Le repas, « théâtre du vivre ensemble » ? Time of meal, a "living together" ?

François BERGER 

https://doi.org/10.25965/trahs.4221

Pour un convive accompagné en établissement médico-social, le repas n’est peut-être pas si attendu que nous le pensons. Souvent standardisé, répondant à des normes contradictoires, il réduit parfois l’individu à une somme de pertes et déficits à renutrir.
En nous intéressant au repas sous un angle « plaisir et santé », nous voulons démontrer que l’injonction du « bon repas » revêt une dimension technique qui ne fait pas sens pour tout le monde. Penser le repas sous l’angle du « moment » permet d’interroger, bien plus que la technique, les conditions solidaires humaines, dignes et responsables du vivre ensemble.
Si nourrir revêt un caractère vital, se « restaurer » relève bien d’une fonction culturelle. Chacun de nous est marqué par des souvenirs autour du repas. Chaque bouchée est une émotion qui éveille les sens. Mais alors qu’est-ce que manger lorsque l’on avance en âge et que les sens perdent peu à peu de leur acuité ? « Vieillir c’est remanier son rapport au monde* » M.Billé.
Dans ce rapport au monde, l’histoire, l’éducation, la culture se rejouent et s’entrechoquent.
Se mettre à table peut devenir un choc culturel et la salle à manger un théâtre…de conflits. Dans cette comédie quotidienne se mêlent jeux d’acteurs et de rôles.
Nous suggérons une nouvelle dynamique : humaine, technique, managériale. Elle se construit collectivement autour de l’interrogation des valeurs qui nous fondent à agir dans une action cohérente, coordonnée, solidaire et responsable.

The meal may not be as expected as we think for someone living in a nursing home or more generally in a medical environnement. Because of a great amount of contradictory standards, having a meal might reduce people to a sum of losses and deficits. The guest... object of care.
By focusing on the meal from a "pleasure and health" angle, we want to demonstrate that the injunction of the "good meal" has a technical dimension that does not make sense for everyone. Thinking about the meal from the angle of the "moment" makes it possible to question, much more than the technique, the conditions of human solidarity, dignified and responsible for living together.
Our communication will be organized in 3 stages.
If nourishing is vital, "eating" is indeed a cultural function. Each of us is marked by memories around the meal. Every bite is an emotion that awakens the senses.
But then what does eating mean when getting older and when senses gradually lose their acuity ? "To grow old is to reshuffle one's relationship with the world*" M.Billé.
In this report history, education and culture are at stake.
Getting to the table can become a culture shock and the dining room a conflict zone. In this daily comedy are mixed actors and roles. We suggest a new dynamic : human, technical, managerial. It is built collectively around the questioning of the values that underpin us to act in a coherent, coordinated, solidarity-based and responsible action.

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Pour un convive accompagné en établissement médico-social, le repas n’est peut-être pas si attendu que nous le pensons. Souvent standardisé, répondant à des normes contradictoires, il réduit parfois l’individu à une somme de pertes et déficits « à renutrir ». C’est un convive « objet de soins » plus que « sujet de droits ».

En nous intéressant au repas sous un angle « plaisir et santé », nous voulons démontrer que l’injonction du « bon repas » revêt une dimension technique qui ne fait pas sens pour tout le monde. Penser le repas sous l’angle du « moment » permet d’interroger, bien plus que la technique, les conditions solidaires, humaines, dignes et responsables du vivre ensemble.

Si se nourrir revêt un caractère vital, se « restaurer » relève bien d’une fonction culturelle. Chacun de nous est marqué par des souvenirs autour du repas. Chaque bouchée est une émotion qui éveille les sens. Mais alors qu’est-ce manger lorsque l’on avance en âge et que les sens perdent peu à peu de leur acuité ? Pour Michel Billé, sociologue, « Vieillir c’est remanier son rapport au monde » et, dans ce rapport se jouent l’histoire, l’éducation, la culture. Or, se mettre à table peut devenir un choc culturel et la salle à manger un théâtre…de conflits. Dans cette comédie quotidienne se mêlent jeux d’acteurs et de rôles.

Chez Nutri-Culture, nous suggérons une nouvelle dynamique : humaine, technique, managériale. Elle se construit collectivement autour de l’interrogation des valeurs qui nous fondent à agir dans une action cohérente, coordonnée, solidaire et responsable.

Pour beaucoup d’entre nous, le repas est un moment de partage, de plaisir, de convivialité, attendu par tous. Mais qu’en est-il pour une personne avançant en âge, quand la majeure partie des personnes accueillies souffre de troubles cumulés d’orientation, de basse vision, de préhension, de mastication, de déglutition, avec un fort risque de dénutrition ?

Dans un premier temps, il est intéressant de repenser, la place, le rôle et la fonction du repas au cœur même de nos sociétés.

Il n’est pas si loin le temps où en bout de table, le patriarche ouvrait son couteau et permettait à chacun de commencer à consommer le repas préparé par la maîtresse de maison, alors que refermant cet ustensile de poche indispensable, il signifiait à la tablée qu’il était temps de reprendre d’autres activités.

Note de bas de page 1 :

Nous avons rencontré, il y a encore quelques années, des éleveurs n’ayant goûté la viande de bœuf que très tardivement dans leur vie.

Note de bas de page 2 :

Flexitarien : mode d’alimentation principalement végétarien mais incluant occasionnellement de la viande ou du poisson (Larousse, 2018).

Les repas des villes et les repas de la campagne n’étaient pas les mêmes. Dans nos contrées limousines, le bœuf était élevé pour être vendu, pas pour être consommé par ceux qui les élevaient1. Les viandes de lapin, de poulet ou de porc étaient prioritairement consommées. Nos aînés vivaient avec naturel ce que l’on nomme aujourd’hui un choix « flexitarien »2. Au gré des saisons, ils mangeaient ce que la nature, les cultures et les conserves pouvaient offrir. Pas de viande à tous les repas et pas tous les jours. Lorsque la nature proposait des haricots verts, il y en avait à tous les repas, comme les tomates et autres légumes ou fruits estivaux. L’hiver en revanche, pommes de terre et légumineuses complétaient les potages épais.

Le revêt est aussi le reflet de traditions régionales et culturelles.

Choucroute en Alsace, Paëlla en Espagne, Cassoulet toulousain, chili con carne en Amérique du Sud, il existe une multitude de plats représentatifs d’une culture et offrant des apports nutritionnels nécessaires (y compris dans la combinaison céréales / légumineuses) aux individus. Durant des siècles, la population mondiale a consommé environ 200 aliments de base contre plusieurs centaines de milliers de produits agroalimentaires aujourd’hui. De quoi parfois s’y perdre.

Si diversifier l’alimentation pour lutter contre la dénutrition est un crédo légitime sur lequel se fondent les lois ou recommandations, chez Nutri-Culture, nous pensons qu’il est préférable de promouvoir une alimentation plaisir et santé responsable et cela, quelles que soient les facultés de chacun.

Selon Michel Billé, « Le vocabulaire que j’emploie conditionne ma manière d’être et d’agir » ou d’interagir…En effet, le repas, la cène, est avant tout un théâtre de partage, de rencontre, de communion. Aussi, chacun y a une place, y compris le pauvre ou vagabond pour lequel un couvert est dressé… au cas où.

Jusqu’aux années 90, les temps alloués à la préparation puis à la consommation du repas étaient importants. Nous sommes ainsi passés d’un repas « entrée, plat, fromage, salade et dessert », à un « plat dessert » puis régulièrement à un plat consommé debout, sans réellement s’arrêter de travailler, le « fast-fooding ». Accordant de moins en moins de temps à la cuisine, nous lui préférons la boîte de nouilles déjà cuites. Dans ces conditions, le repas n’est plus un moment de partage et de convivialité ; il est un temps dont nous nous débarrassons ayant mieux à faire ailleurs.

Dans le « théâtre » du vivre ensemble que représente un établissement, avec pour objectif l’accompagnement de l’avancée en âge, se rencontrent les plus jeunes stagiaires, 16 ans, bien conditionnés par le fast-food et les plus anciens résidents, plus de 100 ans, ayant travaillé dur pour produire leur nourriture. Qu’ont-ils en commun ? Jouent-ils vraiment la même pièce ?

Pour le professeur de psychologie interculturelle Patrick Denoux, dans son ouvrage « Pourquoi cette peur au ventre ? », le repas est une véritable construction multiculturelle reposant sur des systèmes de valeurs :

  • Le premier est le repas culturel partagé, convivial, lors duquel nous allons consommer ensemble et échanger autour d’un pot-au-feu, d’un cassoulet et autres choucroutes selon sa région (identité).

  • Le deuxième est le repas perçu comme la somme des calories, lipides, glucides et protides ingérés, pour un repas diététique et sanitairement irréprochable.

  • Le troisième est un repas standardisé de Moscou à Paris, de Londres à Dubaï. Plusieurs chaînes proposent le même plat, le même marketing, etc… gommant ainsi les différences.

  • Le quatrième consiste à composer avec l’ensemble des 3 premiers pour obtenir une approche sociale, technique multiculturelle d’un repas partagé ET consommé.

Le repas est donc une construction sociale très normée faisant référence à des codes, des rites et à une éducation.

Note de bas de page 3 :

Virginie Van Wymelbeke, docteur ès Sciences spécialité Nutrition, chercheur au Centre Hospitalier Universitaire de Dijon et Claire Sulmont Rossé directrice de recherche au centre des Sciences du goût et de l’alimentation, AgropSup Dijon, CNRS, INRA, Université Franche -Comté.

Les travaux menés par le projet Aupalesens (ANR-09-ALIA-011) montrent une nécessaire dimension hédoniste du repas et surtout, une vision tridimensionnelle. Selon Claire Sulmont Rossé et Virginie Van Wylmelbeke3, trois composantes caractérisent la prise alimentaire ayant un effet sur le statut nutritionnel : un repas de qualité, riche en nutriments, une belle assiette et un contexte psycho-affectif favorable.

En nous appuyant sur leurs travaux, nous comprenons qu’une personne face à une belle assiette, aux apports mesurés mais en insécurité ou algique, pourrait ne pas assimiler la totalité des apports. D’après nos observations, un nouveau convive qui entre en salle de restaurant dans un EHPAD, est en état de choc culturel. Il est « l’étranger » pour les personnes déjà présentes et tout ce qu’il voit lui est étranger. L’environnement, la table, les couverts et assiettes, les regards posés sur lui, les bruits environnants, tout lui est inconnu. Si le repas est un théâtre, il est ici celui des générations, des cultures, des croyances, des confessions, des représentations et des injonctions qui, chaque jour, se croisent et s’entrechoquent, particulièrement en établissement. Aussi, les dimensions rassurantes et sécurisantes indispensables à une prise alimentaire sécurisée ne sont évidemment pas présentes.

Il nous semble indispensable de pouvoir aborder la question du repas et du vivre ensemble sous l’angle de la psychologie et de la complexité.

Bien vivre, bien manger, bien vieillir sont des injonctions sociales et sociétales revêtant un caractère particulier dans une dimension immédiate. Traiter en EHPAD cette question nécessite de s’arrêter sur les relations en établissement pour personnes âgées, sous l’angle de la psychologie du contact culturel. En effet, dans les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, c’est (trop) souvent l’état de santé et la dégradation des facultés physiques ou mentales qui sont à l’origine de l’entrée d’une personne dans une structure. De ce fait, l’aspect le plus important, à savoir l’inscription d’un sujet dans une communauté, n’est pas toujours pris en compte.

La culture professionnelle, le milieu social d’origine, les religions, les croyances, les régimes ou habitudes alimentaires, la langue (dialecte ou patois…), sont autant de facteurs difficiles à conjuguer, conduisant certaines personnes à l’exclusion ou à la marginalisation. Ainsi, lorsque sont évoqués les souvenirs ou projections d’un bon repas, il est commun de parler d’une belle assiette, préparée par un bon chef. Ce sont pourtant des facteurs très limitants en termes de communication car le beau, le bon, le bien ne sont-ils pas très subjectifs ?

Concrètement, un établissement d’accueil et d’accompagnement pour personnes âgées est composé de plusieurs métiers. Les dimensions médicales, paramédicales, sociales, économiques, environnementales, éthiques, biologiques, techniques, biomécaniques, sociologiques, etc. entrent en conflit de valeurs et de sens pour chaque résident, mais également pour chaque professionnel.

Les interactions ne vont pas de soi et ne se décrètent pas. Elles ne s’imposent pas, doivent se travailler et faire l’objet d’une réflexion de fond permettant d’interroger les valeurs communes et leurs déclinaisons. Non, le bon sens n’est pas automatique ni systématique. Il est tout au plus fantasmatique.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, se jouent alors des jeux d’acteurs, des jeux d’action, où des professionnels revêtent des costumes (tenue d’agent ou d’infirmier, costume de directeur, etc.), pour tenir leur rôle. Ce dernier est un ensemble de conduites normées dictées par la fonction.

Les points sur lesquels il nous semble important d’insister sont ceux relevant de la nécessaire acceptation de la complexité. Selon Edgar Morin, « c’est parce que les hommes refusent la complexité naturelle des choses qu’ils font naître les complications ». Il faut beaucoup de philosophie pour penser un cadre de vie, non pour soi, mais pour autrui et évaluer ses capacités à déployer le cadre légal imposé. Chaque structure médico-sociale a une identité particulière et affirme des valeurs. Chaque professionnel vient quotidiennement rejouer, en interaction avec l’ensemble des êtres et cultures autour de lui, sa partition professionnelle mais également personnelle. Cette partition devrait être interrogée sur un point fondamental : comment est-ce que je reconnais, pour autrui, les valeurs affichées par l’institution, que je dois incarner ? Comment être un professionnel au-delà d’une série d’actes techniques ?

Suivant une formation de psycho gérontologie en 2006, je rédigeais sous la direction du Pr Patrick Denoux, un mémoire sur la capacité d’un EHPAD à proposer des accueils de jour facilitant, ou non, l’intégration des bénéficiaires. Cela posait nécessairement la question du contact culturel dans ce lieu.

Une personne accueillie en établissement est, avant tout, un citoyen que nous devons nous refuser de réduire à la somme de ses pertes et déficits. Nous ne plaçons pas en EHPAD, une personne âgée dépendante à risque de dénutrition, incontinente et probablement désorientée. Nous accueillons et avons le devoir de prendre soin, quelles que soient ses facultés, un citoyen auquel nous devons la reconnaissance, en toutes circonstances, même les plus dégradées de son humanité, de sa dignité et ce de façon solidaire.

L’approche interculturelle nous permet de nous référer à un schéma d‘analyse des interactions entre l’ensemble des individus et des processus (relationnels, groupaux, culturels…). L’acculturation relève de plusieurs phénomènes se produisant lorsque différents groupes sont en contact prolongé. Il pourra naitre de ce contact une nouvelle culture, à l’intersection de toutes celles observées.

Par exemple : Un résident auvergnat est accueilli dans un établissement, sur son bassin de vie. Demandant de la salade, il recevra une vinaigrette conçue par un « super chef » cuisinier arrivant du sud de la France. Moutarde, huile d’olive, vinaigre balsamique, sauce soja sont les composantes principales de l’assaisonnement de la roquette servie.

L’orthophoniste précise ce jour-là que la roquette est dangereuse pour les personnes âgées, elle peut en effet rester colée sur les muqueuses. Le résident nouvellement arrivé ne mange d’habitude que des cœurs de laitue avec du vinaigre de vin provenant de son propre vinaigrier et d’une huile végétale neutre. La salade demandée et servie deviendra objet de tous les conflits car en plus d’être source de risque d’étouffement, elle est noire (sauce soja) et n’a pas la saveur de celle consommée ces 80 dernières années. Cependant, à force de goûter différentes saveurs et modalités d’assaisonnement, ce résident acceptera peu à peu de découvrir les spécialités proposées.

Les étapes pourraient être celles du deuil.

Choc : qu’est-ce que cette vinaigrette noire ! le résident est sidéré.
Déni : Ce n’est pas possible, ne me dites pas qu’il existe des vinaigrettes de la couleur du charbon !
Colère : Ecoutez, je préfère revenir dans mon logement, j’en ai assez vu pour aujourd’hui.
Dévalorisation : Quelle catégorie de cuisinier peut bien faire de pareilles vinaigrettes ? Je n’ai pas choisi de venir ici, pour manger cela ! Pour qui me prend-on ?
Regret : Si seulement je pouvais être chez moi avec ma défunte Simone.
Acceptation : (quelques temps après…) Elle n’est pas si mauvaise cette vinaigrette…
Pardon : je regrette d’avoir jugé si vite, il est doué le petit en cuisine !

Le contact culturel entre résidents, professionnels et les interactions avec les habitudes ou cultures de références ne coulent pas de source.

De plus, promettre un accueil, un accompagnement et des repas de qualité sans interroger le résultat attendu par le convive et faisable pour le professionnel risque de générer ce type de comportement. Le contact culturel peut être négatif et c’est aux professionnels d’adapter leurs cultures de références afin de faciliter l’intégration de résidents qui retrouveront dans les pratiques leurs cultures initiales, tout en acceptant d’en découvrir de nouvelles.

Nous avons souvent entendu de futurs résidents dire l’importance de la soupe pour eux. Une soupe habituellement consommée avec des morceaux et servie désormais mixée produire les mêmes décalages et refus.

Dans la situation qui nous intéresse, le contact continu se fait entre plusieurs groupes : ceux des résidents, ceux des différents corps de métier, les familles, les autorités de contrôle et la société tout entière dans de multiples interactions permanentes.

Un EHPAD et l’ensemble des individus le caractérisant font, ou non, société et sont bien dans le processus décrit. L’intégration, l’assimilation, ainsi que la séparation et la marginalisation font partie des modèles d’acculturation de Berry.

Lors de l’arrivée d’un résident en EHPAD, plusieurs bouleversements seront observés / subis :

1° Sur un plan physique : nouvel habitat, nouveau milieu de vie, « logement ou chambre exiguë » …

2° Sur un plan biologique : les façons de s’alimenter sont différentes, les conséquences de l’évolution polypathologique ou métabolique influent sur la capacité d’assimilation, il peut y avoir de nouvelles souches de microbes et donc de maladies ou d’infections (bactéries multi-résistantes…),

3° Sur un plan politique : la vie en institution entraîne des nouvelles règles imposées et donc engendre une perte d’autonomie,

4° Sur un plan économique : la mise sous tutelle, curatelle, l’obligation, dans le cadre de l’aide sociale de faire état de ses revenus, de son patrimoine et dans beaucoup de cas, le fait de donner la quasi-totalité de sa retraite pour payer la pension modifient totalement sa façon de gérer son budget, en générant une forme de dépendance souvent mal vécue et une culpabilité vis-à-vis des enfants auxquels nous ne léguerons rien…

5° Sur un plan culturel : les modes de vie sont différents, les règles sont celles de la collectivité et de l’institution, donc, d’une culture dominante,

6° Sur un plan social : il faut créer des liens, recréer un réseau de relations…

7° Sur un plan psychologique : il peut y avoir des confrontations au niveau des valeurs, des attitudes et de l’identité elle-même pouvant générer à la fois un stress d’acculturation et/ou une confusion identitaire.

En partant du principe que dans toutes sociétés multiculturelles, toutes personnes ou groupes de personnes ont le choix entre la conservation, le développement de leur propre culture, ou l’instauration de liens (Berry et Kim) ont donc proposé un modèle d’acculturation autour de deux questions majeures :

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

Est-il important de préserver son identité ?

X

X

X

X

Faut-il maintenir les relations avec d’autres groupes ?

X

X

X

X

Intégration

Assimilation

Séparation

Marginalisation

Si nous nous référons à ces modèles pour analyser ce qu’est le théâtre du vivre ensemble, cela suppose que différentes notions soient préalablement identifiées, définies, réfléchies, puis construites avec l’ensemble des parties prenantes.

Lorsqu’un sujet de droit arrive dans une organisation, il a déjà vécu de très nombreuses années. Il a un statut social, joue des rôles sociaux depuis l’âge adulte. Il est chef de famille, artisan, entrepreneur, pêcheur, jardinier, bon cuisinier, … Finalement, nous ne savons pas grand-chose de la personne qui arrive si nous ne prenons pas le temps de nous y intéresser. En revanche, nous savons qu’il est âgé et qu’il faut lutter contre la dénutrition par la diversification d’une alimentation qui produit par ailleurs d’autres types de gaspillages si nous n’y prenons pas garde. Nous y reviendrons plus tard.

En imposant un cadre de prise de repas, par exemple la salle de restaurant d’un EHPAD sous prétexte que la socialisation est un objectif, voire un impératif dans le projet de la structure, nous affichons un déni véritable du droit à l’autonomie « Auto nomos ». Le résident doit pouvoir exercer son libre choix sur l’ensemble des dimensions quotidiennes.

Arrivant en établissement, souvent en état de choc, après une rupture, un deuil, un épisode pathologique, une hospitalisation, etc. le résident vient de perdre son conjoint, de quitter son logement, s’interroge sur le devenir de ses terres, sur le lieu de vie de son animal de compagnie, n’a plus son fauteuil, face à sa cheminée, dans son environnement, celui qu’il a construit de ses mains il y a 60 ans.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, la question du repas devient alors un excellent analyseur de l’institution tout entière.

Pour le directeur, appliquant des références pléthoriques (lois, décrets, circulaires, règlements, recommandations de bonnes pratiques, contrats pluriannuels d’objectifs avec ou sans moyens), le repas c’est d’abord une belle salle de restaurant, celle que l’on est fier de montrer aux autorités, aux familles ou à la presse. Celle qui permettra plus facilement de recruter un personnel retrouvant ses repères grâce à la modernité des mobiliers, des éclairages, des couverts et de tout un environnement.

Dans l’hypothèse où nous nous adaptons aux caractéristiques des convives, une table nue reçoit un antidérapant facilitant la prise du repas pour une personne dyspraxique. A contrario, si le choix du « Beau » prédomine, l’antidérapant ne pourra être installé du fait de la présence d’un nappage. Le « Beau » devient alors l’ennemi du bien, de l’utile et de l’autonomie…il pourra même aller jusqu’à produire la dénutrition et la disqualification contre laquelle nous sommes censés lutter.

Pour le médecin, un bon repas doit permettre de limiter la fonte de la masse musculaire, avec une baisse de la tonicité consécutive à une sous nutrition protéino-énergétique aux conséquences dramatiquement coûteuses, tant pour le confort de vie que pour l’ampleur des soins. Mais pour qu’il y ait un effet sur la santé, le repas ne doit pas être uniquement « beau et bon », il doit être consommé et les ingestas, mesurés… Cependant qui s’en charge ? Selon quelles règles et quelles méthodes ?

Pour l’infirmière, un bon repas commencera toujours par une organisation dans une salle de restaurant permettant, en un même espace, de distribuer plus facilement les médicaments et de limiter le risque d’erreur ou d’oubli. Mais que produisent les médicaments sur le goût ? Sur la capacité de déglutition ? Sur l’assimilation ? Si la dopamine doit impérativement être donnée 30 mn avant de mobiliser une personne victime de la maladie de Parkinson, qu’en est-il des antiépileptiques astringents ?

Pour la diététicienne, un bon repas, ce sont des menus diversifiés avec des apports riches, respectant le cadre réglementaire et de recommandations imposés. Mais doit-on servir chaque fois des légumes à des personnes diabétiques qui refusent de les manger ? Qui prend la décision de faire évoluer la pratique ? Quel processus d’interrogation et de résolution des problématiques est proposé et mis en œuvre ? Trop souvent, diététicienne et cuisinier sont victimes de la règle. Application aux conséquences coûteuses… car si pour un établissement de 100 résidents, la moitié de la production de 100 grammes de légumes par personne est jetée, cela revient à acheter, stocker, servir, collecter, jeter et payer une taxe sur le poids de la poubelle pour 1 tonne 825 de légumes gaspillés par an.

Pas de coupable mais des pratiques à refonder.

Pour les équipes au service, parfois en difficulté, un bon repas est un repas calme, des résidents qui ne se lèvent pas trop de table, une salle suffisamment grande pour pouvoir mettre le couvert, servir ou débarrasser grâce au passage des chariots. Mais a-t-on pris le soin de leur expliquer lors de leur recrutement ce qu’est un bon repas, ce que sont les caractéristiques des convives et sur quoi ils seront évalués comme « bons professionnels » ?

Pour le cuisinier, un bon repas, ce sont des assiettes revenant vides, des résidents contents, le retour positif des équipes. Cependant, lorsque le cuisinier fait cuire à basse température une viande blanche pour en faciliter la mastication et la déglutition, il essuie trop souvent les commentaires et refus des convives et équipes sur la non-conformité du produit à la représentation de ce que doit être, dans une construction sociale très standardisée, une viande sautée, grillée, marquée, colorée… qui peut juger ou évaluer quoi ?

Pour l’autorité de contrôle, un bon repas, c’est une responsabilité sociale, économique et sociétale, avec des coûts maîtrisés, des achats en filière de proximité, peu de gaspillages, une diminution des chutes et des hospitalisations.

Pour la société tout entière, un bon repas c’est celui que nous aimerions prendre, confectionné par un grand chef, dans des assiettes magnifiquement décorées. Mais que faire alors lorsque les lois, décrets, circulaires et recommandations se contredisent ? En quel espace tout cela peut-il être débattu ? Que faire des rapports de force générés par ces décalages ?

Dans ce théâtre du vivre ensemble, quelle est la place du résident ?

Occupe-t-il la place qui lui revient ou la place qu’on lui laisse ? Est-il le principal acteur ou simple spectateur ? Paye-t-il sa place en première loge ou lui propose-t-on seulement l’accès au dernier balcon… ?

Une personne entrant dans un établissement d’accompagnement est un être de culture, un citoyen, mais c’est aussi un individu subissant les affres du temps. Nous savons que la majeure partie des personnes âgée refuse d’entrer en EHPAD. Ceux qui entrent n’ont pas forcément donné leur consentement, et s’ils l’ont donné, il n’est pas toujours éclairé.

Nos aînés cumulent des troubles d’orientation (spatio-temporels), de préhension (troubles praxiques, motricité fine et tonicité), de basse vision (au moins la moitié des personnes âgées a une acuité visuelle d’environ 3/10).

Note de bas de page 4 :

Marcenes W., Steele JG., Sheiham A., Walls AW. The relationship between dental status, food selection, nutrient intake, nutritional status, and body mass index in older people. Cad. Saude Publica. 2003; 19: 809-1
Folliguet M., Veille-Finet A., Tavernier JC., Charru P., Salomon L. Dental and nutritional status of long-term care institutionalised old adults Age & Nutrition, 2004 ;15: 84-89
Bailey RL., Ledikiwe JH., Smiciklas-Wright H and al. Persistent oral health problems associated with comorbidity and impaired diet quality in older adults.
J. Am.Med. Diet. Assoc. 2004; 104:1273-76

Des troubles de mastication compliquent le repas (pour croquer il faut des dents bien chaussées, de la force, de l’énergie, de la salive, et pour former un bol alimentaire, il faut une langue maîtrisée). Selon plusieurs études4 un nombre important de personnes âgées a moins de 10 dents résiduelles efficaces en bouche. Les appareils dentaires sont douloureux dans la majeure partie des cas (réticulation de la mâchoire et fonte de la masse musculaire donc diminution de la langue). Le vieillissement des glandes salivaires, les maladies neuro-évolutives invalidantes rendent complexes la maîtrise de la langue, la formation du bol alimentaire et la déglutition. Souffrant régulièrement de dysphagie (impossibilité de déglutir), la quasi-totalité de nos seniors / convives n’apprécie pas le repas servi.

Le contexte psycho-affectif y est aussi pour beaucoup.

Dans une salle trop bruyante, souvent trop lumineuse pour des personnes atteintes de basse vision, un repas est proposé dans un temps contraint, celui de l’organisation et du droit du travail, avec une exigence correspondant aux critères et caractéristiques de la gastronomie, cette dernière n’ayant rien à voir avec les facultés de nos résidents.

Quoi que…

L’étymologie de la gastronomie « Gaster-Nomos » ou étudier les Lois de la digestion chez le sujet âgé nous incite à faire référence aux travaux du Dr Michel Chabert sur l’importance de la phase céphalique (cf. article sur le site www.nutri-culture.com ). Quotidiennement, le résident doit subir des assiettes trop chargées, une lumière trop importante, trop de bruits, trop de mouvements, trop d’injonctions, trop de douleurs pour porter la fourchette à la bouche ou pour rester assis de l’entrée au dessert, dans un contexte qui n’a rien de socialisant. Chaque jour, en salle de restaurant, un résident renvoie à l’autre l’image du pire état dans lequel il pourrait se trouver.

Si le théâtre du vivre ensemble a pour seul objectif de promouvoir la gastronomie et d’offrir un repas bon et convivial, il semblerait que le repas ne soit pas apprécié par tout le monde. Il est même fui par certains, y compris des professionnels qui se sentent démunis et impuissants.

Que dire de Madame Durand, coquette, ayant toute sa vie portée de jolis chemisiers parfaitement repassés. Qu’en est-il de sa dignité lorsqu’entrant en EHPAD, victime d’un accident vasculaire cérébral et d’une paralysie, elle est quotidiennement affublée d’un T-shirt et d’un bas de survêtement, par commodité pour masquer son change complet ? Qu’en est-il de sa dignité lorsqu’avec une impossibilité d’étanchéité labiale (fermer la bouche) elle sent couler chaque bouchée qui vient maculer ce T-shirt qu’elle déteste tant ? Sommes-nous bien sûrs qu’elle apprécie particulièrement ce moment ?

Dans ce théâtre du vivre ensemble, la question de l’image et de l’estime de soi ressemble fort à un contact culturel négatif.

Environ 70 % des résidents accueillis en EHPAD souffriraient de troubles neuro-évolutifs. Sommes-nous certains que pour les « hyperacousiques » le fond sonore diffusant chaque jour une radio différente est demandé et accepté par les résidents ? Sans parler de l’assèchement des muqueuses et l’affaiblissement des glandes salivaires qui rendent difficile l’identification des odeurs, saveurs et arômes.

Pour celles et ceux dont la mémoire défaille, descendre manger en salle à manger à midi, être installés face à des couverts de service alors que l’agnosie est présente, devoir se servir de couverts trop fins lorsque l’on a des problèmes praxiques, répondre favorablement aux sollicitations invitant à finir le repas lorsque qu’ils sont aphasiques et que la compréhension de tous ces mots mis bout à bout ne signifie rien pour eux. Tout cela ressemble plus à un théâtre de conflits qu’au théâtre du vivre ensemble.

La satisfaction devient alors le principal objectif à afficher pour justifier l’habilitation. A coup de normes, de standards, tout est organisé pour déterminer si les résidents sont contents.

Ainsi, nous constatons très souvent, - ne voyez ici aucun jugement de valeur-, un affichage de taux de satisfaction de l’ordre de 98 %, là où le médecin coordonnateur nous invite à constater 45 % de personnes dénutries et où le chef cuisinier relève 35 à 40 % de déchets.

Si nous observons l’augmentation du nombre de compléments nutritionnels oraux achetés, l’augmentation et la variation du pourcentage de personnes dénutries et hospitalisées, nous comprenons que tout cela n’a pas de sens, si les indicateurs restent monofaces.

Si le théâtre est bien celui du vivre ensemble, alors nous ne pouvons arriver avec des réponses préconçues à des problématiques sociales.

Dans un discours à la Fondation Nationale de Gérontologie, le 31 mai 1989, Théo Braun (Ministre délégué aux personnes âgées) rappelait que :

Outre la prise en charge médicale nécessaire, la plus grande attention doit être apportée à la satisfaction des besoins relationnels et affectifs des personnes âgées… Les soins techniques les plus perfectionnés ne viendront pas à bout des problèmes de santé quand la relégation sociale, morale et affective est présente.

La Loi n° 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale garantit que toute personne âgée dépendante garde la possibilité de choisir son mode de vie. Elle doit pouvoir profiter de l’autonomie offerte par ses capacités physiques et mentales, même au prix d’un certain risque.

Il y a, là, quelque-chose d’assez universel…

Voulant maîtriser cet ensemble de risques, les établissements se sont souvent trompés de cible et déploient malgré eux, une organisation non de la vie mais de la prévention des risques. Risque psychosocial, risque de stress, risque de chute, risque de dénutrition, risque d’iatrogénie médicamenteuse, risques bancaire et assuranciel, risque de crise, etc.

Garantir le respect des libertés fondamentales au premier rang desquels la liberté de choix et la liberté d’aller et venir, voilà les véritables enjeux d’une organisation responsable dont la mission première est de préserver l’autonomie. Lorsqu’appliquant des règles et normes souvent contraires et immorales, des établissements diversifient l’alimentation sans tenir compte des attentes exprimées des résidents, lorsque les quantités servies sont inadaptées aux capacités de mastication et qu’elles ont tendance à rebuter les convives, il y a un premier niveau de conflit entre le convive et le soignant au service.

En colère face à cette assiette non consommée, le soignant se retourne vers le cuisinier qui ne comprend pas car il a souvent fait de son mieux. Un deuxième niveau de conflit est généré entre le cuisinier et le soignant. Le cuisinier jette une partie de sa production. Il a acheté, stocké, produit, servi, récupéré puis gaspillé de la matière, du fluide, du temps, etc. En France, une taxe sur le poids de la poubelle est appliquée, générant un nouveau conflit entre le directeur et le cuisinier. Le résident expliquant à sa famille qu’il ne mange pas ce qu’il aime, entraînera un nouveau conflit entre la famille et le directeur. Les autorités seront alors saisies pour contrôler les dysfonctionnements, souvent du point de vue de la norme, pas de la question du sens…

En décomposant ces injonctions paradoxales, Nutri-Culture les a regroupées en trois catégories. Les gaspillages sont humains, techniques et managériaux. Ils concernent les dimensions économiques, sociales, médicales, environnementales, etc. La raison ? L’injonction paradoxale d’un prendre soin répondant uniquement à la représentation que nous avons des besoins du senior, bien plus qu’à l’interrogation de ses attentes, dans un système multiculturel complexe.

Chaque jour, des individus qui œuvrent en établissement (êtres de culture) travaillent sans tenir compte de leurs valeurs. Ils occupent une fonction (un métier) de manière souvent procédurée et parfois mécanique. Ils obtiennent un résultat qui n’est pas toujours celui attendu.

Comme le précise le sociologue Michel Billé, si nous travaillons sans tenir compte de nos valeurs, nous travaillons contre nos valeurs, ce qui nous invite à œuvrer contre nous-mêmes. Dans de nombreux échanges avec le professeur Patrick Denoux, spécialiste du contact culturel, celui-ci nous rappelle à quel point l’injonction paradoxale génère des décalages entre la qualité et la quantité, entre l’éthique et la norme, entre les êtres et des situations.

Face à ce constat, repéré dans de nombreux pays, Nutri-Culture propose réflexions et solutions qui loin d’être techniques, intègrent l’ensemble des dimensions précitées.

La méthode déployée par Nutri culture

Dans ce théâtre du vivre ensemble, il y a des solutions. Elles consistent à changer de costume, à modifier les interactions, les jeux de rôles et d’acteurs pour repenser, ensemble les principes éthiques d’action cohérents, coordonnés, consentis et évalués par les seuls experts du quotidien : les résidents eux-mêmes.

Redonnons-leur le 1er rôle.

Le professeur Patrick Denoux, à qui j’adresse toute ma reconnaissance et mes plus vifs remerciements, nous a accompagné lors de nos études et dans la mise en œuvre de nos actions. Tout comme Michel Billé avec qui nous collaborons continuellement et beaucoup d’autres personnes que nous avons eu la chance de rencontrer. Le Professeur Hirsch, spécialiste de la question éthique, nous a cité lors d’un colloque en présentant l’équipe de Nutri-Culture comme « des guerriers de l’ombre ». Tout comme beaucoup d’autres personnes, professionnels, aidants, aidés, que nous avons eu la chance de rencontrer.

Nous sommes des artisans, ayant pour objectif de réduire les écarts entre l’éthique et la norme, entre la qualité et la quantité en invitant l’ensemble des professionnels à faire un pas de côté.

Un objectif est fixé par les autorités de contrôle, par les résultats issus d’évaluations multiples. Cet objectif donne lieu à la construction d’un projet. Le projet nécessite d’avoir une vision du résultat que nous souhaitons atteindre. Ce résultat peut être décomposé en indicateurs attendus.

Qu’est-ce qu’un bon repas ? C’est un repas identifiable et identifié, consommable et consommé ayant un impact sur la satisfaction du résident, sur sa sécurité et bien évidemment sur sa santé. Rien ne sert de perdre beaucoup de temps et d’argent à décorer une assiette de carottes râpées avec citron, ciboulette et olives noires pour une personne agnosique, atteinte de basse vision et en déficit protéique qui n’a jamais mangé de crudité.

Qui peut prendre la décision de lui présenter son plat de résistance en même temps que les entrées pour les autres résidents ? Qui peut décider de servir rapidement un résident mal positionné, assis sur son sacrum et ne supportant plus la station assise au bout de 30 minutes ?

Répondre aux caractéristiques psychologiques, physiologiques, pathologiques, sociologiques, culturelles des résidents, c’est leur reconnaître solidairement ce droit à l’autonomie et leur dire qu’à nos yeux, ils sont humains, dignes, leur rappeler que nous leur proposons en toutes circonstances, un accompagnement juste et équitable…

C’est ce principe éthique d’action qui doit remplacer les jeux de rôle, de pouvoir dans le théâtre actuel des incohérences subies par tous.

La performance souvent attendue au sein des organisations ne peut passer que par la responsabilité sociale et la cohérence des objectifs, valeurs, moyens et résultats.

La compétence humaine, technique et managériale aussi bien des équipes que des cadres à leur service et des autorités de contrôle elles-mêmes, aux prises avec la question du sens, posera les solidarités sociétales indispensables à la naissance de changements en profondeur.

Un individu qui occupe une fonction est un être de valeurs. La fonction relève du savoir-faire. L’organisation attend de lui une posture et des résultats. Si cet ensemble est précisément défini, l’individu est reconnu en tant qu’être de valeurs, bon professionnel, ayant des résultats appréciés, alors la question de la motivation reste intacte. Subissant moins d’injonctions contraires et paradoxales permanentes, l’équipe peut ainsi s’agréger autour de valeurs répondant aux attentes, besoins, droits, goûts, dégoûts, cultures et habitudes de vie des résidents, Citoyens avant tout. Rappelons qu’ils sont « témoins d’hier et d’aujourd’hui, ils sont le passé au présent sans être nécessairement dépassés ». Jean Carette nous précise également dans ce livre L’âge dort ? que « Le 3ème âge ne peut être celui de l’attente, sereine et en tout cas stérile de la mort, il devient celui d’une participation indispensable et féconde aux grands mouvements de la vie collective » (Carette, 2000).

C’est ici que se trouve le théâtre solidaire du vivre ensemble.

Chez Nutri-Culture, nous créons des outils et méthodes pour faciliter la rencontre quotidienne entre les professionnels, les résidents et les familles. À l’image des systèmes de valeurs décrits par le professeur Denoux, nous pensons que la composition indispensable entre la règle, la norme, l’éthique, le sens, etc. doit être travaillée régulièrement au moyen d’une analyse transversale des pratiques. Cultures, prospectives, projets et solutions d’accompagnement sont présentés sur notre site www.nutri-culture.com . Vous y trouverez des informations et dossiers thématiques cofinancés et soutenus par AG2R la Mondiale, Malakoff-Humanis, la Région Nouvelle-Aquitaine, le Gérontopôle Nouvelle Aquitaine, le groupe AGRICA…

Nous pensons avant tout que le projet repose sur deux dimensions.

Le oui d’abord ! Un résident veut manger deux yaourts, c’est oui d’abord. Les questions logistiques et économiques seront traitées entre les professionnels. Le résident, acteur et non otage, ne doit pas subir les non-sens aberrants de règles économiques.

Le second impératif est le fait que chaque personne présente dans l’organisation doit se sentir concernée par la condition d’autrui. Plus qu’une action professionnelle, c’est une façon quotidienne d’être au monde avec les autres et en interaction, c’est une action sociale et un engagement, c’est un objectif stratégique et opérationnel conscient, permettant de guider les professionnels dans leur action en vue d’obtenir, plus que des résultats, une évolution collective des cultures, des pratiques, pour de justes postures.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, il n’y a souvent pas assez de répétition pour accorder les instruments, faire se rencontrer les acteurs et travailler sous la baguette d’un chef ayant suffisamment de latitude pour se mettre en émotion quotidiennement et s’engager, au service des résidents, des familles, mais aussi des équipes présentes.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, il y a un risque majeur de traiter la question multiculturelle par le refus, par l’injonction, par la dérive sanitariste et par la recherche systématique de coupables bancaires ou assuranciels qui seront facilement désignés.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, il y a un dedans et un dehors, ce qui se rejoue à l’intérieur, c’est la place qu’une société tout entière refuse à ses aînés, à l’extérieur. Dans une culture jeuniste de la performance, du tout urgent mondialisé, nous refusons aux Citoyens, seniors (jeunes depuis plus longtemps que nous dit Michel Billé) LEUR place, car ils nous font peur.

Nous avons peur de vieillir, nous avons peur de la maladie, nous avons peur de la dépendance, nous avons peur de la mort, alors nous allons les nutrir de façon protéino-énergétique adaptée, quantifiable, si possible, en texture modifiée pour, comme au théâtre, éviter les fausses notes et les fausses routes et ainsi se dégager de toute responsabilité, comme si la mort avait besoin d’un responsable ou d’un coupable.

Dans Vers la société sans père, Alexander Mitscherlich déclarait : « On voudrait vivre sans vieillir, alors on vieillit sans vivre » (1969). Laissons les résidents vivre ce qu’ils souhaitent et coordonnons nos efforts pour que le respect de la liberté d’être, d’aller, de choisir soit la base de toutes les formations continues en référence au savoir-être des professionnels et plus généralement des aidants.

Dans ce théâtre du vivre ensemble, nous avons à repenser collectivement les valeurs qui nous fondent à agir, nous avons à vaincre les représentations mortifères, improductives de la vieillesse et penser ensemble des formes d’intégration, dans le respect des individus, de leur culture, dans la valorisation des différences et expériences et la reconnaissance de chacun.

Nutri-Culture a souvent été considéré comme une organisation basée sur la nutrition. Il n’en est rien, nous voulons nourrir les cultures, les réflexions, les projets, les convives, offrir l’accès, pour tous, en toutes circonstances à un repas plaisir et santé solidaire, responsable, viable, vivable et durable.

Dans ce théâtre de la vie, nous vous invitons à partager ces réflexions pour grandir ensemble et nourrir des mouvements Citoyens, solidaires, au service de tous.

Venez nous rencontrer et faites-nous découvrir vos cultures, vos repas, ce seront certainement de nouvelles approches, d’exquises saveurs qui offriront cultures et voyages imaginaires, réflexions et expériences pour nourrir demain.