Les personnes âgées et leur vulnérabilité réelle ou supposée Real or supposed precariousness of elderly
Les personnes âgées sont donc de moins en moins fragiles et vulnérables, mais n’ont pas de poids dans le dialogue social, car on ne leur donne guère la parole. La fragilité est liée à la personne, réalisant une faiblesse touchant au moins trois secteurs : cognitif, musculaire et social. Ici un petit événement touchant la personne précipite l’accident avec de graves conséquences médico-sociales. La vulnérabilité concerne les interactions d’une personne âgée avec son environnement social et humain, insuffisamment contenant et dont elle n’a guère la maîtrise. Fragilité et vulnérabilité se conjuguent pour saper la résilience. Certaines personnes âgées sont ainsi condamnées à des doubles, triples peines, voire plus : faiblesse financière, maladies chroniques, marginalisation sociale et difficultés d’accès aux services de soins ou d’aide. Les catégorisations sociales sont la porte ouverte à la stigmatisation, forme déguisée d’un pouvoir sur autrui et source de blessures morales pour les catégorisés, qui voient leur identité reflétée par la société réduite à quelques caractéristiques qu’on veut bien leur attribuer, et qu’ils n’ont certainement pas choisis. Catégoriser, c’est simplifier la vision de la personne humaine, et le rasoir d'Ockham peut couper là où on ne veut pas, car ça fait mal, c’est stabiliser la situation du moment telle qu’elle est perçue par un tiers, c’est-à-dire faire rentrer la personne âgée dans un schéma de vie non désiré, cristallisant ce qui pourrait pourtant évoluer, et c’est enfin se permettre, comme l’a écrit Kant, d’interpréter le sens des choses, jusqu’à parfois en faire une caricature de la réalité.
Las personas mayores son cada vez menos frágiles y vulnerables, pero no tienen peso en el diálogo social porque apenas se les da la palabra. La fragilidad está vinculada a la persona, dándose cuenta de la debilidad en al menos tres áreas : cognitiva, muscular y social. Aquí, un pequeño evento que afecta a la persona precipita un accidente con graves consecuencias médico-sociales. La vulnerabilidad se refiere a las interacciones de una persona mayor con su entorno social y humano, sin suficiente contenido y con poco control sobre ella. Fragilidad y vulnerabilidad se combinan para minar la resiliencia. Por lo tanto, algunas personas mayores están condenadas a dobles, triples o incluso más, condenas : debilidad financiera, enfermedades crónicas, marginación social y dificultades para acceder a la atención o a los servicios de asistencia. Las clasificaciones sociales son la puerta de entrada a la estigmatización, una forma disfrazada del poder de unos sobre otros y una fuente de daño moral para los clasificados en categorías, quienes ven su identidad reducida a unas pocas características que uno quiere atribuirles, y que seguramente no eligieron. Categorizar es simplificar la visión de la persona humana, y la navaja de Ockham puede cortar ahí donde no queremos, porque duele, porque se quiere forzar a uno a entrar en una situación tal como lo percibe un tercero, es decir llevar a la persona mayor a un patrón de vida no deseado, estancando lo que podría evolucionar, y finalmente se permite -como escribió Kant- interpretar el significado de las cosas hasta hacer a veces una caricatura de la realidad.
Os idosos estão, cada vez menos frágeis e vulneráveis, mas não possuem peso no diálogo social, pois dificilmente damos a eles a palavra. A fragilidade está ligada à pessoa, percebendo uma fraqueza que diz respeito a pelo menos três áreas : cognitiva, muscular e social. Aqui um pequeno acontecimento que afeta a pessoa precipita o acidente com graves consequências médico-sociais. A vulnerabilidade diz respeito às interações de uma pessoa idosa com seu ambiente social e humano, insuficientemente incluído e que dificilmente possui algum controle. Fragilidade e vulnerabilidade se conjugam para minar a resiliência. Alguns idosos são assim condenados a uma dupla, tripla, ou até mesmo mais sentenças : fragilidade financeira, doenças crônicas, marginalização social e dificuldades de acesso aos serviços de cuidado e saúde. A vulnerabilidade não concerne apenas os idosos, mas também as pessoas que se ocupam deles, tanto em seus domicílios como em estabelecimentos de saúde, que não são valorizadas financeiramente e nem socialmente. As categorizações sociais são a porta para estigmatização, uma forma disfarçada de um poder sobre o outro e fonte de danos morais para os categorizados que veem sua identidade, refletida pela sociedade, reduzida à algumas características que desejam lhes atribuir e que eles certamente não escolheram. Classificar é simplificar a visão da pessoa humana e a navalha de Ockhman pode cortar onde não queremos, porque machuca e estabiliza uma situação do momento e pela maneira que é percebida por um terceiro, ou seja, faz com que a pessoa idosa adentre em um esquema de vida não desejado, cristalizando o que poderia, portanto, evoluir e finalmente permitir, como escreveu Kant, interpretar o significado das coisas, até às vezes fazer uma caricatura da realidade.
Elderly are less and less fragile and vulnerable, but they have no weight in social dialogue because they are hardly given the voice. Fragility is linked to the person, realizing weakness in at least three areas : cognitive, muscular and social. Here a small event affecting the person precipitates the accident with serious medico-social consequences. Vulnerability concerns the interactions of an elderly person with his social and human environment, which is insufficiently contained and of which he has little control. Fragility and vulnerability combine to undermine resilience. Some elderly people are thus sentenced to double, triple penalty or even more : financial weakness, chronic illnesses, social marginalization and difficulties in accessing care or aid services. Social categorizations are the gateway to stigmatization, a disguised form of power over others and a source of moral injury for the categorized, who see their identity reflected by society reduced to a few characteristics that one wants to attribute to them, and that they certainly did not choose. To categorize is to simplify the vision of the human person -Ockham's razor can cut where we do not want, because it hurts-. It stabilizes the situation of the moment as it is perceived by a third party, triggering the old person into an unwanted life pattern, crystallizing what could evolve, and it is finally allow, as Kant wrote, to interpret the meaning of things to sometimes making a caricature of reality.
Derrière les mots « personnes âgées se cachent des images contrastées : personnes que l’on doit respecter - les honorables cheveux blancs -, parfois témoins d’une époque révolue et rapporteurs de souvenirs rabâchés et décalés des problématiques contemporaines, sujets en retraite, en retrait, à charge, posant implicitement la question de leur coût social, du poids des retraites sur les jeunes générations. Les images négatives véhiculées dans quelques discussions éparses n’émergent que rarement dans les communications officielles. Le discours formel est plutôt onctueux, manipulant la reconnaissance, la dette de ce que l’on doit aux anciens et l’engagement de la société à les aider et à les protéger.
Le préambule de la Constitution Française du 27 octobre 1946 garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. La République protège les plus vulnérables, notamment les vieux travailleurs. Mais qu’en pensent-ils eux-mêmes ? Les retraites fonctionnent sur un régime de répartition auquel ils ont contribué par une vie de travail. La garantie, ici, est dans un tacite contrat social intergénérationnel. Ont-ils besoin d’une protection plus particulière, se sentent-ils donc vulnérables et le sont-ils réellement ?
Il reste encore à définir l’âge pour entrer dans la catégorie des vieux. Il n’y a pas de critères. La perception de l’avancée en âge est très subjective selon le contexte social, 68 ans en moyenne selon l’opinion générale de la population française dans une enquête récente (AESIO-ViaVoice, 2018). Arbitrairement, dans d’autres milieux, le seuil fixé est à 75 ans, ailleurs à 80. Cette catégorisation déplait à ceux qu’elle concerne. Nous parcourrons ces aspects dans cet article et préciserons les contours de la vulnérabilité supposée ou réelle des personnes âgées, précisant certaines de ses définitions.
L’espérance de vie sans handicap
La société française vieillit, avec des catastrophes annoncées des années durant, qui ne se réalisent pas. Une marée de malades Alzheimer liée au vieillissement de la population ? Les progrès sanitaires, les meilleures conditions de vie au quotidien, un niveau scolaire élevé acquis dans l’enfance et souvent amélioré par des pratiques professionnelles, font que l’âge d’entrée dans la maladie recule, et donc que le pourcentage de personnes âgées atteintes par tranche d’âge diminue. Autre écueil statistique qui se dérobe à notre vue, la flambée de dépendance. Non seulement l’espérance de vie augmente, mais il s’agit surtout d’une espérance de vie sans handicap (Bogaert, Van Oyen, Beluche, Cambois, & Robine, 2018 ; Cazenave-Lacroutz & Godet, 2016 ; Moisy, 2018 ; Organisation Mondiale de la Santé, 2018).
L’espérance de vie à la naissance est une estimation, un indicateur synthétique de mortalité qui ne tient pas compte des progrès sanitaires futurs. Elle correspond au nombre d’années qu’une génération peut espérer vivre en étant soumise, à chaque âge, aux conditions de mortalité d’une année donnée. En France, en 2016, elle atteint 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes, stagnant et s’infléchissant ces dernières années (Robine & Cambois, 2017).
L’espérance de vie à la naissance des hommes, en 10 ans, a progressé de 2,2 ans, celle des femmes seulement de 1,2 ans (Moisy, 2018). Certains facteurs, comme le pourcentage croissant de femmes exposées au risque de stress au travail et le développement chez elle du tabagisme rendent compte de la réduction de l’écart. Des inégalités importantes existent selon les catégories sociales, les plus pauvres ont une espérance de vie inférieure de 13 ans par rapport aux plus riches (Cambois & Robine, 2011 ; Insee, 2018).
L’espérance de vie en bonne santé à la naissance est un indicateur d’espérance de vie sans incapacité qui permet d’apprécier le bénéfice de ces années de vie supplémentaire. L’indicateur utilisé en Europe pour comparer les différents pays est l’Health Life Years (Eurostat, 2019). Il s’appuie sur les réponses à la question posée dans une enquête européenne : « Etes-vous limités depuis six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? » (Eurostat, 2019 ; Moisy, 2018).
Il existe cependant d’autres indicateurs (Bogaert et al., 2018). L’espérance de vie en bonne santé à la naissance, en 2016, en France, et de 64,1 ans pour les femmes et de 62,7 ans pour les hommes, (moyenne européenne respectivement de 64,2 ans et 63,5 ans) (Moisy, 2018). L’index a progressé de 0,9 ans pour les femmes et de 0,8 ans pour les hommes, de 2006 à 2016, en France, pour les personnes ayant atteint 65 ans. Par contre, chez les moins de 55 ans, le gain d’années en bonne santé diminue depuis 2006, témoignant d’un allongement de l’espérance de vie pour les personnes ayant des incapacités antérieurement à cet âge (Moisy, 2018 ; Robine & Cambois, 2017).
Les longévifs
Les vieux sont donc de moins en moins fragiles et vulnérables en France, comme dans d’autres pays développés. Une nouvelle catégorie de citoyens apparaît, des personnes âgées autonomes, en bonne santé, les longévifs, très mécontentes d’être catégorisées comme vieux (Amyot, 2019). Leur position est le reflet d’ailleurs de l’opinion de l’ensemble de la société dans laquelle ils vivent. Les Français ont une vision de la longévité plutôt positive. D’une manière générale, selon la récente enquête AESIO-ViaVoice, ils ont le sentiment de bien-vieillir pour 74 % d’entre eux, que la société est en train de s’adapter aux seniors (54 %) et que les seniors sont bien intégrés dans la société (56 %) (AESIO-ViaVoice, 2018).
La personne âgée existe-t-elle en tant que catégorie sociale spécifique ? Certainement pas selon leur propre point de vue et celui d’une majorité de citoyens. Par contre, du côté des décideurs et des politiques, peut-être en ont-ils une représentation particulière. On observe souvent un écart entre ce qu’ils en disent et les besoins de ces aînés, sans doute non entendus (Amyot, 2019). À partir de quel âge est-on vieux ? Est-on décrété vieux lorsque l’on doit partir à la retraite sans avoir le choix de pouvoir continuer son travail ? Que signifie le concept proposé par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie de « perte d’autonomie liée à l’âge » ? (Moulias, 2018).
La situation de dépendance concerne ceux qui sont incapables d’agir pour eux-mêmes et la situation de limitation d’autonomie désigne les personnes incapables de décider par elles-mêmes. Les deux concepts sont donc indépendants, reliés uniquement lorsqu’il existe des troubles cognitifs marqués. Une personne handicapée, même âgée, est jusqu’à preuve du contraire autonome. Donc, à côté des adultes âgés et très âgés autonomes, les « longévifs » valides sont de plus en plus nombreux et de moins en moins satisfaits d’être considérés comme des exclus. Donc, à côté des « physiologiquement » vieux, existe une catégorie spéciale de personnes âgées, décrétées juridiquement « Vieux », les longévités qui parfois, pour certains, malheureusement acceptent cet étiquetage. Cette résignation est pourtant là un risque majeur de mauvais vieillissement. Toute catégorisation est la porte ouverte à une forme de discrimination que l’on appelle âgisme (Giles, Coupland, Coupland, Williams, & Nussbaum, 1992 ; Moulias & Moulias, 2017).
Depuis le 1er janvier 2016, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (loi publiée au journal officiel du 29 décembre 2015) est entrée en vigueur en France. Elle actualise certaines mesures déjà en vigueur et propose d’améliorer le quotidien des personnes âgées et de leurs proches, la reconnaissance et le soutien des proches aidants, le soutien à la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, le renforcement de la transparence et de l’information sur les prix pratiqués en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, dédiés à l'accueil des personnes en perte d'autonomie. Elle réaffirme les droits et libertés des personnes âgées. Personne ne peut s’opposer à cela, mais…
Doit-on, cependant, adapter la société au vieillissement ou adapter la société à la longévité ? L’enjeu de la réponse à cette question est important : « Si on tient compte des surcoûts de la non-qualité, de l’absence de politique sanitaire de prévention de la dépendance, il n’est pas certain que faire beaucoup mieux coûte beaucoup plus cher » (Moulias, 2018). Les personnes âgées « dépendantes » ont - elles encore des droits dans notre pays, les droits sont-ils bafoués lors du vieillissement, et doit-on regarder les nonagénaires comme des survivants ? De nombreux articles cherchent à briser un plafond de verre, le silence des « droitsdelhommistes » sur ces sujets. Comme le remarque le Pr Moulias : « Dans quelques années, l’exclusion sociale des diverses générations d’adultes âgées paraîtra aussi archaïque que celle des femmes avant 1945 » (Moulias, 2018).
Vulnérabilité et fragilité
La vulnérabilité concerne les interactions d’une personne, ici âgée, avec son environnement social et humain, insuffisamment contenant et dont elle n’a guère la maîtrise. Du fait de leur isolement social, les personnes âgées fragiles n’ont que peu de poids dans le dialogue social. On ne les entend pas car on ne leur donne guère la parole. La fragilité est liée à la personne, réalisant une faiblesse touchant au moins trois secteurs : cognitif, musculaire et social, définition qui ne fait pas encore consensus.
Ici un petit événement touchant la personne précipite l’accident avec de graves conséquences médico-sociales. Fragilité et vulnérabilité se conjuguent pour saper la résilience. Certaines personnes âgées sont ainsi condamnées à des doubles, triples peines, voire plus : faiblesse médico-sociale liée aux conséquences de l’âge, maladies chroniques, marginalisation sociale et difficultés d’accès aux services de soins ou d’aide (Amyot, 2019). C’est la situation, par exemple, de certains émigrés (Dury, 2019) ou de sans-domicile-fixes (Eynard, 2019). La vulnérabilité ne s’arrête pas aux personnes âgées mais renvoie aussi à ceux qui s’en occupent, à domicile comme en établissement. Elle concerne aussi les institutions de santé, les établissements dévolus aux aînés, peu valorisés au plan social comme au plan financier. Dans ce domaine, l’innovation peut même signifier un risque tout particulier de fragilité pour maintenir la structure en surface (Villez, 2019).
La notion de fragilité renvoie à un risque de décompensation lors d’une exposition à un stress (stressor) ou une contrainte extérieure à la personne. Il s’agit donc d’anticiper un risque, et au-delà pour les instances en charge de la santé publique, de définir les fondements d’un accès ou d’une éligibilité à un accompagnement social, autrement dit, de définir les conditions d’un ayant droit à des aides (Thomas, 2008). La qualification de fragiles en matière de personnes âgées s’écarte de l’usage commun du mot (Thomas, 2008) ; la fragilité caractérise un état physiologique du sujet âgé associé à un état social d’isolement.
À partir de publications anglo-saxonnes à la notion de Frail Elderly, personne âgée fragile, s’est inscrite dans le paysage gériatrique (Donaldson, 1980 ; Rockwood et al., 1999 ; Speechley & Tinetti, 1991). Il s’agit de décrire un état clinique à partir d’un certain nombre de critères pathologiques pertinents, parmi une liste qui reste encore discutée aujourd’hui. La fragilité se définit (Fried, 2016 ; Speechley & Tinetti, 1991) au-delà d’un certain seuil lorsque plusieurs critères sont réunis (tableaux 1 et 2). Le repérage des personnes et la détection de ces facteurs de risque de polypathologies et de leurs conséquences conduisent donc à définir la notion de fragilité comme un syndrome (Trivalle, 2000 ; Woodhouse, Wynne, Baillie, James, & Rawlins, 1988).
L’âge est le déterminant majeur de la fragilité mais n’explique pas la totalité du syndrome qui est d’origine pluri factorielle. La prise en charge préventive de ces facteurs peut en diminuer ou en retarder les conséquences. Les personnes fragiles sont plus exposées que les autres aux conséquences d’une maladie, et donc ont une surmortalité (Andrews, Harding, & Goldstone, 1985). Elles sont plus à même de chuter (Speechley & Tinetti, 1991).
Tableau 1 : Le concept de Frail Elderly ou vieillard fragile
Source : Les 9 critères de Speechley & Tinetti, 1991
Age>80
Troubles de l ’équilibre et de la marche
Activité physique réduite
Dépression
Prise de sédatifs
Baisse de la force musculaire de la ceinture scapulaire
Baisse de la force musculaire des quadriceps
Déficience des membres inférieurs
Troubles de la vision de près
Tableau 2 : Le concept de Frail Elderly ou vieillard fragile selon Fried, 2016.
3 critères ou plus = Fragile ; 1 ou 2 = Pre fragile ; 0 = Non fragile
1 - Perte de poids> =5 % par an
2 - Fatigue subjective. Epuisé ou fatigué, en permanence ou fréquemment ?
3 - Activité physique. Aucune activité physique ou moins de 1 à 2 marches par semaine
4 -Vitesse de marche ; Difficulté à marcher 100 mètres
5 - Force de préhension
La notion de handicap
La loi n° 2005-102 « Pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a, dans son article 114, défini la notion de handicap :
Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant.
Le terme handicap désigne l'incapacité d'une personne à vivre et à agir dans son environnement en raison de déficiences physiques, mentales, ou sensorielles. Il se traduit la plupart du temps par des difficultés pour la personne à se déplacer, à s’exprimer, à comprendre ou de se faire comprendre de son entourage. Le handicap est en fait une notion complexe, résultant d’une cascade d’événements non exclusivement liés à la personne atteinte.
Les maladies en particulier chroniques sont souvent sources de déficiences (Figure 1). Le terme « déficience » désigne les anomalies organiques ou fonctionnelles temporaires ou permanentes par rapport à une certaine norme biomédicale. Les déficiences sont sources de limitations fonctionnelles, conduisant à des incapacités à exercer une action ou une activité. Dans cette situation, soit du fait d’une inadaptation de l’environnement matériel ou par un rejet social, soit du fait de l’inadaptation de la personne au milieu dans lequel elle vit, par son renoncement à s’adapter, des restrictions apparaissent dans les situations de la vie. Pour donner un exemple une personne avec une arthrose de hanche pourra vivre de façon relativement autonome dans un domicile de plain-pied, mais aura un grave handicap si elle habite au cinquième étage d’une maison sans ascenseur. Déficiences, incapacités, restrictions conduisent à des résultats différents selon le profil motivationnel d’une personne (Hazif-Thomas & Thomas, 2014). Certaines baissent les bras, d’autres cherchent et trouvent des solutions, tout est question de leur résilience (Hazif-Thomas & Thomas, 2014a).
Figure 1 : Complexité de la notion de handicap (Hazif-Thomas, C., & Thomas, P. (2014)
La dépendance ajoutée. L’exemple de la maladie d’Alzheimer
L'autonomie se définit par la capacité à se gouverner soi-même. Elle présuppose la capacité de jugement, c'est-à-dire la capacité de choisir, et la liberté un moment quelconque de pouvoir agir, accepter ou refuser quelque chose (agentivité) (Bandura, 1989). Cette notion ne peut donc être restreinte à une absence de dépendance.
La dépendance est l'impossibilité d'une personne à effectuer sans aide les activités simples et ordinaires de la vie. Les activités instrumentales de la vie quotidienne sont des composantes du comportement habituel des humains qui ne sont pas nécessaires à leur fonctionnement de base (par exemple, se servir du téléphone, gérer son argent). Elles permettent à chacun de vivre de manière autonome dans sa communauté. Elles sont les premières touchées dans la démence. Les actes de la vie quotidienne désignent les activités de la vie quotidienne ou les activités élémentaires qu'une personne est amenée à effectuer quotidiennement en réponse à ses besoins primaires (par exemple, s’habiller, faire sa toilette). Leur atteinte succède aux précédentes dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer.
Certains facteurs peuvent s’ajouter pour majorer une dépendance découlant des conséquences d’une maladie. Cette dépendance ajoutée (Philibert, 1983) peut être liée au refus de prendre le risque de vivre son autonomie, comme l’incapacité pour une personne âgée à fixer elle-même des règles pour sa conduite, réalisant une perte ou un interdit d’agentivité. Les causes peuvent être endogènes à la personne, en particulier lorsqu’elle est incapable de construire des stratégies face à une situation complexe, ou par la répétition des échecs. La dépendance ajoutée peut résulter encore d’une angoisse à entreprendre, le monde étend devenu trop complexe à affronter. Elle peut être d’origine exogène, résultant de l’absence d’encouragement, voire de mise en échec par ses aidants, le plus souvent involontairement (Thomas, Hazif-Thomas, Delagnes, Bonduelle, & Clement, 2007).
Peuvent être alors à l’œuvre, les images négatives renvoyées par l’entourage humain ou la société, dans la stigmatisation des personnes âgées, c’est-à-dire l’âgisme. La dépendance ajoutée peut encore être liée à un excès de prise en charge dans des domaines où la personne âgée est encore capable de réaliser quelque chose, ou elle peut enfin être reliée simplement à son impossibilité de comprendre et de se faire comprendre par les siens.
La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui touche principalement les personnes âgées. Les désordres portent sur la mémoire, en particulier des faits récents, les capacités langagières, le raisonnement et le jugement. La maladie prive la personne de ressources mnésiques. La pensée est en quelque sorte floutée par les troubles mnésiques. Pour saisir la réalité du monde, pour le comprendre, le fonctionnement cognitif est indispensable.
Il est nécessaire d’ajuster ses perceptions avec des données préalablement expérimentées, mémorisées, mais qui sont morcelées par la maladie. Envisager une action future est chaotique et renvoie, dans ce contexte, à des représentations internes de soi négatives, à des difficultés à se réaliser, à des plaisirs résiduels rares pour s’investir avec succès ou au déplaisir d’échouer dans ses engagements. L’aphasie empêche de mettre des mots sur ce qui est perçu, de les organiser de façon cohérente dans un discours intérieur permettant de mettre de la distance entre l’intention et le passage à l’acte (Hazif-Thomas & Thomas, 2017 ; Thomas & Hazif-Thomas, 2018). Le patient ne sait plus comment réagir. La conséquence est souvent une réponse comportementale inappropriée, en particulier l’impulsivité, parfois une agressivité (Thomas, Chandès, & Hazif-Thomas, 2017).
Les mots ne sont plus là pour partager sa détresse avec quelqu’un. Les troubles du comportement qui sont, en fait, une demande d’aide, sont incompris de l’entourage. Les familles, mais aussi les soignants lorsque les personnes sont en institution, ont plutôt tendance à encourager les personnes à rester calmes, car elles sont alors moins dérangeantes, mais ce qui les ancrent peu à peu dans la résignation, voire involontairement les encourage à régresser (Thomas, Vironneau, & Hazif-Thomas, 2015).
Une dépendance liée à l’entourage humain s’ajoute, liée au désengagement de la personne dans les actes de la vie quotidienne, ce qui est source des apprentissages, d’autant plus que la maladie les facilite déjà. Ainsi, peu à peu le malade dément apprend à renoncer. À la dépendance à l’environnement et aux autres qui résulte de l’évolution progressive de la maladie, s’ajoute celle d’une prise en charge maladroite.
L’angoisse est une autre source de dépendance ajoutée. La personne démente est désorientée et confuse. Elle ne maîtrise plus le monde qui l’entoure. De plus en plus perdue et perplexe, elle est souvent stressée dans des situations qu’autrefois elle gérait sans problème. Le stress conduit à l’inconfort de la douleur morale, qui altère encore plus ses capacités à gérer les situations, favorisant les échecs de ses entreprises, déjà bien mises à mal en raison des difficultés cognitives. Les échecs pèsent sur la capacité à entreprendre quelque chose de nouveau.
Si la dimension affective et émotionnelle persiste un temps dans la démence, alimentant des désirs, la personne malade perd la capacité de mettre en mot ce qu’elle vit, de poser les actes qui lui permettraient de les élaborer. La présence d’un désir de vouloir faire quelque chose et l’incapacité de le réaliser est un supplice de Tantale, source d’anxiété puis de dépression. La conscience de son incapacité et des échecs éventuels dans ce qu’elle entreprend minent la motivation à prendre le risque de s’engager. L’apathie finit par s’installer pour éviter les risques de développement d’une angoisse, mais elle conduit à une majoration de la dépendance du malade (Hazif-Thomas & Thomas, 2014). La personne démente fait de moins en moins par elle-même, s’appuyant de plus en plus sur son entourage alors qu’elle pourrait faire par seule.
La question de la résilience
La résilience est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique, se donner les moyens d’y faire face pour se reconstruire (Cyrulnik, 2005). Dans la démence, toute nouveauté peut être vécue comme un traumatisme. La résilience fait appel à des acquis psychologiques au cours de la vie depuis la prime enfance, en particulier pour pouvoir s’appuyer sur la confiance en soi et dans les autres.
Les pertes de mémoire de la maladie d’Alzheimer altèrent cette ressource (Hazif-Thomas &Thomas, 2014a). La résilience suppose encore la capacité d’analyser et de mettre en place les éléments pour répondre à une contrainte, impliquant donc confiance en soi, et mobilisation motivationnelle.
La résilience n’est pas une caractéristique stable de la personne, une sorte de statue taillée dans le marbre, immuable au fil des ans, mais plutôt une capacité qui se construit dans un processus continu, durant tout une vie, par l’interaction entre l’individu et son environnement (Vanistendael & LeComte, 2000).
La vision positive de soi des personnes âgées est volontiers écornée par le reflet qu’en donne la société qui n’encourage guère leur créativité. La fatigue et a fortiori l’épuisement, fréquent quand les années s’accumulent, les douleurs chroniques, les limitations fonctionnelles qui, faute d’aménagements environnementaux confinent au handicap sont autant de circonstances frustrantes, autant d’invitations répétitives à renoncer. Le désir de lutter, de se dépasser, la colère ou l’énervement pour l’aîné de se sentir mis de côté, finissent, par usure, devant le caractère vain de la lutte par laisser place à un renoncement amer et à une résignation sur-apprise. La démotivation défavorise la résilience (Hazif-Thomas & Thomas, 2014a).
L’agentivité
Le Code civil français va être modifié d'ici le début de l'année 2019. Les personnes majeures sous tutelle, 310 000 en France, auront à l'avenir un droit de vote inaliénable et pourront aussi se marier, se pacser et divorcer. Cette mesure permettra de "remettre les personnes handicapées dans la citoyenneté", explique récemment Sophie Cluzel, la secrétaire d'État aux Personnes handicapées. Ceci est un exemple de l’agentivité appliquée au domaine du handicap et des personnes âgées vulnérables.
L’agentivité (Agency, en anglais) est une propriété intrinsèque de l’être humain et peut se définir comme sa capacité et sa qualité d’être agent, de produire un effet sur le réel, plutôt que de subir l’action. L’agentivité est encore générative, renvoyant à la faculté d’agir de façon autonome et différente d’une pré-programmation, de se déterminer de façon indépendante de tout ce qui aurait pu conditionner un agir (Bickel & Hugentobler, 2018).
Des facteurs favorisent ou, au contraire, entravent l’agentivité. En particulier, les croyances personnelles (non nécessairement religieuses) ont un rôle bénéfique. La confiance dans l’entourage, dans la possibilité de s’en sortir malgré les difficultés, le regard positif sur le futur même lorsque l’âge est très avancé, influent sur la qualité de vie perçue par les personnes âgées et très âgées. Leurs convictions dans leur capacité à organiser leur vie malgré les contraintes, à anticiper le futur, n’est donc pas toujours différentes de celles de personnes âgées plus jeunes, ce malgré le très grand âge (Jopp, Lampraki, & Meystre, 2018). Cet état d’esprit est moins dépendant des réalités objectives (présence de maladies chroniques, de handicaps divers) qu’on pourrait le penser, et pourrait constituer un élément favorisant la longévité.
Les ressources psychologiques internes jouent un grand rôle dans la qualité de vie subjective des personnes âgées, et elles participent à la résilience dans les aléas du quotidien. Ces éléments sont même primordiaux si l’on en juge les études sur les centenaires (Jopp et al., 2018). Les croyances ne sont pas, bien sûr, les seuls facteurs qui interviennent dans le bon vieillissement, l’activité physique, les relations interpersonnelles, le parcours de vie influencent la qualité du vieillissement. Il ne faut pas les perdre de vue, car essentiels si l’on veut développer des méthodes d’empowerment, c’est-à-dire de facilitation de l’agentivité, et mettre à l’écart le disempowerment, les entraves à la liberté personnelle d’agir, tout ce qui est discrimination, bien sûr active, mais aussi implicite, cachée et inavouée, dont sont victimes les personnes vulnérables, en particulier âgées (Bickel & Hugentobler, 2018).
Conclusions
Derrière toute catégorisation pointe un danger, la porte ouverte à la stigmatisation, forme déguisée d’un pouvoir sur autrui et source de blessures morales pour celui ou celle qui est catégorisé.e, qui voit son identité reflétée par la société réduite à quelques caractères ou qualités qu’on veut bien lui attribuer, et qu’il ou qu’elle n’a certainement pas choisis d’exposer.
Catégoriser, c’est simplifier la vision de la personne humaine, et le rasoir d'Ockham peut couper là où on ne veut pas, car ça fait mal ; c’est stabiliser la situation du moment telle qu’elle est perçue, non par soi-même mais par un tiers, c’est-à-dire faire rentrer la personne âgée dans un schéma de vie non désiré, cristallisant ce qui pourrait pourtant évoluer, et c’est enfin se permettre, comme l’a écrit Kant, d’interpréter le sens des choses, jusqu’à parfois en faire une caricature de la réalité (Kant, 2000 (1790)).
Bien sûr, tout cela est implicite, car tous les discours officiels aujourd’hui portent sur la nécessité de construire dans le futur une société inclusive. Reste à savoir si nous sommes devant un effet de langage (rhétorique) ou sur la pente d’une réalisation effective (pragmatique). Avant de classer les individus, pour mieux nous en détourner, peut-être faudrait-il se rapprocher de l’idée d’une fraternité de devenir, d’une humanité partagée (Amyot, 2019).