Entretien avec Virginie Garin, RTL
avec Virginie Garin
Entretien réalisé par Eleni Mitropoulou
Vous êtes journaliste à RTL, pourriez-vous préciser comment avez-vous été amenée dans votre parcours professionnel à traiter des thématiques liées aux risques ?
Virginie Garin :
J’ai abordé la thématique du risque dans la mesure où je suis en charge à RTL des sujets qui concernent l’alimentation, la santé, l’environnement, l’agriculture depuis plus de 25 ans. La première fois où j’ai vraiment abordé le sujet c’était au moment de la crise de la vache folle fin des années 90 avec le risque pour la population et l’ESB (ndrl : L'encéphalopathie spongiforme bovine ou maladie de la vache folle) et l’importance vraiment de mesurer nos propos en tant que journalistes face à une déferlante de sensationnalisme. Il a fallu informer du risque sans entraîner un autre risque, le risque économique et social, parce qu’il y a beaucoup d’éleveurs qui ont souffert a cette période avec les 5 millions - je crois – de vaches qui ont été abattues pour rien. J’ai beaucoup travaillé sur le principe de précaution sur le risque et ensuite j’ai retrouvé cette notion dans le sujet santé avec évidemment les médicaments, les vaccins, les bénéfices/risques et aborder la question avec toujours beaucoup de prudence. Quand on a une remontée de problèmes d’effets secondaires sérieux sur le vaccin covid, il faut toujours mettre en balance le nombre de vies sauvées grâce au vaccin ; dans la même mesure quand on parle du Doliprane il y a toujours des décès qui sont reliés à ce médicament chaque année mais évidemment la question du bénéfice/risque est importante. Et il faut regarder le nombre de personnes qui ont pu être soignées grâce à ce médicament.
Ce qui est essentiel aujourd’hui sont les risques liés à l’environnement, à la pollution, au réchauffement climatique ; j’ai un travail quasi quotidien d’information pour rappeler que ces risques sont d’actualité, ce n’est pas de la science-fiction, c’est maintenant et non pas dans cinquante ans ; il faut faire le lien entre le réchauffement et les risques qu’encoure la population. Par exemple, on ne pourra peut-être plus habiter dans une ville comme Paris au mois d’août sans risquer de tomber malade ou même de décéder, il y a le risque de submersion sur les côtes, le risque lié au manque d’eau pour certaines catégories professionnelles comme les agriculteurs …., en ce moment l’idée c’est d’illustrer tous les risques.
Tout le monde (ou presque) se déclare concerné par l’urgence de la planète qui va mal, toutefois « faire barrage » aux risques produits par nos pratiques de consommation quotidiennes actuelles serait-ce un défi ? une banalité ? une utopie peut être ? …, pour les professionnels des médias ?
Virginie Garin :
Si par « faire barrage » vous entendez comment les journalistes peuvent essayer d’informer pour montrer aux gens les risques qu’ils encourent et le lien avec leur comportement, pour moi c’est un défi quotidien, ce n’est pas une utopie. Il s’agit de trouver les bons mots pour que les gens comprennent le lien entre leurs actes d’achat, leur vie quotidienne et les risques qu’ils encourent notamment dans le cadre du réchauffement climatique ou de la pollution de l’air. C’est vraiment arriver à concerner les personnes, par exemple préparer un sujet sur le « manger local », c’est un des gestes les plus simples pour prévenir des risques du réchauffement, ne pas acheter des fraises en hiver ou des pommes Pink Lady qui viennent du Chili au mois d’août. Cela étant, ce n’est pas si simple, il y a des pommes en France qui ont passé un an dans une chambre froide, et leur bilan carbone n’est pas terrible non plus …. L’idée alors c’est de ne pas caricaturer mais de toujours rentrer dans la nuance et d’être pédagogique sur le lien entre les actes quotidiens, le réchauffement et les risques.
Est-ce que le média radiophonique joue/peut jouer un rôle informationnel particulier quant aux risques ? Au coeur de la prolifération des discours médiatiques sur cette préoccupation sociale, apporte-t-il une « voix » différente par rapport à la presse écrite, la télévision ou encore les réseaux socio-numériques ?
Virginie Garin :
La télévision jouera sur le choc des images, tout comme la presse écrite avec les photos. Par les images on va créer de l’émotion et c’est une façon de faire réagir les gens. En radio, nous allons faire plus appel à l’imaginaire, il y a donc une façon dans l’écriture, à la fois de créer de l’émotion quand même – parce que je pense que les messages passent par l’émotion – mais aussi peut être une façon de faire de l’information plus juste, plus pondérée, parce qu’on n’est pas happé par la force d’une image. En radio, l’idée c’est de faire, déjà de la pédagogie, en prenant le temps pour bien expliquer les choses, mais aussi de faire du reportage, d’illustrer chaque thématique notamment liée aux risques. Je reviens à nouveau au quotidien des gens avec des reportages très concrets sur les risques sanitaires liés à la chaleur comme par exemple, aller chez les gens et voir comment ils vivent. Montrer par l’exemple les risques dont on parle.
Dans « C’est notre planète », où la rédaction de RTL traite des défis environnementaux et dont le format très court et l’approche mono-thématique favorisent me semble-t-il l’alerte par l’information, l’émission du 10 juin 2023 sur « Le traitement médiatique du réchauffement climatique » s’engage à partir du fait que les gens reprochent aux médias de ne pas parler suffisamment du climat et surtout d’en parler par rapport aux effets à long terme, sous-estimant le court et le moyen termes.
Virginie Garin :
Je préfère parler des effets à court terme parce que ça concerne une vie humaine et de montrer que les gens ou leurs enfants seront impactés. Effectivement, aborder la question des risques et les effets à court terme du réchauffement climatique me semble plus judicieuse, pendant 30 ans ou même 40 ans ; les ONG, les environnementalistes ont alerté sur la situation dans un siècle et ça n’a pas marché, autant essayer de se rapprocher le plus possible du quotidien de l’auditeur et de lui montrer que les risques ne sont pas pour ses arrières petits- enfants mais pour lui-même et ses enfants directement.
Toujours dans « C’est ma planète », des conseils sont donnés pour « passer un été écolo » lors de l’émission du 17 juin 2023. Sont évoqués, à juste titre, les déplacements avec les aspects liés aux préférences (prioriser le train à la voiture et la voiture à l’avion) ou encore aux choix du logement estival. Peut-on dire que ces conseils concernent (à RTL comme ailleurs ?) les mêmes modèles de pratiques quotidiennes (se déplacer, se loger ou encore trier) sans aborder, avec autant de régularité en tous cas, les risques issus des usages les plus populaires, quotidiens et partagés qui soit, ceux des technologies que l’on appelle d’information et de communication. Car, pendant les vacances en l’occurrence, on utilise fréquemment le gps pour chercher et localiser un restaurant, les photographies et les vidéos via les messageries instantanées et autres pour communiquer sur le déroulement, parfois heure par heure, de nos vacances ….
Virginie Garin :
Au sujet des risques numériques - sachant qu’il ne s’agit pas d’une de mes émissions -, ce sont les mêmes mais ils sont un peu moins connus, moins médiatisés, comme ceux de l’usage des nouvelles technologies pour lesquels j’essaie de faire pas mal de sujets, comme sur l’Intelligence artificielle ou les data centers qui consomment énormément d’eau, donc ça risque d’aggraver le problème de sécheresse. J’ai également fait pas mal de sujet sur comment limiter votre empreinte numérique. Effectivement, on parle beaucoup de gestes quotidiens, de gestes sur l’eau, du tri des déchets mais tout ce qui concerne la pollution numérique et nos activités avec toutes les machines connectées qui nous entourent on en parle beaucoup moins mais j’essaie de le faire.
Dans l’appel à communication de la présente publication est évoquée la mobilisation importante d’une part des médias, d’autre part des programmes de recherche au sujet des risques. Le journaliste doit s’approprier les résultats de ces derniers afin d’étayer, de légitimer et de construire son propre propos. Comment s’organise le relais entre les informations scientifiques sur les risques et la construction de l’information sur ceux-ci ? Est-ce une question de vulgarisation comme pour d’autres sujets scientifiques ? Je veux dire qu’au-delà de la compréhension et de l’évaluation des risques qui demandent des connaissances approfondies et des compétences de mise à disposition de ces connaissances auprès du public non spécialiste, identifiez-vous d’autres difficultés quand il s’agit de communiquer sur les risques ?
Virginie Garin :
Globalement, le journaliste n’est pas un scientifique, il n’a pas forcément fait d’études scientifiques même si ça peut être le cas. Par exemple, certains présentateurs météo sont des ingénieurs météo mais un journaliste en général a fait des études de journalisme (des études économiques en ce qui me concerne). On apprend au journaliste de vulgariser, donc de respecter la valeur de vérité et par conséquent d’essayer de comprendre et de vulgariser en tendant le plus possible vers la vérité. Après se pose la question de sources, l’idée étant évidemment d’abord de se former, de beaucoup lire, de rencontrer des gens, d’essayer de comprendre les problématiques et ensuite de savoir quelles sont les sources qui nous semblent être fiables, le plus objectives possible. Pour ma part, je vais à droite à gauche : quand on parle d’ANSES (ndrl : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), d’IRSN (ndrl : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), d’INSERM (ndrl : Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale), il s’agit d’organismes dont les chercheurs sont considérés - par moi en tous cas – comme souvent les plus fiables. Après, il y a une vraie défiance dans ce pays, depuis quelques années, des institutions scientifiques, il y a une perte de confiance dans le chercheur scientifique. Aujourd’hui, par exemple, l’ANSES est considérée par les uns comme un organisme engagé dans l’écologie et par d’autres comme un organisme à la solde de l’état. C’est assez compliqué car quand on est journaliste on cite une telle source censée être vue comme fiable par les auditeurs mais ce n’est plus le cas. Si on cite l’ANSES, l’INSERM, certains auditeurs peuvent interpréter cela par le fait que le journaliste est engagé aussi. Il s’agit là d’un vrai problème, c’est la perte de confiance dans la science qui est relayé par des mouvements climato-sceptiques, anti-vaccination etc. Par conséquent, c’est à chaque journaliste de se faire une opinion en fonction, à nouveau, de ses valeurs. C’est–à-dire d’essayer d’informer le plus justement possible en donnant parfois la parole aux uns et aux autres. Quand on ne sait pas, il y a des scientifiques qui disent blanc et des scientifiques qui disent noir, nous on relaye les deux messages. Pour ma part je préfère présenter une thèse tranchée sinon cela embrouille le public. En tous cas, cette défiance pose un vrai problème actuellement aux journalistes parce que nos sources étaient fiables il y a une dizaine d’années mais ne le sont plus forcément pour certains auditeurs.
Il est souvent dit qu’il s’agit désormais de faire des gros gestes et non plus des petits gestes pour l’environnement, mais ainsi que l’évoquaient ceux liés aux usages des réseaux d’information et de communication semblent absents du débat de fond. Il n’est pas aisé de savoir dans quelle mesure ils consistent en de gestes mineurs ou majeurs. Est-ce que ce flou serait l’indice d’un sujet insoluble pour les acteurs des médias et leurs missions préventives ?
Virginie Garin :
Voulez-vous dire qu’on ne traiterait pas certains sujets car on les comprend pas ? C’est possible pour certains journalistes, comme la facilité de traiter des risques de la canicule car on comprend bien ce qu’elle est. Pour les risques liés aux technologies de l’information et de la communication, j’essaie pour ma part de relayer les informations, d’en parler, c’est un sujet qui me passionne, comme les nombreux sujets que je fais sur l’empreinte écologique liée aux objets connectés.
En tant que professionnelle des médias, quelles devraient être selon vous les priorités du journalisme qui traite des risques pour engager une communication efficiente sur nos pratiques ? Sachant que je désigne par « efficiente » la communication qui permet une modification visible des pratiques ….
Virginie Garin :
C’est la question que l’on se pose tous en ce moment sur le climat, comment faire rentrer cela dans la tête des gens ? En fait, il y a deux leviers qui permettent de concerner les gens, c’est l’argent et la santé. Quand on leur dit « le réchauffement climatique c’est une hausse des coûts de l’énergie, une hausse des coûts des matières premières, de l’alimentation, donc vous allez le sentir sur votre facture à la fin du mois », là c’est des sujets très concernants qui permettent de relier le geste quotidien au fait que ça va coûter plus cher. Il s’agit d’essayer d’y arriver par des exemples qui touchent au porte-monnaie. Si vous faites des économies d’énergie vous allez gagner de l’argent. Et en plus, ce sera bien pour la planète. Si vous arrêtez de gaspiller vos aliments, vous ferez des économies et en plus c’est bon pour la planète. Deuxième levier c’est la santé, les gens y sont sensibles. Pour le risque de pesticides on explique qu’une accumulation de cocktails de pesticides n’est pas forcément l’idéal pour la santé de leurs enfants, donc s’ils choisissent une agriculture moins chimique et plus durable c’est bon pour la planète et c’est bon pour leur santé. Voilà deux leviers intéressants, en mon sens.
Quel degré de « confiance » accordez-vous aux actions de prévention mises en œuvre par les acteurs publics et relayées par les médias ?
Virginie Garin :
On ne va pas dire 100 %, parce que c’est parfois une question de timing compliqué. Les autorités engagent des actions de prévention, je l’ai particulièrement remarqué pendant le covid, qui ne sont pas forcément toujours au bon moment. On a parfois attendu pour lancer de nouvelles campagnes de vaccination alors qu’il aurait fallu aller plus tôt. On a attendu pour prendre des mesures, comme par exemple, celle de limiter des rassemblements importants au tout début du covid alors qu’on aurait dû le faire. Les actions de prévention sont parfois atténuées ou orientées en fonction aussi des considérations politiques ou économiques. Il y a donc, à la base, une méfiance mais néanmoins il y a, disons 80 % de confiance parce que ça s’appuie sur des analyses scientifiques plutôt fiables, me semble-t-il. Pendant le covid, j’ai préféré relayer des actions de prévention que les conseils donnés par des scientifiques un peu sulfureux qui n’ont fait que brouiller le message et qui n’ont pas fait avancer la lutte contre l’épidémie.
D’après votre connaissance du milieu médiatique, les « jeunes » journalistes, né-e-s et grandi-e-s avec la médiatisation forte des problématiques environnementales, ont-ils une perception différente des enjeux informationnels sur les risques que les générations précédentes ?
Virginie Garin :
Certains oui, mais j’avoue que parfois je suis un peu atterrée par la jeune génération de journalistes qui n’est pas toujours très avertie sur ce sujet. Il y en a - et d’ailleurs ça me fait plaisir quand un jeune vient me dire qu’il aimerait faire un sujet sur telle ou telle question liée au climat -, je pense que dans les écoles de journalisme il devrait y avoir un peu plus de sensibilisation à ces thématiques. Après, je vois autour de moi de jeunes journalistes qui sont devenus flexitariens voire végétariens et qui dans leur vie quotidienne ont changé des choses, comme tous les citoyens français, et heureusement d’ailleurs. Au niveau de l’approche journalistique, je regrette qu’il n’y ait pas plus d’engouement. En fait, l’engouement est là quand le jeune journaliste est militant mais je pense qu’un jeune journaliste qui traite de l’environnement ne doit pas être militant. Un jeune journaliste qui me dit qu’il mange bio et qu’il veut sauver la planète, ça m’inquiète un peu parce que je me dis qu’il va faire du journalisme militant. Un jeune journaliste qui me dit qu’il aimerait bien comprendre la question climatique, les risques pour la population et trouver des angles qui permettent vraiment de convaincre le plus de gens possible voire même de revenir sur des idées reçues, quelqu’un qui a un discours un peu plus fouillé, ça m’intéresse plus. La crainte c’est qu’on ait de jeunes journalistes militants qui ne fassent pas du journalisme et puis d’autres un peu moins militants mais qui, du coup, ils prennent la question un peu à la légère et qui préfèrent partir à la guerre ou traiter des sujets politiques. Il y a encore un boulot dans les écoles du journalisme pour bien former les jeunes et leur montrer que ces questions sont aussi importantes que l’économie, le social, la politique, le sport ou l’étranger.