« Favoriser la transformation managériale et organisationnelle des services d’aide à domicile : une réponse des pouvoirs publics pour améliorer l’attractivité de ces métiers » (Projet Régional I-MANO) «Promoting managerial and organizational transformation for home care assistance sector: a response from the public authorities to improve the attractiveness of these professions» (Regional Project I-MANO)
Face à l’enjeu du vieillissement de la population et à la préférence des français de vieillir à domicile, le secteur de l’aide à la personne rencontre une pénurie de main d’œuvre. Avec 300 000 emplois à pourvoir dans l’aide à domicile à l’horizon 2030, cette crise du recrutement se rencontre quel que soit le statut juridique des services, non-lucratifs, lucratifs ou public.
En 2019, plusieurs rapports commandés par l’État ont insisté sur l’importance de « moderniser » le secteur de l’aide à la personne, avec notamment pour enjeux principaux de parvenir à attirer et fidéliser les salarié.e.s. Dans ce contexte, le GIP Autonom’Lab est porteur d’un projet intitulé « I-MANO » qui vise à favoriser la transformation organisationnelle des services d’aide à domicile et à revaloriser l’attractivité de ces métiers. Ce programme est financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, AG2R la Mondiale et la CARSAT.
Par l’intégration de méthodes managériales permettant notamment de renforcer la reconnaissance de l’expertise des professionnels et le développement de leur pouvoir d’agir, ce programme tente de renforcer l’attractivité de ces métiers. Ce programme, s’étalant sur 2 ans et démarré en 2019 a permis de sensibiliser les dirigeants de 19 structures à 6 approches managériales innovantes. Par la suite, un diagnostic de maturité a été réalisé et 14 structures ont pu poursuivre ce programme avec des temps de formation des équipes en inter puis en intra-structure autour de l’approche de leur choix. Ce programme, toujours en cours, fait l’objet d’une étude d’impact à travers la réalisation d’une thèse en sociologie.
Faced with the issue of an aging population and the preference of French people to age at home, the personal assistance sector is experiencing a labor shortage. With 300,000 jobs to be filled in home care by 2030, this recruitment crisis is encountered regardless of the legal status of the not-profit, for profit or public services.
In 2019, several reports commissioned by the State insisted on the importance of "modernizing" the personal assistance sector, with the main challenges of attracting and retaining employees. In this context, the GIP Autonom’Lab is leading a project called "I-MANO" which aims to promote the organizational transformation of home care services and to enhance the attractiveness of these professions. This program is funded by the Nouvelle-Aquitaine Region, AG2R la Mondiale and the CARSAT.
By integrating managerial methods that make it possible in particular to strengthen the recognition of the expertise of professionals and the development of their power to act, this program attempts to strengthen the attractiveness of these professions. This program, spanning 2 years and started in 2019, made it possible to sensitize the leaders of 19 structures to 6 innovative managerial approaches. Subsequently, a maturity diagnosis was carried out and 14 structures were able to continue this program with time for internal team trainings, and then in intra-structure around the approach of their choice. This program, which is still ongoing, is the subject of an impact study through the completion of a thesis in sociology.
- Note de bas de page 1 :
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Muller M., « 728 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2015 », DREES Études et Résultats, n°1015, juillet 2017.
Le secteur de l’aide à domicile en 2021 est traversé à la fois par une croissance exponentielle, liée à un contexte démographique de vieillissement d’une population préférant le domicile à l’institution, et par une crise de recrutement de la main d’œuvre nécessaire pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. Un sondage réalisé en 2012 par OpinionWay pour l’Observation de l’Intérêt Général, indique que 90 % des Français préfèrent adapter leur logement plutôt que d’intégrer une maison de retraite. Cette préférence est l’une des raisons du recul de l’âge moyen d’entrée en Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgée Dépendantes (EHPAD) : en 2015, la moitié des résidents avait plus de 87 ans et 5 mois, contre 86 ans et 5 mois fin 20111. L’actualité des décès liés au coronavirus dans les EHPAD va sans doute renforcer encore cette défiance, l’institution devenant alors le dernier recours lorsque le maintien à domicile avec assistance n’est plus envisageable.
- Note de bas de page 2 :
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Compte tenu de la forte proportion de femmes qui occupent les emplois de l’aide à domicile (87,3% de femmes, source DARES analyses n°038, août 2018), il a été fait le choix du féminin pour les termes relatifs à leur travail.
- Note de bas de page 3 :
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Rapport Bérangère Poletti (2012), rapport IGAS-IGS sur le secteur de l’aide à domicile (2010), rapport de la DREES sur les conditions de travail des aides à domicile (2008), rapport Laroque (1962)
Deux rapports publics commandés par l’État en 2019 à Dominique Libault puis Myriam El Khomri proposent un certain nombre de pistes pour « moderniser » le secteur, avec notamment pour enjeux principaux de parvenir à attirer et fidéliser les salariées2. Comme d’autres rapports3 l’avaient fait, ils insistent sur l’importance de la revalorisation des professionnels et de la transformation des relations de travail. Dans ce contexte, différents acteurs, spécialisés en management, s’adressent à des dirigeants de structures d’aide à domicile pour leur proposer des formules « innovantes » d’encadrement des équipes. Le GIP Autonom’Lab, basé à Limoges en Nouvelle-Aquitaine, préfigurateur du Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine, est dans ce cadre porteur d’un projet intitulé « I-MANO » qui vise à favoriser la transformation organisationnelle des services d’aide à la personne.
- Note de bas de page 4 :
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Cette thèse est encadrée par Olivier MASCLET, Professeur de sociologie à l’Université de Limoges, Groupe de Recherches Sociologiques sur les sociétés Contemporaines (GRESCO) et par Anne-Marie ARBORIO, Maître de conférences en sociologie, Aix-Marseille université, Laboratoire d'Economie et de sociologie du travail (UMR 7317, CNRS, Aix-Marseille Université).
À ce programme « I-MANO » est associée une démarche de recherche sous la forme d’une thèse CIFRE en sociologie répondant à un triple objectif : réaliser un état des lieux de l’espace des acteurs de l’innovation managériale dans l’aide à domicile ; analyser l’appropriation des dirigeants des services d’aide à domicile de ces innovations managériales ; interroger les effets de ces entreprises de normalisation sur le travail des cadres et des intervenants, et sur la satisfaction des bénéficiaires. Cette thèse débutée en mars 2021 proposera une analyse sociologique du travail de normalisation du secteur de l’aide à domicile4. Par « travail de normalisation », seront désignées les pratiques par lesquelles de nouvelles formes managériales sont mises en œuvre et s’imposent comme légitimes.
Cette communication a pour vocation de présenter ce programme dans son contexte : de son inscription dans un secteur « en crise » qui cherche à se renouveler, à son déploiement sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine auprès des dirigeants de Services d’Aide A Domicile (SAAD). Il sera question de la sinistralité du secteur et de l’appropriation par les pouvoirs publics de la question de l’attractivité des métiers, des attentes qui accompagnent le programme « I-MANO » et des premières réflexions et hypothèses émanant du travail de recherche.
1. L’aide a domicile en france : un secteur en crise ?
« Les services à la personne (SAP) désignent l’ensemble des services effectués au domicile d’un particulier ou dans l’environnement immédiat de son domicile » (DARES, 2018 : 1) Ils sont régis par le décret du 6 juin 2016, qui fixe 26 activités comme relevant des services à la personne. Ces prestations s’inscrivent dans un projet individualisé d’aide et d’accompagnement, élaboré à partir d’une évaluation globale des besoins de la personne. Elles se réalisent à travers des aides à domicile, notamment celles apportées par des auxiliaires de vie sociale. Plusieurs modes d’intervention sont possibles pour les aides à domicile :
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le mode prestataire : l’intervenant à domicile est employé et rémunéré par le service prestataire, qui s’occupe de tous les aspects administratifs et légaux ; c’est ce mode qui sera décrit tout au long de ce travail de recherche
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le mode mandataire : l’intervenant à domicile est employé et rémunéré par le particulier ; ils sont liés par un contrat de travail. Le particulier a le statut d’employeur mais ne s’occupe pas des aspects administratifs. La personne morale gestionnaire du service est responsable du projet de service et notamment de la définition et de la mise en œuvre des modalités d’organisation et de coordination des interventions.
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le mode dit de « gré à gré », sans intermédiaire entre une personne dépendante employeur et une intervenante.
En 2015, l’activité était soutenue en majorité par les employeurs directs (57 % de l’ensemble des heures du secteur), mais cette activité connait une diminution au profit du mode prestataire. La croissance du secteur est à mettre en lien avec l’évolution démographique que connait la France :
- Note de bas de page 5 :
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Kulanthaivelu E., Thiérus L. (2018). Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d’emploi ? Dares analyses n°38, août.
Le taux de croissance annuel moyen de l’activité et de l’emploi du secteur des services à la personne a doublé depuis le plan Borloo de 2005. Ce taux est en effet passé de 4 % par an entre 2000 et 2004 à 8 % par an entre 2005 et 2008 pour les heures rémunérées comme pour les effectifs des intervenants5.
1.2. Retour sur une socio-histoire de l’aide à domicile
Un décret publié en septembre 1954 et réaffirmé en 1962 a fait naître le travail des aides à domicile (Avril, 2014). Il s’agit alors d’une forme d’aide sociale permettant à certaines populations fragiles de bénéficier du travail de femmes de ménage. Dans les années 1960-80, la mission des aides à domicile est à la fois sanitaire et sociale. Elle se différencie de celle des aides ménagères : leur travail est pensé dans le prolongement des soins, qu’elles réalisent au domicile des personnes, et du social puisque les aides à domicile sont instituées comme relais de l’assistante sociale sur le terrain. Les années 1970-80 professionnalisent un peu plus les aides à domicile. Une première convention collective (1975) remplace le terme d’« aide-ménagère » par celui d’ « aide à domicile ». Les pouvoirs publics rendent aussi possible le recrutement direct, « de gré à gré », et créent le premier diplôme du secteur, le Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Aide à Domicile (CAFAD) (1988) :
Il y a bien dans cette période, une volonté de faire des aides à domicile des « professionnelles » dotées « d’une expérience éduquée » […] et notamment des professionnelles de la prise en charge du vieillissement hors institution médicale (Avril, 2014 : 68).
Les années 1990-2000 marquent, quant à elles, un tournant qui se concrétise par la perte du mandat des aides à domicile auprès du public âgé. Le Diplôme d’État d’Auxiliaire de Vie Sociale (DEAVS) remplace le CAFAD et perd sa spécialisation de prise en charge du vieillissement. Il n’est pas obligatoire pour exercer, et marque pour certains un arrêt de la valorisation professionnelle de ce secteur :
Très concrètement, depuis le début des années 2000, les acteurs politiques et institutionnels diffusent une nouvelle représentation du métier en deçà de celle qu’ils avaient jusqu’alors portée : les aides à domicile n’ont plus de mandat et donc ne sont plus, à domicile, celles qui prolongent le travail du personnel infirmier ou de l’assistante sociale. Polyvalentes, elles n’ont plus de savoirs spécialisés dans la prise en charge du vieillissement (Avril, 2014 : 69).
En 2001 la Prestation Spécifique Dépendance (PSD) est remplacée par l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), versée désormais directement aux personnes âgées qui sont libres de choisir parmi l’ensemble des prestataires du territoire, celui qui leur convient le mieux. Les aides à la dépendance peuvent également servir à rémunérer un proche aidant une personne âgée. Les interventions des professionnels sont dès lors mises sur le même plan que celles, profanes, réalisées par les familles. Cette redéfinition des tâches des aides à domicile voue celles-ci aux tâches que les professionnels du soin ou du social ne font pas. Elles se retrouvent alors « tout en bas de la hiérarchie des intervenants professionnels à domicile » (Avril, 2014 : p.73).
En 2005, le plan Borloo autorise les entreprises privées à investir le secteur. Bernard Ennuyer (2012) voit dans ce plan l’instauration d’une concurrence tarifaire, « c’est-à-dire la loi du marché comme seul mode de régulation, y compris au sein du monde associatif ». Dès lors,
Le paradoxe qui régit le secteur de l’aide à domicile reste entier : on souhaite des personnels sélectionnés, bien encadrés, qualifiés, rémunérés au plus proche du salaire minimum, mais faisant montre de grandes qualités humaines (Roussille, Strohl, Raymond, 2009 : 51).
Le 1er janvier 2016 entre en vigueur la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV), qui réaffirme la priorité à l’accompagnement au domicile, choix majoritaire parmi les solutions du vieillissement parmi la population.
1.2. « Un sous droit du travail » (Avril, 2014 : p. 82) : un secteur fortement sinistré, avec des conditions de travail difficiles
- Note de bas de page 6 :
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Baillieuil Y., Chaillot G., Benoteau I. (2013). « Les services à la personne davantage sollicités dans les zones rurales et âgées », Paris : INSEE Première, n° 1461.
Le secteur de l’aide à domicile en France emploie en 2010 environ 1,8 millions de personnes, hors assistantes maternelles, et présente une sinistralité élevée comparée aux autres secteurs d’activité.6
Les accidents et pathologies liés à l’aide au transfert des bénéficiaires et à la manutention de charges, les chutes de plain-pied et de hauteur, les déplacements professionnels très fréquents constituent les principaux risques professionnels. A quoi s’ajoute une charge mentale lourde,
d’autant plus difficile à supporter que le travail se fait de façon solitaire (INRS, 2017). En effet, les contraintes physiques s’additionnent aux contraintes relationnelles. Les contacts auprès de personnes âgées peuvent être envahissants et pesants ; ils requièrent des savoir-faire ajustés :
Si le travail de contact excède largement le travail sur matériau humain, c’est aussi parce que les aides à domicile ont pour fonction explicite de soutenir moralement les personnes âgées (Avril, 2006 : 92).
L’enquête de la DARES réalisée en 2008 sur les conditions de travail des aides à domicile met en lumière la sur-sinistralité du secteur comparée aux autres professions.
En 2008, on compte 5,2 accidents de travail pour 100 salariés des structures d’aide à domicile contre 3,8 accidents dans l’ensemble des branches professionnelles (champ couvert par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) (Marquier, Nahon, 2012 : 27).
En 2010, une étude de ce même organisme indiquait déjà que « l’indice de fréquence, le taux de fréquence ainsi que le taux de gravité des accidents du travail sont respectivement supérieurs de 36 %, 46 % et 64 % » à ceux des autres secteurs de l’activité salariée.
1.3. Caractérisation des intervenantes à domicile
L’enquête de la DARES (2018) permet de dresser un portrait des aides à domicile. Il s’agit très majoritairement de femmes : 87,3 % contre 50,1 % pour l’ensemble des salariés en 2015. Elles sont en moyenne plus âgées que la moyenne des actifs en emploi : 46 ans contre 41 ans. La part des personnes nées à l’étranger est également plus importante que dans les autres secteurs : 14,5 % en 2015 contre 5,5 %. Les salariées des Services d’Aide à la Personne sont faiblement qualifiées : 36 % ne possèdent pas de diplôme contre 14 % pour l’ensemble des femmes en emploi. Seules 16 % des aides à domicile ont un diplôme supérieur au bac contre 57 % pour l’ensemble des femmes actives.
En 2014, 26 % des salariées des SAP sont employées par un organisme prestataire. Ces dernières effectuent plus d’heures dans l’année en moyenne (931 heures contre 557 pour un particulier employeur). Les revenus salariaux nets des employées des SAP ont néanmoins augmenté de 11 % entre 2010 et 2014 (contre +6 % pour l’ensemble de la population active). En moyenne en 2014, elles percevaient 8200 euros net dans l’année.
Le temps partiel subi est très présent : en 2015, 53 % des salariées des SAP indiquent ne pas avoir pu trouver d’emploi en temps plein contre 42 % pour l’ensemble de la population active. 34 % des salariées des SAP déclarent souhaiter travailler plus contre 20 % pour l’ensemble de la population active. Les horaires variables sont également fréquents (33 %), particulièrement dans le mode prestataire.
La part des salariées d’organismes prestataires travaillant en soirée est passée de 3,5 % en 2004 à 8 % en 2012, celle du travail de nuit de 1,6 % en 2004 à 4,2 % en 2012 et celle du travail le samedi de 26,5 % en 2004 à 32,7 % en 2012. Le travail le dimanche est passé, quant à lui, de 11,5 % en 2004 à 24,4 % en 2012. Ces employées présentent également davantage de problèmes de santé : 6 % déclarent être en mauvaise santé contre 3 % dans les autres secteurs ; 28,6 % déclarent avoir des problèmes de santé durables contre 19,9 % dans les autres secteurs, et 5,9 % indiquent être en situation de handicap ou de perte d’autonomie, contre 3,6 % ailleurs.
Figure 1. Enquête sur l'emploi, INSEE, 2003 et 2010
2. Un secteur sommé de se réinventer ?
Pour tenter de faire face à des conditions de travail difficiles, limitant l’attractivité du secteur de l’aide à domicile, de nombreuses actions ont déjà été initiées : « trophées des aides à domicile », « rallye découverte » des métiers, campagne de communication nationale de la branche de l’aide à domicile…. Toutes visent à revaloriser ces professionnelles. Les pouvoirs publics, qui tentent parallèlement de favoriser le vieillissement à domicile, incitent aussi les dirigeants du secteur à « moderniser » l’aide à domicile. La revalorisation du travail et la reconnaissance des professionnelles sont décrites comme des objectifs à atteindre, de même que les difficultés de gouvernance sont pointées comme responsables du manque d’efficience du secteur. C’est dans ce contexte qu’apparaissent des « entrepreneurs de normes » : cabinets de conseil en management, collectifs militant pour une transformation du secteur…, qui cherchent à légitimer et à traduire en pratiques les valeurs qu’ils croient bonnes : bientraitance des équipes et des bénéficiaires, revalorisation des auxiliaires de vie…
2.1. La revalorisation des métiers de l’aide à domicile : une cause publique
- Note de bas de page 7 :
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Ancien directeur de la sécurité sociale (2002-2012), actuellement président du Haut-conseil au financement de la protection sociale et directeur de l’EN3S.
En 2018, les personnels des EHPAD font grève pour dénoncer les faibles moyens pour la prise en charge des personnes âgées en établissement. En réponse à ce conflit, le gouvernement mobilise 50 millions d’euros et promet des évolutions à long terme. En septembre 2018, le Premier Ministre confie à Dominique Libault7 la mission de conduire une concertation et de formuler des propositions pour réformer la prise en charge du grand âge.
Dominique Libault résume ses constats en trois points :
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Une demande forte de transformation du secteur, avec une priorité affirmée pour le vieillissement à domicile ;
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Un système actuellement complexe, manquant de coordination et avec de fortes disparités territoriales ;
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Un emploi en croissance forte depuis une décennie mais une pénurie de personnel aggravée par de fortes difficultés de recrutement liées à la dégradation des conditions de travail et au manque d’attractivité́ des emplois.
- Note de bas de page 8 :
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Déclaration de Mme Agnès Buzyn, Ministre des solidarités et de la santé, sur l’accompagnement du vieillissement et de la dépendance des personnes âgées, Paris, le 28 mars 2019.
Le rapport édicte plusieurs propositions en vue d’une réforme de la prise en charge du Grand Âge. Parmi celles-ci, l’attractivité des métiers est jugée prioritaire. Lors de la remise du rapport en mars 2019 à Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, celle-ci évoque « l’urgence » d’ « accompagner » et de « soutenir les professionnels courageux et engagés qui consacrent leur vie à nos aînés vulnérables, dans des conditions souvent difficiles voire pénibles8 ».
- Note de bas de page 9 :
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Ex-ministre du travail (2015-2017), actuellement directrice du conseil – SCIACI Saint Honoré.
- Note de bas de page 10 :
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Extrait du rapport EL KHOMRI, p. 11.
En juin 2019, Agnès Buzyn confie à Myriam El Khomri9 la mission de « piloter un plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge ». Les constats formulés par la mission d’évaluation de Myriam El Khomri rejoignent ceux de Dominique Libault. Ils attestent du fort besoin de recrutement du secteur, du caractère peu attractif des métiers et du besoin de les revaloriser, ainsi que des effets insuffisants des actions publiques « en raison de leur caractère dispersé et de l’incomplétude de certaines mesures10 ».
Des propositions de mesures sont également formulées autour de cinq axes :
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Assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération ;
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Donner une priorité forte à la réduction de la sinistralité et à l’amélioration de la qualité de vie au travail ;
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Moderniser les formations et changer l’image des métiers ;
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Innover pour transformer les organisations ;
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Garantir la mobilisation et la coordination des acteurs et des financements au niveau national et dans les territoires.
Ces deux rapports commandés par le Ministère de la Santé vont dans le même sens et concluent à la nécessité de renforcer l’attractivité du secteur en améliorant les conditions d’emploi et de travail. On y retrouve la terminologie néo-managériale de la « modernisation », de l’« innovation » mais aussi de la « qualité de vie au travail ». La transformation du secteur est présentée comme une urgence : pour poursuivre sa croissance, il lui faut se renouveler.
2.2. Quand les discours néo-managériaux s’invitent dans l’aide à domicile
Pour répondre aux enjeux du secteur, plusieurs professionnels du management ont cherché à diffuser de nouveaux modes d’organisation auprès des dirigeants du secteur de l’aide à domicile. Ils pensent que ceux-ci seront d’autant plus réceptifs à leurs propositions qu’elles répondent à la fois à l’injonction des pouvoirs publics de « moderniser » un secteur en crise et qu’elles peuvent leur permettre de se démarquer des concurrents : afficher l’emploi de méthodes « innovantes », dans un secteur où le recrutement et la fidélisation des salariées font problème, est un atout possible.
2.3. Des approches managériales diversifiées
On retrouve dans le secteur de l’aide à domicile différentes approches, pas nécessairement « issues » du monde médico-social, proposant de réinventer le management dans une approche plus humaniste et bienveillante.
C’est le cas de l’approche « Buurtzorg », qui signifie « soins (zorg) de proximité » en néerlandais. Cette organisation non lucrative a été créée en 2006 par Jos de Blok, un ancien étudiant en économie devenu infirmier. Il s’agit d’équipes d’infirmiers et d’aide-soignants à domicile intervenant sur une zone géographique délimitée, sans hiérarchie. Chaque équipe est responsable de trouver des patients, de la coordination avec les autres professionnels, de la mise en œuvre des interventions et du recrutement, planification, formation et facturation. Cette organisation, aujourd’hui premier employeur néerlandais dans les soins à domicile, rejoint la philosophie de l’ouvrage de Frédéric Laloux « Reinventing Organization » en cherchant à atteindre le stade de « l’entreprise libérée ». En France, le « Collectif de l’Humain d’Abord » propose un accompagnement aux services d’aide à domicile désireux de se rapprocher de ce type d’approche, et met en avant l’expérience de certaines structures françaises ayant adopté ce mode d’encadrement.
L’approche du « Lean Management » (de l’anglais « lean » signifiant « maigre », « pauvre en graisse »), propose quant à elle « d’éviter le gaspillage » qui réduit la performance et améliore l’efficacité tout en impliquant davantage les « collaborateurs ». Cette méthode, d’abord utilisée au sein du système de production de l’entreprise Toyota à la fin de la seconde guerre mondiale, connaît un regain d’attractivité essentiellement dans le secteur industriel depuis les années 1990.
L’approche par la Qualité de Vie au Travail (QVT)
- Note de bas de page 11 :
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Rapport « récit d’action et d’enseignement : soigner la QVT dans les établissements de santé et médicosociaux », Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT), 2019, p.2.
désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des établissements de santé, médico-sociaux et sociaux11.
- Note de bas de page 12 :
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Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT), Associations Régionales pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ARACT).
À travers un réseau national et local (Anact et Aract)12, l’approche par la QVT vise à accompagner les institutions vers la conciliation entre conditions de travail favorables et performance économique. Ces différentes approches font l’objet d’actions de communication et de valorisation visant à proposer au secteur de l’aide à domicile des pistes pour réinventer son encadrement managérial.
Ces professionnels du management sont également présents en région. La Région Nouvelle-Aquitaine a par exemple repris à son compte, certaines de leurs propositions, comme en témoigne sa feuille de route « Silver Economie 2018/2021 », ci-dessous :
Chantier n° 2 – Aider au bien vieillir
« Valoriser les métiers de l’autonomie : qualité, reconnaissance, évolution dans l’emploi »
> former les encadrants et les employeurs. Par exemple, placer les employeurs des structures d’aide à domicile dans une perspective de lean management en adaptant aux entreprises de services les principes de l’action régionale « Usine du Futur ».
De la même façon, l’ARACT Limousin et la CARSAT Centre Ouest (Caisse d’Assurance Retraite et de Santé Au Travail) ont lancé en 2017 une action auprès de quatre associations d'aide à domicile dans le département de la Creuse. L’une des préconisations portait sur l’encadrement et le management des auxiliaires de vie :
- Note de bas de page 13 :
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https://www.anact.fr/une-action-collective-pour-ameliorer-les-conditions-de-travail-dans-le-secteur-de-laide-domicile, consulté le 20 août 2020.
Favoriser le développement de compétences organisationnelles, tant au niveau de la GRH (adéquation compétences des salariés et besoins des bénéficiaires), du management de proximité (organisation de temps collectifs afin de rompre l'isolement) que de l'animation d'une politique globale de prévention des risques professionnels (animation, outils, coordination avec les autres intervenants aux domiciles...)13.
3. Le programme « I-MANO » : une adaptation territoriale de la question de l’attractivité des métiers
Au-delà des actions ponctuelles portées par la Région, cette dernière a décidé de porter un programme visant à soutenir la transformation managériale des services d’aide à la personne en Nouvelle-Aquitaine : le programme « I-MANO ».
3.1. Objectifs et déroulé du programme
Ce programme a été lancé à l’été 2019 sous la forme d’un appel à candidature sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine :
- Note de bas de page 14 :
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Extrait de l’appel à projet.
Cette démarche invite les dirigeants à se projeter sur la transformation de leur structure visant à requestionner le sens et la raison d’être de leur organisation, à renforcer la participation des professionnels de terrain dans la prise de décisions, à questionner son mode de gouvernance, de travail en équipe... Ce programme implique donc une capacité pour le dirigeant à se remettre en question, à envisager de nouvelles pratiques de travail en commun et à revoir sa posture. Ce programme amènera aussi les équipes à évoluer dans leur mode de travailler ensemble, dans la responsabilisation et passera notamment par des étapes de prise de conscience de leurs capacités, de modification des modes de communication susceptibles de prendre du temps. Cette démarche devra également prendre en compte l’amélioration des conditions de travail des salariées.14
Cet appel à candidatures doit se dérouler selon quatre objectifs :
- Note de bas de page 15 :
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Ibid
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Sensibiliser les acteurs du secteur aux liens entre modèles organisationnels, managériaux et économie et ainsi découvrir différentes approches et modèles potentiellement intéressants et inspirants pour eux ;
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Diagnostiquer la maturité des structures participantes pour leur permettre de définir leur projet de transformation et permettre au jury de sélectionner 10 structures qui poursuivront l’accompagnement ;
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Former (en inter-structures) les dirigeants et des membres de leurs équipes de 10 entreprises aux techniques qui leur permettront de construire leur propre vision, de s’approprier les concepts et de dessiner un plan d’actions pour leur organisation ;
-
Former dans l’entreprise les équipes pendant 10 mois afin d’embarquer l’ensemble des collaborateurs dans l’aventure de la transformation en partageant le sens et la vision, et en s’appropriant les outils nécessaires.15
Cette démarche s’étend sur deux ans : 21 entreprises ont été retenues pour participer à ce programme. Six approches managériales ont été présentées à raison d’une journée de sensibilisation par mois entre janvier et septembre 2020. Les approches proposées (et choisies par le GIP) sont : la gouvernance partagée, la méthode Montessori, l’approche Buurtzorg, le Lean Management, le management par la Qualité de Vie au Travail et une Approche Plurielle de l’innovation managériale.
À l’issue de ces journées de sensibilisation, les structures participantes seront conduites à se prononcer sur la méthode pouvant le mieux correspondre aux besoins de leur service, à leur histoire, à leur mode d’organisation et à la vision du dirigeant concernant le souhait de l’approche qu’il envisage de mettre en place au sein de sa structure. Suite au diagnostic de maturité réalisé par des prestataires indépendants, quatorze d’entre elles ont été retenues afin d’être accompagnées par les prestataires pour mettre en œuvre la méthode choisie. Le coût du programme est évalué à environ 650 000 euros, financé par le Conseil Régional, l’Agence Régionale de Santé, les CARSAT, l’AG2R La Mondiale, ainsi que grâce au soutien des Opérateurs de Compétences (OPCO) sur le reste à charge des structures.
Le projet a débuté par la phase 1 (janvier-septembre 2020) correspondant à la participation de 20 SAAD à des journées de sensibilisation à des approches managériales « innovantes :
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La Gouvernance Partagée : cette approche propose de rompre avec l’organisation hiérarchique du travail en visant l’implication de tous les salariés dans les processus de décision et en redistribuant le pouvoir et la responsabilité au service d’un meilleur épanouissement des individus et d’une meilleure performance de l’entreprise.
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Le management par la Qualité de Vie au Travail : cette approche consiste à améliorer les conditions de travail des salariés tout en visant la performance de l’entreprise.
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Le Lean Management : ce système d’organisation industriel, d’abord initié par Toyota au Japon, est marqué par la recherche de performance via la suppression des tâches inutiles, et en favorisant la motivation et l’engagement des salariés.
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L’approche Buurtzorg : inspirée d’une organisation territoriale d’infirmiers libéraux aux Pays-Bas, cette approche propose de réorganiser les intervenants en « équipes autonomes » sur un territoire donné.
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L’approche Montessori dans l’AAD : il s’agit ici de revisiter la philosophie Montessori en se centrant sur le bénéficiaire et sur la notion de fragilité dans la perspective d’autonomiser au maximum la personne.
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L’approche Plurielle : cette approche se fonde sur les principes des organisations collaboratives et des « entreprises libérées », et propose de réutiliser certains principes et outils de la Gouvernance Partagée, QVT, Lean management, Montessori et de l’approche Buurtzorg.
- Note de bas de page 16 :
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Conseils Départementaux.
- Note de bas de page 17 :
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Opérateurs de Compétences.
La phase 2 (octobre-décembre 2020) a consisté en la réalisation d’un « diagnostic de maturité » réalisé par des cabinet d’audit externes : 2 jours dans chaque SAAD pour évaluer si chacun est « prêt » à se transformer. Puis un comité de pilotage comprenant les CD16, CARSAT, acteurs de l’innovation (ADI, ARACT), OPCO17 a validé la poursuite des SAAD dans la phase 3.
La phase 3 (février-septembre 2021) est en cours et consiste en un approfondissement de l’approche choisie par le SAAD, en inter structures (plusieurs SAAD suivent la même formation). 5 personnes suivent la formation par SAAD (auxiliaires de vie, encadrement intermédiaire, direction). Les journées ont lieux par 2 ou 3 jours regroupés, proposant le plus souvent un hébergement collectif sur place. 14 SAAD se sont engagés dans cette phase 3.
Statut |
Localisation |
Approche choisie |
Privé lucratif |
87 |
buurtzorg |
Associatif |
87 |
buurtzorg |
Associatif |
33 |
buurtzorg |
Associatif |
33 |
AP |
Public |
33 |
AP |
Privé lucratif |
86 |
AP |
Associatif |
33 |
LEAN |
Public |
34 |
LEAN |
Privé lucratif |
17 |
LEAN |
Associatif |
24 |
MONTESSORI |
Associatif |
33 |
AP |
Associatif |
64 |
AP |
Public |
40 |
MQVT |
Associatif |
17 |
MQVT |
Tableau 1. SAAD participants au programme « I-Mano »
La phase 4 (à partir d’avril 2021) consiste en la venue des prestataires de formation au sein des différents SAAD pour les aider à mettre en place concrètement l’approche managériale choisie. L’ensemble des 14 structures poursuit le programme en phase 4.
A noter que, tout au long du programme, le GIP Autonom’Lab anime une « communauté I-Mano », destinée à réunir régulièrement des dirigeants de SAAD embarqués dans le programme mais aussi ceux n’ayant pas été retenus ou d’autres encore ayant amorcé des démarches de « transformation » et souhaitant partager leurs expériences.
Figure 2. Résumé des différentes phases du programme « I-Mano »
3.2. Les objectifs de la recherche
Centré sur le programme « I-MANO », le projet de recherche se propose d’analyser les effets des approches managériales présentées comme innovantes dans les pratiques de travail et de management des structures d’aide à domicile. Si de nombreuses recommandations et injonctions normatives ont vu le jour ces dernières années, on observe un manque d’analyses sur la constitution de cet espace de l’innovation managériale, sur la mise en œuvre concrète des transformations préconisées et sur leurs effets sur les différentes parties prenantes (salariées et bénéficiaires des aides à domicile). Ce projet de thèse entend pallier ce manque en questionnant selon quelles modalités et par quel travail en acte les innovations créent de nouvelles pratiques professionnelles. Il s’agit de comprendre comment les prescriptions encouragées par une partie de la sphère politique et par certains acteurs managériaux peuvent s’inscrire dans les pratiques ordinaires de travail des aides à domicile comme dans celles des agents chargés de l’encadrement de ces salariés.
Concrètement, ce projet de recherche se propose de prendre du recul sur la mise en œuvre d’un modèle d’organisation innovante pour identifier comment celui-ci a pu trouver sa place et répondre aux enjeux d’un secteur parfois différent de celui pour lequel il pouvait avoir été initialement conçu. Il s’agira d’abord de questionner de manière générale le principe de « l’innovation managériale », ses fondements, sa littérature et son inscription dans le champ des services et en particulier de l’aide à domicile. À la suite de quoi il s’agira d’objectiver les conditions de l’adhésion des dirigeants des structures d’aide à domicile. Qu’est-ce qui les conduit à privilégier une méthode plutôt qu’une autre ? Qu’en attendent-ils ? À travers quelles pratiques ces méthodes se concrétisent-elles ? Il s’agira enfin d’en interroger les effets sur le travail et les relations de travail compte tenu de la diversité et des spécificités du travail à domicile. Quels effets peuvent être ceux de la transformation managériale des structures d’aide à domicile, à la fois sur le plan de la qualité de service rendu aux usagers, sur le plan de la qualité de vie au travail, sur le plan des coûts de fonctionnement ? Une comparaison des différentes structures participantes et la réalisation plus approfondie de monographies permettront de mettre en lumière les différences dans la perception des méthodes innovantes proposées et leur mise en œuvre.
3.3. La mesure d’impact associée au programme de recherche : un double regard sociologue/chargée de projet innovation sociale
- Note de bas de page 18 :
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Clotilde Berghe, chef de projet innovation sociale : https://www.autonom-lab.com/lequipe/
A ces objectifs de recherche académique s’ajoutent les attentes de l’institution porteuse du programme, le GIP Autonom’Lab, et des financeurs de celui-ci (Région Nouvelle-Aquitaine, CARSAT, AG2R La Mondiale). Le programme « I-MANO » fait donc l’objet d’un double regard, celui de la sociologue en charge de la thèse portant un regard plus académique dépassant le cadre du programme, et celui de l’institution incarné par la chef de projet innovation sociale18 qui a porté le programme depuis la commande passée par la Région Nouvelle-Aquitaine.
Particularité des thèses CIFRE, le travail de recherche s’inscrit donc au sein de plusieurs terrains : les différents SAAD participant au programme, mais aussi la structure accueillant la thèse, le GIP Autonom’Lab en tant que promoteur et diffuseur des nouvelles normes managériales, ayant lui aussi des attentes vis-à-vis de l’investissement réalisé. Ces attentes se formalisent notamment à travers la commande d’une « mesure d’impact social », en parallèle de la thèse académique. Cette mesure d’impact doit permettre d’évaluer les effets du programme sur les différentes parties prenantes afin de pouvoir en tirer des conclusions et de permettre d’envisager une suite ou un redéploiement local ou national de cette initiative. Il s’agit donc ici de concilier une approche académique et une approche de « consultant » visant à évaluer rapidement l’impact de ce programme.
- Note de bas de page 19 :
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La « Communauté I-Mano » rassemble des SAAD ayant participé au programme et n’ayant pas poursuivi pour diverses raisons, ainsi que d’autres services ayant déjà expérimenté des actions d’innovation managériale et organisationnelle en Nouvelle-Aquitaine. Les participants se réunissent environ tous les deux mois et échangent autour de leurs expériences.
Pour ce faire, la mesure d’impact social sera réalisée par le binôme sociologue/chef de projet innovation sociale. Une première cartographie des parties prenantes a été réalisée, permettant d’identifier tous les acteurs gravitant autour « d’I-MANO » : financeurs (Région Nouvelle-Aquitaine, AG2R La Mondiale, CARSAT, OPCO), prestataires de formation, porteur du projet (Autonom’Lab), prestataires des diagnostics de maturité (phase 2), universités (GRESCO et LEST), comité de pilotage, SAAD (intervenant.e.s de terrain, encadrant.e.s intermédiaires, directions, bénéficiaires), autres SAAD gravitant autour du programme (« Communauté I-MANO »19), Conseils Départementaux.
Puis ces parties prenantes ont été positionnées sur un graphique permettant de situer à la fois leur investissement dans le programme (axe des ordonnées) et l’impact que ce dernier a sur elles (axe des abscisses). En rouge apparaissent les principales parties prenantes sur lesquelles la mesure d’impact va se concentrer : il s’agit des SAAD engagés dans le programme. En vert apparaissent les parties prenantes secondaires, incluses dans la mesure d’impact sans en faire l’objet d’étude direct.
Figure 3. Cartographie des parties prenantes - Mesure d'Impact Social (Cartographie non définitive)
Face à chaque partie prenante, une liste des impacts attendus a été dressée. Elle permettra d’identifier les indicateurs permettant d’évaluer ces impacts.
Une fois l’ensemble des impacts attendus listés et les indicateurs permettant d’en mesurer l’évolution identifiés, la mesure d’impact pourra être planifiée dans le temps. A ces évaluations s’ajouteront le travail de recherche académique composé d’entretiens réguliers avec les dirigeants, d’observations participantes au sein des SAAD, … Ce travail de mesure d’impact, concernant davantage les sciences de gestion ou la psychologie du travail que la sociologie, pourra être adapté en fonction des retours et des besoins d’évaluation des différentes parties prenantes. Il viendra abonder le travail de recherche académique par la mise en lumière des différents impacts évalués.
Cette mesure d’impact social constitue également un objet d’étude en tant que tel pour le travail de recherche : quels impacts sont attendus par les différentes parties prenantes ? Quelle réception sera faite de cette mesure d’impact ? Quelles suites en découleront ?
3.4. Premières pistes de réflexion en guise de conclusion
3.4.1. Une enquête élargie à la modernisation du secteur
- Note de bas de page 20 :
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Il est à noter que le travail de recherche a déjà débuté dans le cadre du mémoire de Master 2 soutenu en juin 2020 par la doctorante envisagée pour le projet CIFRE. Celle-ci a pu participer à quatre des journées de présentation des méthodes du programme « I-MANO » et réaliser des comptes rendus détaillés avec photographies à l’appui de ces journées.
Le début de la thèse a coïncidé avec le démarrage de la phase 3 (formations inter-structures à l’approche managériale de leur choix)20. 18 journées de formation ont pu être observées, couplées à l’envoi d’un questionnaire à l’ensemble des participants et à des entretiens téléphoniques avec chacun des 14 dirigeants participant au programme. L’été 2021 voit commencer le début de la phase 4 (10 jours de formation en intra-structure à l’approche managériale choisie). Le programme, destiné à moderniser le secteur de l’aide à domicile, se poursuit au moins jusqu’en fin d’année 2022, et implique de nombreux éléments encore non traités dans le cadre du travail de recherche. La mesure d’impact réalisée permettra de tirer des axes d’analyse des effets de ce projet, tout en tenant compte des nombreux biais d’une telle évaluation : les dirigeants étaient-ils déjà sensibilisés ou engagés dans une démarche de réorganisation ? Les différents impacts pourront-ils être directement reliés aux effets du programme ? Quelle temporalité est nécessaire pour évaluer réellement les impacts notamment économiques et financiers de ces réorganisations ?
Parallèlement à ce programme, des mesures se déploient et viennent impacter les SAAD, telles que la signature de « l’avenant 43 » entraînant une refonte des grilles salariales applicable à partir du 1er octobre 2021. D’autres préconisations sont attendues à travers la remise du rapport commandé à Michel Laforcade, ancien directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, autour de l’amélioration de l’attractivité des métiers de l’autonomie. Ces différentes dispositions seront à prendre en compte dans l’analyse des effets du programme, élargissant ainsi la recherche vers la modernisation du secteur de l’aide à domicile.
3.4.2. Penser les déplacements et recompositions
Si la sociohistoire de l’aide à domicile montre davantage une orientation des actions des pouvoirs publics en direction des bénéficiaires ou des intervenants de l’aide à domicile (Capuano, 2021), le programme « I-Mano » ainsi que les préconisations du rapport El Khomri font le choix de s’adresser également aux organisations et au management des structures. L’un des objectifs de la recherche sera de penser l’origine de ce déplacement : pourquoi pense-t-on qu’une des clés de la modernisation du secteur réside dans l’organisation ? Qu’attend-on des managers ? des dirigeants ? Une enquête de la DREES (Marquier, Nahon, 2012) a montré les effets de l’organisation sur le quotidien des intervenantes d’aide à domicile : 81 % de échanges entre professionnels autour de la situation d’un bénéficiaire ont lieu de manière informelle, en dehors des cadres de travail. Seules 29 % des salariées disaient être impliquées dans l’élaboration du « plan d’aide » (définissant les tâches à réaliser lors des interventions au domicile du bénéficiaire) contre 63 % de celles qui interviennent en emploi direct. La moitié des personnes interrogées déclaraient ne pas avoir reçu de consignes précises concernant les tâches à réaliser lors de la première intervention auprès d’un bénéficiaire. Or le manque d’encadrement n’apparaît paradoxalement pas comme étant un aspect négatif du métier (seules 7 % des intervenantes le mentionnaient, loin derrière la mauvaise rémunération ou le manque de valorisation du métier). Enfin, la professionnalisation et la formation des encadrants pourrait découler de l’ouverture au marché lucratif en 2005 : le contexte concurrentiel qui a découlé de cette ouverture aurait entraîné la nécessité de professionnaliser également les managers en les dotant de logiciels, de labels qualité… (Avril, 2014).
Les premières observations suite aux phases 1, 2 et 3 du programme permettent par ailleurs de mettre en lumière l’importante place accordée au développement personnel et à la « transformation individuelle » nécessaire au changement organisationnel. Cela passe prioritairement par la « transformation » du dirigeant, posée comme préalable dans toutes les approches à la diffusion d’une « nouvelle culture » au sein de la structure. Mais encadrants et intervenantes sont également invités à se « transformer » individuellement notamment grâce aux techniques de développement personnel apportées lors des formations (très présentes dans l’approche Montessori, Buurtzorg et Approche Plurielle, moins dans les approches Lean Management et MQVT). Le postulat que le travail est un nécessaire lieu d’épanouissement est largement répandu, les formations visent donc à « libérer » les individus et les structures de leurs anciennes organisations, sans toutefois questionner les conditions sociales d’accès à ce « bonheur au travail » (Baudelot et Gollac, 2002) et dans un processus d’individualisation des situations de travail (Linhart, 2015).
Enfin, les approches managériales proposent par ailleurs de recomposer les rôles des différentes strates hiérarchiques : le dirigeant devient « leader », dictant l’orientation stratégique de la structure ainsi que ses valeurs. L’encadrement intermédiaire passe de « manager » à « coach », censé soutenir les équipes de terrain qui endossent elles-mêmes des tâches traditionnellement dévolues aux encadrants : organisation des plannings, des remplacements, relations avec les bénéficiaires et leurs familles… Ces recompositions seront à apprécier à chaque niveau hiérarchique, avec une attention particulière aux encadrants intermédiaires « pris » entre les discours de revalorisation, la responsabilisation des intervenantes et les injonctions des dirigeants desquels émanent les processus de transformation de la structure.
En conclusion, l’entreprise de revalorisation symbolique des métiers de l’aide à domicile, fortement présente au sein du programme « I-Mano » et plus largement dans les discours des pouvoirs publics, rejoint la conceptualisation d’un nouveau secteur dit du « care ». La définition de Joan Tronto la plus communément admise désigne l’ensemble des activités orientées vers le soin à autrui (Tronto, 2009), dans une symbolique résolument positive de ces activités : le souci d’autrui étant source d’épanouissement, de sens au travail, d’utilité… Les services à la personne, certains services sociaux ou encore les soins infirmiers viendraient donc constituer ces métiers du » care ». Le collectif l’Humain d’Abord milite d’ailleurs pour la création d’un secteur du « prendre soin » parallèlement au secteur du « soin ». Pourtant, cette entreprise de revalorisation symbolique du métier d’aide à domicile, émanant plutôt des catégories socioprofessionnelles moyennes-supérieures, pourrait se confronter aux diverses incarnations du métier par les professionnelles de terrain : Christelle Avril a montré comment l’aspect « social » et relationnel du métier pouvait être rejeté par une partie des professionnelles désirant mettre à distance l’implication morale de la prise en charge des plus dépendants :
Or les femmes diplômées qui les encadrent considèrent que seul cet aspect relationnel pourrait permettre aux aides à domicile de donner du sens et de la valeur à leur travail. Il semble bien que ces aides à domicile développent et partagent une conception autonome de la définition de leur travail, contre un pôle diplômé des classes moyennes-supérieures (Avril, 2014 : 18).
Cette entreprise de revalorisation symbolique aura donc-t-elle prise sur ces professionnelles, en dehors de toute revalorisation salariale ou matérielle ? C’est l’un des enjeux de recherche de cette thèse.