Le design dans l’éducation et la formation
À partir d’entretiens réalisés auprès d’entreprises innovantes du secteur de l’éducation et de la formation, cet article étudie les processus par lesquels ces entreprises innovent. Les observations portent sur le positionnement des entreprises innovantes dans le champ de l’éducation, les contraintes qui les structurent, les processus mis en œuvre dans le déploiement des services et produits, et l’organisation de la communication sur le design. Les résultats de l’analyse lexicométrique contribuent à décrire une épistémè du design innovant qui à la fois structure et limite le travail des designers. Celle-ci renverse en partie l’épistémè tayloriste du design industriel tout en héritant de certaines de ses caractéristiques. Face au rationalisme positiviste, l’ambition humaniste des designers contemporains devrait pouvoir répondre aux besoins d’appropriation des enseignants notamment par l’introduction de méthodes expérimentales d’évaluation et de co-conception des produits et des services.
AbstractBased on interviews with innovative companies in the education and training sector, this article examines the processes by which these companies innovate. We focus our observation on the positioning of innovative companies in the field of education, the constraints that structure them, the processes implemented in the deployment of services and products, and the organization of communication on design. The results of our lexicometric analysis help to describe an epistemology of innovative design that both structures and limits the work of designers. This one partially reverses the Taylorist epistemology of industrial design while inheriting some of its characteristics. In the face of positivist rationalism, the humanist ambition of contemporary designers should be able to meet the appropriation needs of teachers, particularly through the introduction of experimental methods for evaluating and co-designing products and services.
1. Introduction
Le champ de l’éducation et de la formation est largement investi par des acteurs se présentant comme « innovants » (start-up, pôles innovation de grandes entreprises...) qui capitalisent sur la transmission des savoirs, que ce soit à l’école, à l’université ou en formation continue, des MOOCs aux TBI en passant par les serious games. Pour accompagner ces « innovations », un vocable s’est progressivement imposé autour de la notion de design, avec les expressions « design d’expérience », « design UX », « design thinking », etc. Notre hypothèse est que ce vocabulaire vise à renverser des logiques plus anciennes de la conception : il est donc le creuset de logiques d’éditorialisation (des manières de produire des objets ou des services) et d’industrialisation (des transferts de cultures entre les métiers de l’industrie et ceux des services publics) dont l’analyse fait apparaître de nouveaux rapports de pouvoirs. Cette hypothèse est au centre de cette étude menée en direction d’entreprises dites « innovantes » du secteur pédagogique. L’étude vise à éclaircir la nature du design et du co-design en tant que paradigme contemporain de la création numérique en analysant : la vision des enseignants selon les entreprises du secteur, les relations professionnelles entre les acteurs et les renversements de logiques de conception.
2. Cadre théorique
Ces dernières années, la notion de design s’est progressivement imposée dans la recherche francophone en sciences humaines et sociales sur les dispositifs numériques. Ces travaux ont l’avantage de ne pas se limiter à décrire les usages qui sont faits de la technique : ils pointent aussi la manière dont les dispositifs sont construits, et comment ils orientent ces usages en conséquence. Or, les méthodes de design ont une responsabilité forte, non pas seulement pour rendre une interface plus esthétique ou plus efficace, mais aussi pour atteindre les objectifs économiques voire politiques de l’entreprise ou de l’organisation qui construit ces dispositifs. Il importe donc de ne pas réduire une interface à une relation bilatérale entre un utilisateur client et une machine qui produit des services : l’interface s’inscrit dans le cadre d’un dispositif communicationnel reliant des objectifs sociaux, économiques et politiques. Le métier de designer est donc traversé par des contraintes, des règles implicites ou explicites qui traduisent d’une part des structures interprétatives et perceptives des publics auxquels sont dédiées ces interfaces, d’autre part des logiques d’acteurs et des enjeux sociaux.
Sur le plan spécifique de la formation, le design désigne l’activité de construction réfléchie d’un artefact ou d’un dispositif à vocation pédagogique, articulée autour d’une culture centrée en partie sur l’humain, en partie sur la machine. Outre ce prérequis d’une double culture, l’activité de design est traversée en partie par l’histoire vécue et par les connaissances (Vygotski, 1985) des designers, développeurs et responsables des projets ; en partie par un ensemble de règles, de valeurs et une certaine forme d’organisation du travail (Engeström, 1999). Il revient à l’analyse de faire apparaître ce double plan, celui de la diachronie et celui de la synchronie, afin de souligner les enjeux sociaux qui gravitent autour de la dimension purement matérielle des interfaces, c’est-à-dire de leur matière numérique.
Le design consiste donc ici à concevoir des interfaces, mais aussi des usages futurs par la définition d’un ensemble de schèmes d’utilisation qui comprennent des dimensions cognitives, motivationnelles, affectives et des savoir-faire (Piaget et Inhelder, 2012). Pour que l’utilisateur, enseignant ou élève, puisse s’approprier l’interface interactive, celui-ci transforme l’interface comme artefact en instrument (Rabardel, 1995) : dans l’interface-instrument, le sujet construit de nouveaux schèmes d’utilisation, ou bien il réemploie des schèmes sociaux préexistants. Le designer peut alors prescrire de tels schèmes via une formation initiale ou via des incitations dans l’interface elle-même, par exemple à l’aide d’affordances qui présentent des « actions potentiellement disponibles » (Gibson, 2011) ; ou bien il peut se contenter d’autoriser des actions dont il ne prévoit pas l’usage.
Si l’on resitue la création des dispositifs numériques dans une perspective historique, on observe des points de rupture dans l’approche du design, ce qui permet de décrire différentes épistémès définies comme « conditions de possibilité de tout savoir » (Foucault, 1966), au service d’une pratique comme d’une science, en tant qu’elles structurent la connaissance du design tant sur les plans explicites qu’implicites. Ainsi, nous identifions une première épistémè du design que nous qualifierions de tayloriste, et qui effectue une division du travail stricte entre ceux qui conçoivent une interface et ceux qui l’utilisent selon une approche positiviste voire mathématique. L’accentuation de la prise en compte des utilisateurs dans l’activité de conception remet en cause ce paradigme classique, mais vers quel modèle ?
Or, le paradigme actuel du design numérique ne vise pas seulement à faire évoluer des artefacts sur le plan technique, c’est-à-dire à substituer des outils traditionnels (craie, tableau, enregistrement sonore...) par des outils numériques (TBI, ressources interactives, services en ligne, serious game, tablette, objet connecté…) : il intervient au cœur des apprentissages qui orientent et forment les citoyens de demain. Il importe donc de mesurer les enjeux de la société du numérique telle qu’elle évolue et de décrire les nouveaux paradigmes du design, en commençant par l’analyse des industries du design qui investissent l’école et participent ainsi de l’industrialisation de l’éducation dont parle Moeglin (2016).
3. Méthodologie
3.1. Les techniques de recueil de données
Pour cette étude qualitative, deux techniques de recueil de données ont été mises en place : des entretiens semi-directifs et un questionnaire. Les entretiens ont permis d’étudier les relations professionnelles entre les acteurs, les processus de conception et la vision des publics enseignants. Cette technique des entretiens semi-directifs favorise l’expression propre de l’individu, sans l’enfermer dans des questions ciblées, tout en gardant une ligne directrice afin d’assurer une cohérence dans les résultats obtenus. À l’inverse, le questionnaire est venu en appui de la première technique pour présenter l’étude aux personnes contactées, pour catégoriser les réponses des interviewés, et pour récolter de nouvelles réponses à l’écrit.
3.2. Le guide d’entretien
Le guide d’entretien a été divisé en quatre thématiques : identité des acteurs, design, déploiement et communication autour du design. Chacune d’elles correspond aux différentes étapes de développement d’un service ou produit. Ces quatre axes ont permis d’étudier les logiques d’acteurs en jeu et les stratégies mises en œuvre à chaque étape du développement d’une solution dans le domaine de l’éducation.
Le premier axe concerne l’identité de la structure et de l’interviewé. Il s’agit d’une part de comprendre l’activité de la structure, afin de mieux saisir en quoi, selon les concepteurs, le produit ou service proposé est « innovant ». D’autre part, nous cherchons à définir le rôle de l’interviewé dans la structure, et le rôle de son expérience, y compris à l’école, comme facteur d’influence ou non sur le projet professionnel.
Le second axe étudie la naissance et le développement de l’idée du produit, et comment les acteurs prennent part à la conception. L’objectif est d’étudier le rôle des différents acteurs dans la conception de la solution, les outils utilisés et les éventuelles logiques de co-conception mises en œuvre.
Le troisième axe traite de la rencontre du service ou produit avec les utilisateurs finaux, enseignants et apprenants : comment les entreprises vont à la rencontre de leurs utilisateurs et comment elles mettent en place leurs solutions, et quel accueil elles reçoivent.
Enfin, le quatrième axe du guide d’entretien concerne la communication par l’entreprise de leur processus de design auprès des utilisateurs : il s’agit de repérer et de décrire une éventuelle stratégie de communication.
Outre ces quatre axes, des données quantitatives ont été récoltées lors des entretiens pour qualifier l’échantillon obtenu.
3.3. Échantillon
Du côté des entreprises ciblées, nous avons restreint la recherche aux entreprises du secteur pédagogique présentées comme « innovantes ». Afin de les identifier, nous avons retenu trois événements importants sur les thèmes de l’éducation et de l’innovation : les Rencontres de l’Orme, Ludovia et les Rencontres du Numérique. Pour cet article, un échantillon de 13 témoignages a été recueilli : 8 par entretien et 5 par questionnaire, présenté dans le tableau 1.
Tableau 1. Échantillon
Numéro |
Type de structure |
Date de création |
Technique de recueil |
1 |
Groupement |
1881 |
Questionnaire |
2 |
GIS |
2016 |
Questionnaire |
3 |
Entreprise |
2004 |
Questionnaire |
4 |
Start-up / Petite entreprise |
2015 |
Questionnaire |
5 |
Start-up / Petite entreprise |
2015 |
Entretien |
6 |
Entreprise adossée à un groupe |
Entretien |
|
7 |
Co-entreprise |
2013 |
Entretien |
8 |
Start-up / Petite entreprise |
2014 |
Entretien |
9 |
Start-up / Petite entreprise |
Entretien |
|
10 |
Start-up rachetée |
2011 |
Entretien |
11 |
Start-up rachetée |
2011 |
Entretien |
12 |
Start-up / Petite entreprise |
Entretien |
|
13 |
Université |
Questionnaire |
La majorité des personnes interrogées fait partie de petites ou moyennes entreprises. Deux des treize personnes interrogées sont rattachées à un Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) et donc liées à l’Éducation nationale.
Les résultats de l’enquête ont été ici anonymisés afin de protéger les données des structures interrogées et de libérer la parole des personnes lors des entretiens.
3.4. Méthodologie d’analyse
Pour analyser les résultats obtenus, la méthodologie mise en place se découpe en trois étapes.
Premièrement, les différentes réponses obtenues ont été réparties en fonction des axes suivants définis dans le guide d’entretien : « Identité », « Design », « Déploiement » et « Communication sur le design ».
- Note de bas de page 1 :
-
Pour plus de précisions, voir le site dédié, URL : http://www.iramuteq.org/ (consulté le 27 mai 2019).
Ensuite, un traitement lexicométrique des données brutes a été réalisé grâce au logiciel Iramuteq1 afin de mettre en évidence des relations lexicales entre les données. Le logiciel Iramuteq permet de représenter des données sous la forme de dendrogrammes en se basant sur la classification de Reinert et permet de classer les formes lexicales dans des classes de formes regroupées selon leur indépendance et mesurées par un test au Chi². Le traitement a été effectué indépendamment sur les corpus obtenus pour chacun des axes cités précédemment. Enfin, l’analyse présentée ci-après a été réalisée sur la base des dendrogrammes et des fragments de texte générés par le logiciel.
4. Résultats
Les résultats sont ici présentés selon les quatre axes thématiques du guide d’entretien. Pour chacun d’entre eux, nous présentons les résultats obtenus puis les hypothèses interprétatives qui en découlent. Les formes de discours en champs lexicaux cités apparaissent entre guillemets, tandis que les verbatim sont présentés en italique.
4.1. Identité, positionnement et innovation
Le premier axe vise à identifier l’entreprise et l’interviewé, ainsi que les produits et services « innovants » proposés.
4.1.1. Présentation des résultats
De l’analyse lexicale du corpus « Identité » émergent cinq classes présentées en Figure 1.
Figure . Dendrogramme corpus « Identité »
En classe 4, apparaît la volonté des personnes interrogées de faire des techniques telles que l’« intelligence artificielle » (IA ; entretiens n° 10, n° 11, n° 12) une réponse aux « envies » des apprenants. Par exemple, une entreprise aide les « jeunes » dans leur recherche de métier grâce à l’IA, ou encore elle offre des possibilités de personnalisation des parcours d’apprentissage. Cependant, cette approche innovante soulève des difficultés pour les enseignants car cela les oblige à changer leurs pratiques : « le deuxième élément qu’on essaye de pousser, c’est des algorithmes de l’intelligence artificielle qui personnalisent le travail de l’élève en fonction de son historique. C’est très innovant mais c’est très difficile aussi à faire utiliser parce que ça bouscule les pratiques » (n° 11). Le recours à la vue est privilégié : « voir » c’est comprendre ; c’est à partir de ce qu’on voit que l’on modélise les processus d’apprentissage, et l’on doit présenter ces processus aux apprenants de manière visuelle. En classe 1, on retrouve l’idée que la « technique » doit pouvoir devenir indispensable à l’« élève » (n° 1, 6, 9, 11) : l’« outil » technique est une « solution » qui favorise la collaboration, comme lorsqu’il permet de « partager » des « documents » multimédias ou des « vidéos ». Étonnamment, l’innovation n’est pas ici dans la méthode de travail de l’enseignant, mais dans la solution technique qui, à son tour, détermine la méthode de travail. À noter que le terme « solution » n’est jamais associé à celui de problème : il renvoie plutôt directement à un usage, plus rarement à un « besoin » : « Ce qui est innovant, c’est la solution en elle-même. On est sur une solution qui est collaborative, une solution de communication, ça permet d’amener le numérique en classe » (n° 6). L’innovation technique répond donc au problème de l’injonction au numérique, au discours d’escorte de l’industrie et des tutelles.
La classe 2 rassemble des éléments de discours qui expliquent la genèse de l’innovation : le « processus » de « conception » (n° 2) de l’innovation s’appuie sur la réalisation d’un « modèle », avec à l’appui des apports scientifiques en particulier un ancrage dans les « sciences » » cognitives » et numériques (n° 1 et n° 5). L’approche scientifique est parfois identifiée à l’apprentissage lui-même : elle peut fonder les « piliers de l’apprentissage des sciences cognitives » (n° 5). Les innovations sont d’ailleurs dédiées volontiers aux professeurs de sciences, tandis que des docteurs » en data mining et en data science et visualisation des données » (n° 12) les conçoivent.
La classe 3 regroupe les éléments de langage qui soulignent la vision « pédagogique » de l’« entreprise », son engagement auprès des institutions éducatives ou du marché de l’éducation, ou sa volonté de développer des outils de classe inversée (n° 5). Ainsi elle légitime son engagement pédagogique.
En classe 5, les personnes interrogées font référence au service « public » de l’éducation. Le marché de l’« éducation » est confronté à un monde « vraiment à part » où les entreprises doivent construire des « relations » : « on fait beaucoup de travail de relation publique et lobbying pour se faire reconnaître de la part des institutions publiques et des acteurs de l’éducation » (n° 12). L’entreprise recherche de la reconnaissance de la part des entités publiques dans lesquelles exercent les enseignants. C’est le soutien des décisionnaires, plutôt que celui des enseignants, qui est une condition nécessaire pour la diffusion du produit/service. À noter que la référence à l’espace public est associée à des marqueurs temporels : au « début », quand ils sont « arrivés » ou encore dans les prochains « mois ». La prise en compte des spécificités du service « public » semble s’inscrire dans le cadre d’une planification consciente pour ces entreprises.
4.1.2. Analyse
Malgré une attention clairement portée à la pédagogie et sur la prise en compte des valeurs du service public, l’innovation reste centrée sur la production de solutions techniques et non pas sur l’amélioration de conditions de travail qui permettrait à l’enseignant d’innover, voire dans le cadre d’une innovation pédagogique commune entre l’enseignant et l’entreprise. À noter que ce focus sur la technique s’explique aussi par l’histoire de ces entreprises et par celle de leurs employés : certaines entreprises dépendent directement des industries du numérique comme un partenaire étroit de Google, tandis que d’autres sont fondées par des informaticiens ou emploient des personnes ayant une culture technique et scientifique très avancée. En définitive, les entreprises conçoivent l’innovation comme étant un apport technique à placer au centre de l’apprentissage, comme une plus-value, par exemple lorsqu’il s’agit de mimer l’intelligence humaine ou de la transcender via l’intelligence artificielle.
L’identité des entreprises se construit à partir du secteur auquel elles appartiennent : l’éducation comme un marché où les clients sont majoritairement publics. Elles s’adaptent donc au fonctionnement et aux contraintes de ce « marché tellement particulier du fait du poids de la commande publique que c’est vraiment à part ». (n° 7). Elles construisent un discours de légitimation à l’aune des valeurs du service public, de la pédagogie et de la transmission des savoirs, et s’estime plus ou moins en phase avec ces valeurs (« Nous sommes une entreprise sociale qui défend des valeurs », n° 3). Elles font appel à la rationalité scientifique pour renforcer la confiance des clients en particulier en provenance des sciences cognitives, avec le souci de pouvoir montrer voire de visualiser l’apprentissage des élèves.
En fin de compte, ces entreprises se concentrent moins sur les outils et schèmes d’utilisation existants des utilisateurs, et donc sur leurs besoins conscients ou exprimés, que sur des schèmes d’utilisation définis en amont, au niveau de l’innovation technique, et qu’il s’agit dès lors de transmettre sous la forme d’une « solution ». Ces solutions ne renvoient pas à un problème ou à un besoin bien défini et identifié par les enseignants. Fournir un service revient plutôt à s’adapter aux goûts des enseignants plutôt qu’à leur demande : « le point central finalement comme dans tout service c’est de nous assurer qu’il répond vraiment aux goûts, aux besoins de nos utilisateurs » (n° 9). On voit qu’ici, les « besoins » sont associés aux « goûts », ce qui entretient un certain flou sur cette notion de besoin, associée à l’humain, alors que la solution technique, elle, est parfaitement définie.
La spécificité des missions de service public est prise en charge par les entreprises, au service d’une communication adaptée aux décideurs ; et pourtant ces entreprises ne se réfèrent pas à la formulation des valeurs publiques faite par les enseignants eux-mêmes. Ce faisant, elles ne définissent pas les besoins concrets et particuliers qui auraient pu être formulés par les enseignants bénéficiaires eux-mêmes.
Enfin, le recours à l’idée de modélisation et de processus favorise la prise en compte d’événements visibles, avec une référence forte aux sciences dites exactes, en particulier les sciences cognitives et l’informatique. Les processus socio-constructivistes étant beaucoup moins visibles, ils ne sont pas évoqués par les entreprises bien que l’idée de collaboration des élèves entre eux soit évoquée. Ainsi, le cadre épistémologique de ces entreprises est compatible avec une épistémologie de type positiviste, systémique ou béhavioriste, centrée sur des comportements ou des actions quantifiables.
4.2. Les contraintes structurantes du design
Dans cet axe, nous interrogeons le processus de design mis en œuvre notamment par les acteurs sollicités.
4.2.1. Présentation des résultats
De l’analyse lexicale du corpus « Design » émergent cinq classes présentées en Figure 2 ou thèmes : les contraintes en fonction desquelles les entreprises conçoivent leurs produits et services (classe 3), les outils utilisés (classe 2), les utilisateurs (classe 5), les collaborateurs (classe 4) et les acteurs extérieurs (classe 1).
Figure 2. Dendrogramme corpus “Design”
La classe 2 plaide en faveur d’une vision techno-centrée du design : c’est la prise en compte des « outils » « utilisés » pour la conception de produits innovants. Les outils renvoient aux habitudes des designers, avec un souci de productivité : « pour la suite Adobe, c’est des logiciels sur lesquels j’ai toujours travaillé donc ça me permet de ne pas penser à l’outil que j’utilise c’est une raison finalement pour laquelle je te disais que Balsamiq, j’avais laissé tomber. » (n° 10). Malgré l’idée qu’innover c’est créer un nouvel outil, ce verbatim illustre à la fois la résilience d’entreprises qui ne souhaitent pas découvrir de nouveaux outils de créativité, et leur dépendance vis-à-vis d’industries de la création comme Adobe. À ces outils de créativité s’ajoutent des logiciels de gestion, de collaboration et des méthodes issus de l’informatique comme par exemple la méthode Agile.
En classe 5, les interviewés expriment ce qu’ils « pensent » du processus de design : il doit être centré sur les « utilisateurs » et sur les « parcours » à concevoir. L’utilisateur doit être présent au début du processus de conception mais aussi lors des mises à jour : « ce qu’on pense, c’est toujours plus simple de partir du terrain pour avoir des témoignages » (n° 8) ou encore de « s’appuyer sur [leurs] retours » (n° 7). Cependant, ces déclarations constituent parfois un idéal à atteindre plutôt qu’une réalité. Par exemple, un designer reconnaît être « vraiment à l’arrache pour être prêt pour la rentrée, on a pas du tout eu ce temps de concertation et de retours clients » (n° 7). Ainsi une double contrainte temporelle s’exerce sur les collaborateurs : une première liée au business de l’innovation qui incite à la créativité, et une seconde liée au calendrier scolaire auquel il est nécessaire de se conformer pour proposer des nouveautés en période de rentrée. L’intégration des utilisateurs dans le processus design est donc souhaitée mais pas toujours possible du fait des injonctions à la créativité en temps limité.
On retrouve cette même préoccupation dans la classe 3 qui exprime les autres contraintes ou « fonction[s] » qui structurent le processus de design : le « cahier des charges » (n° 1), « les sujets d’actualité » (n° 8) et « les besoins de chaque organisation » (n° 6) c’est-à-dire les disponibilités et compétences des acteurs des établissements publics. Les entreprises doivent « s’adapter » et prendre en compte le facteur « temps » qui traverse toutes ces contraintes, certains craignant que « ça prenne trop de temps » (n° 11).
En classe 4, on trouve des réponses en lien avec la manière dont les collaborateurs de l’entreprise prennent part au design. Elles évoquent l’importance de l’« équipe » dans la partie « développement », à la fois aux sens gestionnaire et « technique ». Les autres pôles de travail sont le design centré utilisateur au design « UX », le pôle « commercial » et le pôle « communication ». La partie « technique » prédomine aux dépens de la partie « design UX », plus rarement citée et qui peut même être externalisée ; elle peut être sous-estimée et peut aussi être confondue avec une démarche de communication graphique : « Nous avons commencé à travailler avec eux sur l’UX Design de notre application et ça c’est quelque chose que nous n’avions pas imaginé faire au tout début, lorsque nous concevions notre projet. Mais nous nous sommes rendus en testant, en discutant avec des jeunes qu’ils étaient extrêmement sensibles à l’aspect, à l’expérience utilisateur, au parcours, à la com’graphique, etc... » (n° 9). L’expérience utilisateur est ici réduite à la satisfaction utilisateur, aux aspects graphiques des interfaces lesquels peuvent plaire sans forcément améliorer l’utilisabilité ou l’utilité des interfaces. Les questions d’ordre esthétique semblent prendre le pas sur les questions d’interaction et d’expérience.
La classe 1 renvoie au « réseau » de travail : les « établissements » publics, les autres acteurs de l’« éducation » et les partenaires qui ont aidé les entreprises dans le design de leur produit ou service. Les « académies » sont citées à côté d’autres organismes de l’« Éducation » « Nationale ». Ce travail de réseautage vise des bénéfices à « long terme » (n° 5) ou à la fréquence des contacts (« tout au long de l’année », n° 7). Le travail de lobby peut alors déboucher sur une vraie collaboration du point de vue d’une entreprise : « ça s’est mis en place progressivement notamment dans deux académies et puis on commence à rentrer un petit peu dans l’éducation nationale grâce à des solutions d’expérimentation pour que vraiment ce soit quasiment un processus de co-construction avec les professeurs qui vont s’en servir et les élèves qui vont s’en servir également. » (n° 12). L’idée d’un co-design réellement impliquant pour les enseignants semble donc accessible aux entreprises en proie avec des contraintes fortes, mais elle reste exceptionnelle.
4.2.2. Analyse
Au final, le design d’un produit ou d’un service prend en compte trois types de contraintes qui structurent l’activité de design des entreprises.
Premièrement, le temps structure très fortement les processus de design et de créativité. Le temps est segmenté en étapes de travail qui peuvent être répétées à souhait dans le cadre de démarches itératives.
Deuxièmement, des contraintes externes s’imposent aux équipes qui doivent y répondre et s’adapter, comme le cahier des charges défini par le commanditaire, les actualités ou les compétences des clients. Les spécificités du métier d’enseignant influencent le processus de design comme une contrainte extérieure qui s’impose à eux plutôt : elles apparaissent comme peu ou pas négociables.
- Note de bas de page 2 :
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Voir le site InVision, URL : https://www.invisionapp.com/ (consulté le 19 décembre 2018).
Troisièmement, pour pallier au défaut de ressources internes, les entreprises s’appuient sur des outils développés par d’autres structures y compris les grandes industries du numérique qui apportent ainsi dans le champ de l’éducation des méthodes de travail segmentées. Par exemple, un interviewé indique : « les maquettes sont réalisées par nos sous-traitants sous InVision [Studio]. C’est un outil qui permet de créer en fait des maquettes cliquables qui simulent assez bien le parcours d’un utilisateur. » (n° 9). Le parcours utilisateur, c’est-à-dire celui de l’apprenant, est ici réduit à la somme de ses interactions humain/machine. Exit la question de l’expérience globale de l’utilisateur et du contexte : le processus d’apprentissage ne se confond pas avec la somme de ses interactions avec une interface. On retrouve d’ailleurs cette même vision sur la page d’accueil d’InVision où est cité un client : « Nous utilisons les tableaux de bord [d’InVision] pour partager les objectifs et les idées de départ, montrer le parcours de l’utilisateur [user flow] et capturer l’inspiration (Catt Small, product designer) »2. La question du temps, si cruciale pour les designers, est en revanche mise parfaitement en valeur par cette société qui porte le slogan « design better, faster, together ».
Ainsi apparaît une différenciation entre les préoccupations de l’équipe de conception, qui doit maîtriser la technique pour pouvoir maîtriser le temps, et celles des utilisateurs qui devront s’approprier les artefacts produits à partir des contraintes de leur métier. Bien qu’une entreprise affirme que l’utilisateur doit se placer au centre du design, la plupart du temps, son parcours correspond à une représentation séquencée et donc modélisable de l’usage plutôt qu’à une représentation de l’apprentissage.
Le terrain et le retour utilisateur définissent pour les designers un idéal de connaissance à atteindre et à maîtriser. Mais d’une part, la réalité très contrainte de ces entreprises est que ces retours utilisateur passent bien après d’autres tâches plus prioritaires. D’autre part, le « terrain » indique aussi un espace où se joue le devenir du produit innovant : à ce titre, les témoignages sont importants moins pour indiquer les faiblesses du produit à améliorer, que pour souligner les forces du produit afin de convaincre de nouveaux clients : « l’accueil est toujours bon car les produits et services sont conçus pour être en adéquation avec les besoins du terrain » (n° 1). Le terrain définit donc un espace de confirmation et de validation de la qualité des produits proposés plutôt qu’un espace à partir duquel les produits sont construits.
Enfin, les industries du numérique structurent et couronnent le champ des habitudes de travail des designers. D’une part, certains interviewés assument le fait que leur projet innovant associe une partie recherche et une partie industrielle (« le projet... était un projet industriel, pour construire et tester 6 prototypes de manuel scolaire numérique, et de recherche, pour mieux comprendre le processus de collaboration », n° 2). Dans ce cas, la dimension recherche peut se confondre avec la partie industrielle : « Je suis doctorant de la partie recherche du projet et chef de projet de la partie industrielle du projet » (n° 2). Parmi les acteurs industriels, on trouve de très grosses entreprises américaines comme Adobe qui a la capacité d’orienter voire de récompenser certains travaux (« on a été finaliste d’un concours Adobe », n° 10). Le recours à ces géants peut venir de leur monopole sur le marché de la formation face auquel il devient difficile de perdre ses habitudes, au point de prendre le risque de dépendre de technologies obsolètes (Flash). Cette industrie est aussi liée à l’environnement Google, par exemple via sa suite bureautique, sans compter qu’une des entreprises interviewées a pour but principal de diffuser ses technologies (label Google Partner For Education). Les autres industries principales qui sont citées sont Facebook et Apple. À ces géants de l’industrie créative s’ajoutent des start-up en vogue comme Balsamiq ou InVision qui peuvent ou non conquérir des parts sur le marché des outils d’aide à la créativité ciblant les designers. Enfin, d’autres acteurs ou groupes peuvent intervenir pour toucher massivement de nouveaux clients : « Avant qu’on industrialise le processus avec Hachette » (n° 11).
4.3. Les processus de déploiement
Dans ce troisième axe, il s’agit maintenant d’interroger le processus de déploiement des solutions mises en œuvre.
4.3.1. Présentation des résultats
L’analyse lexicale du corpus « Déploiement » met en évidence 7 classes présentées en Figure 3. Pour chacune d’entre elles, sera présenté le champ lexical associé au déploiement du produit ou au service de l’entreprise.
Les sujets abordés sont : les tests comme première étape (classe 1), les utilisations et usages de leurs publics (classe 7), les retours d’utilisation (classe 4), le personnel d’établissement et son ouverture d’esprit (classe 5), les publics (classe 2) et leurs interrogations (classe 3), et la nécessité d’un accompagnement (classe 6).
Figure 3. Dendrogramme corpus « Déploiement »
- Note de bas de page 3 :
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Voir le site Canopé, URL : https://www.reseau-canope.fr (consulté le 27 mai 2018).
- Note de bas de page 4 :
-
cf. plus haut la question du temps 4.2.1 classe 5
La classe 1 fait apparaître que la moitié des interviewés évoque les « tests » qu’ils ont pu mener : « tests utilisateurs » (n° 10), « tests avec les potentiels utilisateurs » (n° 2), « tests que nous avons fait » (n° 9), etc. Ces tests peuvent constituer une « première » étape qui s’est avérée nécessaire a posteriori : « il y a eu plusieurs établissements tests parce que finalement c’était très compliqué de lancer l’offre dès le début » (n° 8). Ces tests peuvent être organisés grâce au soutien de réseaux comme CANOPE3 car ils nécessitent d’acquérir la confiance des utilisateurs. Cependant, cela implique que les testeurs sont a priori déjà acquis aux innovations proposées : » un état d’esprit pro innovation donc du coup l’équipe de maths était très partante de tester. Après pour les autres, ça a été plus compliqué » (n° 11). Les tests ne font pas forcément l’objet d’un protocole défini, car ils peuvent correspondre à un temps de formation gratuit (« les tests sont gratuits pendant un mois », n° 11) de la part des utilisateurs qui sont alors incités à échanger avec l’entreprise (« avoir quelqu’un chez nous permet d’avoir un allié dans son expérimentation », n° 11), ou bien à la promotion du produit (« qu’il puisse tester et finalement faire aussi la promotion de notre outil », n° 8) voire pour « tester le marché » sur Apple Store (n° 10). Au final, les tests utilisateurs forment facilement des procédures de validation de l’innovation alors qu’ils sont plus rarement introduits en phase de conception (« Chaque nouvelle idée est discutée et testée en équipe en interne, fait l’objet d’une preuve de concept et est testée auprès d’utilisateurs potentiels afin d’en vérifier la pertinence et l’adéquation », n° 1). Si certaines entreprises effectuent des cycles prototypage/test avec les élèves (n° 11), des lycées pilote ou via des focus groupes, d’autres reconnaissent que les tests utilisateurs sont parfois sacrifiés pour privilégier le développement du produit4.
En classe 7, les interviewés évoquent la « classe » c’est-à-dire le lieu où le produit/service pourra être utilisé : « en classe », face à la diversité des « ambiances de classe »... Au niveau du déploiement, la classe est à la fois un lieu, un temps et une méthode (classe inversée). La classe est en particulier citée comme le lieu d’expérimentation d’outils numériques en lien avec l’environnement « Google ».
En classe 4, on retrouve un champ lexical autour des « retours » d’« utilisation » ou d’information, où « profs » et « élèves » correspondent aux principaux utilisateurs. Les retours peuvent être positifs (satisfaction) ou négatifs (« je n’ai pas le temps », n° 11) en particulier quand le besoin de l’innovation n’est pas ressenti. Face à ces difficultés, les entreprises tentent de modifier la perception de l’innovation, avec des gestes cognitifs comme « prendre conscience », « prendre au jeu » ou encore « prendre en main » : « pour les utilisateurs on a plein de retours positifs sur le design et l’utilisation, très intuitif très facile à prendre en main » (n° 12). Dans le déploiement, les retours d’utilisation doivent être décrits avec précision au niveau de la prise en charge de l’application par les utilisateurs et de l’objectif pédagogique visé (sensibilisation, plaisir ou maîtrise…).
En classe 5, on retrouve un champ lexical sur les acteurs et facteurs influençant le déploiement. L’« enseignant » ou la « direction » (« chef ») d’établissement sont à l’origine de la prise de contact et/ou de la prise de « décision ». Les interviewés évoquent l’« ouverture » (n° 12 et 6) ou l’« état » (n° 6 et 11) d’« esprit » des acteurs relativement à leur prise de « décision » : « ils remontent un projet à leur direction d’établissement et ça aboutit en fonction de l’ouverture d’esprit des chefs d’établissement. » (n° 6). Ainsi le déploiement dépend de prérequis chez les acteurs selon qu’ils sont ouverts ou fermés à une approche innovante. Les entreprises attendent de la part des chefs d’établissement de l’« ouverture d’esprit », d’être visionnaires et motivés pour promouvoir leurs innovations.
En classe 2, certains interviewés rapportent que leurs interlocuteurs côté éducation « posent » des « questions » qui peuvent montrer des doutes concernant le modèle économique de l’entreprise (n° 11), ou au contraire pour « remettre en question » (n° 6) leurs pratiques. Les « bonnes questions » (n° 5) à se poser sont seulement du côté des enseignants : les entreprises s’attendent à recevoir des questions sur leurs produits et à ce que les enseignants réinterrogent leurs propres pratiques. Ce qui fait craindre qu’elles n’envisagent pas d’interroger de manière ouverte les praticiens avant d’envisager de les convaincre, car elles ont la « solution ».
La classe 3 montre un positionnement réflexif chez certaines entreprises : en « journées de » formation, « je ne parle pratiquement pas de plateforme » (n° 5), « au début on parlait de quelque chose de numérique sur une plateforme web » (n° 8), « quand je parle d’offre d’école » (n° 10). Tandis que la communication des entreprises auprès des acteurs s’affine avec le temps par l’expérience et la réflexivité, la communication des acteurs éducatifs entre eux fait de la publicité : « le produit est bon et […] les gens en parlent, et du coup ben ça ramène des gens. » (n° 10).
La classe 6 fait apparaître l’importance de l’« accompagnement » lors du « déploiement » : « au fur et à mesure quand le déploiement grandit, on généralise l’outil, viennent d’autres besoins et là on est en accompagnement, en conseil également. » (n° 6), « de l’accompagnement vidéo » (n° 8). L’accompagnement qui se fait en présentiel ou en distanciel apparaît comme une étape stratégique. Une des entreprises regrette que l’accompagnement (associé au contrôle, à la réflexion stratégique et à la conduite du changement) soit parfois négligé au profit d’innovations déconnectées des besoins réels des utilisateurs.
4.3.1. Analyse
Le déploiement d’une innovation s’effectue en deux phases : en direction d’un nombre restreint d’utilisateurs lors d’expérimentation, puis auprès d’un plus large public en production. Dans les deux phases, les entreprises recherchent une prise de décision favorable chez les enseignants. Pour cela, il est nécessaire que les enseignants s’approprient les techniques proposées pour les intégrer dans le cadre de leurs cours, où l’artefact proposé doit devenir un instrument. Cette phase d’appropriation repose sur une division du travail avec, d’un côté les acteurs de l’éducation auxquels il est demandé de revoir leurs pratiques, et de l’autre les entreprises qui essayent via des formations d’accompagner le changement. Cet accompagnement est stratégique pour assurer le déploiement à grande échelle et sur le long terme de sa solution : « on est en train de voir comment est-ce qu’on peut améliorer notre rôle justement dans l’accompagnement au déploiement. Parce que souvent en fait les clients et les partenaires, ils disent on sait faire et puis en fait non ils ont aucune idée, ils sont absolument paniqués, ils sont très demandeurs en fait d’aides diverses. » (n° 5)
En phase d’expérimentation comme lors d’accompagnements, les retours utilisateurs sont stratégiques pour communiquer et améliorer les produits des entreprises. Or, ces entreprises ne mettent pas toujours en œuvre de véritables méthodologies scientifiques pour interroger le design, susciter des partages d’expérience ou intégrer ces retours dans leurs produits. La place laissée aux mésusages et aux détournements par rapport aux usages prescrits, comme résultats possibles d’une réelle appropriation, reste à interroger et elle n’est pas évoquée dans le processus de déploiement. Ainsi les usages prescrits semblent prendre le pas sur les usages réels qui, pour être observés, requièrent des observations objectives, sincères et rigoureuses.
Nous avons rencontré un cas où une entreprise s’est réclamée d’une approche de co-conception du produit avec les utilisateurs ; en fin de compte, il s’agissait d’une approche par tests utilisateurs qui intègre un cycle de validations et de mises à jour post-conception plutôt que d’une vraie approche de design collaboratif. Finalement, des tests utilisateurs sont presque toujours réalisés, mais il ne s’agit que très rarement de protocoles formalisés, plutôt de retours d’expérience informels et qui ont pour but d’être exploités aussi sur le plan commercial.
Finalement, les retours utilisateurs sont intégrés dans un dispositif d’accompagnement ou de formation à des usages prescrits plutôt que dans un dispositif d’échange : ils ne visent pas à modifier le processus de conception dans une démarche de qualité, sauf peut-être dans la phase de lancement du produit. En outre, l’accompagnement implique un temps long, des savoir-être (une écoute) plutôt que des savoir-faire (un produit), une approche personnalisée et non pas standard : ce sont des éléments que les entreprises peinent à apporter en raison de leurs ressources propres, des diverses contraintes et des pressions temporelles qui sont les leurs.
4.4. Communication sur le design
Cette section aborde la manière dont les entreprises présentent leurs processus de conception à leurs clients. Les réponses étant plus concises, il n’a pas été nécessaire de produire des classes de discours pour structurer l’analyse.
4.4.1. Résultats
La majorité (8/13) des interviewés affirment présenter à leurs clients le processus de conception. Deux autres interviewés affirment avoir présenté l’« usage » ou encore la « philosophie » de leurs artefacts plutôt que le processus de conception lui-même.
Les interviewés mettent également en avant la participation de professionnels de la pédagogie comme des enseignants voire des spécialistes comme des orthophonistes. Dans certains cas, les pédagogues sont réellement invités à prendre part au processus de design, mais il s’agit le plus souvent d’enseignants ouverts aux innovations techniques, donc pas nécessairement représentatifs des publics massifs cibles. Dans une majorité de cas, l’idée de collaboration est aussi un argument marketing pour convaincre les futurs clients et partenaires : « c’est eux qui l’ont conçu avec nous. Donc a priori ça répond à leurs besoins » (n° 12). Il est vrai que certaines entreprises décrivent à leurs clients potentiels leur processus de design comme étant un processus de co-design où leurs homologues ont procédé à des retours d’expérience. Cependant, ces clients ne savent pas distinguer le processus de développement ordinaire d’un logiciel, qui intègre un cycle de développements et de tests d’intégration, et un vrai processus de co-design, fondé sur un ensemble de propositions communes et de discussions.
4.4.2. Analyses
Lorsque les entreprises présentent leur processus de conception, c’est en partie pour souligner la place qu’ils accordent à leurs utilisateurs, en partie pour démontrer la pertinence de leurs services. L’idée d’une participation des enseignants au processus de design possède à la fois une valeur marchande et une valeur d’usage ; cependant, elle est surtout évoquée en phase d’expérimentation, alors qu’en phase de production, il apparaît nécessaire d’anticiper les besoins nouveaux qui peuvent apparaître chez des usagers plus expérimentés.
Les personnes interrogées font aussi état des difficultés qu’ils peuvent rencontrer lorsqu’ils présentent leurs produits et services aux professionnels du secteur. Elles rencontrent parfois des difficultés de perception de leurs objectifs en particulier dans le cadre de la confrontation public/privé : « ça nous fait plutôt mal d’entendre qu’on nous voit comme des ennemis de l’éduc nationale » (n° 12). Par exemple, certains enseignants considèrent que la production de ces technologies devrait être prise en charge par leur ministère. Communiquer sur le design ne résout pas dans ce cas les problèmes de leurs interlocuteurs, aussi les communicants prennent soin dans ce cas de trouver des personnes plus ouvertes à leurs propositions.
4.5. Résultats transverses
Cette étude permet de faire apparaître quelques résultats transverses concernant les dialogues et le temps.
Premièrement, entre les clients et les designers, des échanges s’instaurent à chaque étape du développement : un dialogue lors des tests en phase de design puis de déploiement ; des négociations en phase de déploiement ; enfin un accompagnement lors des formations. Pour que les enseignants et les élèves puissent s’approprier les produits et développer leurs propres schèmes d’utilisation, ils doivent en premier lieu en maîtriser les usages : « nous on a des tonnes de données sur les élèves qu’on peut donner à l’enseignant sous différents graphiques mais que les enseignants ont du mal à s’approprier parce qu’ils ne savent pas bien comment les utiliser simplement et efficacement. » (n° 11). Pour favoriser ces usages, un dialogue avec les enseignants s’avère nécessaire pour qu’ils puissent envisager de changer leurs habitudes : « C’est un peu favoriser l’ouverture d’esprit quand on a des enseignants qui sont un peu conservateurs ou qui s’appuient sur des habitudes ou des automatismes acquis depuis longtemps et qui n’ont pas forcément envie de se remettre en question avec des nouveaux outils. » (n° 6)
Deuxièmement, des références au temps et à différentes temporalités sont présentes tout au long des discours via un découpage de l’activité de diffusion en phases, lesquelles doivent être en accord avec le rythme du secteur pédagogique (temps d’assimilation et calendrier scolaire) : « les gens n’ont pas de temps à nous consacrer, ce n’est jamais le bon moment : y’a la rentrée, y’a les conseils de classe, y’a les vacances, y’a toujours un mauvais moment. » (n° 11). Cependant, les entreprises évoquent aussi que le manque de temps peut être pallié par la tournure d’esprit, par un temps vécu évolutif et non pas cyclique et basé sur la routine : « ça demande peut-être un peu plus d’effort, c’est pas une question de temps en fait : ça met autant de temps mais ça demande peut-être plus d’effort dans ce temps parce que ça demande de penser un peu différemment, de sortir un petit peu de la routine de la façon dont les formations sont conçues. » (n° 5).
5. Éléments pour une épistémè du design pédagogique innovant
L’analyse des classes de discours des interviewés permet d’interpréter le processus de design pédagogique à partir d’un cadre rigoureux et en lien avec la structure des discours et la pensée des interviewés, à l’aide d’une démarche inductive. Il devient ici nécessaire d’élargir le cadre de cette analyse pour réfléchir à la constitution d’un cadre épistémologique d’analyse. Comme nous l’avons vu plus haut, tandis que l’épistémologie théorise la science, l’épistémè définit l’ensemble des conditions de possibilité d’un ensemble cohérent de savoirs, de pratiques et de savoir-faire. Dans cette section, nous tâchons de construire une épistémè du design contemporain, c’est-à-dire de mettre en lumière l’ensemble des jeux d’acteurs, des positionnements, des logiques des enjeux socio-économiques voire politiques qui structurent ce savoir, en repérant héritages et points de rupture. Cette épistémè postule que les designers contemporains renversent la logique de la conception industrielle traditionnelle tout en héritant de certains de ses traits.
La conception industrielle traditionnelle du design naît avec Ford et Taylor, chez lesquels les tâches de conception étaient dédiées à une classe professionnelle, celle des ingénieurs, tandis que les ouvriers spécialisés devaient exécuter et suivre les one best way conçues pour eux à partir d’une modélisation des gestes normée et chronométrée (Taylor, 1914).
Dans le design pédagogique contemporain, même si le temps n’est pas mesuré à la seconde près comme chez Taylor, il reste une variable importante à maîtriser dans l’objectif de prouver la pertinence du produit/service. Les différentes étapes de design et de déploiement doivent en effet se passer dans un temps assez court pour assurer une sortie au plus tôt d’une première version du produit. Ensuite, de nouvelles versions du produit sont développées. Se pose alors la question de l’adaptation du produit aux besoins véritables des professionnels.
L’épistémè du design contemporain ou innovant repose sur le pouvoir et le savoir-faire de petites entreprises de services (de type start-up) en lien avec les grandes industries de la production numérique (de type Adobe ou Microsoft). Comme chez Taylor, cette approche opère une division stricte du travail entre ceux qui pensent les produits, les designers qui ont une culture technique poussée, et ceux qui les utilisent (les exécutants sont désormais appelés utilisateurs). À noter que les designers n’ignorent pas le travail réel des utilisateurs : chez Taylor, c’est l’observation des gestes de l’ouvrier le plus rapide qui permet de modéliser puis de normer le travail des autres ouvriers. À l’époque du design thinking, les designers se chargent de penser majoritairement le travail des enseignants à l’aide de techniques de modélisation et d’observations empiriques, et de produire des outils efficaces.
Dans le contexte des entreprises interrogées, la productivité visée est de l’ordre de l’efficacité pédagogique : les élèves doivent pouvoir apprendre davantage et mieux. Les entreprises développent alors des mesures pour évaluer l’utilisation des dispositifs qu’ils mettent à disposition, ce qui rejoint le besoin d’établir des mesures comme chez Taylor.
Tout comme dans le cadre d’approches tayloristes, l’épistémè du design innovant s’appuie sur un rationalisme scientifique ; à côté d’un empirisme méthodologique professionnel (qui porte parfois le nom de design UX), les méthodes rigoureuses des sciences humaines et sociales sont peu évoquées ; on leur préfère celles des sciences cognitives, plus en phase avec l’idée de modélisation informatique par exemple, voire avec l’idée d’un idéal formel et mathématique. Fort de ces apports, les enseignants sont invités à repenser leur pratique pour pouvoir s’approprier l’outil plutôt qu’à penser leur travail et leur outil afin de l’adapter à la réalité de leur pratique. Les ergonomes, observateurs de l’organisation scientifique du travail, ont pourtant observé de longue date la nécessité pour les acteurs de creuser un écart entre le travail et les usages prescrits et le travail et les usages réels au bénéfice de leur santé (Clot, 1995). Or, une fois le produit réalisé, les entreprises innovantes éprouvent des difficultés pour intégrer les besoins singuliers des enseignants qui sont clients et non pas testeurs du produit proposé : ces clients ne voient pas forcément du premier coup d’œil comment s’approprier une innovation et modifier leur pratique.
Dans les épistémès tayloristes et browniennes, du nom de l’inventeur contemporain du design thinking (Brown, 2009) en vigueur dans les entreprises que nous avons ici abordées, on retrouve l’héritage d’une division du travail rationalisée. Les enseignants se retrouvent un peu comme les ouvriers spécialisés face à leurs contremaîtres : ils sont censés suivre des schèmes d’action prévus pour eux. Ils ne peuvent pas façonner leurs propres outils, ce pouvoir étant réservé aux informaticiens de formation dont la culture technique avancée en fait des « lettrés du numérique » (Guichard, 2014). Ainsi l’industrialisation de l’éducation, phénomène par lequel des « innovations » sont introduites dans l’école, ne se réduit pas à un simple transfert de cultures : elle s’accompagne d’un assujettissement de l’acteur enseignant qui peine à s’approprier des artefacts conçus par et pour d’autres, qui peine à rester le sujet actif de son travail. Une limite de l’épistémè du design innovant est donc l’idée fausse que les enseignants testeurs sont les mêmes que les enseignants clients ; or, étant donné que les enseignants testeurs sont plus ouverts aux innovations que la moyenne, les besoins de ces enseignants sont donc différents. L’idée d’assujettissement ne doit pas être ici comprise comme la négation de l’individualité de l’enseignant. Au contraire, les entreprises interrogées redoublent d’effort le plus souvent pour placer l’enseignant au centre du processus de design, dans leur intérêt, et si possible grâce à une collaboration active. En revanche, les enseignants collaborateurs ne sont pas, de fait, les mêmes acteurs que les enseignants utilisateurs ou clients. Il existe donc un hiatus radical entre les enseignants impliqués dans le processus de design, qui peuvent largement s’approprier le produit réalisé, et les enseignants bénéficiaires du produit susceptibles de développer des stratégies de résistance au changement (Dejours et al., 1994).
S’il existe donc des héritages profonds entre la conception industrielle du design et la pensée du design innovant, il existe aussi des points de rupture.
Dans le taylorisme, la division du travail entre ingénieurs et ouvriers introduit une rupture épistémologique entre la pensée et le savoir d’un côté, le faire de l’autre, entre la théorie et la pratique. Au contraire, le design UX en vogue dans les entreprises innovantes insiste sur la spécificité des savoir-faire : il fait de la raison un faire, et de la réalisation une pensée, brouillant les cartes entre ces deux pôles. Dès lors, les entreprises innovantes, si elles ont la maîtrise du savoir formel, n’ont pas l’autorité nécessaire pour imposer leurs produits. Aussi font-elles usage de discours d’escorte (Bigey et Simon, 2017) pour légitimer et faciliter l’implantation des innovations en s’appuyant sur : les émotions, la rationalité scientifique et la transmission des savoirs, les besoins des professionnels de l’éducation, voire les valeurs du service public.
Un second point de rupture apparaît lorsque les designers font le lien entre une culture communicationnelle et une culture scientifique. Ils agissent de façon pluridisciplinaire, investis dans de nombreuses fonctions : formation, design, tests, gestion de projet, vente, communication… toutes ces fonctions diversifiées peuvent être prises en charge par la même personne. C’est un point important de rupture avec le taylorisme, où les fonctions de chacun sont très spécialisées et où le travail est divisé. En somme, le travail est très peu divisé dans l’entreprise où les acteurs ont de multiples savoir-faire, alors même que leurs pratiques révèlent une vision rationaliste du travail pédagogique : l’enseignant enseigne et utilise l’application mais il ne la « designe » pas.
Enfin, le temps de l’épistémè de design innovant est moins assujetti au chronomètre et séquencé que dans la vision tayloriste. Par exemple, la frontière entre les phases de design et de déploiement n’est pas rigide et elle autorise des cycles d’allers-retours.
En rompant avec certains points du taylorisme, l’épistémè du design innovant favorise la créativité des entreprises ; cependant, cette épistémè continue d’adhérer à certains points d’accroches susceptibles de freiner la diffusion d’innovations sociales, par exemple en cantonnant l’innovation à sa dimension technique. Ces limites forment un paradoxe pour ces sociétés qui collaborent avec des enseignants tout en peinant à en convaincre d’autres. Dès lors, comment faciliter la diffusion de ces produits et éviter l’assujettissement des enseignants, leur passivité ou leur supposée résistance au changement ? La formation et les dispositifs d’accompagnement semblent pouvoir aider les enseignants à s’approprier les outils, dans la mesure où ils peuvent évoquer leurs besoins réels et les confronter à la proposition de l’entreprise. Une piste intéressante serait de faire des enseignants clients des expérimentateurs et des co-concepteurs des dispositifs innovants, une approche qui pourrait être encouragée. Seule une attention à la singularité de l’enseignant, un souci porté vers son travail réel et ses besoins particuliers, qui ne sont pas nécessairement ceux du bêta-testeur, peut être à l’origine d’une véritable appropriation de l’outil technique.
Dans ce cas, la formation ne doit viser qu’à transmettre des informations, à prescrire des schèmes déjà prêts. Pour permettre à l’enseignant de construire ses propres schèmes d’utilisation, il faut parvenir à communiquer avec l’enseignant, c’est-à-dire construire les conditions d’un dialogue, d’une expression et d’une écoute réciproque. On trouve dans l’épistémè du design innovant des résurgences du paradigme tayloriste où la rationalité mathématique domine, où communiquer ne consisterait qu’à transmettre des informations. Pour créer des processus d’appropriation dans la formation des enseignants, il est nécessaire de permettre aux acteurs de l’éducation de créer de nouveaux schèmes d’utilisation et non pas seulement d’appliquer ceux qui ont été créés par les premiers testeurs. Communiquer sur le design ne peut donc pas se réduire à produire de nouveaux éléments de langage ou de nouveaux arguments de vente : pour que la communication aille à double sens, elle doit prendre en compte les retours des enseignants pour nourrir de nouvelles expériences, et les intégrer dans les produits et services. L’innovation n’est pas un processus fini : elle est et doit être un processus continu, à nourrir et à prolonger. Un produit n’est pas innovant parce qu’il est numérique : les démarches pédagogiques nouvelles obtenues grâce à ces produits peuvent être elles aussi innovantes, voilà un programme que certaines des entreprises innovantes ont su exploiter avec talent.
Finalement, le paradigme du design innovant effectue un véritable renversement des logiques de conception (Bourdet, 2014) industrielles, et ce en deux temps. Dans un premier temps, la logique d’industrialisation de la formation et de l’éducation diffuse les valeurs métriques de la gestion des processus et de l’évaluation des projets (par cycle et par réitération, et selon une économie de temps et d’argent), dominantes en entreprise, pour les confronter aux valeurs de service public et de bien commun qui, elles, sont dominantes à l’école. Les monopoles des grandes industries de la créativité numérique (Google, Adobe, Microsoft…), influentes dès la formation initiale des designers, favorisent alors une industrialisation de la culture (Bouquillion et al., 2013) et de la création face à laquelle quelques entreprises innovantes tentent d’imposer des produits et services concurrents. Les activités pédagogiques sont prescrites à partir des outils innovants, soutenues par une politique d’investissement des pouvoirs publics (crédit d’impôt recherche et autres dispositifs en faveur de l’innovation des entreprises). Dans ce modèle, la division tayloriste du travail favorise un modèle descendant où ingénieurs pédagogiques et ingénieurs informaticiens modélisent les situations de travail des enseignants le plus souvent à partir de leurs propres modèles de représentation (par exemple le langage UML).
Dans un second temps, le modèle du co-design (Sanders et Stappers, 2008) vient renverser le modèle tayloriste en impliquant les enseignants dans le processus de conception lui-même. Ce modèle plus récent, qui se construit autour du vocable du « co-design », fait apparaître la possibilité pour les acteurs de se réapproprier les dispositifs, avec une approche plus horizontale de la conception. Cependant, l’approche collaborationniste du design pose des problèmes à la fois de coût, mais aussi de redistribution de la valeur : la participation de l’enseignant ne sera pas rémunérée, et l’enseignant qui innove en créant de nouveaux schèmes d’action a peu de chances d’obtenir toute la reconnaissance à laquelle il pourrait légitimement prétendre auprès de sa hiérarchie.
Les limites de la présente étude sont donc relatives au périmètre choisi : il conviendra, dans les prochains travaux, de confronter les réflexions des enseignants clients à celles des designers et à celles des bêta-testeurs. Tandis qu’il reste possible d’élargir le panel d’entreprises étudié, il serait intéressant d’approfondir la question du rapport au temps tant du côté entreprise que du côté des professionnels en milieu éducatif.
Conclusion
En définitive, les discours des acteurs du design innovant semblent converger vers une épistémè qui à la fois hérite de conceptions industrielles, et qui rompt avec des formes techno-centrées de la conception, tayloristes ou de type up/down. Cette épistémè, toujours en évolution, se rapproche d’un humanisme numérique qui place l’utilisateur au centre du processus de design et qui veut construire des relations plus horizontales entre les concepteurs et les utilisateurs de l’innovation. Pourtant, ce projet n’a sans doute pas les moyens de garantir son idéal car il dépend de logiques d’influences et de vente qui contredisent l’idée que chaque acteur enseignant puisse s’approprier une innovation pédagogique : le temps est réduit, il se découpe plus ou moins bien en phases et il est parfois nécessaire que l’humain se plie à ces exigences. L’introduction de méthodes expérimentales dans les démarches de conception et dans l’évaluation des produits semble à même de renforcer l’esprit de créativité qui anime ces entreprises revendiquant une forme d’« innovation » au service de la pédagogie.