Estrella CASERO, La España que bailó con Franco. Coros y Danzas de la sección femenina, Madrid, Nuevas Estructuras, 2000, 121 p., ISBN: 84-95466-05-8.

Julie OLIVIER 

Pendant la dictature franquiste (1939-1972), les Coros y Danzas de la Section Féminine de la Phalange Espagnole ont été les représentants de la conception de la danse nationale ainsi que les artisans de l’influence de la morale puritaine sur les danses et costumes régionaux espagnols. Cette section, considérée comme inoffensive et secondaire, a été un exemple notoire du lien entre le rôle que le régime assignait à la femme et la danse comme vecteur de communication de l’idéologie franquiste.

During the Franco dictatorship (1939-1972), the Coros y Danzas of the Women's Section of the Spanish Falange both embodied the concept of national dances and brought puritanical morality to bear on Spanish regional dances and costumes. This section, which was considered innocuous and unimportant, was a notable example of the link between the role that the regime assigned to women and dance as a vehicle for communicating Franco's ideology.

Texte

1Estrella Casero García (1960-2003) était professeure de danse espagnole et a fait partie de nombreuses compagnies de danse aussi bien en Espagne qu’à l’étranger. En plus de sa profession artistique, elle s’est dédiée à la recherche en danse à l’Université de Surrey et, en 1998, elle a terminé sa thèse intitulée Women, Fascism and Dance, 1937-1977. Cette thèse, considérée comme l’un des premiers travaux qui, depuis les études de genre, analyse l’utilisation de la Section Féminine de la Phalange par le régime franquiste comme arme de propagande, a donné lieu au livre que nous nous proposons de présenter.

2Dès l’introduction de son ouvrage, Estrella Casero insiste sur la nécessité d’étudier la sous-section Chants et Danses (Coros y Danzas) de la Section Féminine de la Phalange espagnole créée en 1939, trop méconnue et peu représentée dans les travaux de recherche. Ce vide scientifique sur le sujet pourrait laisser penser que cette section, de par son caractère culturel, n’a pas participé à la divulgation de l’idéologie franquiste en Espagne et à l’étranger. Cependant, il n’en est rien. C’est justement ce que l’auteure veut démontrer à travers ce travail de 121 pages composé de six chapitres thématiques.

Note de bas de page 1 :

Constitution Espagnole de 1931. https://www.congreso.es/cem/const1931.

Note de bas de page 2 :

Pour en savoir plus sur ce sujet, voir Chuse, 2007.

3Le premier chapitre du livre intitulé « Femme, Phalange et Section Féminine » propose de rappeler le statut de la femme à cette époque et le rôle de la Section Féminine. Comme le souligne l’auteure, toutes les tentatives concernant l’émancipation et la représentation de la femme dans l’espace public pendant la Seconde République (1936-1939) (articles 25, 36, 40, 43, 53 de la Constitution de 19311) se sont écroulées après le coup d’État organisé par le général Francisco Franco en 1939. Nous devons néanmoins nuancer ce propos dans la mesure où bon nombre de ces articles n’ont jamais vraiment pu être appliqués, et ce, en raison d’une forte opposition de la part de l’Espagne conservatrice2. Sous la dictature, la soumission, l’esprit de sacrifice, la fragilité, l’éducation des enfants, la maternité ou encore le soin à la personne formèrent ainsi la nouvelle définition des véritables fonctions féminines. Les mots du fondateur de la Phalange José Antonio Primo de Rivera, prononcés à Badajoz le 28 avril 1935 et relevés par Estrella Casero, appuient d’ailleurs cette idée :

Le vrai féminisme ne devrait pas consister à vouloir que les femmes aient accès aux rôles considérés aujourd’hui comme supérieurs mais à valoriser de plus en plus humainement et socialement les fonctions féminines (Casero, 2000, p. 17).

4La Section Féminine, « vaste tissu institutionnel » (pour reprendre les mots de l’auteure), et dont l’organisation complexe et extrêmement hiérarchisée est détaillée à la fin du chapitre, avait initialement pour mission de soutenir les victimes de la guerre (los caídos) en confectionnant des habits, en soignant les blessés ou encore en distribuant des aliments pendant la guerre. Peu à peu, cette section prenait en main « l’éducation » des jeunes femmes afin qu’elles correspondent au modèle féminin prôné par le régime. Il s’agissait pourtant moins d’éducation que d’endoctrinement politique dans la mesure où l’enseignement était orienté idéologiquement. Ainsi, cet endoctrinement se traduisait, entre autres, par l’enseignement des valeurs traditionnelles, l’exaltation du passé grandiose de l’Empire espagnol ainsi que la récupération de figures féminines telles que Isabelle la Catholique et Sainte Thérèse d’Avila qui représentaient, pour le régime, la grandeur de l’Espagne, son unité et un dévouement catholique sans faille. Néanmoins, comme le souligne Estrella Casero, il est important de relever deux étapes distinctes dans l’évolution de cette Section. Jusqu’en 1960, la posture idéologique qui confirmait le rôle dépendant et soumis de la femme envers toute figure masculine était incontestable. Passé cette date, l’adaptation de la mentalité espagnole à l’évolution globale de la société a favorisé un changement de la perception de ce rôle réduit, explicité par exemple dans les Lois sur l’Égalité des Droits Politiques, Professionnels et de Travail de la Femme du 22 juillet 1961 : « Le sexe biologique en lui-même ne doit évidemment impliquer aucune limitation… » (Casero, 2000, p. 18). L’auteure déclare pourtant, sans entrer dans les détails, que même si ce changement idéologique était visible dans les lois, il ne l’était pas forcément dans l’organisation de la Section Féminine. Elle justifie cela en relevant le fait que cette section a été dirigée jusqu’à la fin par une seule et même personne : Pilar Primo de Rivera, sœur de José Antonio Primo de Rivera.

5Le deuxième chapitre de ce livre se centre davantage sur la section Chants et Danses. Selon la thèse de l’auteure, les Coros y Danzas utilisaient la danse et le chant comme de véritables armes culturelles de propagande. Avant d’en analyser les mécanismes, Estrella Casero insiste sur la nécessité de comprendre tout d’abord le contexte politique et social qui a précédé et entouré la formation de cette section. Si la véritable nature, structure de pouvoir et organisation du franquisme fait encore débat auprès des historiens, la figure centrale de Franco dans le développement de sa politique est un point sur lequel tous s’accordent. Cette particularité est intéressante selon l’auteure puisqu’un pouvoir fondé sur une seule personne n’aurait pu tenir jusqu’à la mort de cette dernière sans l’instauration d’une base sociale solide. En se servant des observations de S. M. Ellwood et de son livre intitulé Prietas las filas. Historia de la Falange Española, 1933-1983, Estrella Casero remarque qu’un des groupes sociaux sur lequel le franquisme s’est appuyé au début a été les classes moyennes/basses qui, selon les mots de Ellwood, « aspiraient à s’élever socialement ». Cette classe qui admirait la classe supérieure, se sentait menacée par la progression de la gauche qui voulait réformer tout ce qui, pour elle, étaient des piliers (l’Église, la propriété privée, le mariage et la famille). La Phalange a donc fait en sorte de répondre à cette « clientèle » au moyen de la création de diverses institutions. C’est donc dans ce contexte que l’éducation des femmes et la culture populaire ont été confiées à la Phalange par le biais de la création de la Section Féminine et, plus spécialement, de la section Chants et Danses. Le département de musique auquel appartenait les Coros y Danzas avait pour mission de renforcer l’union d’une Espagne géographiquement et culturellement diversifiée. Pour cela il fallait former les futures professeures de musique et de danse qui, une fois titularisées, devaient créer des chorales, enseigner les chants et les danses mais aussi collecter le folklore de leur région afin de l’enseigner à leur tour à leurs élèves qui accouraient en masse. En effet, comme le remarque Casero, quoi de mieux que la musique et la danse pour oublier les dures années de la guerre ? C’est en se servant de l’apparente inoffensivité et de la légèreté de ces deux disciplines que la Section Féminine, à travers la création de concours, ralliait de plus en plus de femmes dans ses rangs. Néanmoins, l’auteure explique que ce n’est qu’à partir de 1948 que la section Chants et Danses acquiert un rôle de premier plan, et ce, en raison des nombreuses difficultés économiques et sociales rencontrées après la Guerre Civile. Telle une « croisade artistique », les Coros y Danzas étaient consciemment utilisés à partir de cette date par le régime, pour diffuser une image positive du pays à l’étranger en utilisant des jeunes femmes bien éduquées, jolies, disciplinées et « protégées par l’innocence de leur activité ». Comme le souligne Estrella Casero, grâce à de telles armes, les Coros y Danzas pouvaient conquérir des territoires difficiles d’accès aux représentants officiels d’une Espagne qui avait été mise à l’écart suite à la déroute du nazisme. Les groupes de danses et de chants ont pu ainsi se rendre en France, en Amérique Latine, en Grèce, en Turquie, au Liban, en Égypte, en Belgique, en Italie ou encore en Allemagne, en tant qu’ambassadeurs d’un pays artificiellement uni, contribuant ainsi à la lutte contre l’isolement de l’Espagne par la communauté démocratique.

6Le troisième chapitre intitulé « Le démon du corps » analyse la censure exercée sur les corps des danseuses (et des femmes en général) soumis à la morale puritaine de l’Église catholique, un des piliers du franquisme. Afin d’illustrer ceci, l’auteure revient sur les deux figures clés citées précédemment, Isabelle la Catholique et Sainte Thérèse d’Avila, érigées en tant que modèles à suivre pour les femmes espagnoles dans la mesure où elles représentaient l’union et la force de l’Espagne libérée des juifs, des musulmans et des Gitans pour l’une, et la dévotion chrétienne pour l’autre (alors que Sainte Thérèse est, outre une religieuse exemplaire, une écrivaine pionnière hors pair). Pour définir cette nouvelle norme féminine à suivre, Estrella Casero utilise à plusieurs reprises deux expressions presque oxymoriques : « féminisme catholique » et « féminisme fachiste ». Cette nouvelle sorte de « féminisme » (qui était tout sauf féministe), était bien évidemment la seule admise par le franquisme. Ce « nouveau féminisme » contrôlait le corps des femmes espagnoles qui devaient par exemple éviter de « trop onduler des hanches en marchant », comme le disait Carmen Werner, membre de la Section Féminine, dans un cours intitulé Convivencia Social (Formación Familiar y Social) en 1958. Ainsi, le corps des danseuses des Coros y Danzas devait également correspondre à ce nouveau féminisme et les élèves de cette section, qui appartenaient non seulement au département de musique mais aussi à celui de l’éducation sportive, devaient pratiquer des sports et porter des vêtements « propres à leur sexe ». L’auteure reprend quelques passages du livre écrit par Carmen Werner, dans lequel elle prohibe l’utilisation de pantalons (sauf si nécessaire pour masquer les parties intimes lors de la pratique du vélo par exemple) et conseille de n’exercer que le tennis, la natation et la gymnastique. Le dernier point du chapitre est sans doute le plus important à relever puisque l’auteure veut insister sur l’importance de l’utilisation de la danse par les régimes totalitaires (Estrella Casero parle d’ailleurs du nazisme même si ce dernier mettait en avant les danses les plus avant-gardistes tandis que l’Espagne franquiste privilégiait la culture populaire). En effet, le manque de recherches sur l’utilisation des Coros y Danzas par le franquisme va de pair avec une conception de « l’art au service de l’art ». Or, la déclaration programmatique de la revue La Estafeta Literaria de 1944 que l’auteure présente dans le livre est sans appel : « Nous ne recherchons pas l’art au service de l’art mais l’art et les lettres au service de l’Espagne et du Caudillo » (Casero, 2000). Les Chants et Danses étaient donc les représentants artificiels de la nationalité espagnole ainsi que de la morale puritaine. C’est donc pour cela que certains mouvements des danses folkloriques étaient, tout comme le corps féminin, façonnés selon cette morale. Estrella Casero, bien que consciente de la difficulté de trouver des écrits sur ces danses (en raison de la destruction de bon nombre d’archives pendant et après la Guerre Civile) et s’appuyant de fait sur une seule référence (le Tratado de baile de José Otero de 1912), nous donne l’exemple des sévillanes, un palo du flamenco, type de danse andalou. Au moyen d’une étude comparative entre cet ouvrage du XXe siècle, un autre de 1981 écrit par Concepción Carrasco ainsi qu’un croquis datant de 1971 représentant un couple hétérosexuel dansant une sévillane, Estrella Casero veut démontrer à quel point ce puritanisme franquiste a profondément modifié la sévillane. Elle remarque que cette morale a ôté tout le caractère sensuel de la sévillane composée, dans la plupart des cas, d’un homme et d’une femme. Nous devons néanmoins préciser que la référence de 1912 utilisée par Estrella Casero ne fait jamais mention d’un éventuel caractère sensuel dans l’exécution d’une sévillane. Ce qui est peut-être plus révélateur est que la Section Féminine interdisait aux hommes de danser dans leur section jusqu’en 1961, interdiction obligeant de fait à travestir une des deux danseuses en homme. Ceci est d’autant plus paradoxal que l’usage des pantalons était pourtant interdit et que la mission des Coros y Danzas était, théoriquement, de collecter le folklore le plus fidèlement possible.

7Dans le quatrième chapitre, Estrella Casero propose d’analyser plus en détail l’instrumentalisation politique de la section Chants et Danses par le régime à travers l’étude de revues, d’affiches d’époque, de livres, du NO-DO (court métrage propagandiste diffusé avant chaque film au cinéma, et ce, jusqu’en 1982), et surtout d’un film intitulé Ronda Española réalisé par Ladislao Vajda en 1951 qui est, selon l’auteure, un matériel essentiel pour analyser la manipulation de cette institution culturelle par le régime franquiste. Ce long-métrage explicitement propagandiste, qui a connu un franc succès lors de sa sortie en Espagne et en Amérique Latine, se sert des Coros y Danzas afin de diffuser l’image d’un pays uni, sans perdant ni vainqueur, et totalement réconcilié. Selon l’analyse de l’auteure, ce film met en avant le pouvoir des Coros y Danzas dans la « conversion » des opposants (exilés pour la plupart) de la dictature. L’auteure étudie en particulier une scène du film dans laquelle un groupe d’exilés vivant en Amérique Latine veut s’opposer à une représentation de cette section quand l’un d’entre eux, après avoir reconnu une danse de sa ville natale, les en empêche et décide de revenir en Espagne. Il est également important de noter que les « actrices » faisaient réellement partie de la Section Coros y Danzas de la Section Féminine. D’ailleurs, il aurait été pertinent de s’intéresser au paradoxe entre l’image de la femme cantonnée à la sphère privée prônée par le régime et ces femmes des Coros y Danzas voyageant à travers le monde pour « accomplir leur mission d’ambassadrices ». Outre cette mission d’ambassadeurs, les Coros y Danzas se devaient, selon les textes officiels, de collecter le folklore le plus fidèlement possible. Cependant, grâce à l’étude détaillée proposée par l’auteure qui se centre avant tout sur des entretiens réalisés auprès d’ex-membres de la Section Féminine ainsi que sur des archives appartenant à l’administration espagnole, on s’aperçoit que, en réalité, cette tâche était secondaire. En effet, dans cet avant-dernier chapitre, Estrella Casero met en lumière la manière problématique de récupérer le folklore espagnol. Pour elle, le folklore espagnol arrivé jusqu’à nous et résultant du travail des Coros y Danzas, est tout sauf « authentique » et « traditionnel ». Même si, théoriquement, sa récupération était bien encadrée (mise en place d’un processus en trois phases : identification du folklore par des Déléguées Locales, apprentissage de ce nouveau folklore par une danseuse, une chanteuse et une professeure de musique et archivage de celui-ci à Madrid), Estrella Casero met en avant des problèmes majeurs que nous avons organisés en trois groupes :

  1. Inégalité des ressources économiques en fonction des régions. Les membres de la section Coros y Danzas ne pouvaient pas rester longtemps sur le terrain (l’auteure parle de trois jours maximum) afin d’apprendre les nouveaux chants et les nouvelles danses, ce qui les obligeait parfois à simplifier certains mouvements par exemple.

  2. Manque de formation professionnelle de celles qui étaient chargées de récupérer et de s’imprégner d’un nouveau chant et/ou d’une nouvelle danse, ce qui laissait place à une grande part de subjectivité.

  3. La quantité primait sur la qualité. Par exemple, afin de diffuser au maximum le folklore espagnol, des concours étaient organisés. Plus les groupes de chaque province étaient nombreux, plus le folklore issu de cette province était représenté. Cependant, dans un contexte d’après-guerre, les petites provinces, plus pauvres et dépeuplées, étaient forcément moins représentées (Estrella Casero nous donne l’exemple d’Albacete).

8Ainsi, selon l’auteure, le folklore de chaque province n’a pas été recensé de manière très rigoureuse. Il a été modifié (au niveau des mouvements mais aussi au niveau des paroles des chansons dans le cas où elles ne correspondaient pas à la morale franquiste), rendu plus beau et plus spectaculaire pour les concours et parfois mélangé avec d’autres folklores provenant de provinces différentes. Comme elle le résume à la fin du chapitre, l’important était donc moins la récupération du folklore espagnol que la capacité de la Section Féminine et donc, par extension, du régime, à regrouper une grande quantité d’individus dansant à l’unisson pour une seule et même personne : Francisco Franco. Les représentations des Coros y Danzas avaient un seul but : montrer la force et le pouvoir du régime à travers la mobilisation des masses.

9Le sixième et dernier chapitre de ce livre analyse l’utilisation politique des Coros y Danzas à travers l’étude de l’impact de l’idéologie franquiste sur les danses représentées par les Coros y Danzas. Comme Estrella Casero le rappelle, le franquisme, à ses débuts, recourait à deux acteurs idéologiques : le national-syndicalisme (incarné par la Phalange) et l’Église catholique. Ces deux institutions ont formé les symboles et stéréotypes qui ont configuré l’idéologie franquiste. L’auteure remarque tout de même le rôle central de l’Église dans cette tâche : la politique et la religion n’étaient plus dissociées. Le fameuse devise « España una, grande y libre » (« Espagne une, grande et libre ») illustrait d’ailleurs parfaitement cette idée. La Section Féminine a, elle aussi, participé à la transmission de l’idéologie grâce à la création d’écoles appelées Escuelas del Hogar pour les jeunes filles ; et au Service Social pour les adultes. Même si ces formations n’étaient pas obligatoires, l’auteure nous apprend que les élèves bénéficiaient, en échange, de nombreux avantages comme un accès gratuit aux soins médicaux. Afin d’analyser comment les Coros y Danzas ont été, eux aussi, des vecteurs de transmission de l’idéologie, Estrella Casero propose tout d’abord de se centrer sur une étude linguistique des textes de Ramón Menéndez Pidal, une des autorités littéraires les plus importantes du pays, qui guidaient celles qui devaient récupérer les folklores. Cette technique est pertinente dans la mesure où la diffusion des valeurs franquistes passait avant tout par l’usage d’un certain vocabulaire (l’auteure rappelle d’ailleurs qu’après chaque discours, un haut mandataire criait trois fois le mot « Espagne » et les assistants de la salle complétaient avec les trois mots de la devise précédemment citée). Dans un des extraits des textes de Menéndez Pidal et présenté dans ce livre, les mots « encauzar » (orienter) et « dirigir » (diriger) pour définir la façon de collecter le folklore sont révélateurs. Or, comme le dit l’auteure, « diriger » et « orienter » un folklore entrent en contradiction avec l’essence même du folklore. Avec ses mots :

Si la danse folklorique est orientée et dirigée, elle cesse alors d’être une danse populaire pour devenir une danse théâtrale dans la mesure où le peuple anonyme n’est plus le créateur spontané […] mais un simple spectateur (Casero, 2000, p. 113).

10Toujours en se centrant sur une analyse linguistique, Estrella Casero remarque l’existence d’un double discours concernant la nécessité de récupérer le folklore espagnol. Pour les dirigeants, il fallait récupérer les danses qui « représentaient les symboles culturels et idéologiques du Régime » tandis que pour les simples membres de la section, le message était de « tout récupérer pour ne pas perdre la culture nationale ». Celles qui se chargeaient de la récupération n’étaient donc pas forcément conscientes de cette interférence idéologique et se sentaient, au contraire, assez libres dans leur mission de récupération. De plus, elles étaient elles-mêmes façonnées par le biais de l’éducation qu’elles recevaient.

11Cette différence entre le message transmis aux membres de la section et celui destiné aux dirigeants est explicité par Casero dans une étude comparative entre un extrait de texte destiné aux organisateurs des concours et un extrait d’une interview qu’elle a réalisé auprès d’une ex-membre chargée de la récupération du folklore des Coros y Danzas. Le premier texte indique clairement que la danse est utilisée à des fins politiques :

Grâce aux représentations des groupes des Coros y Danzas, nous réalisons non seulement une tâche culturelle, car nous faisons connaître la richesse de notre folklore, mais aussi politique (Casero, 117).

12L’interview entre pourtant en contradiction avec cette déclaration :

- « Que prétendiez-vous en organisant ces concours ?
- Récupérer et divulguer les chansons et les danses oubliées ou menacées d’extinction face à l’invasion de la musique dite « moderne » (Casero, 2000, 118).

13En conclusion, le travail d’Estrella Casero permet de mettre en lumière le rôle prépondérant des Coros y Danzas de la Section Féminine dans la divulgation de l’idéologie franquiste. La culture, la danse, la musique et le chant populaires ont été façonnés, utilisés et modifiés pour répondre aux attentes d’un régime dictatorial. Protégés par l’apparente innocence de leur activité et des membres, des personnes éduquées selon la morale franquiste, les Coros y Danzas ont rempli, eux aussi, leur mission propagandiste en utilisant le folklore espagnol et les femmes comme instruments politiques.