Affordances et contenu des productions discursives sur Twitter (X) : le cas de trois enseignants « influenceurs » Affordances and Content of Discursive Productions on Twitter (X): the Case of three “Influential” Teachers
Cet article analyse les productions discursives d’enseignants « influenceurs » sur Twitter (X). Leurs productions sont considérées comme un ensemble d’actions liées au design de la plateforme qui contribue à la construction de leur signification. Prenant en compte les actions préalables à la rédaction du contenu publié, notre méthode constitue, d’une part, un préliminaire à l’analyse linguisitique des contenus portés par la plateforme et, d’autre part, la singularité de notre approche à la charnière des sciences de l’éducation, de la linguistique et des sciences de l’information et de la communication. Nos résultats nous conduisent à faire l’hypothèse selon laquelle les enseignants « influenceurs » construiraient leur position en adoptant progressivement un ensemble restreint de codes énonciatifs suscitant l’engagement de leur audience, façonnant leur image par ce qu’ils disent et la manière dont ils l’énoncent. Nous enivsageons de faire de l’ethos discursif de Maingueneau un concept opératoire pour la suite des analyses.
This article analyses the discursive productions of “influential” teachers on Twitter (X). Their productions are considered as a set of actions linked to the design of the platform which contributes to the construction of their meaning. Taking into account the actions prior to the writing, our method constitutes on the one hand a preliminary to the linguistic analysis of the content carried by the platform and, on the other hand, the singularity of our approach at the crossroads of education sciences, linguistics and communication sciences. We hypothesize that “influential” teachers build their positions by gradually adopting a restricted set of enunciative codes that engage their audience, shaping their image through what they say and how they say it. We hope to make Maingueneau’s discursive ethos an operational concept for further analysis.
Introduction
- Note de bas de page 1 :
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La soutenance de la thèse est prévue au 1er trimestre 2025. La thèse s’intitule : Les nouveaux « influenceurs » de l’école ? Portraits d’enseignants ayant une large audience dans leur réseau professionnel sur Twitter (X).
1L’étude exploratoire proposée dans cet article s’ancre dans le travail de thèse de Sylvie Mas1 qui porte sur la professionnalisation des enseignants dans le contexte des réseaux sociaux numériques. Si l’intérêt de la recherche pour les communautés d’enseignants en ligne en tant qu’espace d’apprentissage remonte à la fin des années quatre-vingt-dix, il se renouvelle avec l’essor du web social et de ses usages par les enseignants et collectifs d’enseignants (Beauné et al., 2019 ; Lantz-Anderson et al., 2018).
- Note de bas de page 2 :
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Le corpus mobilisé dans l’article a été collecté avant le changement d’appellation de Twitter en X le 25 juillet 2023. Cet abandon de la marque Twitter a fait suite au rachat de la plateforme par Elon Musk le 17 octobre 2022. Nous faisons dans cet article le choix d’employer les anciennes dénominations suivies entre parenthèses des nouvelles. Le passage de Twitter en X a conduit au retrait des désignations utilisées par la plateforme, de tous les mots construits sur « tweet » et « twitt ». Nous dirons Twitter (X), tweet (post), retweet (repost), etc.
2La thèse observe plus particulièrement les enseignants actifs en ligne et ayant développé une large audience sur le réseau social Twitter2 (X). En effet, certains enseignants, parmi les plus actifs, jouent un rôle croissant dans le signalement et le renouvellement de leurs ressources par leurs pairs, proposant de cette manière de nouvelles situations de formation informelle. La forte audience de ces enseignants identifiés, construite au travers des réseaux sociaux, suggère l’émergence d’une nouvelle figure d’enseignant apparentée au phénomène des « influenceurs » du web. L’objectif de cette thèse est de caractériser l’identité, le réseau et l’activité de ces enseignants « influenceurs ».
- Note de bas de page 3 :
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Nous ne nous intéressons pas à l’influence effective des enseignants influenceurs sur les membres de leur réseau que nous ne sommes pas en mesure de quantifier. Nous interrogeons l’acception commune de « influenceur » et nous intéressons aux individus qui ont cette position et dont l’influence effective est en quelque sorte présumée.
3Nous désignons par « influenceurs » les enseignants en position d’exercer une influence3 médiée par Twitter (X) sur les membres de leur réseau. L’exercice de l’influence est notamment rendu possible par une forte connectivité avec le réseau qui peut se quantifier par l’intensité des interactions avec les publications. Sur Twitter (X), certaines interactions sont considérées comme de meilleurs indicateurs du poids d’une relation entre usagers. C’est le cas des retweets (reposts) par rapport aux like (j’aime) dans le cadre d’une discussion autour d’un sujet spécifique (Cha et al., 2010). Pour caractériser la position d’influenceur des enseignants de l’échantillon de la thèse, nous avons retenu trois critères : l’intensité de la connectivité dans le réseau, l’étendue de l’audience, et la fréquence de publication. Nous avons repéré les enseignants les plus retweetés (repostés) sur le sujet de la continuité pédagogique pendant les différentes périodes de fermeture des écoles au cours de la crise du covid 19. Parmi eux, nous avons retenu ceux dont l’audience était supérieure à 1 500 abonnés et dont la fréquence de publication était en moyenne supérieure à un tweet (post) par jour.
4Le présent article constitue une première approche visant à caractériser l’activité de publication des enseignants « influenceurs ». Nous observerons la manière dont certains d’entre eux mobilisent les différentes actions mises à disposition par le réseau social Twitter (X) pour publier en direction de leurs abonnés. Il s’agit d’une première exploration se limitant aux publications de trois enseignants de l’échantillon de la thèse qui vise à établir une méthode d’analyse et à obtenir des résultats préliminaires. Notre choix s’est porté sur trois comptes s’inscrivant de façon diversifiée dans les critères de sélection. Le compte d’@isafil présente le plus grand nombre d’abonnés, le compte d’@rimesetluttes la fréquence moyenne de publication la plus élevée et celui d’@FCahen qui présente le ratio abonnés abonnements le plus proche de un (Cf. Tableau 1).
Tableau 1 : Résultats aux critères de sélection des comptes étudiés
- Note de bas de page 4 :
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La fréquence moyenne de publication est un champ de données généré à partir de l’ancienneté du compte sur la plateforme et du nombre de publications produites par le compte depuis sa création.
Nom d’utilisateur |
Fréquence moyenne4 |
Abonnés (a) |
Abonnements (A) |
Ratio a/A |
@isafil |
4 posts/jour |
26 200 |
1 536 |
17 |
@FCahen |
6 posts/jour |
14 800 |
9 347 |
1,5 |
@rimesetluttes |
19 posts/jour |
5 367 |
688 |
7,8 |
Source : Sylvie Mas
5Notre démarche s’appuie sur le questionnement suivant : Comment les enseignants « influenceurs » sur Twitter (X) mobilisent-ils les actions relatives au format de diffusion de leurs productions discursives ? Quels sont les contenus qu’ils mobilisent ? Ces choix permettent-ils de caractériser leur activité de publication et de traduire leurs intentions ? Nous nous proposons d’examiner l’ensemble des publications de ces trois enseignants sur la période du 18 novembre au 23 décembre 2022 à la lumière d’une grille d’analyse des actions et du contenu de leurs publications. Cette évocation des actions dans l’environnement numérique nous invite à mobiliser une notion connexe, à savoir celle d’affordance. Ce concept est convoqué dans différents champs disciplinaires et revêt des acceptions différentes, c’est pourquoi il nous paraît important de clarifier la manière dont nous l’entendons dans cet article. Ensuite nous présenterons les principaux résultats de cette analyse avant d’envisager les perspectives issues de leur interprétation.
1. La notion d’affordance
1.1. Prendre en compte l’environnement technologique
6L’approche de l’activité discursive médiée (ADM) par média numérique fait l’objet d’une littérature scientifique croissante depuis le début des années 2000. L’ADM se développe conjointement à l’évolution des environnements numériques dans lesquels elle s’ancre. Dans le champ de la linguistique, l’analyse de discours est questionnée du fait de l’évolution de la matérialité des énoncés. En effet, elle ne repose plus sur une unique dimension textuelle mais sur une matérialité hybride associant textualité, iconographie d’ordres divers, hypertextualité. La linguiste Marie-Anne Paveau contribue en France à la conduite de l’analyse linguistique de ces productions numériques hybrides et à l’introduction d’une terminologie permettant de les appréhender.
La nature technodiscursive de ce type d’énoncé, définie par une complète intégration de la technique à la matière langagière, impose de modifier nos regards et de prendre pour objets d’analyse, non plus les éléments langagiers dans une perspective logocentrée, mais l’ensemble de l’environnement technodiscursif dans la perspective écologique nécessaire à une analyse du discours numérique. (Paveau, 2015, p. 2)
7Une analyse de ces productions discursives numériques intègre nécessairement une prise en considération des aspects linguistiques mais également des traits proprement techniques du langage « technolangagier » en lien avec l’environnement numérique :
Une analyse du discours numérique fondée sur une approche linguistique écologique, c’est-à-dire intégrant les dimensions technologiques des univers numériques, peut selon nous rendre compte de la complexité des énoncés natifs en ligne dans leurs contextes sociotechniques. (Develotte et Paveau, 2017)
8Dans ce nouveau paradigme, de nombreuses recherches articulant production discursive et environnement numérique émergent, multipliant les approches et les analyses sur ce matériau hybride. Elles mettent l’accent notamment sur les valeurs sémantiques de ces items technolangagiers s’intégrant dans une nouvelle syntaxe à l’instar des analyses portant sur les émoticônes et leur dimension émotionnelle. Dans cet article nous souhaitons nous inscrire dans cette perspective, mais en nous intéressant à une étape en amont de la production du contenu, à savoir le choix du format de diffusion (cf. 2.1). Relativement à ce format, nous observerons la manière dont nos trois enseignants mobilisent les actions permises par le design de Twitter (X) en relation avec le contenu de leurs productions discursives. Cette approche sémiolinguistique à la charnière avec les sciences de l’éducation et les sciences de l’information et de la communication permettra de mieux comprendre comment ces influenceurs contribuent et orientent la formation professionnelle.
1.2. Actions « externes » et « internes » sur Twitter (X)
9La plateforme Twitter (X) met à disposition un grand nombre d’actions qui sont à relier avec l’interface graphique que les concepteurs ont élaborée. Nous faisons référence aux éléments de navigation : boutons, icônes, menu déroulant, barres. Il existe deux situations de production d’une publication : soit l’usager est à l’accueil en haut de page et il peut initier l’écriture d’un tweet (post), soit l’usager fait défiler son fil de tweets (posts) généré par l’algorithme de Twitter (X) et peut alors réagir à une publication existante (Cf. Figure 1). Selon nous, ces deux situations donnent lieu à deux contextes de production. Dans le premier cas, l’usager débute une production « originale » en référence au fait qu’il s’agit d’une production autonome. Dans le second cas, l’usager publie une production « recyclée » en référence au fait qu’elle s’appuie sur le recyclage d’une production déjà existante.
Figure 1 : Emplacements des contextes de production sur Twitter (X)
- Note de bas de page 5 :
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@mascosteseque, écran d’accueil du compte le 05/11/2023, https://twitter.com/home?lang=fr
Source : Sylvie Mas5
10Ces deux types de productions sont le résultat de différentes actions relatives au choix d’un format de publication préalablement à la rédaction. Nous qualifions d’« externes » les actions relatives au choix du format de publication et d’« internes » les actions relatives à la rédaction du contenu qui peut être hybride, à savoir d’ordre textuel et/ou iconographique. Dans cet article, nous examinons les actions externes. Nous en dénombrons huit : « tweeter » (poster), c’est-à-dire rédiger une production originale ; « thread », qui consiste à rédiger d’emblée une succession de tweets (posts) ; « répondre » à une production existante à l’intérieur d’un fil associé ; « retweeter » (reposter), c’est-à-dire partager à nouveau une production sans y apporter de contenu ; « citer le tweet » (citer le post), à savoir partager à nouveau une production en y ajoutant du contenu. À ces possibilités, s’ajoute celle pour un usager scripteur de recycler ses propres productions. Nous parlons alors de « auto-réponse », « auto-retweet » (auto-repost) et « auto-citation » (Cf. Figure 2).
Figure 2 : Les actions externes sur Twitter (X)
Source : Sylvie Mas
11La Figure 2 représente l’ensemble des actions externes que nous venons de décrire. Chaque cercle représente une production discursive, la bordure représente l’usager scripteur qui la produit, les différents types de bordures représentent des usagers scripteurs différents. Les productions originales sont en bleu foncé, les productions recyclées en bleu clair. Les productions recyclées recyclent une production existante qui peut aussi bien être une production originale que recyclée, elles alternent des hachures bleu foncé et bleu clair. Les retweets (reposts) et les citations procèdent par duplication de la production existante. Dans l’interface graphique, la production existante est dupliquée, apparaissant pour la citation, dans un cadre en dessous de la citation (Cf. Figure 3).
Figure 3 : Une production recyclée par duplication : schéma et affichage
- Note de bas de page 6 :
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@FCahen, citation du 20/11/2022, https://mobile.twitter.com/FCahen/status/1594431404405841921
Source : Sylvie Mas6
12Les réponses procèdent par addition à la production existante. Dans l’interface graphique, la production recyclée s’ajoute sous la production existante (Cf. Figure 4).
Figure 4 : Une production recyclée par addition : schéma et affichage
- Note de bas de page 7 :
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@FCahen, réponse du 24/11/2022, https://twitter.com/FCahen/status/1595680716570112000
Source : Sylvie Mas7
- Note de bas de page 8 :
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Le thread est une fonctionnalité de Twitter (X) apparue en 2017 visant à normaliser ce qui était jusqu’alors un détournement des usages. En effet, un des reproches historiques faits à Twitter (X) était l’impossibilité d’y diffuser un long texte. Au fil du temps, des pratiques ont émergé telles que publier son texte sous la forme d’images jointes ou s’auto-répondre successivement en coupant son texte. En 2017, Twitter a introduit une nouvelle fonctionnalité pour répondre à ce besoin qui est aujourd’hui couramment utilisée (https://help.twitter.com/en/using-x/create-a-thread).
13Nous avons remarqué que certaines actions sont utilisées à d’autres fins que celles prévues et décrites dans le centre d’aide de la plateforme (X Corp., 2023). Par exemple, nous avons observé le cas d’un usager scripteur qui s’est auto-cité afin de répondre à une réponse qui lui avait été faite. Plutôt que de placer sa publication dans le fil habituel des réponses, il a choisi de publier son contenu une nouvelle fois, augmenté de son commentaire, à l’ensemble de son réseau. Ce choix a pu être guidé par l’intention de mettre la publication davantage en valeur que s’il avait été dans le fil de réponses ou de ne pas entrer en interaction directement avec un autre usager, par exemple. Nous avons aussi noté qu’une production peut être le résultat d’un ensemble complexe d’actions de recyclage qui peuvent provenir de différents scripteurs usagers mais aussi du même. Par exemple, un usager scripteur qui s’auto-répond dans des temporalités différentes pour développer a posteriori ses arguments. Un usage qui diffère du « thread8 » produit dans le cadre d’une unité spatio-temporelle. Si l’interface de Twitter (X) impose un éventail d’actions assez contraint, il semble que certains scripteurs usagers expérimentés, comme les enseignants influenceurs, y développent d’autres usages. Le développement de ces usages nous amène à présenter une notion connexe à l’action qu’est l’affordance.
1.3. L’affordance : un potentiel d’interaction
14Considérer l’émergence de nouveaux usages nous conduit à retenir comme conception de l’affordance celle qui se rapproche le plus de la pensée du psychologue américain James Gibson. À l’origine d’une nouvelle approche de la perception visuelle, sa théorie écologique de la perception s’articule autour de deux concepts principaux : celui de champ de vision et celui d’affordance, un néologisme formé sur le verbe anglais to afford (fournir, offrir la possibilité), qui désigne un
[...] potentiel d’interaction concernant des propriétés actionnables de l’environnement, propriétés qui s’actualisent lors d’une relation entre certaines caractéristiques d’un milieu et certaines capacités d’un agent percevant et agissant. En d’autres termes, les affordances sont des propriétés de l’environnement associées par un animal ou un humain à des actions spécifiques dans un système donné. Les affordances apparaissent comme des « propriétés » qui naissent de l’interaction de deux éléments complémentaires d’un système, l’organisme et l’environnement. (Darras & Belkhamsa, 2008, p. 133)
15L’affordance est un processus mental qui préside à nos actions, relevant le plus souvent de l’implicite et de l’automatisation, c’est-à-dire d’habitudes construites au travers de nos expériences. De ces habitudes, d’une situation particulière, d’un état émotionnel, d’un besoin particulier, etc. peuvent émerger de nouvelles affordances dont découlent alors de nouveaux usages :
Plus le sujet a d’expérience, plus les objets afforderont des choses différentes. [...] De manière cyclique, cet usage d’abord inédit peut se stabiliser à son tour, instaurant à nouveau une routine. L’expérience est ainsi conçue dans une dynamique d’appropriation (de mise en routine) et d’innovation. (Ruchon, 2019, §. 26)
- Note de bas de page 9 :
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Un ticker est un objet numérique iconotextuel qui est une sorte d’échelle temporelle utilisée par les internautes sur les forums associés à des événements (future naissance, projet de mariage, etc.).
16Ruchon (2019) convoque Gibson pour expliquer la manière dont certains utilisateurs détournent les fonctionnalités d’un ticker9 dans le but de répondre à un nouveau besoin des usagers. Ce détournement passe par un processus mental au cours duquel l’usager renouvelle l’affordance fournie par l’environnement avec lequel il est conduit à interagir différemment. C’est également le phénomène dont procède l’introduction du thread sur Twitter (X) en 2017. L’apparition de cette nouvelle fonctionnalité venait établir ce qui était jusqu’alors un détournement d’usages remédiant à l’impossibilité de diffuser un long texte sur la plateforme. Dans ce processus de renouvellement de l’affordance, Ruchon insiste particulièrement sur le rôle déclencheur de la situation comprenant un ensemble d’éléments tels que l’état psychique, les émotions, les besoins, etc. et sur le rôle prépondérant des habitudes. Cependant, à la différence de Ruchon et de Paveau, nous séparons l’emploi du terme « action » que nous utiliserons pour désigner l’agir et celui de « affordance » que nous utiliserons pour le penser. Nous emploierons « usage » pour désigner la manière de mobiliser les actions.
17À travers l’examen des actions externes mobilisées par les enseignants influenceurs sur Twitter (X), nous cherchons à vérifier l’hypothèse selon laquelle ils privilégieraient certaines actions, ce que pourraient suggérer ces paroles de @isafil :
[1] J’ai cherché [dans les années 2010] un réseau où je pouvais m’identifier en tant que professionnelle de l’éducation et où je pouvais agir avec plus de rapidité. [...] D’où Twitter et le microblogging. Les 140 signes correspondaient à mes possibilités de temps d’interaction. [...] je ne réponds pas aux gens, je retweete très peu car j’ai cette contrainte de temps. [...] Twitter est d’abord un exercice de style, c’est un exercice d’écriture. Le premier mot de mon profil est auteure, j’y trouve un plaisir d’écriture par rapport au temps que je veux me donner. (@isafil, 2022, entretien l. 12 - 26).
18D’autre part, nous appuyant sur le constat de l’émergence de nouvelles affordances, nous faisons également l’hypothèse que l’émergence de nouveaux usages pourrait être caractéristique de l’activité de publication des usagers expérimentés que sont les enseignants influenceurs. Enfin, ces paroles de @isafil apportent un éclairage sur la signification des contenus publiés :
[2] J’ai commencé à faire des tweets sur les élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP) qui ont trouvé un écho très fort. [...] Quand j’en ai pris conscience, j’ai épuré aussi ma ligne éditoriale : des ressources, des éclairages [...] Petit à petit, j’ai fait un entonnoir dans mes publications. Et curieusement, cela a été une surprise de voir qu’autant de personnes se fédèrent autour de ce compte (@isafil, 2022, entretien l. 31-44).
19Concernant notre questionnement sur le sens porté par le contenu des publications, nous faisons également l’hypothèse que les enseignants influenceurs privilégieraient certains contenus.
2. Analyse comparative des publications de trois enseignants
2.1. Méthodologie
20Cet article rend compte d’une première exploration des publications de trois enseignants sur une période s’étendant du 20 novembre 2022 au 23 décembre 2022. Nous avons analysé statistiquement ces productions au regard de la grille d’analyse que nous décrivons au 2.2. L’objectif est d’observer la manière dont les enseignants influenceurs se saisissent des actions externes en lien avec le contenu des productions afin de caractériser leur activité de publication. D’une part, cette première exploration vise à permettre d’établir une méthode d’analyse. D’autre part, les résultats préliminaires obtenus permettront de consolider des hypothèses existantes ou d’en élaborer de nouvelles.
21Notre corpus est constitué de 251 publications regroupées en trois sous-corpus correspondant à chacun des trois comptes qui les a publiés. Concernant le compte de @isafil, le sous-corpus est constitué de 40 publications, concernant @rimesetluttes le sous-corpus est fait de 77 publications et concernant @FCahen le sous-corpus est fait de 134 publications. Nous inscrivant dans une perspective prenant en compte l’environnement technodiscursif, nous avons choisi de collecter les données au jour le jour sous forme de captures d’écran. Ce type de collecte permet de donner à voir le tweet (post) dans sa matérialité hybride à l’intérieur de l’interface graphique de Twitter (Segault, 2020). Nous avons réalisé des captures d’écran dites défilantes de l’intégralité de la publication qui incluent les interactions des autres usagers scripteurs. Au moment de la capture nous avons relevé la date, l’heure et l’URL de la publication, et noté un court résumé de son contenu. Pour la fluidité de la lecture, nous n’avons pas inséré ici les captures d’écran des publications utilisées pour illustrer les indicateurs retenus pour l’analyse.
2.2. Indicateurs retenus pour l’analyse
22Nous proposons de passer les productions de notre corpus au prisme d’une grille d’analyse composées de deux indicateurs : les actions mobilisées et le contenu produit. Nous nous intéressons ici à la manière dont les scripteurs usagers mobilisent les actions externes. Nous faisons référence au choix du format de la production originale ou recyclée. Cet indicateur se décline en huit valeurs : « tweeter » (poster), « thread » (discuter), « répondre », « retweeter » (reposter), « Citer le tweet » (citer le post) ainsi que « s’auto-répondre », « s’auto-retweeter » (s’auto-reposter) et « s’auto-citer ». Le choix de ces actions est porteur de sens dans la mesure où il conditionne le format de la production discursive à proprement parler.
23Nous avons cherché à mettre ce format en relation avec le contenu des publications. Au fur et à mesure de l’analyse du corpus nous avons élaboré deux variables permettant une première caractérisation du contenu. Nous avons retenu la catégorie de contenu (la thématique générale sur laquelle porte la production discursive) et le registre de contenu (l’usage de la langue en lien avec la situation psychologique de l’usager scripteur). Pour chacun, nous avons retenu trois valeurs : personnel, pédagogique et métier pour la catégorie et auto-centré, engagé et informationnel pour le registre. Nous les illustrons par la suite par des exemples de publications.
Figure 5 : Grille d’analyse du contenu discursif des publications
Source : Sylvie Mas
24Concernant la catégorie de contenu, nous avons déterminé si le contenu de la publication était personnel ou professionnel. Nous avons classé dans « personnel » toutes les publications qui ne relevaient pas du domaine de l’éducation. Ainsi ce tweet (post) dans lequel @FCahen déplore les conditions de transport et la hausse des tarifs :
- Note de bas de page 10 :
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https://mobile.twitter.com/FCahen/status/1596942112242950144
[3] Je viens encore de vivre un trajet de métro écrasée par des usagers tout aussi aplatis que moi comme des crêpes par les autres. Alors apprendre que le ticket augmente en janvier alors que la détérioration des services Ratp ne cesse de se poursuivre m’énerve pas mal. (@FCahen, publication du 27/11/2022, URL10)
25Dans le cas où le contenu était professionnel, nous avons déterminé s’il portait sur le pédagogique ou le métier. Parmi les publications relevant de l’éducation, nous avons classé dans « pédagogie » ce qui touchait à l’action d’enseigner :
- Note de bas de page 11 :
[4] Pépite #pedagogie ❤️ Comment aider nos élèves à mémoriser, à devenir plus autonomes, plus attentifs … ? Ce mémo des gestes professionnels préconisés par la recherche est à diffuser MASSIVEMENT à tous les enseignants. [À la ligne] @CsenOfficiel 🙏 [À la ligne] ; [Lien vers le document]. (@isafil, publication du 25/11/2022, URL11).
26Les publications restantes ont été classées dans « métier ». Elles peuvent aussi bien toucher aux conditions de travail, qu’au statut professionnel, aux injonctions institutionnelles, etc. Par exemple ce tweet (post) ironique à propos des compétences numériques que les enseignants devraient développer comparées aux compétences requises pour voter de façon dématérialisée aux élections professionnelles dont la procédure peu ergonomique était fastidieuse :
- Note de bas de page 12 :
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L’URL du tweet (post) n’est plus fonctionnelle depuis la suppression du compte de @rimesetluttes fin décembre 2022 : https://mobile.twitter.com/rimesetluttes/status/1600173047855448078
[5] J’ai assisté encore aujourd’hui à une réunion dans laquelle on a expliqué qu’il fallait former les profs au numérique. Je ne vois pas quelle certification supplémentaire il faudrait obtenir quand on a réussi à exercer son droit de vote aux #électionsprofessionnelles2022 ! (@rimesetluttes, publication du 6/12/2022, URL12)
27Dans un second temps nous avons précisé cette première caractérisation des contenus en classant les publications dans l’un des registres suivants : auto-centré, engagé et informationnel. Pour classer les publications dans l’un des registres mentionnés, nous avons observé plus finement le contenu du tweet (post), notamment pour le registre engagé. Pour caractériser les différents registres, nous avons observé les marqueurs suivants : la relation entre le texte et l’image (média joint), l’usage de procédés stylistiques et typographiques, la présence/absence de déictiques énonciatifs, d’émoticônes, de hashtags et de mentions. Nous illustrons et justifions notre classement par la suite.
- Note de bas de page 13 :
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Nous avons fait le choix de ne pas attribuer plusieurs registres à une publication. Dans le cas des publications classées dans « auto-centré » et « engagé », toutes dans notre corpus, nous avons priorisé « auto-centré » sur « engagé ».
28Nous avons regroupé dans un premier temps sous « auto-centré »13 les publications dont le contenu dit quelque chose de l’usager scripteur lui-même ou ses capacités, à l’instar de ce tweet (post) où @FCahen prend le prétexte d’une émission télévisuelle pour faire état de sa propre pratique d’enseignante :
- Note de bas de page 14 :
[6] Je n’avais pas regardé la Star Academy et je réalise en regardant quelques images que leur prof de théâtre Pierre de Brauer est celui qui a animé des ateliers théâtre dans mes classes au lycée les deux années dernières... (Et c’est vrai qu’on en garde de très bons souvenirs !). (@FCahen, publication du 27/11/2022, URL14).
29Dans cette publication, @FCahen se présente comme une professeure engagée auprès de ses élèves dans des projets d’éducation artistique avec une dimension partenariale, la conduisant à travailler avec des personnalités. Elle adopte un procédé fréquent sur les réseaux sociaux qui consiste à faire une histoire (storytelling), à partir de ce que l’on vit au moment où on le vit, à la première personne du singulier.
30Nous avons regroupé dans le registre « engagé » les publications qui faisaient état d’une prise de position par rapport à des questions professionnelles sociales ou politiques à l’instar de ce tweet (post) classé dans « personnel » et « engagé » :
- Note de bas de page 15 :
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Ibid., https://mobile.twitter.com/rimesetluttes/status/1595037263704248322
[7] La presse locale annonce la présence à #Dijon de #DarmaninDemission, #Macron et #DupontMoretti le #25NOVEMBRE, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. [À la ligne] 3 hommes. Et pas n’importe lesquels, des ennemis des femmes et du féminisme. [À la ligne] Envie de vomir. [Média joint]. (@rimesetluttes, publication du 22/11/2022, URL15).
- Note de bas de page 16 :
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Une mention est une citation du nom d’utilisateur d’un ou plusieurs usagers, précédée du signe typographique arobase « @ » dans le texte de la publication. Les usagers mentionnés sont notifiés de la mention. https://help. twitter.com/fr/using-x/mentions-and-replies
- Note de bas de page 17 :
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Un mot-dièse ou hashtag est un mot-clé composé du signe typographique dièse « # » (hash) auquel sont accolés un ou plusieurs mots dénommés « étiquettes » (tags). Il permet de marquer un contenu afin de le partager et d’y faire référence plus facilement. Son utilisation est popularisée par les réseaux sociaux où les usages diffèrent selon les plateformes. À partir de 2009, Twitter a commencé à interpréter automatiquement les hashtags en liens hypertextes menant vers une page de résultats de son moteur de recherche recensant tous les tweets (posts) contenant le hashtag.
31Dans cette publication, @rimesetluttes prend position par rapport au média joint en dénonçant les faits rapportés. On observe d’abord une opposition entre le texte et le visuel du média joint. Dans le contenu interne de la publication, nous remarquons également un procédé stylistique de contraste entre la première et la seconde partie à partir du premier retour à la ligne. La première partie relate des faits et la deuxième laisse place à l’interprétation avec une ellipse du « je ». Nous observons également l’absence de mentions16 au profit d’un usage de différents mots-dièse17 désignant des personnalités politiques et parfois une affaire dans lesquelles ils seraient impliqués.
32La caractérisation du registre engagé est complexe car les marqueurs que nous observons peuvent être mobilisés de façons différentes. Pour une meilleure compréhension, nous ajoutons l’exemple d’une publication de @isafil classée dans « pédagogique » et « engagé » :
- Note de bas de page 18 :
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Ibid., https://mobile.twitter.com/rimesetluttes/status/1595037263704248322
[8] Mon coup de cœur #accessibilité ❤️ @CantooScribe est un cahier numérique pour l’école conçu pour le #DYS 👍 Boîte à outil tout-en-un qui facilite la lecture et l’organisation, visant l’autonomie et l’accès aux apprentissages. Bientôt dans le GAR des ENT (@isafil, publication du 21/11/2022, URL18).
33Dans ce post, @isafil prend position par rapport à l’application mentionnée. Elle la recommande vivement, mettant l’accent sur son enthousiasme et argumentant son choix. En témoigne d’abord un accord entre le texte et le visuel du lien joint, puis, dans le contenu interne du post l’emploi d’un procédé d’emphase par la répétition entre le textuel et l’iconique « coup de cœur », « ❤️ », « 👍 », l’usage de la première personne du singulier « Mon », l’usage de hashtags au service de la cause de l’école inclusive « #accessibilité », « #DYS », et la mention du produit recommandé en signe de reconnaissance « @CantooScribe ».
34Ces deux exemples témoignent de la complexité du classement à opérer dans le registre « engagé ». En effet, le registre engagé regroupe des productions faisant appel à des procédés rhétoriques divers : opposition ou accord entre le texte et l’image, effet stylistique de contraste ou de répétition, usage de mots-dièse désignant dans certains cas des personnes dans l’autre des thèmes, absence ou présence de mentions.
35Pour finir, ce qui n’était pas caractéristique des deux registres précédents a été classé dans « informationnel ». Dans notre corpus, cela ne concerne que des productions recyclées sans ajout de contenu à savoir des retweets (reposts). Par exemple, cette publication de @isafil qui partage une information de @HAS_sante (Haute Autorité de santé) concernant la journée internationale des personnes handicapées :
- Note de bas de page 19 :
[9] 📆 Journée internationale des personnes handicapées | Accompagner la scolarité & contribuer à l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap ou protégés [A la ligne] Consultez les recommandations HAS ➕le replay du #webinaire [Lien joint] (@isafil, publication du 03/12/2022, URL19)
36Cette analyse est une première approche qui va permettre d’obtenir des résultats d’ordre quantitatif et qualitatif à interpréter. Nous nous appuierons sur l’interprétation de ces résultats pour mettre en perspective une analyse ultérieure plus fine portant sur le contenu propre, « actions internes », des productions « originales » et « recyclées ».
3. « Pour » ou « contre » : l’engagement en faveur d’une cause
3.1. Privilégier certaines actions externes
37Les graphiques à secteurs qui suivent font état de la répartition des différentes actions utilisées par chacun des enseignants de l’échantillon (à savoir ici trois femmes) et reprennent le code couleur des figures 2 et 3. Les publications de @isafil se répartissent en 60 % de tweets (posts), 35 % de retweets (reposts). À la marge, elle utilise une citation et une auto-citation et n’a pas utilisé les actions de s’auto-retweeter (s’auto-reposter), ni de rédiger un thread, ni de répondre ou de s’auto-répondre. Elle utilise principalement deux types d’actions où le tweet (post) est majoritaire. Les publications de @rimesetluttes se répartissent en 55 % de retweets (reposts), 15 % de tweets (posts) et de citations, 9 % d’auto-réponse. À la marge, elle utilise une fois l’auto-retweet (auto-repost), une fois la réponse et n’utilise pas le thread (discuter). Enfin, les publications de @FCahen se répartissent en 38 % de tweets (posts), 24 % de retweets (reposts), 17 % d’auto-réponses, 9 % de réponses et 8 % de citations, pas de thread (discuter) ni d’auto-retweet (auto-reposts).
Figure 6 : Graphique à secteurs de la répartition des publications par action
Source : Sylvie Mas
38Nous observons que chaque usager mobilise un ensemble d’actions externes privilégiées. Ainsi, @isafil tweete (poste), elle réalise majoritairement des productions originales. Elle exprime d’ailleurs un désintérêt pour la pratique du retweet (repost) :
[10] Je me suis désabonnée des comptes qui ne faisaient que retweeter [reposter]. Je voulais rester abonnée à des gens qui expriment leurs opinions avec leurs propres mots. (@isafil, 2022, entretien l. 147-149).
39Secondairement, elle fait aussi un important travail de relais de publications. L’analyse des actions externes consolide les premiers résultats issus de l’analyse de son réseau structuré de façon à pouvoir faire circuler des publications de la sphère Twitter (X) du handicap vers la sphère de l’éducation.
- Note de bas de page 20 :
-
Twitter (X) a été créé en 2006, @isafil a créé son compte en 2008, @rimesetluttes en 2015, @FCahen en 2006.
40A l’inverse, @rimesetluttes retweete (reposte). La majorité de son activité de publication n’apporte donc pas de contenu à la production qu’elle recycle. Elle remet en circulation des publications d’autres usagers parmi lesquels beaucoup de comptes des différentes sections du SNES. Quant à @FCahen, elle mobilise une diversité d’actions externes. Elle utilise quasiment l’ensemble du panel des actions externes avec, à la marge, l’auto-citation. Malgré cette diversité apparente, les trois quarts de ses publications ont en commun de donner lieu à la rédaction d’un contenu. Elle est donc celle qui rédige le plus même si @isafil est celle qui publie le plus de productions originales. À l’inverse des deux autres enseignantes, elle est aussi celle qui consacre une partie non négligeable de son temps en ligne à échanger individuellement et en public avec d’autres usagers scripteurs dans des fils de discussion. Sur la période, aucune des trois enseignantes n’a utilisé l’action thread (discuter). L’usage de cette fonctionnalité requiert d’avoir conçu l’ensemble des publications au moment du choix du format. Or @FCahen réagit, commente et développe souvent en différé. Par conséquent, elle ne peut utiliser la fonctionnalité et s’auto-répond. Par ailleurs, ce sont toutes les trois des usagers de longue date20 de Twitter (X) et on peut facilement imaginer qu’elles ont construit des habitudes de publication antérieurement à l’apparition du thread en 2017.
3.2. Privilégier une catégorie de contenu
41Concernant les catégories de contenus, les publications de @isafil se répartissent en 60 % de contenus pédagogiques, 25 % de contenus métier et 10 % de contenus personnels. Les publications de @rimesetluttes se répartissent en 4 % de contenus pédagogiques, 63 % de contenus métier et 33 % de contenus personnels. Celles de @FCahen se répartissent en 7 % de contenus pédagogiques, 34 % de contenus métier et 60 % de contenus personnels.
Figure 7 : Graphique à secteurs de la répartition des publications par contenus
Source : Sylvie Mas
42Chaque usager scripteur publie à l’intérieur de chacune des trois catégories de contenu mais chacun d’entre eux privilégie une catégorie à hauteur de deux tiers de ses publications. À l’exception de @FCahen qui publie majoritairement des contenus personnels, les deux autres enseignantes privilégient les contenus professionnels : le pédagogique pour @isafil et le métier pour @rimesetluttes. Si le pédagogique concerne plus des deux tiers des publications de @isafil, il est le contenu à la marge des publications de @FCahen et @rimesetluttes, le personnel se trouvant à la marge chez @isafil.
3.3. Le registre engagé : un registre commun
43Concernant les registres de contenu, les publications de @isafil se répartissent en 52,5 % de contenus engagés, 27,5 % de contenus informationnels et 20 % de contenus auto-centrés. Les publications de @rimesetluttes se répartissent en 92 % de contenus engagés, 8 % de contenus informationnels et pas de contenu auto-centré. Les publications de @FCahen se répartissent en 50 % de contenus engagés, 21 % de contenus informationnels et 28 % de contenus auto-centrés.
Figure 8 : Graphique à secteurs de la répartition des publications par registres
Source : Sylvie Mas
44Chaque enseignant s’exprime sur des thématiques différentes et variées : le handicap, les positions syndicales et son identité personnelle mais les trois mobilisent un registre commun. Il s’agit du registre engagé qui prend des formes rhétoriques différentes (cf. 2.2). Ce faisant, chacun fait de sa thématique privilégiée une cause en faveur de laquelle il plaide par ses publications. Cela, qu’il s’agisse de la cause d’une école accessible à tous et émancipatrice pour @isafil, de la lutte pour la défense des intérêts statutaires des enseignants pour @rimesetluttes ou de la cause féministe et de la déconstruction des idées reçues relatives au métier d’enseignant concernant @FCahen.
4. Discussion et perspectives
45Notre article étudie la publication numérique appliquée à l’analyse de productions discursives provenant d’enseignants influenceurs sur Twitter (X). Ces productions discursives numériques ont été envisagées en tant qu’ensemble d’actions liées au design de la plateforme et associées par les influenceurs à des pratiques de communication et d’interaction. Cet ensemble d’actions et les affordances associées contribuent à la construction de leur signification. Ainsi, nous avons élaboré une méthode d’analyse prenant en compte les actions externes, préalables à la rédaction du contenu. La prise en compte de ces actions relatives au choix du format de publication constitue la singularité de notre approche à la charnière des sciences de l’éducation, de la linguistique et des sciences de l’information et de la communication.
46Nous avons observé que chacun des trois enseignants influenceurs de notre échantillon privilégie certains formats, contenus et même probablement certaines stratégies rhétoriques. Nos données conduisent à faire l’hypothèse que cette manière de s’en tenir à un ensemble restreint de choix est orientée par l’intention de construire, maintenir et développer une position d’influenceur. Cette hypothèse a pour corollaire que ces choix seraient opérés par l’influenceur grâce aux marqueurs visibles d’engagement de son audience : la comptabilisation des vues, des like (j’aime), des retweets (reposts) et des réponses. En d’autres termes, l’enseignant influenceur construirait sa position en adoptant progressivement certains codes énonciatifs qui suscitent l’engagement de son audience. À ce point, nous établissons un parallèle avec la notion d’ethos discursif développée par Maingueneau (2015, §2) selon lequel : « en énonçant, tout locuteur active nécessairement chez l’interprète la construction d’une certaine représentation de lui-même, qu’il doit s’efforcer de contrôler ». Nous envisageons comme piste de cadre théorique la possibilité de rendre ce concept opératoire pour analyser le discours des enseignants influenceurs sur Twitter (X). En effet, par son activité de publication, l’enseignant influenceur construit une image de lui-même auprès de son réseau, autant par ce qu’il dit de lui-même que par la manière dont il l’énonce. Les réactions de son audience lui permettent de prendre conscience de cette image qu’il s’efforce ensuite de contrôler dans le but maintenir sa position.
47Pour finir, si notre étude constitue un apport méthodologique à l’analyse de discours appliquée aux productions discursives numériques sur les réseaux sociaux en offrant un cadre d’analyse de Twitter (X), elle propose également un préliminaire d’analyse des contenus portés par la plateforme à travers le regard porté sur les actions externes. Pour consolider cette analyse préliminaire, nous envisageons l’examen des publications de nos trois enseignants influenceurs sur d’autres périodes avant de l’étendre à l’ensemble des autres usagers de l’échantillon de la thèse. Cela permettra d’observer dans quelle mesure ils s’inscrivent ou s’éloignent des trois usagers étudiés dans cet article, une des ambitions de la thèse étant de parvenir à établir une typologie des enseignants influenceurs.