Les applications mobiles éducatives en apprentissage des langues : les représentations et les usages en contexte africain francophone The educative mobile applications in language learning: representations and uses in the french-speaking african context
L’objectif de l’article est d’amorcer un état des lieux sur la question des représentations des applications mobiles éducatives dans le contexte des pays africains francophones, notamment celui du Bénin et du Niger. Il entend aussi étudier les usages de ces applications chez les étudiants de ces pays. Les modes d’usage de ces applications mobiles et les discours des usagers témoignent l’interrelation de la technique et du social. Celle-ci s’accompagne de représentations liées aux réalités sociales, culturelles et universitaires des étudiants.
The objective of the article is to initiate an inventory of the question of the representations of educational mobile applications in the context of French-speaking African countries, particularly those of Benin and Niger. It also aims to study the uses of these applications among students from the said countries. The patterns of use of this mobile applications and the speeches of users bear witness to the interrelationship between technology and social life. This is accompanied by representations linked to the social, cultural and academic realities of the students.
Introduction
La diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans l’enseignement supérieur a conduit à de profondes mutations dont la finalité première a été, sans doute, la recherche d’une amélioration des résultats et des performances des enseignants et des apprenants (Castillo-Merino et al., 2009).
En Afrique, on a assisté à la floraison d’applications destinées à l’éducation dont les plus populaires sont : Mobile Mathematics, 1001 Stories et SenMobil. Le succès de ces dernières réside dans le fait qu’elles sont accessibles à partir du téléphone mobile dont le nombre d’utilisateurs a nettement évolué sur le continent ces dernières années. Mais, si le téléphone mobile participe de ce fait au déploiement du Mobile-Learning, il est encore fréquent de voir que ce dispositif fait l’objet de préjugés défavorables de la part de certains acteurs du système éducatif (Attenoukon et al., 2015).
Bien que les organisations internationales, dont l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) et l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), déploient des efforts considérables pour faire face aux défis liés à l’apprentissage mobile, les règlements intérieurs des établissements scolaires africains sont, eux, très peu favorables au déploiement effectif du numérique. Ces établissements sont marqués par un environnement dans lequel le port et l’utilisation du téléphone mobile sont interdits (dans l’enceinte des établissements).
Néanmoins, chez les étudiants de l’université d’Abomey-Calavi au Bénin et ceux de l’université Abdou Moumouni de Niamey au Niger, nous observons l’usage en dehors de la classe des applications mobiles telles que Learning English et Duo linguo (cours), Tubidy MP3 Music (musique) et Videmate (film). Comment donc les étudiants en apprentissage de l’anglais langue étrangère se représentent-ils les applications mobiles éducatives dans un contexte culturellement situé qui est le leur ? Comment ces étudiants utilisent-ils ces applications ? Nous tentons de répondre à ces questions à partir d’une approche mixte, d’une méthode non probabiliste et d’une technique d’échantillonnage par « choix raisonné ». Nous avons ainsi questionné 150 étudiants et mené un entretien compréhensif (Kaufmann, 2016) avec 20 étudiants.
1. Problématique
Au Bénin et au Niger, la croissance démographique de la population a favorisé l’augmentation du nombre d’étudiants et la multiplication des structures d’enseignement. Par exemple au Niger, le taux d’inscription aux études secondaires est passé de 23,12 % en 2016 à 24,25 % en 2017 (Perspective Monde, 2020). Avec 23 310 715 d’habitants, le Niger compte 51,9 % d’abonnés à la téléphonie mobile avec 24,53 % d’utilisateurs d’internet (ARCEP, 2020). Le Bénin compte 11 801 151 d’habitants en 2019 dont 25,43 % sont abonnés à la téléphonie mobile et 14,11 % d’internautes (Banque Mondiale, 2019). Ces données reflètent incontestablement l’assise indéniable de la téléphonie mobile dans ces pays d’Afrique francophone.
Parallèlement, dans un document de travail du ministère des Enseignements secondaire et supérieur, de la Recherche et de la Technologie du Niger (MFP/TCE, 2006), il est précisé que la majorité des établissements (publics et privés) ne possède pas de dispositif pédagogique minimum de « qualité » pour un enseignement et ce à tous les niveaux d’études : pas de manuels scolaires pour les apprenants (en moyenne, un ouvrage didactique pour cinq élèves), pas d’ouvrages de référence pour les enseignants (en moyenne, un guide pour quatre enseignants). Les bibliothèques et les laboratoires sont très rares, inadaptés et mal équipés pour les étudiants de plus en plus en surnombre dans les universités.
Que faire donc pour rehausser le niveau de la formation et de l’apprentissage de l’anglais langue étrangère au Bénin et au Niger dans l’enseignement supérieur ? Comment inscrire les étudiants non formés (à l’usage des TIC) dans les universités dans un processus de formation continue qui ne déstabilisera pas l’ensemble du système (traditionnel) d’enseignement basé sur des outils pédagogiques désuets (tableau noir et une craie blanche pour dispenser un cours) ? Comment pallier les manques de bibliothèques (physiques et numériques), de laboratoires de recherche, de manuels de référence ?
À l’origine de cet article se trouve une attente forte : celle de rechercher des situations favorables à l’intégration des TIC dans les universités africaines francophones en général, et, béninoises et nigériennes en particulier. C’est pour cette raison que nous avons émis deux hypothèses spécifiques à notre recherche : l’usage des applications chez ces étudiants n’est pas un phénomène naturel mais il est socialement construit ; l’usage de ces applications est lié au contexte social, culturel et technologique des universités des pays étudiés.
2. Cadre théorique de la recherche
Afin d’élaborer notre démarche scientifique, nous nous sommes focalisés sur les théories des représentations d’une part et, de l’autre, sur les modèles théoriques ayant étudié l’insertion sociale des dispositifs techniques (mobiles). Selon Miège (1997), trois modèles théoriques éclairent l’« ancrage » social des dispositifs techniques : le modèle de la diffusion théorisé par Everett M. Rogers (Rogers, 1983), le modèle de la traduction impulsé par Michel Callon et Bruno Latour (Callon et Latour, 1985) et le modèle de circulation initié par Patrice Flichy (Flichy, 1995). À ces trois modèles, nous ajoutons la sociologie des usages qui semble, à nos yeux, indispensable surtout en contexte africain et, enfin, la médiation numérique des savoirs.
2.1. La sociologie des usages
Riche de plus de trois décennies de développement enrichissant mais aussi controversé, la recherche sociale sur les usages des TIC a connu de nombreux bilans et mises en perspectives, renouvelés en partie par l’essor des médias numériques contemporains (Internet mobile, réseaux sociaux numériques, applications mobiles, etc.). Les travaux de Bernard Miège, entre autres, nous permettent de comprendre les apports et limites de ces approches d’usages (Miège, 1997).
Les premières études menées dans ce courant sociologique révèlent toutes les « écarts » entre les usages prescrits par les constructeurs du dispositif socio-technique et les usages effectifs des usagers (Chambat, 1994 ; de Certeau, 1990 ; Jouët, 1993 ; Mallein & Toussaint, 1994). Ces études se sont imprégnées du courant de « l’autonomie sociale », pour examiner d’une part, « l’interrelation » qui se tisse entre l’innovation technique et l’innovation sociale, et d’autre part, pour étudier « l’interaction » entre l’individu et la technique, tout en appréhendant les modalités d’appropriation comme une « forme d’innovation sociale qui contribue à la construction des usages sociaux » (Jouët, 2011 : 52). Elles prennent à la fois les usages sociaux et les usages techniques des technologies de l’information et de la communication (TIC) et se sont attelées, durant toutes ces années, à « saisir la variété des processus d’appropriation sociale des TIC » (Granjon, 2004 : 1), tout en s’éloignant de toute logique critique.
Sans s’inscrire dans ces différents modèles décrits supra, nous considérons le modèle de circulation initié par Patrice Flichy comme approprié et indispensable pour étudier, ici, la manière dont les étudiants béninois et nigériens inscrits en faculté d’anglais langue étrangère se représentent et utilisent les applications mobiles éducatives. Flichy introduit, en effet, un concept qui lui est très cher : le « cadre de référence socio-technique » qu’il définit comme « l’union du cadre de fonctionnement et du cadre d’usage (Flichy, 1995 : 124). Pour lui, la question centrale est, d’une part, comment ça marche ? et, de l’autre, comment on s’en sert ? Cette approche ne se limite pas donc seulement à l’articulation entre les deux pôles : technique et social, mais de voir comment interfèrent, interagissent et négocient l’ensemble des acteurs sociaux (ingénieurs, usagers, industriels, exploitants de services, etc.).
Pour Domenget, le dispositif technique ne peut être étudié et appréhendé séparément du contexte social dans lequel il est intégré (Domenget, 2017). En définitive, l’approche socio-technique du dispositif technique englobe simultanément quatre dimensions que sont : les caractéristiques structurantes des plateformes, les usages des utilisateurs, la trajectoire et la carrière du dispositif lui-même.
2.2. Les théories des représentations
La notion de représentations cognitives, individuelles et collectives joue un rôle déterminant dans la conception, l’acception ou le rejet d’un dispositif socio-technique. En effet, l’idée des représentations sociales que nous abordons ici rejoint celle d’Abric‚ qui y voit l’idée de « produit » et de « processus » mental (Abric, 1998). Elles renvoient à « une manière d’interpréter le monde et de penser notre réalité quotidienne, une forme de connaissance sociale que la personne se construit plus ou moins consciemment à partir de ce qu’elle est, de ce qu’elle a été et de ce qu’elle projette et qui guide son comportement » (Moscovici, 1984 : 132).
Dans ses travaux, Moscovici a montré deux processus constitutifs des représentations sociales que sont : l’objectivation et l’ancrage (Moscovici, 1961). L’objectivation est fondée sur des « critères culturels » et des « critères normatifs ». Les premiers sont relatifs au groupe tandis que les seconds sont en lien avec l’institution. L’objectivation elle-même ainsi constituée, permet une appropriation et une intégration des connaissances sur un objet donné.
Chez les étudiants, l’objectivation est une activité déjà expérimentée car, ceux-ci appartiennent a priori à des groupes culturels, d’amis, etc. et ont par ailleurs été confrontés à des normes institutionnelles au cours de leurs cursus scolaires antérieurs ou même au sein de leurs différents clans religieux, etc. En ce qui concerne l’ancrage, il englobe l’incorporation et l’enracinement social de la représentation dans le système de valeurs du sujet. L’ancrage représente « l’enracinement social de la représentation et de son objet » (Jodelet, 1989).
Dans notre étude, l’objectivation suppose l’étude des critères culturels et normatifs alors que l’ancrage met en relief la manière dont les applications mobiles éducatives sont investies d’une signification au niveau individuel.
2.3. La médiation numérique des savoirs
Le concept de médiation est plus complexe qu’on peut l’imaginer. Dujol et Mercier le définissent comme un trait distinctif entre une société et une simple collection d’individus : » c’est un ‘‘tiers’’ symbolique (ensemble de valeurs, de pratiques partagées, de lieux de mémoire) qui d’une certaine façon transcende le quotidien des échanges » (Dujol & Mercier, 2017). L’acte de la médiation recouvre obligatoirement les trois dimensions suivantes : le substrat technique (quels dispositifs ?), les procédures politiques et professionnelles (quels acteurs, quels métiers, quels lieux ?), le sens culturel et social (quelles valeurs, quels principes ?).
Quant au mot numérique, il est ici considéré comme » (…) un ensemble de pratiques, une disposition d’esprit (habitus) favorable aux apprentissages ». La médiation numérique des savoirs se focalise plutôt sur un processus dont l’aboutissement constitue l’apprentissage mais aussi la diffusion des connaissances. Elle est aussi considérée comme un moyen de mobiliser des besoins cognitifs d’une société quelconque et en y répondant tout en tenant compte des facteurs sociaux et culturels de cette société.
L’approche de la médiation numérique des savoirs soulève la perte de l’autonomie de l’individu. Elle recommande donc de dépasser la simple transmission d’informations pour s’intéresser à la manière dont il se construit des liens entre besoins et usages d’information dans la transformation de l’information en connaissances (Dujol & Mercier, 2017).
3. Les représentations et les usages des applications mobiles dans l’apprentissage de la langue étrangère
Même si les représentations font partie des usages, celles-ci ont été très peu développées dans les recherches sur les usages des applications mobiles éducatives. Chez les apprenants, les applications éducatives numériques font penser à de simples outils de l’apprentissage et pas aux moyens principaux de l’apprentissage. Ils n’affirment pas d’office une « victoire » du numérique sur l’apprentissage traditionnel (Liu & Wu, 2010 ; Kukulska-Hulme, 2012). L’utilisation de la technologie dans des environnements extra-scolaires offre des possibilités d’apprendre une langue dans différentes situations (Sylvén & Sundqvist, 2016). L’étude de Brudermann sur les représentations des étudiants face à la « machine » réalisée en 2018 a montré que la qualité de l’apprentissage en ligne semble plus intéressante et plus créative : Les technologies mobiles permettent la portabilité, l’interactivité sociale, l’individualité, la sensibilité du contexte et la connectivité (Brudermann, 2018).
Parallèlement, la revue de la littérature scientifique sur les usages des applications mobiles pour l’apprentissage d’une langue étrangère nous révèle trois constats.
Le premier constat est lié à la relation entre l’acquisition de plus en plus croissante des machines portatives comme le smartphone, les lecteurs MP3 et les assistants numériques personnels (Ducate & Lomicka, 2009 ; Huang & Lin, 2011). Le deuxième constat est lié à l’importance des applications mobiles dans l’apprentissage des langues. En effet, l’apprentissage d’une langue s’inscrit dans un processus continu. Ici, on souligne non seulement le caractère ubiquitaire de l’apprentissage mais aussi les diverses fonctionnalités des logiciels comme la reconnaissance automatique de la voix, le réseautage social mobile (Mobile social networking). Le troisième et dernier aspect renvoie aux attributs de la technologie. En effet, c’est grâce à la facilité d’utilisation, s’agissant des fonctionnalités du dispositif technique, que l’on observe l’usage de l’application mobile pour l’apprentissage d’une langue. Les apprenants affirment une amélioration de leur niveau notamment dans l’acquisition du vocabulaire, dans la lecture, dans l’écriture, dans la grammaire et dans les exercices de traduction.
Au plan africain, on observe un usage majoritairement orienté vers les liens sociaux d’une part, et, de l’autre, l’organisation à distance des travaux de groupe, les activités de recherches sur Internet, l’enregistrement du cours et l’usage du téléphone mobile comme moyen d’informer les retardataires de la modification de dernière minute du lieu du cours (Attenoukon et al., 2015). Il faut ajouter aux mauvaises conditions d’étude/travail et à l’explosion des inscriptions en premier cycle, l’interdiction stricte du port et de l’utilisation du téléphone dans les établissements scolaires. Face à ces réalités, les étudiants s’orientent de plus en plus vers les usages des réseaux sociaux numériques (notamment Facebook et Whatsapp) à travers des groupes de classe dont les responsables d’amphi sont les administrateurs (Fagadé, 2019 ; Maïdakouale, 2020).
4. Méthodologie de recherche
Notre enquête s’est déroulée du 07 au 30 août 2020 avec 150 apprenants inscrits en Licence et Master dans les deux universités suivantes : l’Université d’Abomey-Calavi (UAC- Bénin) et l’université Abdou Moumouni (UAM- Niger). La méthodologie choisie est mixte (quantitative et qualitative). Elle s’appuie sur un questionnaire et sur un guide d’entretien compréhensif. Le questionnaire renferme des questions fermées et des questions ouvertes. Celui-ci a été diffusé en ligne. Il porte notamment sur les représentations et les usages des applications mobiles et s’est déroulé en présentiel avec les étudiants. L’entretien compréhensif (Kaufmann, 2016) et la « confiance réciproque » (Lamboux-Durand, 2014) donnent une place de choix à l’interviewé qui dispose de catégories de pensée qui lui sont propres et qu’il convient d’identifier et d’étudier.
Pour la sélection des participants, nous avons opté pour un échantillonnage par « choix raisonné ». Cette méthode non probabiliste a été préférée parce que nous souhaitions explorer un phénomène et non une population. Pour Lamoureux, le choix de l’échantillonnage par choix raisonné consiste à choisir de manière « délibérée » des sujets de la population afin d’en former un échantillon. Ce choix est motivé et répond à la nature de la recherche et se justifie, par exemple, « quand le but de la recherche n’est pas d’étudier une population, mais d’explorer un phénomène » (Lamoureux, 2006 : 178).
L’échantillon regroupe des étudiants inscrits en anglais qui ont eu à utiliser au moins une fois une application numérique éducative. Le choix de la langue est lié à son statut de langue internationale la plus parlée au monde. Nous nous sommes référés aux responsables dans un premier temps. Ces derniers ont sensibilisé leurs camarades à travers les groupes de classe WhatsApp dont ils se sont servis au cours de l’année académique précédente.
Concernant la transcription des entretiens, celle-ci a été effectuée grâce au logiciel Advene et l’analyse lexicale et sémantique grâce au logiciel NooJ.
5. Présentation et interprétation des résultats
Dans cette section, seront présentés les principaux résultats ayant directement rapport avec nos hypothèses de recherches qui se présentent comme suit : l’usage des applications chez ces étudiants n’est pas un phénomène naturel mais il est socialement construit ; l’usage de ces applications est lié au contexte social, culturel et technologique des universités étudiées.
5.1. Représentations
Le téléphone mobile est pour 61 % des étudiants un appareil d’information et de communication. Pour 47 % des étudiants, il renvoie à un appareil permettant l’apprentissage universitaire.
Graphique 1 : Représentations du téléphone portable
Fagadé & Maïdakouale, 2020
Les applications mobiles éducatives sont pour 91,9 % des étudiants un moyen d’apprentissage.
Par ailleurs, pour 41,9 % des étudiants l’usage des applications éducatives a été motivé par les réalités pédagogiques (enseignement essentiellement en présentiel, manque de documents en anglais, la majorité des enseignants donnent presque tout le cours en français alors que le but de la formation est l’apprentissage de l’anglais).
Graphique 2 : Représentations des applications mobiles éducatives
Fagadé & Maïdakouale, 2020
5.2. Usages
Les deux applications mobiles éducatives les plus utilisées sont Learning english (34,7 %) et English speech (26,6 %). La plupart des étudiants (48 %) utilisent une application mobile éducative depuis deux ans et plus. 35,2 % d’entre eux ont utilisé souvent les applications mobiles éducatives.
Pour la majorité des étudiants, la principale activité réalisée sur les applications mobiles éducatives concerne la traduction (46 %). On peut remarquer que la prononciation/phonétique arrive en deuxième position.
6. Synthèse des résultats
Notre étude révèle, à bien des égards, que les étudiants, qu’ils soient des utilisateurs réguliers ou non, ont construit autour des applications mobiles, des représentations sociales investies des valeurs et des capacités susceptibles de « faciliter » et « d’aider » leur apprentissage langagier. Pour cet étudiant : « l’application mobile aide beaucoup l’apprenant et ça facilite l’apprentissage de la langue. Même à la maison il peut apprendre la langue facilement » (Etu-14), un autre disait que « l’application mobile facilite de m’exprimer et de corriger les fautes » (Etu-4). Le cadre théorique a permis de définir les représentations sociales et leurs impacts dans l’intégration pédagogique de la téléphonie mobile à l’université.
Chez les étudiants interrogés, les applications mobiles éducatives sont, avant tout, un moyen d’apprentissage. Elles sont un outil d’« aide ». L’« aide » évoque le soutien, l’appui ou l’assistance. Ensuite, les applications mobiles éducatives renvoient à l’idée d’« accès ». Un étudiant affirmait que « l’accès, c’est utile parce qu’on apprend facilement même si on n’a pas les moyens d’acheter les documents ou dictionnaire pour faire les recherches universitaires » (Etu-18). Un autre renchérit : « C’est comme un deuxième professeur parce que ça nous aide à approfondir notre connaissance et ça nous facilite l’accès à certains documents que nous n’avons pas à la bibliothèque » (Etu-6).
Enfin, notons la présence des mots comme « cours », « important », « approfondir », « comprendre » et « connaissance ». Un étudiant souligne : « une application mobile éducative me permet d’approfondir aussi aisément mes connaissances en langue et de comprendre facilement les mots ou expressions qui semblent être au-dessus de mon niveau » (Etu-7). De même, « C’est utile dans le sens où elle aide à mieux acquérir plusieurs notions qui étaient dès lors inconnues pour nous. Aussi, permet-elle d’être formé sans se déplacer » (Etu-12).
Le tableau suivant montre de façon claire la signification d’une « application mobile éducative » chez la population étudiée.
Tableau n° 1 : Signification d’« une application mobile éducative »
Noms |
Adjectifs |
Verbes |
Aide |
Important |
Approfondir |
Accès |
Facile |
Comprendre |
Cours |
||
Connaissance |
Le premier facteur qui motive l’usage des applications éducatives est lié aux réalités pédagogiques. Il s’agit respectivement du « nombre » (d’étudiants inscrits par amphi), de l’« effectif », de « problème », de « bibliothèque », de « cours » et de « salle ». En effet, les effectifs sont pléthoriques dans les salles, ce qui constitue un « problème » et entrave la réception et la qualité des cours enseignés. Á cela, s’ajoute le manque de bibliothèque, soit une seule bibliothèque pour sept facultés. Concernant l’anglais particulièrement, on note un manque de documents à la bibliothèque. Cet étudiant disait par exemple : « nous étions 720 étudiants dans la promotion. Des fois on se débrouille. On n’a même pas de bibliothèque pour faire nos recherches » (Etu-1). Un autre de rebondir « on est nombreux, on est maintenant plus de 300 dans notre session. Sinon lorsqu’on était en première année, on était plus de 500 étudiants. Les gens ont vu que ça ne va pas du tout et ils ont quitté la session. Les amphithéâtres sont insuffisants, les documents aussi. On est huit départements pour une seule bibliothèque » (Etu-9).
Par ailleurs, les représentations individuelles sont aussi sociales, car pour la majorité des étudiants, ce sont leurs amis qui leur ont parlé des applications en mettant toujours en avant la « facilité ». Un étudiant évoque : « c’est grâce à un ami. J’ai vu ça dans son téléphone et je lui ai demandé de m’envoyer cela et depuis lors je l’utilise souvent comme un dictionnaire » (Etu-4). Un autre abonde dans le même sens : « tous les étudiants utilisent ces applications et du coup moi-même j’ai voulu essayer et depuis ça je fais recours à ces applications. » (Etu-6).
Mais, il faut retenir aussi l’implication personnelle de l’étudiant traduite par les expressions « moi-même » et « curiosité ». Ainsi, un étudiant dit « c’est moi-même, étant curieux de nature, j’avais des exercices d’anglais et je suis entrée dans opéra j’ai tapé apprendre l’anglais facile » (Etu-1). Les étudiants ont fortement soutenu que ce sont leurs amis, puis eux-mêmes qui sont les principaux acteurs de leur décision d’utiliser les applications mobiles éducatives. Un étudiant précise : « si j’utilise des applications c’est à partir des amis, eux ils utilisent et me disent que c’est important donc j’utilise » (Etu-2).
Le graphique ci-dessous montre la place du contexte social et universitaire dans le processus d’usage des applications mobiles éducatives.
Graphique n° 3 : Contexte social, culturel, représentations sociales et usages
Fagadé & Maïdakouale, 2020
Les étudiants béninois et nigériens utilisent les applications mobiles éducatives comme des moyens éducatifs « facilitateurs » au regard des contextes universitaires auxquels ils font face. Ils sont nombreux à s’en servir depuis plus de deux ans et de façon régulière. 20,8 % seulement se connectent très souvent aux applications. Selon leurs discours, ils sont influencés par le contexte social, constitué des autres étudiants, et surtout leurs amis déjà utilisateurs permanents et assidus.
Pour plusieurs étudiants, l’internet est indispensable pour se connecter aux applications. Une fois connectés, ils procèdent à la traduction des textes et à l’exercice de la prononciation/phonétique.
L’usage par les étudiants béninois et nigériens des applications mobiles éducatives relève des faits totalement construits. En effet, les effectifs pléthoriques, l’insuffisance de bibliothèques et de documents (réalités pédagogiques et universitaires) ont fortement contribué à la prise de décision des étudiants d’utiliser les applications mobiles éducatives dans l’apprentissage de la langue anglaise.
En définitive, à l’issue de cette étude, on peut affirmer sans conteste que nos deux hypothèses se trouvent être confirmées par les réponses (au questionnaire) et les discours (à l’entretien) des étudiants.
Conclusion
Le déploiement des technologies de l’information et la communication (TIC) en Afrique subsaharienne francophone a, incontestablement, suscité un engouement continental chez toutes les couches sociales, particulièrement les apprenants. Leur composante – qu’on a appelé les applications mobiles – a permis de montrer qu’il existe une autre possibilité « pédagogique » d’« aider » et d’« assister » les étudiants, tout comme les scolaires, dans leur quête du savoir, de la connaissance et de l’apprentissage. Ces applications mobiles utilisées dans le contexte universitaire demeurent un moyen indispensable susceptible de faciliter l’intégration du continent dans la « société numérique » comme le martèlent les institutions internationales (UNESCO, PUND, etc.).
Aujourd’hui, la thématique des représentations des TIC et du numérique demeure originale en contexte africain. De même que les usages des applications mobiles éducatives. Elles le sont d’autant plus qu’elles sont valorisées par le lieu, le contexte et le dispositif technique sollicité pour l’information et la communication, c’est-à-dire le choix du téléphone mobile (moins cher et facilement accessible à presque tous) que celui de l’ordinateur (réservé uniquement à une élite à cause de sa cherté). Les représentations que les étudiants béninois et nigériens ont des applications mobiles sont liées à des facteurs contextuels notamment les effectifs pléthoriques d’étudiants, l’insuffisance de centres de documentation sur le campus, ce qui entraîne l’insuffisance de documents notamment en anglais. Face à ces réalités universitaires et des représentations étudiées, ces étudiants utilisent les applications mobiles éducatives comme des moyens « facilitateurs » de leur apprentissage. Les usages observés sont, eux, la traduction, la prononciation et la phonétique. Ces usages ancrés dans les réalités socioculturelles et universitaires contribuent au déploiement de la technologie.
Bien qu’elle révèle la logique des usages des applications éducatives chez la cible étudiée, cette étude présente quelques limites. Ainsi, il serait intéressant d’interroger les usages selon le genre et selon le niveau d’étude des étudiants. De plus, on pourrait se focaliser sur les usages d’une application éducative précise afin d’en étudier plus finement les pratiques et l’appropriation chez les étudiants en apprentissage d’une langue étrangère.