences dans notre étude), nous observerions une différence éventuellement significative entre médecin et thérapeute dans l’emploi quantitatif de mais. Si nous comparons nos résultats aux études précédentes concernant les emplois en conversation ordinaire (cf. Chanet, 2003), les médecins et les thérapeutes produisent moins d’occurrences de mais que le sujet français tout venant (0.6/min dans une consultation vs 0.3 dans un entretien clinique contre 1.43/min dans une conversation tout venant ordinaire ) ; on peut conclure que la fréquence d’emploi de mais dans un contexte de soin se différencie du parler français standard (cf. les travaux de Blanche-Benveniste in Chanet, 2003). Par ailleurs, si l’on compare nos résultats de cette étude sur mais avec l’étude précédente conduite sur le marqueur donc, mais montre une différence quantitative d’emplois plus accrue entre médecin et thérapeute qu’elle n’était apparue pour donc (cf. Delsart, Auriac-Slusarczyk et Pironom, 2020) ; mais serait par conséquent un marqueur de genre de discours (consultation médicale vs entretien clinique) plus saillant ou relié aux rôles que donc. L’étude de donc avait permis de révéler que ce marqueur caractérisait davantage l’entretien clinique, soit le rôle de thérapeute. Ici, mais différencie la consultation médicale, non seulement de l’entretien clinique mais aussi de la conversation ordinaire : les emplois de mais par les médecins ne suivent pas uniquement la logique naturelle (Grize, 1998). Si la logique ordinaire, naturelle, initiée en conversation active l’usage de mais, les médecins privilégient clairement une logique argumentative, issue de leur habitude de raisonnement diagnostique et clinique (cf. Audétat, Laurin et Sanche, 2011) : nous pourrions dire qu’ils s’approchent des usages de type professoraux (cf. Bouchard, 2002). Il nous semble que mais pourrait être un marqueur, si ce n’est idéal, en tout cas intéressant pour décrire la relation de soin et différencier les emplois professionnalisant (médecins vs thérapeutes) des emplois ordinaires (humain adulte tout venant).
39Les résultats issus de l’étude qualitative (§ 4.2.1. et 4.2.2.) révèlent que les soignants activent des fonctions prépondérantes différentes, dépendant des rôles. Le médecin argumente alors que le thérapeute préférentiellement converse, interagit et réagit au discours du patient. Les professionnels soignants utilisent ainsi des stratégies divergentes servant une négociation des savoirs et pouvoirs différemment organisés et distribués pour conduire une relation de soin. Mais distingue ainsi la performance clinique des médecins et des thérapeutes. Si l’on s’intéresse au fonctionnement de mais liant fonctions prépondérantes et secondaires, nos résultats mettent en évidence que les soignants relient la fonction prépondérante argumentative assez régulièrement à la fonction secondaire logico-sémantique de type circonstanciel. L’emploi argumentatif de mais s’accompagne ainsi de précisions sémantiques circonstancielles secondaires notamment quand l’argumentation sert une opposition ou bien quand elle marque l’avancée du discours (fonction de type appui de discours) ; ceci laisse ainsi apercevoir le caractère professionnalisant des emplois de mais en contexte de soin. Il semble délicat pour un médecin comme pour un thérapeute d’exprimer son point de vue sans ajouter les circonstants qui éclairent les oppositions, précisent l’orientation, accompagnent la stratégie destinée à convaincre le patient de choisir l’alternative proposée via l’emploi de mais. En ce sens, médecins comme thérapeutes, même s’ils sous emploient mais au regard du parler ordinaire (cf. plus haut), choisissent des emplois produisant des effets perlocutoires plus ciblés : argumenter et préciser les circonstances de compréhension de ce qui est avancé vont de pair.
40Enfin, la tri-fonctionnalité du marqueur mais (§ 4.2.3.) marque une tendance lourde avec 90 % d’emplois recensés chez les seuls thérapeutes. Ces derniers pratiquent ainsi, selon notre interprétation et cotation, une négociation plus ouverte à l’interactivité, et qui laisse alors davantage de marge d’interprétation au patient dès l’emploi de mais avéré dans le discours tenu par le clinicien ; alors que les médecins pratiqueraient, pour leur part, une négociation davantage orientée, plus argumentative et logico-sémantique, réduisant la part interactionnelle dans leur économie discursive.
41L’ensemble de ces résultats méritera validation, en étendant si possible la portée des données via un échantillon plus ample de sujets (thérapeutes comme médecins spécialisés dans le suivi de maladies chroniques) ; la configuration actuelle du corpus DECLICS2016 ne permet pas encore cette extension (voir Auriac-Slusarczyk et Delsart, 2021).
6. Perspective
42« … mais encore ! »
43On peut, en termes de perspectives, s’interroger : est-ce que les stratégies des soignants découvertes dans notre étude ont une répercussion sur la place qu’occupe le patient dans la relation de soin ? On gagnerait à vérifier cette idée pour préciser l’étude menée sur les stratégies interactionnelles vs argumentatives vs sémantiques utilisées par les soignants, en introduisant la part qui revient aux stratégies discursives des patients. Nul doute que l’étude des emplois croisés de mais entre patients et soignants compléterait la présente étude, en affinant ainsi la spécificité des rapports de places construits et/ou entretenus entre soignants et patients, et ce, dans le double contexte de la consultation médicale et de l’entretien clinique, voire la spécificité des services (A/B/C) et donc de la pathologie chronique en jeu.
44De même, nul doute qu’une étude croisée des emplois respectifs des deux marqueurs les plus employés en français parlé ordinaire, à savoir mais et donc (cf. Chanet, 2003) permettrait d’accroître la portée de la présente étude, comme d’en préciser les éventuelles limites. Si l’on se réfère aux études interlocutoires que nous avons amorcées (cf. Delsart et Auriac-Slusarczyk, 2020), l’étude des stratégies interlocutoires liées aux occurrences d’emplois révélant la polyfonctionnalité de marqueurs de cohérence, comme mais et donc, pourrait apporter des résultats précieux et complémentaires à la présente contribution. Il s’agirait peut-être de saisir les effets de sens et la portée pragmatique de certains emplois, au sein de séquences interactionnelles plus longues que les seuls co-textes ici considérés. De même, l’introduction d’autres éléments de co-texte, par exemple l’intonation (Lacheret, 2011), pourrait servir à affiner l’interprétation polyfonctionnelle de mais (et donc). Enfin, analyser dans une prochaine étude à partir de l’extension du corpus DECLICS2016 (cf. Auriac-Slusarczyk & Delsart, 2021) l’interprétation de nouvelles occurrences de mais, en introduisant des jugements d’acceptabilité croisés intégrant les subtilités des nuances énonciatives telles que travaillées dans le champ de la polyphonie (Nølke, 1993, 1994 ; Fløttum, 2000), permettrait peut-être de mieux cerner la polyfonctionnalité de mais, située en contexte de soin. La question de la portée énonciative de mais (et donc) serait ainsi intégrée aux études interlocutoires qui restent à mener.