Martha Lilia TENORIO (étude préliminaire, édition et notes), Carlos de SIGÜENZA Y GÓNGORA, El Triunfo parténico de Carlos de Sigüenza y Góngora, México, Colegio de México, 2021, 359 p., ISBN : 978-607-546-252-9

Vidzu MORALES HUITZIL 

L’objectif de ce compte rendu est de présenter la portée de la nouvelle édition du Triunfo parténico, recueil poétique de Carlos de Sigüenza y Góngora, qui donne à saisir la tradition littéraire dans la Nouvelle-Espagne du XVIIe siècle. Nous cherchons à la fois à rendre compte de l’importance du document original et de l’intérêt de l’étude préliminaire qui est proposée par Martha Lilia Tenorio.

The purpose of this review is to present the relevance of the new edition of the Triunfo parténico, a volume of poetry by Carlos de Sigüenza y Góngora that helps to understand the New Spain literary tradition of the seventeenth century. We aim to show the importance of both the original document and the contemporary preliminary study made by Martha Lilia Tenorio.

Sommaire
Texte
Note de bas de page 1 :

Martha Lilia Tenorio est une chercheuse spécialiste du siècle d’or espagnol et de la littérature de la Nouvelle-Espagne, qui a été professeure dans diverses institutions internationales et qui fait partie du Système national des chercheurs mexicains (SNI : II). Ses recherches ont été publiées à la fois dans des revues renommées et dans des livres marquants pour le domaine littéraire, parmi lesquels on trouve : Los villancicos de Sor Juana (1999), De panes y sermones. El milagro de los panecitos de Santa Teresa (2001), El gongorismo en Nueva España. Ensayo de restitución (2013) et Ecos de mi pluma: poesía y prosa de sor Juana (2018).

Note de bas de page 2 :

« una combinación o yuxtaposición de discursos historiográficos, teológicos, retóricos y poéticos». Les traductions des citations ont été réalisées par les éditeurs du numéro de FLAMME « Dériver en ville ».

1La nouvelle édition du Triunfo parténico de Carlos de Sigüenza y Góngora est divisée en deux sections : la première est une étude préliminaire réalisée par Martha Lilia Tenorio1 et la seconde propose la transcription du document original. La particularité de ce texte est qu’il intègre « une combinaison ou une juxtaposition de discours historiographiques, théologiques, rhétoriques et poétiques »2 (Buxó, 2002, p. 85).

1. Réflexions sur l’étude préliminaire

2Dans les quelques deux cent quarante-huit pages de son étude préliminaire, Martha Lilia Tenorio présente les changements théologiques et historiques qui expliquent la prolifération du thème de l’Immaculée Conception dans les concours littéraires organisés dans la Nouvelle-Espagne. Elle consacre à cette même occasion une étude à chacune des sections qui composent le Triunfo parténico. Son approche critique a pour but de présenter l’importance de l’œuvre, sans exagérer ni nier sa valeur dans la littérature novo-hispanique du XVIIe siècle. Pour cette raison, Martha Lilia Tenorio déclare :

Note de bas de page 3 :

« Estoy consciente de que he pecado de lo mismo de que se acusa a Sigüenza y Góngora: prolijidad. El asunto del Certamen es sólo uno (la Inmaculada Concepción) y las alegorías y analogías son unas cuantas, y no varían mucho, pues provienen de una esencial matriz alegórica: en el certamen, la Virgen como la isla de Delos y Apolo como Cristo; en el de 1683, María es el águila, y, en la última sección, también lo son el virrey y el rector. Es inevitable que los poemas se repitan, con lo que mis explicaciones resultan necesariamente, repetitivas y hasta redundantes. Con todo decidí proceder así, porque hasta ahora el Triunfo parténico, señalado por muchos como testimonio novohispana no ha sido estudiado con seriedad ».

Je suis consciente d’avoir commis le même péché que celui dont Sigüenza et Góngora est accusé : la prolixité. Le sujet du Certamen est unique (l’Immaculée Conception), les allégories et analogies sont peu nombreuses et ne varient pas beaucoup, puisqu’elles proviennent d’une matrice allégorique essentielle : dans le concours, la Vierge considérée en tant qu’île de Délos et Apollon en guise de Christ ; dans celui de 1683, María est l’aigle, et, dans la dernière section, le vice-roi et le recteur le sont aussi. Il est inévitable que les poèmes se répètent, ce qui rend nécessairement mes explications répétitives et même redondantes. Néanmoins, j’ai décidé de procéder de cette manière, car jusqu’à présent le Triunfo parténico, considéré par beaucoup comme un témoignage culturel de la Nouvelle-Espagne, n’a pas été sérieusement étudié3 (2021, p. CCXII).

Note de bas de page 4 :

« El denominador común de estos trabajos es que todos esos estudiosos leyeron el Triunfo et passim: un pedazo aquí, otro de por en medio, uno más de hacia el final, etc. ».

3Par conséquent, l’importance de cette nouvelle édition réside dans la confrontation de la mauvaise appréciation et du mépris qui ont injustement frappé l’œuvre de Don Carlos : « Le dénominateur commun de ces travaux est que tous ces spécialistes ont lu le Triunfo de manière éparse : un morceau ici ou là, un morceau au milieu, un autre vers la fin, etc. »4 (p. CCXIII). C’est là que réside la grande contribution de Martha Lilia Tenorio puisqu’elle entend repenser le canon littéraire des lettres mexicaines qui a nié, dans une certaine mesure, la pertinence de ce concours.

Note de bas de page 5 :

« Me los imagino, con una risita burlona, pasando las páginas, leyendo a rasgos generales por donde va la cosa, con la certeza absoluta de que no encontrarán nada en lo que valga la pena detenerse o que merezca una lectura más atenta; e , inevitablemente, llegan a la conclusión del filólogo alemán, Carel Gabriel Cobet: “Comburendi, non conferendi” ».

Je les imagine, avec un petit rire moqueur, tournant les pages, lisant en termes généraux par où vont les choses, avec la certitude absolue qu’ils ne trouveront rien qui vaille la peine de s’arrêter ou qui mérite une lecture plus attentive ; et, inévitablement, ils en viennent à la conclusion du philologue allemand Carel Gabriel Cobet : « Comburendi, non conferendi »5 (p. CCXIII).

4Parmi ces auteurs, on trouve notamment Carlos Gonzáles Peña (Historia de la Literatura Mexicana, 1928), Pedro Henríquez Ureña (Tablas Cronológicas de la Literatura Española, 1920) et Enrique Anderson Imbert (Historia de la Literatura Hispanoamericana, 1954). Il faudrait ainsi penser le Triunfo parténico davantage comme la mise en scène historico-littéraire des grands personnages de la Nouvelle-Espagne et non comme un simple exercice d’écriture.

Note de bas de page 6 :

« [C]ada obra requiere su edición, porque presenta problemas y requerimientos específicos; y en que cada época tiene necesidades diferentes, contextos culturales determinados ».

5C’est pour cette raison que l’édition du texte maintient une systématicité et une rigueur philologique, ce qui n’empêche cependant pas Martha Lilia Tenorio, par un travail de modernisation orthographique, de chercher à ce que les spécialistes comme le grand public puissent accéder à l’œuvre. En effet, selon elle, « chaque œuvre nécessite son édition, car elle présente des problèmes et des exigences spécifiques ; et parce que chaque époque a des besoins différents, des contextes culturels précis »6 (p. CCXVIII).

2. Brèves considérations sur El Triunfo parténico

6Cette nouvelle édition du Triunfo parténico est importante pour les spécialistes de la littérature de la Nouvelle-Espagne, car le seul effort éditorial fait dans un même sens au XXe siècle a été la publication du texte sous la responsabilité de José Rojas Garcidueñas en 1945, aux éditions Xóchitl. Le lecteur peut de cette façon se sentir privilégié d’avoir entre les mains l’un des joyaux littéraires de la Nouvelle-Espagne, accompagné d’une réflexion substantielle de Martha Lilia Tenorio qui permet de démêler les niveaux logiques grâce auxquels cette œuvre occupe une place importante dans les lettres mexicaines.

7Cette publication du Colegio de México, après l’introduction déjà citée, présente le texte au lecteur selon la structure suivante : 1) dédicace  ; 2) approbation de Francisco de Florencia  ; 3) approbation de Francisco de Aguilar  ; 4) suma de las licencias (somme des autorisations d’impression octroyées au livre)  ; 5) avertissement aux lecteurs de El Triunfo parténico  ; 6) poèmes préliminaires  ; 7) manifestations, dévotion et événements autour de l’Immaculée Conception (chapitres I-III)  ; 8) les événements des années précédentes (chapitre IV)  ; 9) description de l’apparence et des ornements des édifices de l’Académie Impériale (chapitre V)  ; 10) nouvelles du concours poétique (chapitres VI — VII)  ; premier concours (chapitre VIII)  ; 11) deuxième concours (chapitre IX)  ; 12) troisième concours (chapitre X)  ; 13) quatrième concours (chapitre XI)  ; 14) le rectorat de l’Académie Impériale mexicaine en l’an 1683 (chapitre XII)  ; 15) représentation de l’amphithéâtre (chapitre XIII)  ; 16) exposition de la célébration autour de l’Immaculée Conception (chapitre XIV)  ; 17) premier emblème (chapitre XV)  ; 18) deuxième emblème (chapitre XVI)  ; 19) troisième emblème (chapitre XVII) et 20) quatrième emblème (chapitre XVIII).

Note de bas de page 7 :

« La narración de unos festejos así como las causas o motivos que los originaron, sino también […] la descripción y recopilación de algunos “aparatos” simbólicos de carácter artístico y literario ».

8Cette œuvre littéraire se situe à l’apogée des variantes littéraires de la Nouvelle-Espagne. Comme José Pascual Buxó l’a indiqué, Carlos de Sigüenza y Góngora a représenté avec une grande subtilité « la narration de certaines festivités ainsi que les causes ou les raisons qui les ont déclenchées, mais aussi […] la description et la compilation de quelques “dispositifs” symboliques de nature artistique et littéraire »7 (Buxó, 2002, p. 83). Pour sa part, le lecteur remarquera assurément que le thème principal du Triunfo parténico est celui de l’Immaculée Conception. Celui-ci était lié à une autre question de grande importance, à savoir celle des deux célébrations (les festivités organisées entre 1682 et 1683) permettant l’expression d’une ars combinatoria d’ordre allégorique, religieux et impérial.

Note de bas de page 8 :

« La agudeza se supedita siempre al concepto para hacerlo resplandecer, además de la verosimilitud en la mimesis de la realidad o medida al tamaño del prodigio o del dogma ».

9De cette façon, les concours littéraires représentés dans le Triunfo parténico révèlent qui étaient les grands esprits de la Nouvelle-Espagne ainsi que le fait que « l’esprit est toujours subordonné au concept pour le faire resplendir, outre la vraisemblance dans l’imitation de la réalité ou à la mesure de la grandeur du prodige ou du dogme »8 (Ruedas de la Serna, 2002, p. 136). La prose baroque du Triunfo parténico exprime le positionnement d’un lieu d’énonciation (Universidad Pontificia de México) sur un thème religieux (Immaculée Conception). Les versifications et les références factuelles présentes dans le texte permettent de donner un sens aux événements qui ont eu lieu durant ce siècle.

Note de bas de page 9 :

« Son muchos los recursos literarios, muy propios de su época, de que Sigüenza se vale para engalanar la descripción de su crónica, y cualquiera que la lee los advierte ».

10L’existence de ces concours renvoie de ce fait non seulement à l’historicité d’un genre littéraire, mais aussi au tissu social de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne. Les éléments constitutifs de ces concours soulignent leurs multiples dimensions, en mettant en valeur la complexité de cette forme artistique. Leur mention laisse apparaître que « les ressources littéraires, typiques de son époque, que Sigüenza utilise pour agrémenter la description de sa chronique sont nombreuses, et quiconque la lit les remarque »9 (Quiñones Melgoza, 2000, p. 88).

11La structure du Triunfo parténico s’inscrit de surcroît dans un genre didactique qui lui insuffle une dynamique particulière, en associant subtilité et érudition. Ainsi :

Note de bas de page 10 :

« No en balde José Rojas Garcidueñas nos encargaba en su “Prólogo” [a la edición de 1945] que tuviéramos con ella la atención de una cuidadosa lectura; y seguramente no era porque fuera (a decir de Manuel Toussaint) “el documento más valioso para la historia de la literatura mexicana del siglo XVII” [(Toussaint, 1941, p. 5)], sino evidentemente por su difícil lectura, que se ve interrumpida a cada paso por las largas citas latinas, ya puestas en verso ya en prosa, que un lector de textos españoles no puede, sin gran paciencia y la ayuda del latín, hacer suya; pero si no tiene esa ayuda, termina abandonando con enfado la obra, sin haberla, siquiera medianamente, entendido ».

Ce n’est pas en vain que José Rojas Garcidueñas nous incite dans son « Prologue » [à l’édition de 1945] à faire preuve de la vigilance propre à une lecture attentive. Ce n’était sûrement pas parce qu’il [le Triunfo] était (selon Manuel Toussaint) « le document le plus précieux pour l’histoire de la littérature mexicaine du XVIIe siècle » [(Toussaint, 1941, p. 5)], mais évidemment à cause de sa lecture difficile, interrompue à chaque pas par de longues citations latines, tantôt en vers, tantôt en prose, qu’un lecteur de textes espagnols ne peut, sans une grande patience et l’aide du latin, faire siennes. Sans elles, il finit par abandonner l’œuvre avec colère, sans l’avoir, ne serait-ce qu’un peu, comprise10 (p. 90).

12C’est pourquoi cette nouvelle édition de Martha Lilia Tenorio est importante pour continuer à avoir envie de lire le Triunfo parténico, dont le sonnet de don José de Mora y Cuellar, cité ci-après, synthétise ingénieusement la forme et le contenu :

Inspiración feliz del sacro coro
y afán del mismo Apolo me parece,
oh, Góngora segundo, el que hoy ofrece
tu pluma el orbe singular tesoro :
el Parténico Triunfo con decoro
describe, excelsa, y tanto lo enriquece
de letras, que tu nombre bien merece
no en bronce abrirse, sì gravarse en oro.
Tu grande erudición sombras destierra
a las noticias del mayor desvelo,
con las que, docta, de la patria encierra.
Tu pluma goza ya más alto vuelo,
pues, escribiendo cosas de la tierra,
con este asunto se remonta al cielo
(Sigüenza, 2021, p. 18).