La publication de Universal principles of design chez Rockport il y a déjà dix ans (2003) marque le début d’une ère nouvelle dans le marché du livre en design et, pourrait-on dire de façon plus générale, dans les représentations de l’expertise du designer. En effet, ce fut là l’une des premières tentatives réussies de mettre en place un ensemble de connaissances pour illustrer ce qu’on pourrait appeler les savoirs centraux du designer (de communication au sens large). Le succès de l’ouvrage fut tel qu’on le traduisit dans plusieurs langues et on en proposa une deuxième édition augmentée en 2010, faisant passer ainsi la nomenclature de l’ouvrage de 100 à 125 principes de design (chez Eyrolles en 2011 pour la version française). Le succès de l’ouvrage tient à au moins trois facteurs : 1) format de type fiches techniques faciles à consulter (explications à gauche, exemplification à droite) ; 2) pertinence et complétude de la sélection des principes ; et 3) objectivité du propos central et appui bibliographique pour chacun des principes, fait rare avant cette date dans les ouvrages produits par et pour des designers. Conscient des immenses besoins en matière d’ouvrages de qualité et suivant le succès commercial et d’estime de Universal principles of design, Rockport se mit à proposer plusieurs ouvrages sous le même format, espérant reproduire le même genre de succès.
L’ouvrage de Lal, Digital design essentials (2013), est l’un de ceux qui s’inscrivent dans cette lignée. Outre les différences de surface et le fait que l’ouvrage de Lal est graphiquement moins léger (ou graphiquement plus dynamique, selon le point de vue), le format demeure à peu près le même que celui de l’ouvrage initial. On nous présente 100 fiches décrivant chacune un élément de l’interface ou encore un concept du design numérique, et la quasi-totalité des fiches sont structurées comme celles de l’ouvrage initial, à savoir un exposé en page de gauche et une exemplification à droite. Bien sûr, l’ouvrage de Lal n’est pas présenté comme une suite directe de l’original, mais les attentes de la plupart des lecteurs sont modulées en fonction de l’ouvrage original, et tel fut notre cas, nous devons l’admettre.
Si la nomenclature en elle-même est intéressante, elle suscite néanmoins deux critiques immédiates. D’une part, la sélection des concepts intègre des éléments de nature fort différente, voire de degré de pertinence inégal. À côté des indispensables et fondamentaux User interface et Graphic user interface, on retrouve des fiches sur les Email marketing campaign ou encore sur des éléments particuliers se trouvant dans les interfaces (Mobile ads). Même si les éléments peuvent être jugés intéressants en soi, on s’y perd en ce qui a trait à la cohérence d’ensemble. Notre hypothèse : l’auteur et l’éditeur ont tenté d’atteindre le chiffre 100 à tout prix. D’autre part, l’ordre de présentation des fiches ne tombe pas aisément sous le sens. Malgré les quatre catégories préétablies (Desktop, Web, Mobile et Miscellaneous), on se perd à l’intérieur de chacune puisque le classement semble arbitraire. Le tout contribue à générer une impressionner de confusion à la première comme à la dixième consultation.
Mais le grand reproche qu’il faut adresser à cet ouvrage est le traitement des éléments sélectionnés. Malgré le sous-titre (100 ways to design better desktop, Web, and mobile interfaces), nous étions loin de nous douter que tout le contenu des fiches se constituait du seul avis personnel de l’auteur quant aux bonnes pratiques de design associées au thème de la fiche. Après un court paragraphe descriptif, l’auteur aligne sous forme de liste des recommandations de design pour chacun des éléments. Ici, la question n’est pas tellement de savoir si les recommandations sont ou non pertinentes – elles nous semblent souvent redondantes et de portée très générale –, mais bien de mettre en évidence l’illusion d’« ouvrages de connaissances » mise en avant par l’éditeur. Dans l’ouvrage initial, toutes les fiches présentaient une description objective, et les auteurs prenaient le soin de préciser leurs sources scientifiques (de 1 à 4 par fiche), dont une source dite fondamentale à laquelle remontait initialement le principe discuté. Dans le cas de Lal, nous n’avons pu trouver aucune référence de cette nature, ni dans les fiches, ni dans un site web compagnon, ni même dans une bibliographie à la fin de l’ouvrage.
Sur le plan graphique, cet ouvrage s’avère plus riche que le premier puisque, en plus de l’exemplification en page de droite, on retrouve dans presque tous les cas un schéma ou une représentation explicative du concept décrit. Cependant, il suffit d’en étudier quelques-uns pour se rendre compte qu’ils restent anémiques sur le plan informatif, qu’ils apportent peu à la réflexion et qu’ils comportent des failles de design (pour quiconque est sensible aux principes de visualisation de l’information). De même, les exemples sont parfois à la limite de la pertinence avec l’objet de la fiche et sont rarement éclairants, parfois trop lourds, trop légers ou encore tout simplement absents.