Analyse de la vulnérabilite socioéconomique des agriculteurs dans les départements du Pool, des plateaux et de la Sangha (République du Congo)
La production rurale de la République du Congo connait depuis les années 1980 une baisse de productivité qui rend ses acteurs de plus en plus vulnérables. L’étude que nous présentons, réalisée pendant 23 mois dans six villages du département du Pool (Kindamba, Mindouli, Mabaya et Igné), du département des plateaux (Gamboma) et du département de la Sangha (la Sangha), a pour objectif d’identifier les causes qui bloquent le développement dudit système de production, en utilisant l’approche interdisciplinaire, à partir d’enquêtes sur questionnaire semi-ouvert, menées auprès de 354 ménages.
The Congo farming production system that produces the food consumed in this country is falling dawn since years 1985 about productivity and its actors become more and more vulnerable. This survey, which took place during 23 months in Pool (Kindamba, Mindouli, Mabaya and Igné), Plateaux and Sangha. Using the interdisciplinary approach, with semi opened questionnaire applied on 354 households, it is achieved to identify the reasons that block the development of this system.
Introduction
Le système agricole constitue l’un des secteurs les plus importants de l’économie des pays à spécialisation primaire. Il contribue, de manière significative, au produit intérieur brut (PIB) dans de nombreux pays africains (Doumbia et al. 2013).
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Ces années coïncident avec le début de la production du pétrole (MEPAT, 2012) génératrice d’énormes ressources financières. Ainsi, progressivement, « le secteur rural, qui contribuait pour plus de 10 % du PIB dans les années 1960-1970, a connu un déclin et ne représentait plus que 6 % du PIB en 2003 » (NEPAD, 2013, p. 5).
Au Congo, le système de production, rurale, soutenu par une organisation agricole étatique a été à la base de la production de la nourriture et d’autres biens qui assuraient jusqu’à la fin de la décennie 19701, le processus de développement rural.
Les programmes d’ajustement structurel édictés par le FMI et la Banque mondiale, dans les années 1980, ayant mis fin aux activités des entreprises étatiques qui soutenaient ce système rural, la production essentielle des denrées alimentaires du Congo n’a cessé de décroître, au profit d’activités non durables comme la production du bois énergie, qui dégrade le sous-système terre et végétation. Pourtant, la volonté des gouvernements qui ont suivi était que l’agriculture reprenne une place, prépondérante, dans la production des denrées alimentaires et de revenus, pour plus de 67 % des ménages (MEPAT, 2012).
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Soutenu par le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA).
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Force est de constater qu’en 2017 cet objectif demeure, compte tenu de la pauvreté qui sévit encore en milieu rural.
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Ainsi, le pays est exposé à une dépendance alimentaire quasi-totale vis-à-vis de l’étranger, avec des importations annuelles alimentaires évaluées en moyenne à 125 milliards de FCFA, soit environ 27 % des recettes fiscales pétrolières. L’insécurité alimentaire menace plus du tiers de la population (NEPAD, 2013).
C’est ainsi que plusieurs actions successives ont été menées en ce sens : création du fonds de soutien à l’agriculture, motorisation agricole, mise en place des projets nouveaux villages, le Projet de Développement Rural (PRODER2). L’agriculture a alors été déclarée priorité des priorités par tous les gouvernements qui se sont succédés et qui se sont fondés sur la déclaration du millénaire fixant à 20153 la date butoir quant à la réalisation de l’objectif visant à réduire de moitié le nombre de personnes qui souffrent de la famine (Cervantes-Godoy, 2010). Mais, malgré ces différentes initiatives, la production agricole du Congo reste largement déficitaire. En dehors du manioc et de la banane, tous les autres produits sont en grande partie complétés par les importations, pour satisfaire la demande nationale4.
Au regard des impacts socioéconomiques que peut avoir la dynamisation de l’activité du monde rural, le Gouvernement cherche des solutions idoines pour concilier les objectifs de la relance des activités dans les zones rurales d’exploitation des ressources naturelles et du développement durable car, partout dans le monde, les pauvres tirent en majorité leur revenu de l’agriculture. Par conséquent, étudier l’économie agricole nous apporterait beaucoup de renseignements sur l’économie de la pauvreté (Schultz, 1979).
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Statistiques émanant du rapport d’étude… MEPAT-Ecom (2012).
C’est dans ce contexte que cette étude est menée, pour identifier les goulots d’étranglements qui bloquent le développement du système agricole congolais, à travers le questionnement suivant : quels sont les facteurs qui empêchent le système de production agricole congolais de garantir l’autosuffisance alimentaire ? Quelles sont les causes qui font que 74 % de ruraux congolais et 64 %5 de ceux qui sont agriculteurs soient pauvres ?
L’hypothèse de notre étude est que la vulnérabilité socioéconomique des agriculteurs du Congo Brazzaville est due à la faible capacité productrice des sols, à l’absence d’innovations, aux outils et techniques utilisés.
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Les sciences de la vie sont en plein développement, les résultats s’accumulent, les théories se multiplient et leur application à la réalité contribue au développement des sociétés humaines.
La méthodologie est basée sur la collecte des données, par l’observation des systèmes agricoles ruraux dans six villages du département du Pool (Kindamba, Mindouli, Mabaya et Igné), du département des plateaux (Gamboma) et du département de la Sangha (la Sangha) ; elle est complétée par l’administration d’un questionnaire auprès d’un échantillon de 354 personnes. Les données recueillies ont été analysées selon l’approche interdisciplinaire. Les résultats obtenus ont permis d’identifier les causes de la vulnérabilité des ruraux qui sont à la fois structurelles et liées à la dynamique des forces productives. Les facteurs limitants de l’agriculture congolaise sont aussi dichotomiques, qu’ils soient liés à l’environnement : fertilité des sols, maladies des cultures, conflit avec la faune, absence de d’aménagement… ou aux techniques utilisées : matériaux et produits, absence d’innovation6. Enfin une discussion de ces résultats est faite à la lumière d’autres études déjà réalisées dans ce secteur.
I- Matériel et méthode
A- Zone d’étude
Notre étude a été réalisée dans les villages de Kindamba, Mabaya, Mindouli, Igné (département du Pool) Gamboma (département des Plateaux) et Mokeko (département de la Sangha) appartenant à trois départements du Congo (figure 1).
Figure 1. Localisation des sites d’étude. Source : images conçues par l’auteur
Ces localités ont été choisies en tenant compte de leur importance agricole dans leurs départements respectifs. Elles présentent des situations géographiques et climatiques différentes qui influent sur leurs pratiques agricoles. Le Pool dispose de quelques galeries forestières plus ou moins grandes, mais entièrement dégradées ; les Plateaux renferment une savane arbustive entrecoupée d’îlots forestiers, en disparition aujourd’hui ; la Sangha est située totalement dans la forêt équatoriale.
Le climat est tropical humide pour les deux premiers départements dont les sols sont argilo-sablonneux, alors que la Sangha bénéficie d’un climat équatorial et d’un sol argileux. Toutes ces localités sont arrosées par les affluents du fleuve Congo, à l’exception du Pool qui est traversé par l’affluent du Bassin du Kouilou-Niari.
La population de ces localités est repartie en deux grands groupes ethniques : les Bantous et les peuples autochtones qui pratiquent l’agriculture, la pêche, la chasse, la collecte des produits forestiers non ligneux. Elle participe aussi aux activités formelles comme exercer dans les sociétés d’exploitation forestière, la fonction publique, la conservation de la faune et les autres secteurs privés.
B- Collecte des données
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Le questionnaire était composé de trois parties : identification de l’enquêté, composition de son ménage et sa production annuelle, son activité.
La collecte des données a été réalisée par une enquête7 menée sur un échantillon de 354 ménages d’agriculteurs dans les six villages. Leurs champs, aussi, ont été visités pour observer les techniques culturales, la taille des exploitations et l’impact de la faune sauvage sur les cultures des paysans.
Dans chaque plantation, on a noté les coordonnées géographiques, la dimension totale du champ, l’espèce végétale cultivée (manioc, maïs, banane, ananas,…), le système d’exploitation utilisé par l’exploitant (paiement d’un loyer, propriétaire direct ou indirect des terres), le montant et la durée de location dans le cas d’un bail, la production en kgs du champ, les interactions négatives avec la faune sauvage, la superficie et de la culture agricole endommagées la fréquence de destruction ; le type d’écosystème des environs a été identifié, les espèces qui détruisent leurs cultures répertoriées…les outils et les intrants utilisés, les techniques de production, les écosystèmes préférés pour la mise en place du champ, etc...
Photo à gauche l’auteur lors des visites des plantations. Photo de droite l’auteur avec quatre agriculteurs qui répondent à ses questions. Source : Photos prises par l’auteur
C- Analyse des données
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Le tableur Microsoft Excel a été utilisé pour la saisie et l’analyse des données. Grâce aux tableaux dynamiques croisés nous avons produit les représentations graphiques des données. Pour l’analyse du système agricole, nous avons utilisé la grille d’analyse des systèmes et sous-système proposé par Maldague (2010). La fertilité du sol a été évaluée en comparant les rendements standards de chaque culture donnée, par le memento de l’agronomie et les rendements locaux. Les pertes de cultures dues à la faune sauvage ont été déterminées en mesurant les espaces détruites par les animaux, dans chaque champ.
Nous n’avons pas évalué la vulnérabilité des agriculteurs car cela a été fait par une étude nationale intitulée « Enquête congolaise auprès des ménages » (Ecom, 2005 ; Ecom, 2011), mais nous en avons analysé les causes. Cette enquête nationale a déterminé un montant exact (1,3 € par jour) en-dessous duquel une personne est pauvre et, donc, vulnérable. Notre étude8 énumère les conditions qui font que les agriculteurs ne sont pas en mesure de disposer d’un revenu au-dessus de cette valeur.
D- Résultats
Dans le secteur « Agriculture et Elevage », on relève que les principaux problèmes reposent sur une faible production agro-pastorale, un accès difficile aux services sociaux et financiers, l’absence d’infrastructures agricoles de base et des techniques de production moderne, un encadrement des producteurs insuffisant et une baisse de la fertilité des sols associée à l’absence des intrants de production agricole. Ceci a entrainé la très faible croissance de production agricole à côté de la forte expansion de la population.
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Pour compenser ce déficit de production nationale, et si rien n’est fait, ce sont les importations qui devront combler la différence, ce qui entrainerait au moins le doublement des importations (valeur 2007) d’ici à 2020 pour dépasser très certainement les 250 milliards de FCFA par an (toutes choses égales par ailleurs) (CERAP – SOFRECO, 2012).
On assiste également à une réduction drastique du poids de ce secteur pour ce qui est de la formation du produit intérieur brut du pays. Un revenu qui diminue année après année et une dépendance de plus en plus grande aux importations a accru la vulnérabilité (faim et pauvreté) des populations de cette partie du pays. Par ailleurs, l’état de la production actuelle et les projections jusqu’à 2020 montrent une tendance à l’autosuffisance décroissante9 (figure 2).
Figure 2 : Projection du taux d’autosuffisance alimentaire
II- Vulnérabilité concernant le milieu de vie
A- Analyse du sous-système terre dans son aspect foncier
Dans les trois départements, Pool, Plateaux et Sangha, 57 % des personnes enquêtées affirment que l’acquisition des terres ne pose aucun problème pour la population du monde rural, car la plupart des habitants de l’intérieur du pays sont en majorité propriétaires directs ou indirects des terres qu’ils cultivent. 42 % des personnes interrogées affirment louer les terres où ils travaillent et paient entre 7,6 € et 121,9 € pour un champ dont les dimensions ne sont pas déterminées en amont. Pour ces derniers - habitants proches des grandes villes (Mabaya et Igné), l’acquisition de la terre constitue un réel problème, car ils n’en sont pas propriétaires et la demande de ces terres forestière est également élevée pour la production du bois de chauffe et charbon de bois. C’est la raison pour laquelle ces terres coûtent cher.
Selon les types d’écosystème, un champ dans la forêt coûte plus cher que dans la savane, puisque dans la forêt, outre la production agricole attendue, le cultivateur vend d’abord le bois qu’il a coupé. À Mokeko, la terre est presque gratuite puisque les propriétaires n’ont pas fixé de montant pour la valoriser. C’est l’exploitant qui détermine le montant de la rente à payer. Souvent, cette rente est faite en nature par restitution d’une petite partie de la récolte. La durée de la location varie mais, généralement, elle va jusqu’à la récolte de la culture plantée. En revanche, ce qui est problématique c’est la fertilité de ces sols car ils
[…] Appartiennent au groupe ferralitique sur roche basique, dont la fertilité par rapport à la texture peut être considérée comme moyenne à médiocre La teneur en matière organique de ces sols varie de 3 % à 10 % : l’humus c’est-à-dire l’horizon organique de surface, est un composant essentiel de l’écosystème (Diamouangana, 1989 ; Nsonsi, 2009 : PP 34)
Le sol constitue un facteur essentiel de la fertilité des sols tropicaux. En le considérant comme substrat, la majorité des personnes interrogées développe leurs activités dans les écosystèmes forestiers qui représentent l’essentiel des terres fertiles du Congo. 77 % préfèrent les sols en forêts et 23 % travaillent dans la savane arbustive. La faible fertilité du sol ne permet pas de générer des revenus supérieurs au seuil fixé par l’enquête nationale.
B- Analyse du sous-système eau
L’ensemble des localités sont bien approvisionnées en eau même si sa qualité (pour la boisson) reste encore à démontrer. Toutefois, il n’y a ni système de canalisation et d’irrigation, ni système de valorisation des déchets solides et de lutte contre les eaux stagnantes et polluées. Par ailleurs, le manque d’apport d’eau pour le développement des cultures minimise le revenu de l’agriculteur dont les rendements sont faibles.
III- Vulnérabilité concernant le système de production
A-Analyse du système de production
Le système de production d’une localité rurale est un système complexe qui englobe la gestion rationnelle des ressources naturelles, l’aménagement intégré du territoire, l’amélioration des conditions de vie de la population et tous les aspects qui font appel aux catalyseurs du développement.
Dans le cadre de cette étude nous nous intéressons seulement aux interactions qui se déroulent entre le milieu naturel et les formes d’organisation ou techniques de production utilisées pour la production agricole. Evaluer cette partie du système de production revient à évaluer l’appréciation générale de la culture, la forme de l’énergie utilisée, la nature des intrants et la commercialisation de la culture
B- La force productive ou main d’œuvre
Les trois départements disposent d’une population de 515838 habitants, dont 350000 ont plus de 18 ans et sont sans emploi. Cette main d’œuvre, importante, n’a pas de formation dans le domaine de l’agriculture. Or, l’agriculture occupe la majorité de la population du monde rural : plus de 64 % des ménages sont des agriculteurs, excepté dans la ville de Mokeko (Kabo) où plus de moitié des ruraux travaillent dans les sociétés forestières ou à la conservation de la biodiversité. La répartition des enquêtés, par activité exercée et par village, est donnée par la figure 3.
Figure 3 : Répartition des enquêtés par activité et par localité
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Enquête réalisée par l’auteur
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Un cas nous a été rapporté : un projet de Fonds International pour le Développement de l’Agriculture a voulu changer la façon de planter le manioc, mais beaucoup de personnes choisies pour expérimenter la technique ont refusé de la pratiquer. L’insuffisance des connaissances limite la production des denrées alimentaires et du revenu ce qui les rend vulnérables.
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Enquête congolaise auprès des ménages.
Sur 354 personnes interrogées 21 % n’ont aucun niveau d’instruction, 25 % ont un niveau primaire, 49 % ont atteint le niveau secondaire et 5 % ont achevé des études universitaires10. Parmi les 49 % et 5 % d’enquêtés de niveaux secondaire et supérieur, aucun d’autre eux n’est agronome, aussi la qualité du service de cette main d’œuvre est-elle proportionnelle à sa qualification. Par ailleurs, le faible niveau d’instruction pousse l’agriculteur à ignorer l’apport des innovations dans l’augmentation des rendements et à résister à l’introduction des nouvelles techniques culturales11. Malgré tout, le taux d’activité est très élevé soit 8212 %.
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Essentiellement produite par l’énergie humaine du paysan et des membres de son foyer.
C- Facteurs de production13
Les instruments aratoires (houe, hache, machette, râteau, pelle) sont les plus rudimentaires qui existent. 96 % des personnes interrogées n’utilisent pas le fumier, l’engrais ou les produits phytosanitaires. L’absence de fertilisants pour les sols ne permet pas d’augmenter le rendement aussi les revenus des paysans sont-ils insuffisants à les sortir de la vulnérabilité
Les crédits sont rares : 4 % seulement ont affirmé bénéficier d’une subvention d’une ONG internationale et seul 1 % a reçu un crédit du fonds de soutien à l’agriculture (créé par le gouvernement). 95 % des personnes enquêtées estiment que les conditions fixées par les institutions de crédit ne leur sont pas favorables car elles exigent un gage fondé sur un capital, un terrain ou une maison de grande valeur qu’ils ne peuvent pas avoir.
D- Les facteurs qui minent le système de production rural
En résumé, les facteurs qui empêchent l’agriculteur d’augmenter sa production pour avoir plus de nourriture et un revenu qui lui permette d’acquérir les biens essentiels à sa vie sont :
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Des Congolais, en général.
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Maladie qui détruit les racines de la plante.
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Maladie des plantes provoquées par une aréné.
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Maladie qui provoque le flétrissement des feuilles et la pourriture des tubercules de manioc.
Absence d’intrants comme fertilisant et produits phytosanitaires : la majorité des paysans14 n’en utilise pas pour la fertilisation, la défense ou le traitement de leurs cultures. Les maladies comme le mildiou15, l’accaria16, la mosaïque de manioc17, détruisent encore des cultures alors que ce problème pourrait être résolu.
Cherté des intrants et de la main d’œuvre : le prix de ces produits n’est pas à la portée de toutes les bourses et ils ne sont pas disponibles dans les zones rurales où ils sont pourtant nécessaires.
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L’amendement calcique ou chimique du sol, traitement préventif ou curatif des cultures ne sont pas pratiqués. Seule l’énergie humaine est utilisée.
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15 % seraient prêts à les utiliser mais les trouvent trop chers.
Absence de l’application des innovations : du débroussaillage à la récolte, les techniques culturales sont identiques18. L’utilisation des machines agricoles est acceptée, mais nombre de paysans ne peuvent les louer par manque de moyens financiers. 38 % d’agriculteurs pensent que les terres qu’ils cultivent sont fertiles aussi n’utilisent-ils pas de produits phytosanitaires et fertilisants. 47 % affirment même que l’utilisation de ces produits dégrade le goût des produits agricoles qui deviennent néfastes à la santé19.
Une expérience d’introduction de nouvelles techniques de plantation des boutures de manioc entreprise par le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA) entre 1986 à 1990 a été essayée à Kindamba, mais sans succès.
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La culture du cacao commence à émerger dans la Sangha.
Spécialisation sur les seules cultures alimentaires : les espèces végétales plantées sont le manioc, l’arachide, la banane (douce et plantain), le maïs, le riz et les légumes et fruits. Les cultures de rente (café, cacao20) ont été abandonnées depuis la liquidation en 1986 de l’Office Congolaise des cultures vivrières.
Kindamba : production de sacs de cossette de manioc
Source : Photo prise par l’auteur
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Le bongo ou Tragelapus euryceros est un mammifère.
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Sur les 234 personnes en conflit avec la faune, 205 n’utilisent aucune technique de protection des cultures.
Le conflit avec la faune : dans l’Unité Forestière d’Aménagement (UFA) de Kabo éléphants, bongos21, buffles et autres espèces protégées détruisent les plantations des populations, ce qui nuit à l’accroissement de la production agricole dans cette partie du pays. 66 % des agriculteurs ont reconnu avoir été victimes de destruction des cultures par les éléphants ou autres animaux. Ils insistent sur le fait que les éléphants représentent la plus grande menace, car ils peuvent non seulement détruire une grande plantation en une nuit, mais également s’installer dans les environs et chasser les propriétaires des plantations et aller jusqu’à les blesser22.
Éléphant en conflit avec la population qui vient manger les pamplemousses dans le village (Mokeko).
Source : Photo prise par l’auteur
Les plantations de chaque village présentent un type de menace faunique spécifique. Celles de Kabo sont principalement menacées par l’éléphant, alors que celles de Gamboma, Kinkala, Mindouli et Igné sont menacées par les rongeurs et les antilopes tandis que celles de Kindamba sont menacées par le potamochère, les antilopes, les rongeurs et animaux domestiques telles que les chèvres et les bœufs en divagation.
Discussion
La terre n’est pas un facteur limitant car à Mokeko (Kabo), par exemple, la terre est presque gratuite, tout comme à Kindamba. Cependant, depuis la fin des années 1990 le coût du loyer de la terre (surtout forestière) a beaucoup galopé dans les zones proches des grands centres urbains. La rente foncière est passée de 3,8 € en 1970 à 30,5 € en 2010 dans les zones loin des grandes villes et de 7,6 € en 1970 FCFA à 121,9 € dans les localités proches des villes.
La terre est donc devenue une cause de vulnérabilité rurale dans la mesure où sa fertilité a diminué ; or, un sol fertile est la condition sine qua non à la rentabilité et à l’utilisation durable des systèmes agraires (Maldague, 2010). En outre, les sols forestiers, les plus fertiles subissent une grande pression due à la production du bois énergie qui les expose aux différentes formes de dégradation contribuant à aggraver la vulnérabilité des ruraux.
Sous-système eau : L’eau est un élément important dans la production agricole, cependant elle n’occupe pas vraiment sa place dans le système de production observé. En effet, la pluviométrie des localités étudiées est le seul moyen pour apporter l’eau dans les plantations. Seuls les maraîchers arrosent les cultures régulièrement, c’est pourquoi ces agriculteurs subissent directement les effets négatifs d’une faible pluviométrie. Ainsi, chaque fois que la pluviométrie est mauvaise les rendements en produits agricoles baissent fortement et certains produits agricoles deviennent rares sur le marché.
Sous-système aménagement Intégré du Territoire (AIT) : ce système est censé développer un ensemble de structures (écoles, hôpitaux, électricités, route, canalisation, etc.) afin de dynamiser les zones rurales. Là où elles sont implantées la qualité de service est généralement médiocre. L’apport de l’AIT à la réduction de la pauvreté s’est cependant vérifié à Kindamba. En effet, les cultivateurs de cette localité ont réussi à accroître leur production dont le revenu leur permet d’acheter des médicaments, de la nourriture, et de payer l’école de leurs enfants grâce à l’aménagement des routes.
Conditions du dynamisme des populations observées : La vie dans les localités rurales observées semble infernale pour un citadin, mais les résidents sont habitués. Les populations travaillent activement mais leur mauvaise organisation ne permet pas l’amélioration de leur revenu et de leur condition de vie. Pourtant, elles bénéficient de l’assistance en matière d’éducation et de santé. L’ONG américaine International partenership for human developpment (IPHD) a ouvert des cantines scolaires pour assurer la nutrition des enfants à l’école. L’accès aux soins de santé primaire est limité car les hôpitaux n’ont pas des médicaments et/ou du personnel qualifié.
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Calendrier cultural : période où se déroulent les différentes activités agricoles dans le pays.
Le taux d’accès des ruraux à une formation sanitaire est de 46.5 % alors qu’il est de 75.2 % dans les villes. D’après les personnes interrogées, l’accès aux soins médicaux est très cher, alors que le service apporte rarement de guérison ; par conséquent beaucoup des ruraux n’y accèdent pas. De plus, il n y a plus de visites médicales qui contribuaient à la prévention de plusieurs maladies. Les ruraux consomment les médicaments de moindre qualité vendus par les pharmacies de rue. Cette mauvaise offre de santé a des répercussions sur le système productif. Souvent l’agriculteur doit abandonner son champ pour aller se faire soigner en ville, ce qui engendre d’énormes pertes. Nombreux sont les paysans qui perdent leurs récoltes à cause d’une maladie mal traitée qui les immobilise à la maison pendant la période cruciale culturale23.
Systèmes de production : Notre analyse s’est portée exclusivement sur la production agricole et les sous-systèmes connexes. Le fonctionnement du système de production actuel n’est pas favorable à la durabilité des ressources ni à l’épanouissement socioéconomique des populations. La raison de ce disfonctionnement peut être trouvée dans la manière de résoudre ces problèmes du monde rural. Par exemple l’augmentation de la production de l’élevage et de l’agriculture est toujours entreprise de façon séparée alors que ce sont des fermes intégrées qui le font en Asie (Mukherjee, 1995). L’absence d’utilisation des innovations technologiques maintient également la production locale à un niveau très bas, contrairement à l’Europe où ces innovations ont accompagné la révolution agraire. Les espèces plantées restent également les mêmes (NEPAD, 2013). De même, cette production souffre de l’inefficacité des méthodes de protections des ressources. Par exemple le « conflit avec la faune impacte le développement de l’agriculture… et rend vulnérable les acteurs agricoles (Naughton, 1997 ; Gillingham et al, 1999 ; Webber et al, 2007 ; Hartte et al, 2011).
Conclusion
La volonté des agriculteurs des zones rurales de la République du Congo, de sortir de la précarité, se heurte souvent à plusieurs contraintes qui sont tantôt liées au milieu de vie tantôt au système de production. Le développement du monde rural congolais est compromis par un certain nombre de facteurs négatifs explicités plus avant. L’accent n’est pas mis sur un processus global mais sur des actes sectoriels, posés périodiquement.
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Il nous restera à évaluer l’impact de l’affectation du revenu global du ménage à des postes de consommation et la différence qui peut exister selon que l’agriculteur soit femme ou homme.
Le monde rural possède d'énormes potentialités avec 8 à 10 millions d'hectares de terres cultivables, des milliers de mains valides, mais seuls 2 à 3 % sont exploitées (la part du secteur agricole dans la formation de la richesse nationale ne cessant de régresser). Toutefois, la vulnérabilité dans le monde rural n’est pas due à une cause ni à la superposition des causes, mais à des systèmes de causes et à leurs interactions. Pour sortir de cette situation, nous formulerons les recommandations suivantes24 :
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Prise en main du secteur par des agronomes qui doivent former les entreprises agricoles afin d’accompagner les paysans dans la prise en compte des innovations et des pratiques agricoles conventionnelles,
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Amélioration du niveau de formation technique,
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Professionnalisation du secteur, soutenue par une intégration de la production végétale et animale et un système de production stable,
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Regroupement des producteurs dans des structures qui permettent la mutualisation des ressources.