La transmission du patrimoine à l’épreuve de la dépendance de la personne âgée The transmission of heritage in the test of old age dependency
Avec l’allongement de la durée de la vie, l’âge de la transmission successorale d’un patrimoine est de plus en plus tardif, retardant d’autant le transfert intergénérationnel et la capacité des générations suivantes à utiliser ce patrimoine. L’anticipation successorale, en d’autres termes, la possibilité de transmettre avant l’heure ses biens, devient ainsi une préoccupation des aînés d’aujourd’hui. Cette évolution doit néanmoins se conjuguer avec la crainte de ne pas être en capacité de faire face à la perte d’autonomie en raison du vieillissement. L’anticipation successorale et la transmission d’un patrimoine doivent donc prendre en considération la protection du disposant face à sa propre dépendance mais aussi la maintenance de son partenaire de vie en cas de décès. Un équilibre doit être trouvé entre l’aspiration légitime de nos ainés à profiter de leur patrimoine, la protection face aux risques de spoliation ou de dépendance et cette équité intergénérationnelle. À cet effet, le droit successoral français comporte de multiples techniques, parfois peu explorées, qui doivent permettre de satisfaire cette ambition, tout en respectant la limite de la réserve héréditaire bénéficiant notamment aux descendants.
With the lengthening of the lifespan, the age of inheritance of a heritage is increasingly late, further delaying the intergenerational transfer and the ability of subsequent generations to use this heritage. Succession anticipation, in other words, the possibility of handing over one's assets before time, is thus becoming a concern of seniors today. This development must nevertheless be combined with the fear of not being able to cope with the loss of autonomy due to aging. The anticipation of inheritance and the transmission of an estate must therefore take into consideration the protection of the beneficiary against his own dependence but also the maintenance of his life partner in the event of death. A balance must therefore be found between the legitimate aspiration of our elders to benefit from their heritage, protection against the risks of spoliation or dependence and this intergenerational equity. To this end, French inheritance law includes multiple techniques, sometimes little explored, which must make it possible to meet this ambition, while respecting the limit of the hereditary reserve benefiting in particular the descendants.
Introduction
1. « Le mort saisit le vif »
En avançant en âge, notre probabilité de quitter ce monde est plus grande, même si la mort peut nous saisir à tout instant. A cette ultime échéance, la transmission d’un avoir permet la perpétuation de l’être, de nier sa finitude, de conjurer la peur d’une mort certaine, en d’autres termes, d’assurer sa survie par ses biens et par les siens. Cette recherche d’éternité est une consolation mystique qui crée une solidarité entre les vivants et les morts. Ne dit-on pas que « le mort saisit le vif » pour signifier qu’à son décès, les biens d’une personne passent automatiquement à ses héritiers en fonction d’une dévolution organisée par la loi. De même, le testament demeure lié à une certaine idée d’immortalité, un pouvoir de décider du sort de ses biens d’outre-tombe.
Cependant, les évolutions sociales et sociétales ont bouleversé notre rapport à l’héritage. La volonté de conserver les biens dans la famille d’origine a laissé place à des préoccupations de maintenance du survivant âgé ou de paix dans une famille qui se veut de plus en plus recomposée. Avec l’allongement de la durée de la vie, l’âge de l’héritage en France est de plus en plus tardif, retardant d’autant le transfert intergénérationnel et la capacité des générations suivantes à utiliser ce patrimoine. Des retraités héritent de retraités alors que la génération plus jeune est parfois la plus nécessiteuse.
2. Anticiper la transmission
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Voir la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral et la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.
L’anticipation successorale, en d’autres termes, la possibilité de transmettre ses biens avant l’heure, devient une préoccupation des aînés d’aujourd’hui. Cela a conduit le législateur à mettre en place une stratégie nouvelle où l’individu peut cantonner ses droits, y renoncer ou sauter une génération. Les lois successives1 marquent le couronnement de la volonté individuelle et un recul certain de l’ordre public en matière successorale. Elles augmentent ainsi le pouvoir d’anticipation grâce à une réforme profonde des libéralités. Cette envie doit néanmoins se conjuguer avec la crainte de ne pas être en capacité de faire face à sa propre dépendance. L’incertitude des retraites et le coût croissant du maintien à domicile ou de l’hébergement dans un établissement de prise en charge des personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont autant de facteurs qui n’incitent pas à agir en matière de transmission.
3. Respecter la réserve
Cette volonté d’organiser sa propre transmission doit tenir compte d’une institution qui demeure la clé de voute du droit successoral français. En effet, en présence de certains héritiers, la succession se trouve divisée en deux : la réserve, dont la loi assure la dévolution aux héritiers dits réservataires et la quotité disponible, dont le défunt peut librement disposer par des libéralités. Ces deux composantes expriment un point d’équilibre entre la liberté individuelle en lien avec la propriété privée et la famille considérée comme une institution solidaire.
Le droit positif consacre deux catégories d’héritiers réservataires : les descendants et, à défaut, le conjoint survivant. La proportion entre réserve et quotité disponible varie selon la composition de la famille et notamment le nombre d’enfants du défunt. Si le défunt ne laisse qu’un seul enfant, la quotité disponible sera de la moitié des biens ; en présence de deux enfants, elle sera d’un tiers ; en présence de trois enfants ou plus, elle sera d’un quart (art. 913 du Code civil). En l’absence de descendants, l’article 914-1 du Code civil précise que la quotité disponible est de trois quart des biens lorsque l’époux laisse un conjoint survivant, le dernier quart constituant sa réserve héréditaire.
La protection de cette institution est assurée par une action en réduction des libéralités qui est le résultat d’un calcul complexe (Ferré-André et Berre, 2020). Les donations et/ou legs empiétant sur la réserve héréditaire, c’est-à-dire excédant la quotité disponible, sont réduits totalement ou partiellement selon le seuil à partir duquel la réserve est reconstituée. Cette réduction se réalise en valeur et exceptionnellement en nature.
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Voir le rapport du groupe de travail sur la réserve héréditaire remis à la ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le 13 décembre 2019 de C. Pérès et de Ph. Potentier.
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Voir les cartes sur la réserve héréditaire dans le monde et en Europe, Rapport sur la réserve : 37 et 38.
La réserve héréditaire est aujourd’hui une institution controversée2. Certains demandent sa suppression au nom d’une liberté revendiquée comme absolue de disposer de ses biens à titre gratuit ; d’autres réclament son évolution en lien avec les mutations sociologiques contemporaines. Elle n’est en aucun cas une spécificité française ; elle est au contraire très répandue dans le monde puisqu’elle existe dans la quasi-totalité des droits de tradition civiliste. Il en va ainsi de nombreux pays d’Amérique latine3. D’ailleurs, là où la réserve héréditaire fait défaut, la liberté de disposer gratuitement de ses biens n’est pas absolue. Les droits de Common Law encadrent aussi cette liberté mais ils le font avec d’autres instruments juridiques.
Les données sociologiques montrent néanmoins l’attachement des Français à la réserve héréditaire ainsi qu’aux valeurs qu’elle véhicule. Cette institution assure une égalité minimale entre frères et sœurs. Elle protège aussi la liberté du défunt contre le risque de captation d’héritage, un risque dont le vieillissement de la population ne fait qu’accentuer aujourd’hui la fréquence. Enfin la réserve héréditaire exprime la solidarité familiale entre les générations, une solidarité sur laquelle comptent les pouvoirs publics dans un contexte financier difficile pour la solidarité nationale.
4. Prendre en compte le risque de dépendance
Les aînés d’aujourd’hui doivent faire face à un nouveau dilemme. Comment transmettre ou espérer léguer un héritage alors que la crainte de la perte d’autonomie et d’avoir à assumer des dépenses de plus en plus lourdes pèse sur les épaules de la personne ? Pourquoi transmettre aux enfants par anticipation si les revenus ne permettent pas de couvrir les charges de la dépendance et que les descendants ne souhaitent plus ou ne peuvent plus assurer la protection de l’aîné ?
Un équilibre doit être trouvé entre l’aspiration légitime de nos aînés à profiter de leur patrimoine, la protection face aux risques de spoliation ou de précarité et cette équité intergénérationnelle (Mathieu, 2014 : 1331 ; Gagnarde et Lécuyer, 2013 : 1043). Il doit être possible de recréer cette solidarité en confiant aux héritiers le patrimoine par anticipation, tout en les associant à la prise en charge de la dépendance future.
5. Protéger le survivant du couple
Cet équilibre entre anticipation et protection doit aussi tenir compte du devenir du survivant du couple. Le resserrement des liens autour du noyau conjugal, la famille « nucléaire », a accordé une place essentielle au conjoint ou au partenaire de vie qui n’est plus perçu comme l’étranger dont il faut se méfier mais dont la protection en cas de décès devient une préoccupation majeure.
L’allongement de la durée de vie a eu pour conséquence que les enfants héritent à un âge où ils ont constitué leur patrimoine et ont moins besoin de recueillir un patrimoine pour s’établir. Le conjoint survivant, souvent une veuve (plus de 80 % des conjoints survivants sont des veuves âgées majoritairement de plus 60 ans), est, lui, plus âgé, parfois malade, ce qui augmente considérablement les dépenses qui lui sont nécessaires. Ses revenus sont souvent issus de substitution (pensions de retraite ou de réversion), ce qui peut justifier qu’il soit mieux doté en matière successorale.
6. En définitive, anticipation et transmission d’un patrimoine riment désormais non seulement avec la protection du disposant face à sa propre dépendance (I) mais aussi de celle de son partenaire de vie en cas de décès (II). A ce propos, le droit successoral comporte de multiples techniques, parfois peu explorées, qui doivent permettre de satisfaire cette double ambition.
I – Transmettre en assurant le risque de dépendance du disposant
7. Comment transmettre un patrimoine en conservant les moyens de faire face à une dépendance liée à l’âge ? Le droit des successions autorise certaines opérations qui assurent cet objectif (B) mais qui doivent se concilier avec l’irrévocabilité spéciale des donations, principe d’ordre public (A).
A – Donner et retenir ne vaut en général
8. L’irrévocabilité spéciale des donations
Une donation de pleine propriété assortie d’aucune contrainte pour le donataire ne peut concerner que des donateurs âgés disposant d’un patrimoine et des revenus suffisants. À défaut, en cas de perte d’autonomie, ils seront soumis à la bonne volonté des donataires ou contraints d’avoir recours aux dispositions prévues en matière d’obligations alimentaires. Est-il alors possible, de son vivant, d’envisager une transmission tout en permettant à la personne vieillissante de revenir sur sa décision pour faire face à une éventuelle dépendance ?
À la différence du testament qui est révocable ad nutum jusqu’au décès, les donations font l’objet d’une irrévocabilité spéciale d’ordre public (art. 894 du Code civil) qui interdit, » pour le donateur, de se réserver dans l’acte, donc par avance et avec l’accord du donataire, le moyen de reprendre, directement ou indirectement, ce qu’il donne » (M. Grimaldi cité par J.-M. Mathieu, préc.). Alors que d’ordinaire, la convention peut, sous certaines conditions, stipuler au bénéfice de l’une des parties une faculté de reprise unilatérale ou un droit de repentir, la donation ne le peut aucunement au bénéfice du donateur. C’est la vieille règle « donner et retenir ne vaut ». Autrement dit, une fois un bien donné, il ne peut être repris par celui qui a réalisé la donation. L’acte par lequel le donateur se dépossède est en principe irrévocable (à l’exception des donations par contrat de mariage et des donations entre époux, pendant le mariage, qui relèvent d’un régime particulier).
9. Une révocabilité strictement encadrée
Exceptionnellement, la révocation ultérieure de la donation est possible soit judiciairement (Levillain, 2014 : 607), soit par un nouvel accord.
En cas de dépendance économique, la donation peut être révoquée en justice pour ingratitude si le bénéficiaire refuse des aliments au donateur (art. 955, 3° du Code civil). C’est une précaution légale car le donateur n’a pas stipulé le versement de charges ; mais la loi vient à son secours en le protégeant contre son imprévoyance. Certes le texte ne crée pas une dette alimentaire directement exigible mais le refus entraînera l’anéantissement de la libéralité.
De même, rien n’interdit à un donateur et à un donataire de vouloir défaire aujourd’hui ce qu’ils ont voulu faire hier. La convention par laquelle les parties révoquent la donation par un nouvel accord de volontés respecte l’irrévocabilité spéciale qui interdit aux deux de convenir que le donateur pourra la révoquer unilatéralement (Sauvage, 2014 : 605). Toutefois, la révocation amiable d’une donation est tributaire de l’accord du bénéficiaire et a un coût fiscal non négligeable, celui d’une double mutation.
10. La prohibition de certaines clauses
En dehors de ces hypothèses, le caractère irrévocable des donations justifie l’interdiction de certaines clauses qui auraient pu permettre de concilier transmission et protection contre la dépendance. Ainsi la donation faite sous condition potestative, même simplement potestative, est nulle (art. 944 du Code civil) parce qu’elle institue une condition dont l’exécution dépend de la seule volonté du donateur. De même, en donnant, le donateur peut être tenté de poser une charge de payer ses dettes futures (art. 945 du Code civil ) et notamment celles générées par sa perte d’autonomie ou encore de se réserver le droit de disposer de tout ou partie de la chose donnée (art. 946 du Code civil ). Là encore, les opérations sont prohibées en raison de leur contradiction avec l’irrévocabilité des donations. Toutefois ce principe n’est pas d’application stricte puisque la loi elle-même autorise certains montages juridiques qui assurent un équilibre entre cette volonté de transmettre et le souci de se protéger.
B – Donner et retenir vaut dans certains cas
11. Malgré la prohibition, il est possible de recréer cette solidarité intergénérationnelle en confiant aux héritiers un patrimoine par anticipation tout en l’incitant ou en l’obligeant à participer à la protection future du donateur (Mazeron, 2013 : 1042).
12. Le démembrement de la propriété
Le démembrement de propriété est souvent utilisé pour concilier ces deux impératifs. La donation avec réserve d’usufruit au profit de la personne âgée donatrice constitue le montage le plus fréquent. Elle permet à l’individu qui bénéficie de la réserve d’usufruit, de pouvoir utiliser le bien et d’en percevoir les revenus en principe jusqu’à son décès. Elle porte souvent sur le logement, lui assurant ainsi la possibilité de se maintenir dans son cadre de vie tout en transmettant la nue-propriété à ses proches.
Dans l’hypothèse d’un placement en établissement, le bien peut être loué pour percevoir des loyers qui compléteront la pension de retraite et ainsi faire face aux nouveaux frais d’hébergement. La conversion de l’usufruit en rente viagère peut être prévue dans l’acte de donation. L’abandon de l’usufruit d’un bien non occupé garantira ainsi un revenu à la personne dépendante sous forme de rente.
La personne aînée, qui s’est réservée l’usufruit, peut aussi avoir pour objectif d’assurer le cadre de vie d’un proche en cas de décès. C’est souvent la protection du conjoint qui justifie l’insertion d’une clause de réversion d’usufruit. Au décès du premier usufruitier donateur, l’usufruit se poursuit sur la tête du bénéficiaire de la réversion. Grâce à ces deux usufruits successifs, le conjoint survivant aura la possibilité de rester dans son logement ou de le louer pour percevoir des revenus. Cette réversion est soumise aux droits de mutation par décès mais le conjoint ou le partenaire sera exonéré puisque la taxation aura lieu lors de l’ouverture de l’usufruit successif.
Cette solution n’est pas sans entraîner certaines difficultés. En effet, l’usufruitier peut être dans l’incapacité de gérer le bien ou encore son maintien à domicile peut nécessiter des travaux pour adapter le logement. Sauf disposition contraire, l’article 605 du code civil opère une distinction entre les réparations d’entretien à la charge de l’usufruitier et les grosses réparations à la charge du nu-propriétaire. L’acte de donation peut prévoir la prise en charge d’une partie de ces travaux par le nu-propriétaire et par là-même constituer un moyen de financer ces travaux pour l’usufruitier vieillissant. Il faudra cependant être vigilant à ce que le montant des travaux ne soit pas excessif car le risque est que l’administration fiscale invoque la qualification de l’opération de donation indirecte.
13. La donation avec charges
Dans un acte de donation, le donateur peut imposer aux donataires ce que l’on appelle des charges. Celui-ci est dans l’obligation d’accomplir d’une prestation à la condition que la charge n’absorbe pas la valeur du bien donné. Dans ce cas, l’acte risque de perdre son caractère de libéralité. Certaines clauses sont prohibées (supra n° 9) mais le disposant bénéficie d’une marge de manœuvre pour stipuler des charges lui assurant une prise en charge ou une économie. Par exemple, la donation d’un bien appartenant à la personne vieillissante peut être assortie d’une obligation de soins. L’objectif est de prodiguer des soins au donateur lorsque ce dernier ne sera plus en mesure de le faire lui-même. Ces charges doivent être détaillées avec précision dans l’acte de donation. La vigilance s’impose car le poids de la charge peut s’alourdir avec le temps avec l’aggravation de l’état de santé du donateur. Le notaire pourra conseiller l’insertion d’une clause permettant la transformation de la charge en rente viagère si le donataire est dans l’incapacité physique ou matérielle de soigner la personne. La charge peut aussi consister en le versement d’une rente indexée par le donataire pendant la durée de vie du donateur ou pour une durée plus courte.
Dans toutes ces hypothèses, la sanction prévue en cas d’inexécution de la charge est la révocation de la donation demandée en justice par le donateur (art. 954 du Code civil).
14. D’autres techniques juridiques comme les donations dites atypiques (donation à terme ou donation à charge de transmettre) existent mais elles sont peu utilisées en pratique en raison d’une complexité civile et fiscale (Vancleemput, Fabre et Grimond, 2017 : 27 et s.). De plus, elles se concilient mal avec l’autre préoccupation de l’aîné, à savoir la préservation des vieux jours de son partenaire de vie survivant.
II – Transmettre en assurant le risque de dépendance du « partenaire » survivant
15. Un couple « pluriel »
Le sort du conjoint survivant au moment du décès est l’une des principales préoccupations du couple âgé. Il l’est aujourd’hui d’autant plus que les divorces sont fréquents. Conséquence, les familles recomposées se multiplient, avec un risque de tensions accrues lors des successions entre un beau-parent et les enfants d’une première union du disparu.
Le couple est désormais « pluriel » (Sagaut, 2010 : 7) dans son expression. Mariage, pacte civil de solidarité (PACS créé par la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999) et concubinage font partie des possibles en matière de conjugalité (Lemouland, 1997 : 133). En droit civil, ces modèles alternatifs de vie commune possèdent des finalités distinctes : si le concubinage demeure un simple fait juridique, le PACS est d’essence contractuelle et le mariage crée un statut.
Ces différences maintiennent des particularismes propres à chaque type d’union. Ainsi en matière successorale, le mariage occupe une place essentielle (A). C’est même peut-être lors du décès qu’il déploie toute sa force et protège efficacement le survivant âgé (Delmas Saint-Hilaire, 2010 : 1319). Au contraire, les concubins et partenaires de PACS sont considérés par la loi, comme des étrangers. Au décès de l’un, le survivant n’a aucun droit sur son patrimoine successoral. L’anticipation devient ainsi primordiale pour assurer la protection du survivant (B).
A – Un conjoint survivant sécurisé par l’existence d’un mariage
16. Le mariage est susceptible de remplir le rôle, au moment du décès, d’une « assurance-décès » au profit du conjoint survivant âgé Delmas Saint-Hilaire, 2010 : 1319). En effet, la loi reconnaît un vrai statut au conjoint survivant tout en permettant aux époux de moduler ces règles par le choix du régime matrimonial et par des libéralités qui leur paraissent les mieux adaptées à leur situation (voir aussi supra n° 12).
17. Renforcement des droits légaux du conjoint survivant
La loi de 2001 et, dans une moindre mesure, celle de 2006 opèrent un tournant dans la protection du conjoint survivant en lui accordant un vrai statut successoral (Grimaldi, 2002 : 48). En cas de décès d’un époux, le survivant est non seulement un héritier à part entière, mais il est de plus exonéré de droits de succession. Si le couple était marié sous le régime légal de la communauté aux acquêts (qui s’applique par défaut et qui concerne plus de 80 % des époux), le conjoint survivant récupère alors la moitié des biens communs qui lui revient et exerce ses droits successoraux sur l’autre moitié, ainsi que sur les biens propres du défunt.
18. En présence de descendants
Ces droits légaux varient en fonction de la composition des héritiers. Si les époux ont eu des enfants ensemble, le survivant peut opter soit pour un quart de la succession en pleine propriété, les enfants se partageant les trois quarts par parts égales, soit pour la totalité en usufruit, les enfants se partageant la nue-propriété.
Le choix entre propriété et usufruit dépendra de l’âge du survivant, du contexte familial et notamment de l’existence de tensions entre le conjoint et ses enfants. L’usufruit du conjoint pourra être converti en rente viagère, s’il le souhaite ou si un héritier le demande. Toutefois, l’accord du conjoint survivant sera toujours nécessaire pour convertir l’usufruit portant sur sa résidence principale ainsi que sur le mobilier le garnissant.
Si l’époux défunt avait eu au moins un enfant non commun, le conjoint survivant a droit à un quart de sa succession en pleine propriété. Les trois autres quarts sont partagés entre les enfants du défunt par parts égales, quelle que soit l’union dont ils sont nés.
19. En l’absence de descendants
Si le défunt ne laisse pas de descendants, le conjoint bénéficie d’un rang privilégié, y compris en présence d’héritiers par le sang très proches. Ainsi s’il a toujours ses père et mère, il recueille la moitié des biens, et ses beaux-parents l’autre moitié à raison d’un quart chacun. Si le défunt ne laisse que son père ou sa mère, le conjoint survivant reçoit alors les trois quarts des biens, et son beau-père ou sa belle-mère le quart restant.
Si le défunt n’a ni enfant, ni petits-enfants, ni père ni mère, le conjoint survivant hérite de tout, à l’exception toutefois des biens que le défunt avait reçus par donation ou succession de ses ascendants (parents ou grands-parents) et qui existent toujours dans la succession (art. 757-2 du Code civil connu sous le nom de droit de retour légal des collatéraux privilégiés). La moitié de ces biens reviendra aux frères et sœurs du défunt ou à leurs enfants ou petits-enfants. Par ailleurs, en l’absence de descendants, le conjoint revêt en plus la qualité d’héritier réservataire, ce qui le protège alors d’une exhérédation de son époux. Ainsi cette « primauté reconnue au conjoint sur les ascendants autres que les père et mère et sur les frères et sœurs est un signe fort que, désormais, ménage passe lignage » (M. Grimaldi, préc.).
20. Les droits légaux sur le logement
Le maintien du conjoint survivant âgé dans son cadre de vie est une priorité notamment lors de cette période difficile du veuvage. Il est assuré par une jouissance gratuite du logement occupé à titre de résidence principale et du mobilier le garnissant pendant un an à compter du décès (art. 763 du Code civil). Si le conjoint survivant est locataire de ce logement, les loyers sont à la charge de la succession. Par ailleurs, sauf volonté contraire du défunt exprimée dans un testament notarié, le conjoint survivant a, jusqu’à son décès, un droit d’habitation sur le logement occupé à titre de résidence principale dépendant de la succession ainsi qu’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant (art. 764 du Code civil). C’est une autre manifestation, et même la principale, de son droit au maintien de son cadre de vie.
Exceptionnellement, si le logement n’est plus adapté à ses besoins, le conjoint survivant peut le louer à un usage autre que commercial ou agricole afin de dégager les ressources nécessaires à une autre solution d’hébergement (maison de retraite par exemple). Ce droit d’usage et d’habitation vient en déduction de sa part de succession recueillie. Si la valeur de ce droit est inférieure à sa part, il a droit à un complément. Dans le cas contraire, le conjoint survivant en conserve tout le bénéfice et ne doit rien aux autres héritiers. Enfin, le conjoint survivant peut réclamer une pension aux héritiers, en principe dans l’année du décès, s’il est dans le besoin (art. 767 du Code civil).
21. Amélioration par des avantages matrimoniaux
Outre ses droits légaux, la protection du conjoint survivant peut être renforcée par anticipation grâce aux avantages matrimoniaux qui découlent d’un contrat de mariage ou d’une convention de changement de régime matrimonial. Ainsi le couple peut opter pour le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale de la communauté au survivant. Cette solution lui permet de récupérer la totalité des biens du couple hors succession. La présence d’un enfant non commun complique cependant la liquidation puisque ce dernier a la possibilité d’exercer l’action en retranchement qui n’est rien d’autre qu’une action en réduction pour préserver ses droits d’héritier réservataire (Vareille, 2018 : 42).
En vertu de la liberté des conventions matrimoniales, d’autres aménagements peuvent être envisagés comme la clause de préciput portant sur le logement ou une clause de partage inégal. Il faut donc doser l’avantage matrimonial pour éviter son retranchement.
22. Amélioration par des donations entre époux
Avec l’instauration d’une quotité disponible spéciale entre époux, le législateur a voulu favoriser les libéralités entre époux en présence d’enfants, issus ou non du mariage. En pratique, cette quotité disponible spéciale permet de compenser l’absence de qualité d’héritier réservataire reconnue au conjoint survivant, laquelle n’est conférée à celui-ci qu’en l’absence d’enfants. Par exemple, la donation au dernier vivant qui a la particularité de ne prendre effet qu’au décès du donateur est une solution adaptée lorsqu’il y a des enfants d’un premier mariage (Levillain, 2018 : 374).
En vertu de l’article 1094-1 du Code civil et en l’absence de volonté particulière du défunt, le conjoint survivant dispose de la possibilité de recevoir par libéralité soit la quotité disponible ordinaire, soit la totalité des droits en usufruit, soit le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit. Ces aménagements qui se combinent avec des droits sociaux comme la réversion de la pension de retraite du défunt au conjoint font du mariage une institution protectrice du survivant âgé contrairement aux autres couples.
B – Un survivant fragilisé par l’absence de mariage
23. Dans le PACS et le concubinage, la protection mortis causa du survivant ne peut relever que d’une démarche purement volontaire et anticipatrice, initiée par chaque membre du couple, à l’adresse de l’autre.
24. Protection relative du PACS
Le PACS est défini par l’article 515-1 du Code civil comme « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». Toutefois les partenaires ne sont pas héritiers l’un de l’autre. Dès lors, s’ils souhaitent se protéger, ils doivent le prévoir expressément de leur vivant. A cet effet, les partenaires rédigent généralement un testament en même temps que leur convention de PACS. Comme pour l’époux survivant, les legs que peuvent se consentir les partenaires sont exonérés de droits de mutation à cause de mort. Cependant ce testament doit respecter la réserve héréditaire d’éventuels enfants du défunt.
Les partenaires peuvent également se consentir des donations de leur vivant, ou encore opter pour l’indivision. Quant au logement du couple, il peut être occupé gratuitement par le survivant pendant un an. Contrairement aux concubins, les partenaires ont la possibilité d’opter pour le régime conventionnel d’indivision d’acquêts qui permet de constituer une masse indivise avec les biens acquis durant le PACS à l’exception de certains (art. 515-5-1 du Code civil), masse qui aura vocation à se partager par moitié au décès de l’un des partenaires.
25. Précarité du concubinage
Le concubinage est défini par l’article 515-8 du Code civil comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». A la différence du mariage et, dans une moindre mesure, du PACS, l’union libre ou concubinage n’offre pas de protection au concubin survivant âgé. La fiscalité ne lui est pas non plus favorable : étant des non-parents, les concubins sont taxés à 60 % pour les donations ou testaments rédigés en faveur l’un de l’autre. Dans ces conditions, ils n’ont guère le choix que d’utiliser des solutions contractuelles pour protéger le survivant.
26. Indivision ou SCI
Lorsque le couple non marié souhaite acheter en commun, la création d’une société civile immobilière (SCI) peut se révéler être une solution plus avantageuse que l’achat en indivision. Chaque concubin sera ainsi propriétaire du bien en proportion de ses apports, et au décès de l’un d’entre eux, sa transmission à l’autre pourra être facilitée. Pour cela, les concubins devront inscrire dans les statuts de la société, une clause d’agrément qui permettra au survivant d’empêcher les autres héritiers survivants de devenir propriétaires des parts du défunt, en les rachetant.
27. Tontine
La clause de tontine ou d’accroissement est une clause qui peut être insérée en marge d’un acte d’achat, permettant de transmettre un bien à un tiers non héritier. Le survivant en est propriétaire directement et de plein droit depuis l’origine. Les héritiers de la personne décédée n’ont donc aucun droit sur le bien. L’acquéreur survivant devra néanmoins payer des droits de succession, calculés en fonction du degré de parenté avec le défunt et de la valeur de la part qu’il recueille. À ce principe, il existe toutefois une exception. Quand le bien constitue la résidence principale des acquéreurs au moment du décès et que sa valeur est inférieure à 76 000 €, le survivant ne paie que des droits de mutation à titre onéreux (art. 754 A alinéa 2 du CGI).
28. Conclusion d’un contrat d’assurance vie
Les concubins (ou les époux et les partenaires) ont la possibilité de souscrire un contrat d’assurance vie dont ils désignent l’autre bénéficiaire en cas de décès. L’article L132-12 du Code des assurances prévoit que « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré ». Le défunt n’a donc pas à respecter les droits des éventuels héritiers réservataires, et le bénéficiaire n’aura pas à payer de droits de succession sur le capital perçu.
Les sommes versées par le contractant à titre de primes pourront cependant être réintégrées à l’héritage si les autres héritiers prouvent que ces primes sont manifestement excessives (art. L132-13 du Code des assurances). L’appréciation du caractère excessif dépendra des revenus, du capital financier, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur.
29. Pour conclure : anticiper malgré tout
Prévenir sa dépendance tout en transmettant ou transmettre en prévenant la dépendance de celui qui a partagé sa vie pendant de nombreuses années. Voilà l’exigence à laquelle sont confrontés les aînés d’aujourd’hui ! L'idée est de préparer et d’anticiper la transmission, en optimisant par ailleurs la fiscalité, tout en conciliant les risques de dépendance matérielle ou économique. Pour y parvenir, il n’existe pas de solutions ou de libéralités idéales sachant que les formules adoptées et les schémas envisagés peuvent aussi avoir des effets sur les aides sociales tant dans leur perception qu’à travers des recours sur la succession du disposant ou du bénéficiaire (Bahurel, 2018 : 23). Toutefois prendre connaissance de ces diverses options auprès d’un professionnel avant la survenance du conflit ou du risque reste la solution la plus sage.
Anticiper n’a jamais fait tomber dans la dépendance !