Fixités thématiques et figements lexico-grammaticaux dans les discours numériques du vin en France et en Allemagne
Cet article vise à observer les fixités thématiques et les figements lexico-grammaticaux mobilisés par les situations d’énonciation sur medium numérique et en particulier dans des présentations de vin écrites en français et en allemand, proposées par des cavistes en ligne. Pour ce faire, l’analyse s’inscrit dans la méthodologie de la linguistique située permettant une saisie holistique du sens et une approche in vivo de sa construction en s’appuyant sur un corpus bilingue authentique.
This article aims to study thematic and lexical-grammatical patterns, which have been mobilized in enunciative situations on digital medium and more especially in French and German presentations of French and German wines on wine sellers’ websites. The analysis is provided in context of the situated linguistics methodology, which allows the holistic study of meaning and an in vivo approach of its constitution through an original bilingual corpus.
1. Introduction
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Au sens de Roederer (2012).
La présente contribution est une étude de l’énonciation en tant que praxis dans les productions langagières numériques de la langue-culture de spécialité du vin. Ce positionnement nécessite de facto une approche située et usage based favorisant la pleine saisie du sens en prenant en compte la polarité pragmatique inhérente à la situation d’énonciation et les différents ancrages sémantiques. Nous examinerons dans les lignes qui suivent des énoncés produits dans le cadre d’un marketing expérientiel1 (cf. [3]).
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L’énoncé qui se voit, dans les théories actuelles, offrir une force pragmatique (actes de langage) et une force sémantique (les deux étant étroitement liées), s’ouvre vers le discours, c’est ce qui nous permet de basculer du premier au deuxième. Nous renvoyons le lecteur à Moirand (2015) pour plus de précisions.
On se focalisera sur les structures énonciatives2 récurrentes, qualifiées de figements ou de structures figées, constitutives d’un discours – ici, du sensoriel et en particulier du vin, et on s’intéressera en particulier au genre textuel des présentations françaises et allemandes de bouteilles de vin sur des sites Internet français et allemands. La focale sera réglée sur deux éléments d’un continuum syntaxico-sémantique afin d’observer les fixités thématiques et les figements lexico-grammaticaux de ces productions textuelles.
L’objectif de cet article est de déployer un appareil théorique, en accord avec le socle méthodologique décrit ci-après, qui permette l’étude de l’intégration des deux types de figements susmentionnés.
2. Discours du sensoriel : approche par la catégorie du figement
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cf. Achard-Bayle (2018) sur le lien texte-cognition où la cognition est à comprendre comme le système cognitif opérant avec la mémoire lato sensu, les connaissances encyclopédiques, les connaissances langagières et le système sensorimoteur.
La production langagière s’inscrit donc dans un environnement social et cognitif (cf. la synthèse récente de Busse (2018) qui retravaille le lien entre les linguistiques discursive et cognitive) et s’approche par le discours. Cette notion est comprise, ici, comme une molécule plurisémiotique, dynamique et culturelle reposant sur l’environnement soci(ét)al, avec ses tensions internes et ses ramifications supra-individuelles, et l’architecture conceptuelle individuelle et collective d’une communauté langagière (cf. Bach, 2019). Dans le cas du vin, il s’agit d’intégrer à cette approche la méthodologie des langues ou discours de spécialité (Lerat, 1995). Les discours spécialisés ne sont pas uniquement à comprendre comme la composition de discours et spécialisé ; il faut aussi y voir une méthodologie spécifique nécessaire. Il est notamment primordial de prendre comme porte d’entrée la spécialité (comme le soulignent également Condamines et Narcy-Combes, 2015, 2.2) pour accéder au discours par le texte3 (cf. le paradigme de la Textlinguistik défini par Heineman et Viehweger (1991) et plus récemment Adamzik (2016)) et d’aboutir à la construction syntaxico-sémantique, c’est-à-dire à la réalisation pragma-sémantique d’une situation d’énonciation correspondant à un genre de texte actualisée en structures figées ; « figée » dans le sens où ladite structure possède une forte récurrence dans le corpus.
2.1. Les discours du sensoriel
Il convient d’appareiller le vin comme objet réel (Bach, 2018b : Partie 2) à un concept cognitif. Le vin est un produit sensoriel (on le voit, on le sent, on le goûte), s’inscrivant dans une « linguistique sensorielle » (Digonnet, 2018), autrement dit, une linguistique des sens ou du sensoriel, et actualisé en discour(s) du sensoriel (Bach, 2019).
Ce qui est caractéristique des discours du vin, c’est la structuration pragmatique, imposée par l’énonciation, autour d’un acte de langage (Searle, 1969) constant : l’évaluation (Lehrer, 1975). Gautier (2018a) montre que cette évaluation prend un aspect tantôt technique, tantôt émotionnel, tantôt expressif. En travaillant sur la fixité thématique (Bach, soumis (a)), nous proposons un modèle quadridimensionnel dynamique reposant sur des composantes évaluative, émotionnelle et spatio-temporelle.
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L’expérience se définit comme la résultante d’une somme d’interactions physique, sociale et cognitive.
Cette façon d’approcher le discours du vin nécessite de suivre une philosophie constructiviste (Lakoff, 1987, p. 183) et phénoménologique orientée vers l’expérience4 (Gautier, 2018b), ce qui nous permet de définir l’émotion comme un ensemble cognitif complexe, dynamique, multimodal et sensorimoteur (Ledoux et Hofmann, 2018, p. 69), intégré dans un cadre sémantique, au sens de l’école de Berkeley.
L’actualisation textuelle s’opère par des complexes morpho-syntaxiques et sémantiques figés ; or, il a déjà été prouvé que les cadres sémantiques s’actualisent dans les constructions (au sens de Goldberg, 1995 ; cf. également Ziem et al., 2014) et les régissent. Comme on l’a vu supra, les cadres conceptuels sont arrimés à une situation énonciative et se déploient selon un scénario. Ainsi, nous postulerons que les figements syntaxico-sémantiques proposés ci-dessus sont la conséquence textuelle d’un segment de connaissance contenu dans un cadre conceptuel mobilisé par (i) l’énonciation et (ii) son genre de texte. Ceci devra toutefois être vérifié empiriquement dans des recherches ultérieures.
2.2. Approche par les figements
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Pour le français, cf. Bouveret et Legallois (2012).
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S’attarder sur ces notions nous éloignerait de l’objectif de cette contribution : nous renvoyons aux travaux cités pour plus de précisions et au numéro de Linguistik Online dirigé par Ziem (2018) ainsi qu’à l’ouvrage collectif de Gautier et al. (2018).
Les figements ont été observés en termes de phraséologie (Gréciano, 1995) et de formules idiomatiques (Dobrovol'skij et Piirainen, 1997), de polylexicalité (cf. Méjri, 1997, et l’exemple récent de Mellado-Blanco, 2018) puis en termes de figements morpho-syntaxiques avec des réflexions sémantiques sur la non-compositionnalité du sens, pour aboutir en 1995 (mais avec les prémisses dans Lakoff (1987) notamment la troisième étude de cas) aux constructions (Goldberg, 1995)5. Nous avons proposé récemment, en écho au continuum de la spécialité (du discours peu spécialisé au discours très spécialisé), la notion de construction de spécialité (Gautier et Bach, 2019). Il est, enfin, question d’un constructicon (Ziem et Boas, 2017), c’est-à-dire d’un réseau de constructions6. Ainsi, ces notions peuvent être rassemblées sur un axe allant (de gauche à droite) d’une approche sémantico-syntaxique à une approche syntaxico-sémantique :
Figure 1. Continuum des figements (adapté de Bach, 2018a)
La présente étude ne se concentrera que sur la fixité thématique et les figements lexico-grammaticaux.
Nous avons développé dans (Bach, 2018a ; soumis (a)) la notion de fixité thématique qui se résume en une structure sémantique caractéristique d’un domaine de spécialité, non couplée à un figement morphosyntaxique fort. Il s’agit d’une récurrence sémantique caractéristique d’un genre de texte, contrôlée par sa routine discursive (Feilke, 1996), qui n’a pas de structure prototypique textuelle particulière. Ainsi, il n’est pas possible de faire ressortir cette fixité par une analyse traditionnelle de cooccurrences. La fixité thématique est régie par la structure conceptuelle (le scénario prévu par le cadre sémantique impliqué) du genre de texte et la situation d’énonciation. Elle émerge de l’intersection entre implications pragmatiques (liée à la situation d’énonciation et à la praxis langagière) et sémantiques (là encore liées à la situation d’énonciation, laquelle impose l’activation de certains segments de connaissances plutôt que d’autres, donnant un sens à un mot ou à une expression plutôt qu’un autre) d’un domaine de spécialité.
La notion de figement lexico-grammatical est, quant à elle, empruntée à Gledhill et Kübler (2016, p. 75). Il s’agit d’une structure composée d’éléments lexicaux et grammaticaux générant un sens non-compositionnel. Un figement lexico-grammatical possède alors une structure syntaxique prévisible, dont une partie est variable selon un inventaire de termes autorisés par ladite structure. C’est alors qu’entre en jeu le fondement sémantique du figement. Nous reprenons l’exemple de Gledhill et al. (2017, §7) :
a) […] il n’y avait dès lors pas lieu de procéder à une estimation à court terme […]
b) […] il n’a pas été possible de procéder à une évaluation concluante d’un agent […]
c) […] il convient de procéder à un second examen de toutes les régions […]
La structure s’organise autour de « [variable1] procéder à (article indéfini) [variable2] » où la première variable est une structure impersonnelle introductive contrainte par le genre textuel, et la seconde variable est un terme issu d’un inventaire restreint où chaque item a une valeur synonymique et est introduit par un article indéfini. On soulignera que la structure peut être plus ou moins étendue dans la proposition (d’où une stabilité moindre par rapport aux constructions). La matrice discursive d’un genre de texte s’articule alors autour de ces récurrences lexico-grammaticales (Gledhill et al., 2017).
Pour observer ces phénomènes langagiers, il est impératif de coupler ces théories sémantiques à une méthodologie de linguistique de corpus a minima en opposition à une linguistique de corpus dans une perspective radicale corpus driven (pour plus de précisions sur cette méthodologie, cf. Gautier et Bach, 2017).
3. Présentation du corpus
L’appareil méthodologique, nécessaire pour l’analyse des figements du discours du vin, s’inscrit dès lors dans le paradigme d’une linguistique située (Condamines et Narcy-Combes, 2015) et cognitive (cf. Lakoff, 1987).
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Les corpus permettent le « recours aux données authentiques à grandes échelles » (Schnedeker, 2018, p. 28, nous soulignons MB).
La linguistique située est une linguistique qui s’intéresse à une production langagière incarnée, c’est-à-dire aux phénomènes langagiers in situ. Cette saisie holistique du sens passe par l’utilisation de corpus authentiques7 (les productions langagières sont faites par de vrais locuteurs dans leur environnement habituel) et, autant que faire se peut, réalistes (production langagière comme elle l’aurait été sans le chercheur).
Nous travaillerons alors à partir d’un corpus compilé dans le cadre de recherches précédentes (cf. Bach, soumis(b)). Il s’agit d’une collection de présentations de vins français et allemands commercialisés et vendus sur des sites Internet français et allemands en novembre 2017, réunies en corpus.
Tableau 1. Présentation du corpus
Français |
Allemand |
|
Nombre de vins |
200 |
200 |
Nombre de mots |
37 000 |
31 000 |
La sélection des sites a tenté de balayer les différentes gammes de vin : de Vinatis à Millésima et de Jacque’s à Wine in Black.
Ce genre de texte possède certaines caractéristiques, au-delà du medium numérique qui est en soi distinctif, qu’il convient de préciser. Il s’agit, généralement, d’une communication one-to-many (un rédacteur du site rédige une présentation à destination des clients). Le caractère unique du rédacteur est parfois questionnable dans la mesure où certains textes contiennent des citations de guides œnologiques et d’experts du domaine. Les textes ont pour fonction de présenter un vin et son domaine, et de l’évaluer qualitativement. Structurellement, le texte est composé d’une image, de caractéristiques stables (prix, millésime), d’indications olfacto-gustatives (liste d’arômes) et d’un texte descriptif. Seul ce dernier sera présentement analysé.
La figure 2 est l’exemple d’une fiche de présentation sur le site Millésima :
Figure 2. Exemple d’une fiche de présentation
Le texte concentre la double fonction descriptive et évaluative, car il ancre le vin dans un contexte régional et local, présente les caractéristiques visuelles et olfacto-gustatives puis propose une évaluation de ces dernières.
4. Discussion
Cette quatrième partie vise à exposer les résultats des analyses du corpus. Il s’agira d’observer les figements thématiques et les figements lexico-grammaticaux.
4.1. Fixités thématiques
Quatre fixités thématiques ont été isolées en fonction de leur récurrence suite à l’analyse du corpus : hédonisme, évaluation, indication temporelle et géolocalisation.
Figure 3. Figements thématiques des présentations de vin en ligne
Ce qui est ici notable, c’est la forte propension à l’emploi des catégories évaluation et indication géographique. L’hédonisme est peu présent même si l’on observe parfois quelques emplois :
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Ce Côtes-du-Rhône d'un jeune vigneron talentueux saura faire plaisir à vos papilles. (FR_CAVISSIMA_FR_06)
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En opposition à des situations énonciatives analogiques comme, entre autres, des séances de dégustation (publiques, privées, entre professionnels, etc.), des cours de dégustation, des interactions au restaurant ou chez un caviste, etc.
Contrairement à d’autres genres textuels des discours du vin, les discours numériques ne proposent que peu d’accords mets-vin8, tels que celui-ci :
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Dazu einen klassischen Schmorbraten, reifen Käse oder auch ein Ratatouille... Einfach wunderbar! (DE_WIB_FR_10)
Cette caractéristique explique le faible pourcentage de cette fixité thématique.
L’évaluation est, comme l’ont montré Lehrer et Gautier en autres (cf. supra), essentielle dans les discours du vin, ce n’est donc pas surprenant de voir cette composante privilégiée :
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La bouche de ce Pessac-Léognan révèle encore cette sensation de fraîcheur (FR_MILLESIMA_FR_02)
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Natürlich bringt dieser neue Riesling Fass 9 2016 den typischen 'Thörle-Stil' schön zum Ausdruck: rassig und knackig-trocken, dabei mit einem feinen, eleganten Schmelz und einer schwungvollen Finesse ausgestattet. (DE_WIB_DE_18)
Ce type de fixité thématique peut être appuyé et relativement long en comparaison aux précédents exemples, ce que permettent le genre de texte et le medium numérique :
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Les parfums d'emblée sur la famille des épices se font écho du Petit Verdot, lequel a eu toutes les conditions nécessaires pour être cueilli à point. L'agitation révèle une légère pointe de torréfaction (élevage en barriques en cours) sur fond d'épais fruits noirs, mais très odorants et frais. (FR_MILLESIMA_FR_12)
On précisera d’ailleurs que les descriptions les plus longues sont proposées sur les sites Internet des cavistes ayant un positionnement haut de gamme comme Millésima en France et Wine in Black en Allemagne. On pourrait imaginer que la raison repose sur le statut du client : à la suite de plusieurs immersions ethnométhodologiques dans le monde du vin, il nous semble que les clients connaisseurs représentent le type de clients majoritaire achetant les vins les plus chers. Par voie de conséquence, ces prospects s’attendent à recevoir un nombre conséquent d’informations concernant le produit qu’ils sont susceptibles d’acquérir.
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La catégorisation porte ici davantage sur l’emploi que sur la signification stricto sensu.
L’analyse de cette catégorie de figements met en exergue les problématiques soulignées dans d’autres travaux de linguistique de spécialité dédiés à la langue-culture du vin : il est parfois délicat de discerner l’axiologie pragma-sémantique entre description neutre et description évaluative qui relèverait alors de l’hédonisme. Ce problème de catégorisation9 peut se poser par exemple avec le terme « élégance » :
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Modèle d’élégance de pureté (FR_LAVINIA_FR_18)
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La finale est tout en élégance, en finesse (FR_MILLESIMA_FR_04)
Dans le premier exemple, « élégance » prend une tonalité évaluative en raison du contexte et notamment du substantif « modèle » ; au contraire, le second exemple ne déploie pas cette connotation positive. La description est factuelle : la finale est particulièrement élégante, ce qui sous-entend qu’elle est plus élégante que pour un autre vin. C’est pour ce type de cas qu’une analyse multiniveaux des structures figées va apporter tout son sens : une analyse de la structure syntaxique permettra de mieux saisir le sens, ici pragmatique, du segment textuel.
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Modèle d’élégance de pureté (FR_LAVINIA_FR_18)
(SUBSTGN (SUBST + SUBST)G.Prep.Qual.)superlatif -
La finale est tout en élégance, en finesse (FR_MILLESIMA_FR_04)
SUBSTGN-Suj + VERBEcopule + (SUBSTGN (SUBST + SUBST)G.Prep.Qual.)superlatif
On remarque un certain parallélisme entre les deux structures, mais également une divergence syntaxique profonde : le deuxième exemple assure une relation d’équivalence entre un constituant du vin (sa finale) et un groupe nominal complexe mélioratif. Le terme « élégance » porte donc sur un des éléments du vin et non pas sur le vin dans son ensemble comme le premier exemple. Il convient alors de débuter une analyse sémantique de ces deux structures afin de comprendre que le substantif « modèle » porte en lui la notion de superlativité et une connotation subjective ; en effet, chaque locuteur a des modèles différents malgré une certaine cohérence en fonction de la culture des locuteurs. Ce n’est pas le cas du deuxième exemple où la référence de la structure est un élément descriptif objectif, stabilisé dans la langue-culture du vin : la finale.
L’analyse syntaxique a permis de souligner un trait commun, propre aux figements, mais également des différences structurelles créant une différence de sens, en montrant par là même le lien évident entre syntaxe et sémantique et l’intérêt de son étude dans le cadre d’un travail sur l’énonciation.
L’aspect temporel est mis de côté, car on peut supputer que les descriptions sont reprises d’année en année comme l’ont déjà souligné Baldy-Moulinier (2003) et Mancebo-Humbert et al. (2018). Il semble donc que cela se vérifie à l’aune de textes sur medium numérique.
À l’inverse, la composante géographique occupe une place importante surtout pour les descriptions françaises. Il est nécessaire de localiser le domaine et les vignes dans la France ou l’Allemagne. Dans les exemples suivants, on trouve la localisation régionale géographique Aveyron, une zone géographique avec la région de la Ruwer, et légale avec l’AOC Marcillac :
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Les vins de l'Aveyron sont assez méconnus. Le Marcillac est une appellation à l'encépagement rare. (FR_CAVISSIMA_FR_19)
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Der Duft betört mit dem präzisen Bouquet eines großen Ruwer-Rieslings. (DE_WIB_DE_13)
Ces indications situationnelles servent de fixations discursives et de point d’ancrage pour un transfert de connaissances associées à l’entité géographique convoquée. Cela est également mis en valeur par la cohésion hyperstructurelle (au sens de Adam et Lugrin, 2000) de ce genre de texte : les pages Internet permettent l’intégration d’images et donc de représentations de la zone géographique, comme le montre la figure 4 :
Figure 4. Construction hyperstructurelle et fixité thématique géographique
4.2. Figements lexico-grammaticaux
L’évocation de la provenance des raisins dans une partie du vignoble constitue un figement en français qu’il est intéressant d’étudier : l’information est placée en tête de proposition et mise en exergue par une inversion grammaticale.
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Issu de vieilles vignes, ce vin est franc et équilibré, tout en élégance (FR_CAVISSIMA_FR_08)
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Issue d'une parcelle située en plein cœur de l'appellation Saint-Joseph, la cuvée Lieu-dit "Paradis" de Ferraton Père & Fils est un vin rouge monocépage de Syrah (FR_MILLESIMA_FR_11)
Le schéma est alors le suivant : « Issu de [x], [vin] [descripteurs] ». Cette structure est productive et stabilisée dans le corpus : issu* apparaît 36 fois dans le corpus et s’inscrit dans cette structure figée 27 fois (75 %). Elle est typique de la fixité thématique géographique, bien que la structure puisse être employée également pour indiquer le type de cépage : » issu du cépage Grüner Veltliner,... ».
On s’intéressera ensuite aux figements correspondant à la fixité thématique de l’évaluation pour observer la conversion d’un type de figement en l’autre. La structure récurrente en allemand pour l’évaluatif se distingue par son caractère averbal. Elle est constituée de descripteurs principaux puis secondaires (après « mit ») et finit par une description de la finale :
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[Feinfruchtig, seidig und mineralisch] mit [Aprikosen- und Zitrusaromen, zarten Blüten- und Kräuternoten, erfrischender Säure] [und langem Nachhall] (DE_VICAMPO_DE_10)
Une structure identique se retrouve en français :
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[Un vin] [fin] qui [dévoile le charme du vieillissement des grains de raisin] (FR_VINATIS_VD_06)
La structure lexico-grammaticale débute par le terme vin ou l’un de ces traits définitoires (cépage, AOC), suivi d’une ou des caractéristiques principales, le pronom relatif « qui », puis des indications secondaires.
Cette structure est qualifiée de figement, car elle peut être intégrée dans des propositions syntaxiquement plus complexes, mais avec une stabilité liée à la structure :
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Madiran d'exception [il est riche et profond, doté d'une complexité et d'une grande concentration] (FR_MILLESIMA_FR_23)
Dans cet exemple, la structure est entre parenthèses carrées, et on remarque l’impératif structurel d’insérer « il », le vin, qui a une fonction d’amplification. « Il » est aussi nécessaire, car il fait partie de la structure, telle qu’on l’a identifiée ci-dessus ; la construction phrastique ne peut y échapper pour rester dans les routines textuelles et discursives du genre textuel de la vente du vin en français. Le pronom relatif est effacé par un phénomène d’ellipse : on pourrait tout à fait ajouter « qui est » entre la virgule et le participe passé « doté ».
Il y a donc bien une conversion du figement thématique évaluatif en une structure lexico-grammaticale stabilisée dans un corpus, et la langue naturelle ne semble pas influencer le discours de spécialité du vin. Ce constat reste néanmoins à être validé empiriquement pour les autres thématiques et pour d’autres corpus et d’autres discours spécialisés.
5. Conclusion
L’une des mesures du marketing expérientiel est la constitution d’un appareil communicationnel reposant, entre autres, sur la production textuelle permettant d’inciter in fine à la vente du produit ou du service (Bach, 2018b). Ce travail a pu démontrer que l’expérience est reliée au sensoriel et s’actualise textuellement via la mobilisation de structures sémantiques et lexico-morpho-syntaxiques stabilisées et récurrentes dans l’énoncé.
La présente contribution permet d’entrevoir un certain nombre de perspectives dont nous retiendrons les deux principales suivantes :
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Intégrer d’autres signes comme les images dans l’analyse pour isoler des récurrences d’usage et tenter de les intégrer dans une analyse cognitive.
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Poursuivre l’observation du phénomène de conversion mis en exergue dans le continuum de la figure 2 (supra).