De la consommation vers la création : étude du projet TransiMOOC
Comment le numérique peut participer au renouveau des pédagogies actives ?
En facilitant la création et la publication de contenus audiovisuels de toute nature, les outils numériques font des détenteurs de téléphones portables un potentiel créateur. Comment faire primer la logique de création à travers une démarche de pédagogie active qui place l’apprenant en position d’acteur principal de son apprentissage ? C’est l’un des défis lancés par l’équipe interdisciplinaire de Transapi, qui visait à expérimenter le potentiel des pédagogies actives pour lutter contre le décrochage scolaire. L’objet de cet article est donc de présenter un retour critique sur les premières leçons du projet TransiMOOC, mené en 20132014 à titre expérimental par Transapi. TransiMOOC est un projet de cours en ligne réalisé par des jeunes (de préférence à risque de décrochage scolaire) pour des jeunes. Les jeunes sont happés en tant que « consommateurs » de tablettes et se prennent au jeu comme créateurs de dessins, de cours, etc.
By facilitating creation and publication of audiovisual content of all kinds, digital tools give every smartphone owner the potential to create. How to make creation prevail through an active pedagogy approach that makes the learner the main actor of their learning ? That was one of the challenges set by Transapi’s interdisciplinary team, which aimed to experiment the potential of active pedagogies to fight school drop out. This article reviews the first lessons of the TransiMOOC project Transapi carried out experimentally in 2013/2014. TransiMOOC was an online course made by young people (preferably at risk of dropping out) for young people. They are drawn into the project as consumers (of tablets…) and become engaged as creators (of drawings, courses…).
1. Introduction
En facilitant la création et la publication de contenus audiovisuels de toute nature, les outils numériques font de tout détenteur de téléphone portable un potentiel créateur.
Comme Flichy (2001) le montre, différents imaginaires cohabitent autour des outils numériques. Les industriels ont su exploiter le discours sur le potentiel de libération des créativités pour servir une logique marchande plaçant l’internaute comme un consommateur. Le champ éducatif est traversé par ces logiques qui peuvent sembler contradictoires. L’industrie des TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement) a su les réconcilier pour accompagner le discours sur le potentiel révolutionnaire d’Internet (Cardon, 2010) d’une injonction à l’équipement numérique au niveau des institutions éducatives comme au niveau des élèves et des familles (Camacho, 2005 ; Guichard 2011), refrain auquel sont sensibles les jeunes générations.
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Par exemple, l’initiative de Laurence Juin, professeur de lettres, qui s’appuie sur l’initiation à l’usage des réseaux sociaux pour placer ses élèves en situation d’auteurs (http://maonziemeannee.wordpress.com) ou encore celle de Pascal Bihouée (professeur de sciences physiques) qui s’appuie sur les outils numériques pour expérimenter le dispositif de classe inversée : http://www.biweb.fr/Espace/pdf/Monographie%20 Classe%20inversée.pdf.
Dans le champ de l’éducation, bien que marginales par rapport aux pratiques prescrites par les directives en vigueur, les initiatives s’appuyant sur le numérique pour placer les élèves en position d’auteur publiant (textes, vidéos, musiques, etc.) se multiplient et pourraient participer au renouveau des pédagogies actives1. Ces initiatives sont nourries par une vision qui fait d’Internet un réseau capable de renverser les hiérarchies existantes et, les rapports sociaux dans le contexte d’enseignement (Colliaux et Bihouée, 2011).
Comment faire primer la logique de création sur celle de consommation numérique à travers une démarche de pédagogie active, qui place l’apprenant en position d’acteur principal de son apprentissage ? C’est l’un des défis que s’est lancé l’équipe interdisciplinaire de Transapi, qui visait à expérimenter le potentiel des pédagogies actives pour lutter contre le décrochage scolaire.
L’objet de cet article est de présenter un retour critique sur les premières leçons du projet TransiMOOC, projet de création de cours en ligne fait par des jeunes en marge du système scolaire, mené en 20132014, à titre expérimental par Transapi.
Nous présenterons dans un premier temps le cadre théorique dans lequel s’inscrit le projet puis nous le décrirons. L’objectif est de montrer, à travers différentes situations, comment les jeunes passent de « consommateurs » à « acteurs » de leurs apprentissages grâce au rôle qu’ils jouent dans la production de contenu pédagogique vidéo dans le cadre du projet TransiMOOC.
2. Cadre théorique
2.1 La notion d’usage ou comment l’on passe de la figure du consommateur à celle de l’acteur
L’essor d’Internet est vu par la sociologie des usages comme un moment de bascule de la figure du consommateur vers la figure de l’acteur. À y regarder de plus près, les cultural studies ont, dès les années 1970, critiqué cette notion de consommation à travers l’analyse de la réception de la télévision (Hall, 1973) et De Certeau (1980) avait montré la créativité dont fait preuve l’usager, et notamment du lecteur, lors de ses stratégies de prises d’autonomie par rapport aux normes de réception conçues par le producteur, ses ruses et « arts de faire » qui détournent les usages prescrits.
À travers les différents courants de recherche portant sur la réception des médias, l’école des usages et gratifications (uses and gratifications), etc., la notion d’usage permet, pour reprendre l’expression de George, de « donner une épaisseur au consommateur qui devient usager » (George, 2012 :30). Cette épaisseur est fournie dans ces différents courants de recherche par une étude attentive aux contextes sociaux, à la vie quotidienne, souvent dans des milieux populaires, dans lesquels s’inscrivent ces usages. Pour Jouët, c’est le processus d’appropriation, qui permet le passage du statut de consommateur à celui d’usager (Jouët, 2000 : 502).
Cependant, les contraintes exercées sur les usagers par les objets techniques offerts par les industries culturelles ont été également mises en évidence par ce que George appelle la « théorie des industries culturelles », qui montre la puissance de la prescription des usages par les concepteurs de dispositifs techniques de communication (Lacroix, 1992).
Néanmoins, et justement quand on s’intéresse aux contraintes imposées par les dispositifs techniques, force est de constater que ce qui change avec Internet par rapport aux autres outils de télécommunication, c’est la variété des dispositifs de mise en interaction rendus possibles par le protocole technique. Internet permet ainsi la publication de contenu sous une diversité de formes et de modalités de publicisation inexistante jusqu’alors. L’essor de ces usages accompagne un mouvement de la société qui voit une « démocratisation des compétences » (Flichy, 2010 : 7). Internet ouvre un espace de publicisation de sa production (texte, son, vidéo) pour l’amateur, permettant ainsi à l’usager, autrefois consommateur, de devenir créateur de contenu.
Dans le domaine de l’éducation, touché au premier chef par les transformations de la société, les renversements du statut d’expert, le « sacre de l’amateur » (Flichy, 2010) auxquels participent les usages d’Internet, ont des conséquences au sein même des classes, dans les modes de socialisation des élèves, dans les normes sociales qui règlent les interactions entre professeurs et élèves ou entre les élèves.
Parallèlement le monde de l’éducation se trouve de plus en plus considéré comme un marché de consommateurs – symbolisé même par l’acronyme TICE – pour les industries des équipements et services numériques qui a exploité cet imaginaire du créateur comme rhétorique de vente. Ce marché est d’autant plus lucratif que la demande sociale pour une refonte de l’école est puissante.
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Espace Numérique de Travail.
Ainsi voit-on, après la vague des ENT2, fleurir depuis maintenant plusieurs années les tableaux blancs interactifs, se généraliser la distribution de tablettes numériques dans certains collèges, bien souvent sans que ces investissements s’accompagnent de réels projets pédagogiques.
A contrario, certains projets pédagogiques, s’appuyant parfois sur les équipements déjà à disposition de leur établissement et de leurs élèves (notamment les téléphones/smartphones personnels des élèves, alors que ces outils sont bien souvent bannis en classe par les règlements intérieurs), développent des projets pédagogiques intéressants du point de vue du changement de position des élèves vis-à-vis de l’apprentissage : projets coopératifs ancrés dans le réel, création de films, coopération inter-classes, expression littéraire, etc. Dans l’ouvrage coordonné par De la Ville (2010), Gautellier montre que sans éducation aux médias et à internet, les élèves restent purement consommateurs, ce qui empêche les enfants de devenir citoyens.
2.2 La pédagogie active au secours du décrochage scolaire
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Dont la première auteure du présent article.
Transapi était un projet de lieu d’apprentissage alternatif fondé par des enseignants3 constitués en une association pour une école inclusive. Il visait en particulier mais pas seulement, les jeunes fâchés avec le système scolaire.
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http://instits.org/maclasse/Les%20invariants%20pedagogiques.pdf
L’usage d’une pédagogie active est au cœur des principes fondateurs de Transapi, qui s’inscrit en cela dans la tradition des techniques Freinet et plus généralement dans le sillon de l’Éducation nouvelle. Pour rappel, voici le principe du mouvement Freinet : « La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’école, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle » expliquait l’instituteur dans l’invariant n° 11 de sa méthode (19644). Les membres fondateurs et membres actifs de Transapi considèrent ainsi qu’en plaçant les élèves en position d’acteurs de leur apprentissage, en inscrivant ces apprentissages dans des projets en prise avec le réel et leurs intérêts personnels, les élèves peuvent non seulement acquérir des connaissances, mais aussi et surtout, développer des compétences nouvelles, notamment de coopération, (re-)gagner confiance en eux, retrouver le désir d’apprendre. La pédagogie active implique que les élèves fassent et donc soient acteurs. Ils apprennent « en faisant ». Au cœur de la pédagogie active, on trouve deux éléments centraux : la création d’une communauté comme élément préalable et la mise en activité des élèves comme résultante positive. Cette pédagogie a comme effet démontré de participer à l’accrochage scolaire (mais non à l’amélioration des résultats en tant que telle). Ceci a notamment été montré par Brown et Campione (1995) lors d’une étude sur une communauté d’apprenants de niveau 6e s’enseignant réciproquement la lecture. Cette étude analysant des interactions de cinq groupes de six enfants en laboratoire et en groupe classe a montré qu’il existe un intérêt des enseignements réciproques entre élèves pour favoriser des transformations pédagogiques. Elle expose également que la pédagogie active va de pair avec la création d’une communauté d’apprenants. En effet, analysent les auteurs, si les élèves sont « passifs » vis-à-vis du savoir enseigné, alors le groupe ne se crée pas. Il est nécessaire que les élèves puissent être en situation de recherche collective sur des sujets répondant à leurs besoins.
L’ambition première de Transapi était de participer à la lutte contre le décrochage scolaire. La déscolarisation interroge le fonctionnement des institutions éducatives (Dray Œuvrard, 2000) ainsi que la forme scolaire et oblige à réfléchir à de nouvelles façons d’enseigner, à innover pédagogiquement, à créer un nouveau cadre (Hugon, 2010).
Le paradoxe d’une demande explicite de la part des élèves de formes scolaires traditionnelles alors qu’ils y sont réfractaires constitue un défi pour les projets de pédagogie active. La coordinatrice d’un établissement alternatif parisien explique lors d’un entretien en 2014 : « Lorsqu’on ne fait pas un "vrai"cours, ils ne sont pas dans un "vrai" lycée mais si on fait un vrai cours, ils disent qu’ils ne sont pas venus là pour ça ».
Au cours des différentes activités menées par l’association, des ressources en ligne ont été utilisées pour répondre aux questions posées par les élèves, et il est apparu aux enseignantes que les élèves mobilisaient des compétences pédagogiques pour s’aider les uns les autres.
L’idée d’un atelier de construction d’un MOOC (Massive Online Open Course ou cours massif en ligne et ouvert) conçu par et pour les jeunes à Transapi s’est peu à peu imposée comme un projet capable de répondre à différents objectifs de l’association : avoir des ressources disponibles pour les élèves désirant raccrocher, autonomie, inclusion, valorisation des compétences et solidarité entre les pairs dans l’apprentissage. Il s’agissait donc de transformer nos consommateurs en citoyens (De la ville, 2010), et nos consommateurs de connaissance en acteurs, producteurs de savoir.
Les tenants de la pédagogie active n’ont pas attendu Internet pour intégrer les techniques de communication dans leurs méthodes pédagogiques. L’utilisation des TIC au sein des dispositifs d’apprentissage s’inscrit en effet dans une longue histoire de la coopération entre élèves et entre classes, dont « l’imprimerie à l’École », et les diverses techniques de coopération développées par le mouvement Freinet furent pionnières (Peyronie, 2003 et 2013). TransiMOOC se situe donc dans la continuité du principe de co-construction de contenu pédagogique par les apprenants à destination d’autres apprenants, participant théoriquement à la construction d’une communauté et transformant les consommateurs en acteurs.
3. TransiMOOC
3.1 En quoi consiste le dispositif TransiMOOC ?
TransiMOOC est un projet de cours en ligne réalisé par des jeunes (principalement à risque de décrochage scolaire) pour des jeunes. Le choix d’un projet de MOOC pour lutter contre le décrochage scolaire s’est fait, en concertation avec le conseil scientifique de Transapi pour trois raisons majeures : 1) dans le cadre des missions de Transapi de concevoir des modes alternatifs de transmission des savoirs à destination des jeunes en situation de décrochage scolaire, il s’agissait de concevoir un MOOC qui pourrait être potentiellement mobilisé les années suivantes comme ressource dans les différents ateliers de l’association ; 2) il permettait de placer les jeunes participants à cet atelier dans la position d’experts sur des sujets qui leur tiennent à cœur et au sein desquels ils pouvaient mobiliser leurs savoirs afin de les faire partager sous la forme de modules pédagogiques interdisciplinaires en ligne et donc d’améliorer leur estime de soi ; 3) enfin le projet permettait également un accompagnement à l’autodidaxie et un changement de posture des apprenants, susceptibles de leur redonner le désir d’apprendre. L’usage des MOOC fait écho aux propos d’Illich (1971), où il souligne la nécessité de l’apprentissage en dehors de l’école, et du tissage d’un réseau social permettant l’échange de pratiques et de connaissances entre les individus.
Grâce à un financement de la fondation Orange, le dispositif a été mis en œuvre pour la première fois en 2013-2014 sous plusieurs formes : des interventions ponctuelles ou régulières de deux heures dans des classes de lycées en Ile-de-France, un atelier hebdomadaire de deux heures pendant 10 semaines dans un lycée polyvalent de Toulouse, ou encore lors de permanences d’accueil de Transapi à la Gaité Lyrique à Paris.
Au total, ce sont 192 jeunes producteurs de cours en ligne dans 8 lycées partenaires qui furent concernés. Les lycéens producteurs ont créé 37 vidéos dont 24 ont été diffusées. Un MOOC d’histoire-géographieéducation-civique pour le brevet des collèges a été conçu et diffusé sur la plate-forme Beebac, MOOC qui a compté 742 inscrits. Ces derniers se sont dits satisfaits dans l’ensemble lors du sondage de fin de session et 80 % des élèves qui l’ont suivi considèrent que le MOOC les a aidés pour l’obtention du brevet des collèges.
Les interventions auprès des jeunes commençaient systématiquement par l’affichage des valeurs de l’association : « Nous sommes une association d’innovation, nos valeurs sont la solidarité et l’entraide. Nous sommes à la recherche de jeunes pour aider d’autres jeunes qui n’ont plus d’établissement scolaire ». On notera que ces valeurs impliquaient dès le départ que les jeunes soient acteurs (concevoir un cours pour aider les autres) et non consommateurs (suivre un cours).
Les jeunes déjà déscolarisés se sentaient parfois non légitimes à produire des cours. Nous leur expliquions alors que si eux-mêmes n’avaient pas aimé leur cours, ils auraient certainement envie d’en concevoir des différents et que c’était cette créativité que nous attendions d’eux. Suivait ensuite un temps très libre de créativité collective où les jeunes étaient invités à imaginer un scénario. Cette liberté est essentielle pour laisser la possibilité de devenir créateurs, la création étant une forme de l’action (Crozier, Friedberg, 1977). Des questions comme « quel est le cours que vous avez le plus détesté ? le cours de vos rêves ? » permettaient de stimuler la créativité et la construction du scénario. À la suite de quoi les élèves, par groupe de trois à six, réalisaient un petit film à l’aide de dessins et de découpages (en deux heures de temps), film monté par l’association et projeté ultérieurement en classe. Les élèves étaient ainsi mis en situation de réussite, condition nécessaire à l’apprentissage (Piaget 1974).
3.2 Méthodologie de l’étude présentée
Cette expérimentation s’est faite dans une démarche d’observation participante lors des diverses étapes du projet TransiMOOC, de la phase de conception du projet, à sa réalisation par les jeunes de Transapi avec prise de notes et comptes rendus.
Les lycéens ont été régulièrement invités à s’exprimer, sur des temps informels, sur ce que leur apportait leur participation au projet. Les auteures ont pu prendre note au fur et à mesure dans un carnet de recherche de ce qu’elles en retenaient. Plus exceptionnellement, grâce à l’intervention de chercheurs, de stagiaires ou de journalistes, ils ont pu être enregistrés pour des émissions radios par exemple, ou répondre de manière écrite à des interrogations par mail ou sur les forums, ou même devant une caméra, en marge des ateliers.
À Toulouse, les trente jeunes participants à TransiMOOC ont répondu à un questionnaire papier auto-administré en fin de projet sur ce qu’ils avaient appris du projet.
Des entretiens semi-directifs ont également eu lieu avec les équipes administratives et pédagogiques des établissements dans lesquels nous sommes intervenus.
3.3 L’impossible mesure d’impact quantitatif du projet
Les notes ne sont pas un indicateur pertinent pour ce dispositif (Epstein 2013). Les différentes mesures que nous souhaitions mettre en place (test d’estime de soi notamment) n’ont pas fonctionné comme nous l’espérions. En effet, le fait de faire des tests était considéré comme une activité à part entière par les élèves. Ainsi, un jeune arrivé très motivé à une permanence, n’apprécia pas du tout ce qu’il considéra comme sa première séance de travail à Transapi lorsqu’on lui demanda de répondre à un questionnaire d’estime de soi. Il trouva qu’on se moquait de lui car il n’apprit rien et n’est jamais revenu.
En fait, les objets d’évaluation du dispositif font partie du dispositif et doivent donc être revus en conséquence. De même, nous n’avons pas eu de suivi à moyen terme des parcours des jeunes et nous ne savons donc pas si la remobilisation observée à court terme existe à moyen ou long terme. Nous avons malgré tout pu observer de riches interactions qualitatives que nous allons expliciter ci-après.
4. Le passage de consommateurs à acteurs via la création
En plaçant les jeunes en situation de détenteurs d’un savoir qu’ils ont à transmettre à leurs pairs, le projet TransiMOOC s’appuie sur plusieurs clés de réussite que sont : la (re)construction d’une estime de soi par la conscience de la variété de leurs compétences, un projet collectif proposant plusieurs groupes d’inscriptions, en partant du constat que la perte du lien avec le groupe de socialisation au sein des établissements scolaires est une des causes du décrochage scolaire (Epstein, 2014).
Il s’agit ainsi de conduire les élèves à passer de la consommation au sens large : consommation de vidéos Youtube telles qu’ils la pratiquent mais aussi consommations en général (De la ville, 2010) à l’action via la création. Ceci passe en particulier par une production collective et un changement de positionnement des élèves, mais aussi des enseignants.
4.1 Une production collective, avec de l’entraide
« L’apport décisif de Célestin Freinet est qu’il parvient à articuler un souci permanent de finalisation des apprentissages dans des activités collectives » (Meirieu, 2001, p 14)
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Certains prénoms sont modifiés.
Marie5, 19 ans, déscolarisée, qui a travaillé avec Émilie, 15 ans, déscolarisée également, lors d’une permanence à Paris expliquait qu’« à plusieurs, c’est plus sympa de travailler ; on est stimulé différemment ». Yanis, 19 ans, déscolarisé, témoignait en permanence qu’il appréciait « de pouvoir parler », « d’être sollicité », « de travailler avec d’autres jeunes ».
Même constat sur l’implication collective et l’exigence des lycéens à Toulouse :
Nous restons très agréablement surpris de voir [les élèves] s’impliquer de plus en plus dans ce projet qui leur a été simplement proposé, mais dont ils n’étaient pas à l’origine. Implication différente selon les profils d’élèves (nous en avons de très différents), mais réelle et constante.
En leur offrant du temps, un cadre, des outils et des encouragements, ils s’accaparent de tout cela pour construire leur propre projet. Définir leurs propres exigences, parfois bien plus élevées que celles que nous aurions fixées ! Et se donner les moyens de les atteindre. Entre eux, s’expliquer ce qui manque, se donner des idées ou des coups de main.
(Témoignage d’un enseignant à Toulouse)
D’une manière générale, ce dispositif permet d’ouvrir les groupes d’inscription, de générer de l’entraide entre les pairs et, de ce fait, de participer à la persévérance scolaire. Il peut aider à souder la classe, changer le regard des enseignants et de l’équipe éducative sur les jeunes dont ils voient la capacité de production.
4.2 L’estime de soi et le changement de positionnement
Le projet TransiMOOC avait comme objectif d’agir en prévention contre le décrochage scolaire mais aussi de produire de l’accrochage scolaire par un changement de posture en produisant un espace de création et d’envie.
Freinet pensait en permanence à articuler activité collective et apprentissages individuels et expliquait qu’il était essentiel de « ne pas écarter les moins compétents au nom de la qualité de la production » (Mairie, 2001, p 15). Or, pendant une activité TransiMOOC, un élève pouvait prendre la tablette pour filmer, un autre dessiner… Les élèves n’étaient pas tous obligés de faire la même chose et chacun pouvait contribuer là où il se sentait capable. Ainsi, les élèves se sentaient capables d’être acteurs et créateurs.
Lorsque les jeunes changent de positionnement et deviennent acteurs, ils gagnent en exigence : « Les vidéos, c’est un peu mes fiches pour réviser… donc ça va être super complet ! » (Marie, Terminale L, janvier 2014)
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Lucia, 15 ans qui témoigne auprès du journal Le Monde6 explique avoir appris à faire des cours en vidéo comme un professeur s’adressant à des élèves et insiste : « [maintenant] Je vais en cours, et de retour à la maison, j’apprends comme ça mes leçons. C’est plus drôle que de réciter bêtement comme un mouton ». Elle a particulièrement apprécié le côté ludique et créatif.
L’amélioration de l’estime de soi est un préalable au raccrochage scolaire (Vandelle, 2011), et le dispositif permet de participer à un changement de posture de l’élève dans son rapport au savoir. Lorsque l’élève passe de consommateur de vidéos à créateur-producteur, il devient acteur de son apprentissage.
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Test du chi-deux significatif avec risque d’erreur inférieur à 1 pour cent
Le questionnaire auto-administré par voie papier passé aux lycéens de Toulouse montre que ces jeunes pensent que les vidéos qu’ils ont produites seront utiles à d’autres élèves de seconde et d’autres élèves de collège, ce qui améliore leur estime d’eux-mêmes. On observe une distinction dans la classe, dans la réception faite au dispositif TransiMOOC, entre deux groupes d’élèves appartenant à deux milieux socio-spatiaux différents. Une moitié de la classe, composée d’élèves résidant dans les grands ensembles voisins de l’établissement, et issue de milieux populaires, se sont montrés significativement plus intéressés7 par TransiMOOC que l’autre moitié de la classe, composée de jeunes résidant dans des quartiers pavillonnaires et issus de milieux plus aisés. Les élèves du premier groupe disent que cela leur a davantage donné envie d’apprendre et qu’ils ont appris quelque chose. Ainsi, les effets du changement de positionnement sont particulièrement visibles pour les élèves en situation sociale plus difficile, rejoignant les travaux de Jouët (2000) : les élèves se sont approprié les outils, s’éloignant du statut de consommateur.
4.3 Un changement de posture des enseignants qui accompagne le passage de consommateur à acteur
Les TICE, en général, n’améliorent pas les résultats scolaires des élèves mais les ressources interactives, telles que les REL (ressources en ligne), s’avèrent utiles lorsqu’il s’agit de mettre en place des pédagogies différenciées et des pédagogies de projet. L’argument majeur est que chaque élève peut regarder à son rythme les vidéos de cours autant de fois que cela lui est nécessaire. Ceci est développé par Nicole Tremblay et Sophie Torris (2005) dans un article rédigé à partir d’apports théoriques (Freinet, Meirieu) et d’une observation qualitative dans une « classe Freinet ». Les TICE peuvent favoriser une pédagogie différenciée et collective telle que Freinet le préconisait à travers :
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une pédagogie de projet (collective) avec des plages de choix durant lesquelles l’élève peut être actif ;
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l’introduction d’outils nouveaux favorisant l’ouverture sur le monde (à l’imprimerie en classe, telle qu’imaginée par C. Freinet, a succédé la radio, le cinéma, la télématique…) ;
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une valorisation du travail de l’élève qui peut sortir du cadre de la classe (audience plus large…) ;
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et une individualisation des parcours des élèves grâce à la multiplicité des outils accessibles.
L’analyse de Tremblay et Torris (2005) montre également le changement de positionnement de l’enseignement selon la situation (analyse confirmée par Chaptal, 2003) : les TICE peuvent favoriser l’enseignement dit « mutuel » (où les élèves s’entraident indépendamment de leur niveau et travaillent en collaboration) par opposition à l’enseignement « simultané » (où les élèves d’un même niveau écoutent). Ainsi, les enseignants peuvent être situés dans trois positionnements. Le premier dit « behavioriste » est celui où ils sont « transmetteurs de savoir ». Lle second dit « rationaliste » conduit à la position de « facilitateur ». Le troisième dit « constructiviste » place l’enseignant comme un « animateur, un guide qui anime, aide, provoque, questionne, organise, propose, suggère, laisse agir, remédie » (Feyfant, 2009). Ce dernier positionnement est celui dans lequel les élèves travaillent le plus entre eux. Ils sont en pédagogie active et utilisent des outils qui leur donnent une plus grande autonomie (tels que les REL par exemple). Ainsi le passage de consommateur à acteur pour les élèves doit s’accompagner d’un passage de « transmetteur » à « guide » pour les enseignants.
5. Conclusion
Dans l’article « Concevoir une communauté de jeunes élèves. Leçons théoriques et pratiques » (Brown, Campione, 1995), les auteurs montraient l’intérêt des enseignements réciproques entre élèves pour favoriser des transformations pédagogiques. Ils définissaient aussi le cadre fondamental à la création d’une communauté d’apprenants et notamment la nécessité de s’appuyer sur une pédagogie active. Il est nécessaire que les élèves puissent être en situation de recherche collective sur des sujets répondant à leurs besoins et non sur des programmes rigides pré-déterminés. TransiMOOC, sur ses différents points, concorde avec l’expérience précitée et l’on observe, un changement de positionnement des apprenants dans leurs rapports au savoir, et un travail de groupe en lien avec un espace laissé à la recherche et à la créativité dans la construction des scénarios des vidéos. Les jeunes, en produisant des cours passent d’un mode d’apprentissage « consommateur » à un mode d’apprentissage où ils sont acteurs des cours qu’ils produisent. Nos observations, en particulier à Toulouse, montrent que l’expérience a mieux fonctionné pour les jeunes qui n’apprécient pas la forme scolaire traditionnelle (au sens de Vincent, 1994).
Néanmoins, comme cela avait déjà été pointé en 1995 (Brown et Campione, 1995 : 26), la faiblesse est alors « le capital limité de connaissances » des membres du groupe. Avec Internet, la faiblesse du programme change de nature. Le corpus de connaissance étant accessible sur le Web, c’est essentiellement le rythme d’apprentissage qui est considérablement ralenti. En effet, si les élèves ne sont plus limités par les connaissances théoriques qu’ils peuvent acquérir facilement, ils ont cependant besoin de beaucoup de temps pour produire un cours et peuvent passer six mois sur un chapitre qui serait traité en deux heures de cours en classe. Reste que la maîtrise des sujets en bout de course et le plaisir d’apprendre sont sans commune mesure lorsque le cours est conçu par les jeunes ou lorsqu’il est simplement appris.
Il reste à savoir si du côté des utilisateurs du MOOC, les jeunes sont aussi acteurs ou redeviennent des « consommateurs » classiques ?
Un entretien en juin, quelques jours avant l’examen du Diplôme National du Brevet, avec Noémie, 15 ans, scolarisée en 3e mais très absentéiste montre que les jeunes en cours de décrochage appréciaient l’idée de pouvoir réviser sur Internet plutôt qu’en classe. Des entretiens avec des professeurs d’histoire géographie qui ont présenté TransiMOOC HG-EC à leurs élèves témoignent que les élèves qui avaient le droit d’utiliser des tablettes en classe utilisaient le MOOC pour réviser. En somme, les élèves semblent « consommateurs » du MOOC.
Pour que les usagers du MOOC deviennent, eux aussi, acteurs, il faudrait s’orienter vers des MOOCs connectivistes, c’est-à-dire s’appuyant sur la communauté des apprenants qui participent au processus d’apprentissage collectif, par le biais de forums et autres dispositifs de communication. 41 % des inscrits à TransiMOOC ayant répondu au sondage de fin de cours déclarent souhaiter participer à la création et à la production d’un nouveau Mooc, ce qui laisse imaginer qu’effectivement, certains « consommateurs » pourraient devenir « producteurs ». Néanmoins, pour le moment, rien ne prouve qu’ils le feront et les modalités de transformation de consommateurs en acteurs pour les « consommateurs » de MOOCs sont encore à construire.