La vision de la femme chinoise selon Pierre Loti à travers Les derniers jours de Pékin : entre stéréotype et approche journalistique Pierre Loti's vision of the chinese woman through The last days of Pekin: Between stereotype and journalistic approach
En tant qu'intermédiaire entre « la mystérieuse contrée » et Pierre Loti, la femme exotique qui incarne l'essence d'une civilisation est un thème récurrent dans ses œuvres. Son rôle dans ses fictions mérite d'être étudié. Dans sa description des femmes en Extrême-Orient, par rapport à la femme japonaise, la femme chinoise nous semble bien inconnue, mais son œuvre Les Derniers Jours de Pékin a comme toile de fond la Révolte des Boxers. Du point de vue particulier d'un écrivain exotique et d'un officier militaire, les témoignages qu'il apporte de la société chinoise dans cette « mystérieuse contrée » et, tout particulièrement la description qu'il donne de la « femme exotique » qu'est la femme chinoise dans ce contexte de violence si particulier et d'une autre altérité joueront un rôle non négligeable envers « tout ce qui est différent, étrange, exotique ». Les représentants du groupe le plus vulnérable « la femme chinoise » présentent une image complexe dans l'œuvre : tragique, mystérieuse, courageuse, féerique, etc. Ces personnages féminins vivants et concrets décrivent au lecteur un monde réel d'horreurs qui accompagnent la guerre. À travers le concept du stéréotype, la démarche impressionniste et l'approche journalistique, cet article vise à montrer comment, entre imaginaire romanesque, approche artistique et écriture journalistique, se révèle l'image d'un groupe diversifié de femmes.
Como intermediaria entre la "tierra misteriosa" y Pierre Loti, la mujer exótica que encarna la esencia de una civilización es un tema recurrente en sus obras. Su papel en sus ficciones merece ser estudiado. En su descripción de las mujeres de Extremo Oriente, en comparación con la mujer japonesa, la mujer china nos parece bastante desconocida, pero su obra Los Últimos días de Pekín tiene como telón de fondo la rebelión de los bóxers. Desde el punto de vista particular de un escritor y militar exótico, sus relatos sobre la sociedad china en esta "tierra misteriosa" y, en particular, su descripción de la "mujer exótica", la mujer china, en este contexto particular de violencia y otras alteridades, desempeñarán un papel importante en relación con "todo lo que es diferente, extraño, exótico". Las representantes del grupo más vulnerable, "la mujer china", presentan una imagen compleja en la obra : trágica, misteriosa, valiente, de hadas, etc. Estos personajes femeninos vívidos y concretos describen al lector un mundo real de horrores que acompañan a la guerra. A través del concepto de estereotipo, el enfoque impresionista y el enfoque periodístico, este artículo pretende mostrar cómo, entre la imaginación novelística, el enfoque artístico y la escritura periodística, se revela la imagen de un grupo diverso de mujeres.
Como intermediário entre a "terra misteriosa" e Pierre Loti, a mulher exótica que encarna a essência de uma civilização é um tema recorrente nas suas obras. O seu papel nas suas ficções merece ser estudado. Na sua descrição das mulheres do Extremo Oriente, em comparação com a mulher japonesa, a mulher chinesa parece-nos bastante desconhecida, mas o seu trabalho Os Últimos Dias de Pequim tem como pano de fundo a Rebelião Boxer. Do ponto de vista particular de um escritor e oficial militar exótico, os seus relatos da sociedade chinesa nesta "terra misteriosa" e, em particular, a sua descrição da "mulher exótica", a mulher chinesa, neste contexto particular de violência e alteridade, desempenhará um papel significativo em relação a "tudo o que é diferente, estranho, exótico". Os representantes do grupo mais vulnerável "a mulher chinesa" apresentam uma imagem complexa na obra : trágica, misteriosa, corajosa, parecida com uma fada, etc. Estas vívidas e concretas personagens femininas descrevem ao leitor um mundo real de horrores que acompanham a guerra. Através do conceito de estereótipo, da abordagem impressionista e da abordagem jornalística, entre a imaginação novelista, a abordagem artística e a escrita jornalística, se revela a imagem de um grupo diversificado de mulheres.
As an intermediary between the "mysterious land" and Pierre Loti, the exotic woman who embodies the essence of a civilization is a recurring theme in his works. Her role in his fictions deserves to be studied. In his description of Far East Asian Women, Chinese women seem quite unknown compared to Japanese women, but his work The last days of Pekin has the Boxer Rebellion as its backdrop. From the particular point of view of an exotic writer and military officer, his accounts of Chinese society in this "mysterious land" and, in particular, his description of the "exotic woman", the Chinese woman, in this particular context of violence and other otherness, will play a significant role in relation to "everything that is different, strange, exotic". The representatives of the more vulnerable group "the Chinese woman" present a complex image in the work : tragic, mysterious, courageous, fairy-like, etc. These vivid and concrete female characters describe to the reader a real world of horrors that accompany the war. Through the concept of the stereotype and the journalistic approach, this article aims to show how, between the novelistic imagination, the artistic approach and journalistic writing, the image of a diverse group of women is revealed.
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Cet article fait partie du Projet de recherche « La construction et la reconstruction de l’image de la femme en Extrême-Orient sous la plume des écrivains français depuis le XXe siècle (avec l'exemple des femmes chinoises et japonaises) » financé par l’Université des études internationales de Shanghai (本文得到上海外国语大学第三届导师学术引领计划项目资助).
Introduction1
Considéré comme l'un des plus grands observateurs de l'exotisme à la fin du XIXe siècle, Pierre Loti profite de l'avantage de pouvoir voyager dans différents pays, en tant qu'officier expéditionnaire, ce qui lui permet de connaître les civilisations lointaines, originales et les décrire dans ses œuvres. Les souvenirs de sa propre expérience sont devenus une source d'inspiration immanquable de sa création littéraire, lorsqu'il s'est rendu en Chine pour l'expédition internationale de 1900.
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Initié par une société secrète appelée les Poings de la Justice et de la Concorde (义和团Yìhétuán), surnommée les Boxeurs, ce mouvement qui a lieu en Chine à la fin du XIXe siècle est créé pour affronter les puissances étrangères en Chine, notamment les missionnaires et les chrétiens chinois. Il se termine par la défaite des Boxeurs et la tutelle de la Chine par huit nations impérialistes (Allemagne, Autriche-Hongrie, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie).
La Révolte des Boxers2 a éclaté et, sur les ruines de la répression, des scènes de destruction et de carnage, il rédige de petits articles, à partir de ses propres témoignages. Ces articles sont publiés d'abord dans les colonnes du Figaro, et repris ensuite, en 1902, pour constituer Les Derniers Jours de Pékin. En effet, la visite de l'auteur a coïncidé avec la répression de la Révolte des Boxers, et le sang qui a coulé sur le sol chinois n'a pas encore séché.
Il est donc clair que son rôle est à la fois celui de vainqueur et de témoin dans la grande confrontation culturelle entre l'Est et l'Ouest au début du siècle. D'une part, une telle œuvre vise à mettre en évidence la suprématie du conquérant. D'autre part, en tant qu'écrivain, l'auteur se munit d'un appareil photo noir et blanc, qui capture dans les moindres détails ce qu'il a vu et entendu sur son chemin à travers la Chine, notamment lorsqu'il est entré à Pékin. Les couleurs grises et ternes de l'œuvre, entrecoupées de souvenirs vivants, révèlent le déclin et la mort de la beauté de la Chine, déconstruisant et reconstruisant, petit à petit, la Chine mystérieuse et magique vue par les Occidentaux.
L'ouvrage, qualifié de « roman » d'un correspondant de guerre, reflète en profondeur les liens de Loti avec la Chine et le peuple chinois et donne notamment une image de la femme chinoise. Cependant, cette œuvre est différente de ses autres ouvrages qui décrivent l'amour avec des femmes exotiques.
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Parmi les œuvres les plus emblématiques de cette série, citons Aziyadé (1879), Marigae de Loti (1878) et Madame Chrysanthème (1887).
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Irene Szyliowicz, Pierre Loti and the Oriental Woman, 1988: 15. « Loti's 'foreign' fiction is almost formulaic: in each instance a handsome, usually French, sailor travels to a distant land, there to fascinate, and in turn be enthralled by, an 'Oriental' woman ». Traduit en français par l’auteure de cette étude.
En général, les romans3 de Loti concernant la femme exotique sont dans une large mesure construits sur le même modèle : « un beau marin, généralement français, se rend dans un pays lointain où une jeune femme tombe amoureuse de lui. À son tour, il est subjugué par elle »4. Néanmoins, il n'a pas voyagé très longtemps en Chine, et en raison des événements de la guerre, il n'a pas eu le temps de s'installer et d'essayer de se mêler à la population locale comme il l'a fait au Japon ou à Tahiti, de commencer une vie intime avec les femmes chinoises.
Cette œuvre se caractérise plutôt par la répression sanglante, les cadavres des victimes inhumés, les scènes affreuses, une ville complètement noyée dans le sang. Bien qu'il soit impossible de mélanger ces scènes et celles de l'amour pour une femme exotique, l'auteur n'a pas abandonné son intérêt pour le thème féminin. Dans ce sombre et horrible contexte d'après-guerre, les descriptions de la femme chinoise occupent également une place importante, avec différents types de figures féminines apparaissant à différentes occasions et présentant différents visages, comme un fil qui relie ce que le narrateur a vu et a entendu à Pékin, révélant une Chine en chair et en os.
1. Les stéréotypes liés à la femme chinoise et la façon dont ils se manifestent et évoluent
D'après le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), le stéréotype est :
une idée, une opinion toute faite, acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique, par une personne ou un groupe, et qui détermine, à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir et d'agir. (Source : http://www.cnrtl.fr/definition/stéréotype)
Les stéréotypes conduisent souvent à ce que la perception de quelque chose, notamment de l'Autre, soit limitée à un certain modèle ou à une certaine image, voire à un certain préjugé à un moment destiné. Dans cette œuvre, les stéréotypes sur la femme chinoise se focalisent sur les conceptions traditionnelles, l'apparence physique, les coutumes et le comportement. Quel que soit l'archétype d'image de la femme chinoise, avant de venir en Chine, les auteurs français pensaient généralement que les femmes chinoises, en particulier les femmes de haut rang vivaient recluses et confinées chez elles. Dans cette œuvre, le narrateur croit que son occasion unique de rencontrer et observer quelques belles dames de Pékin, c'est leur sortie de la messe, car ces femmes ne se montrent point dans les rues, où ne circulent que les femmes de basses classes. « Point de femmes, elles restent cachées. » (Loti, 1902 : 366).
Même si l'on mange chez un mandarin, il est difficile de voir les dames de la maison car elles ne sont pas admises devant les invités. Outre leur réclusion, l'étrangeté et la bizarrerie de la femme chinoise n'ont pas échappé aux stéréotypes véhiculés. « Oh ! les étranges minois fardés et les étranges atours » (Ibid. : 340). L'auteur les décrit comme si » elles sont échappées des vieux paravents ou des vieilles potiches, pour prendre réalité » (Ibid. : 341). De même, les personnages féminins de l'œuvre, comme la vieille conductrice est une « […] étrange créature » et l'une des trois chanteuses est « l'étoile, une bizarre petite créature très parée. » (Ibid. : 352). D'ailleurs, le statut des femmes, tant dans les basses classes que dans les classes supérieures, reste inférieur et subordonné à celui des hommes, ce qui est également implicite dans la façon de les désigner :
On sait d'ailleurs qu'un Chinois obligé de parler de sa femme ne doit la désigner que d'une manière indirecte, et autant que possible par un qualificatif sévèrement dénué de toute galanterie, comme par exemple : « mon horripilante » ou « ma nauséabonde » (Ibid. : 396-397).
Ces appellations péjoratives symbolisent l'invisibilité de la femme en tant qu'objet pour les hommes. Il apparaît donc évident qu'aux personnages féminins représentés dans cette œuvre s'entremêlent les éléments des stéréotypes les plus répandus sur la femme chinoise à l'époque où vivait l'auteur.
1.1 L'archétype de vieilles femmes : le symbole d'une nation décadente et ravagée
La description particulière de vieilles femmes chinoises apparaît à plusieurs reprises, à commencer par celle d'une femme, peut-être centenaire, expulsée de son domicile sous les éclats de rire des soldats allemands que le narrateur rencontre à la campagne. La vieille femme, si âgée qu'elle peut à peine marcher toute seule, est obligée de quitter sa maison avec l'aide de ses petits-enfants, laissant son logement bien entretenu aux soldats allemands qui viennent y établir un poste.
L'autre vieille femme, une vieille conductrice qui guide les officiers étrangers qui souhaitent voir les deux déesses des Boxers prisonnières, a les traits typiques de la femme chinoise traditionnelle : de petits pieds, des yeux retroussés, un habillement sombre. Elle est ravagée par la guerre, craintive et prudente, et mystérieuse à la fois, car son aspect et son allure déconcertés lui donnent l'impression d'être une douairière âgée qui semble raffinée en surface, mais qui pourrait en fait « vers[er] dans les honteuses besognes clandestines » (Ibid. : 46). C'est donc un personnage féminin plutôt complexe, aux multiples visages de la guerre que la plume de l'écrivain retrace à travers elle.
Un autre personnage âgé, l'une des figures féminines typiques de l'auteur est celui de la mère des deux déesses des Boxers prisonnières mentionnées précédemment. Bien qu'elle ne soit décrite qu'en quelques mots, elle est présentée avec des caractéristiques physiques semblables à celles de la vieille conductrice : les yeux obliques de vieille Chinoise, ainsi qu'une figure tragique qui a toujours suivi ses deux filles, mais qui finit par se noyer tragiquement.
Les stéréotypes sur l'image des femmes ou du peuple chinois transparaissent dans l'emploi des énoncés, des mots et expressions figées telles qu'« oblique », « louche », « de travers » ou « bridé » souvent utilisées par les écrivains français pour décrire les yeux et le regard des Chinois. Les regards de l'Autre interprétant ou impliquant d'une façon autocritique des sentiments complexes. Comme Emmanuel Levinas l'évoque dans son œuvre, » L'Humanisme de l'autre homme » :
Autrui qui se manifeste dans le visage, perce en quelque sorte sa propre essence plastique, comme un être qui ouvrirait la fenêtre où sa figure pourtant se dessinait déjà. Sa présence consiste à se dévêtir de la forme qui cependant déjà le manifestait. Sa manifestation est un surplus sur la paralysie inévitable de la manifestation. C'est cela que nous décrivons par la formule : le visage parle. La manifestation du visage est le premier discours (Levinas, 1972 : 51).
Les regards, en particulier ceux qui sont propres aux vieilles femmes, comme les regards impénétrables et sans vie de la vieille conductrice, transmettent une subtile résonance émotionnelle qui amène le lecteur à éprouver de la compassion pour elles, qui ont souffert de la guerre. Désormais chassées par les envahisseurs étrangers, humiliées, ces héritières d'une civilisation ancestrale, symbolisent la déception et la douleur d'une Chine vieillissante.
Le champ lexical de la tristesse (« le désespoir » » la détresse » » sans recours ») souligne clairement la frustration et l'impuissance de la vieille femme, forcée de quitter son pays natal à un âge avancé, ce qui ajoute aux éléments de la misère de la situation à l'époque de la Révolte des Boxers. Quant à la vieille conductrice chinoise qui montre le chemin, l'auteur joue sur un double sens, comparant ses rides à celles de la pomme en hiver, pleine des traces du temps ; il fait ainsi allusion au fait que la Chine est désormais mourante et sans vividité après avoir connu les vicissitudes du temps. De même, le regard impénétrable et sans vie de la vieille femme, face aux envahisseurs étrangers évoque le mystère et l'impénétrabilité de la Chine et son délabrement dû en raison des émeutes.
1.2. L'archétype de la femme rebelle, à la fois victime de la guerre et héroïne de la résistance
Pourquoi l'emploi du terme « déesses » pour désigner la femme rebelle dans cette œuvre ? Dans l'esprit du public chinois, les déesses représentent une sorte de palladium. C'est le cas des deux statues de déesses qui apparaissent dans le second palais de l'impératrice, dont l'une est la « déesse blanche qui était un peu le palladium de l'empire chinois », l'autre, « une déesse d'albâtre en robe d'or brodée de pierreries - (qui) médite les yeux baissés, calme, souriante et douce, au milieu des mille débris de ses vases sacrés, de ses brûle-parfums et de ses fleurs » (Loti,1902 : 154-155). L'apparition simultanée des deux déesses signale l'importance inégalée du rôle de palladium dans la famille impériale. L'auteur se rend également compte que la déesse représente beaucoup pour les Chinois, et également pour la dirigeante spirituelle de la Révolte des Boxers.
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Principale dirigeante de l’une des organisations féminines de la Révolte des Boxers, organisation de base dont les membres étaient en général des jeunes filles et des jeunes femmes (entre 12 et 18 ans), groupées dans des Hong Teng Tchao ("红灯照", les lanternes rouges) dont les membres des Hong Teng Tchao portaient des vêtements rouges, des lanternes et des éventails rouges à la main comme signes distinctifs et prenaient part au combat en première ligne, avec bravoure.
Deux déesses des Boxers présentées dans cette œuvre sont Lin Hei'er (en chinois"林黑儿")5 et sa sœur, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles elles ont incité les officiers européens à leur rendre visite en groupe, car ces femmes légendaires sont déifiées comme les dirigeantes spirituelles qui entraînent et encouragent les Boxers au combat. Elles représentent une autre facette des femmes chinoises qui ont rompu avec la tradition et dont la mystique a suscité l'intense curiosité de ces officiers.
« Elles étaient des filles fétiches que l'on postait dans les pagodes criblées d'obus pour en protéger les autels, des inspirées qui marchaient au feu avec des cris pour entraîner les soldats. Elles étaient les déesses de ces incompréhensibles Boxers » (Ibid. : 51).
D'ailleurs, il est à noter que leur double identité contradictoire de victimes de la guerre et d'héroïnes de la résistance est également clairement exprimée par l'auteur. D'une part, l'abandon de la vie féminine traditionnelle, le tourment de la guerre, les rendent fragiles, désespérées et indifférentes à tout. D'autre part, elles étaient autrefois « jolies, avec une certaine grâce, un certain charme comme il faut » (Ibid. : 53) plein de vitalité féminine, et avaient une vie qui aurait dû être heureuse, mais elles ont choisi de se battre et ont rejoint sans peur la Révolte des Boxers pour lutter contre l'invasion étrangère et sont devenues de courageuses guerrières. Sous la plume de l'auteur, elles sont des femmes adorables et respectables, des femmes d'une infinie sympathie, mais aussi des victimes de la guerre.
1.3 L'archétype de la femme victime de la guerre : le miroir d'une société en pleine mutation
Au milieu des scènes sanglantes, Loti se transforme en véritable correspondant de guerre en peignant et décrivant des Chinoises qui fuient les obus, se cachent pour échapper à la guerre ; les corps de femmes mortes dans la guerre font également l'objet de ses descriptions.
La douleur, la souffrance, l'angoisse mais aussi la volonté de survivre des femmes de la classe inférieure sont documentées par l'auteur avec un œil vif et une observation méticuleuse, et deviennent un témoignage de l'Histoire.
L'auteur accorde également une attention particulière à la description des cadavres des femmes anonymes tuées à la guerre. Qu'il s'agisse de décrire le corps de femmes riches, de femmes ordinaires ou de jeunes filles, il documente en détail chaque partie du corps.
Et voici une femme à qui l'on a tranché, avec quelque coutelas, une partie intime de son corps pour la lui mettre dans la bouche, où les chiens l'ont laissée entre les mâchoires béantes… (Ibid. : 177).
Les descriptions minutieuses donnent lieu à une scène qui choque le lecteur Il s'agit du cadavre encore chaud d'une petite fille. Par-delà la vision d'horreur, le spectacle auquel on assiste n'est pas sans rappeler le statut social inférieur de la femme chinoise : » pour les filles seulement, les Chinois ont de ces dédains atroces » (Ibid. : 354). C'est pourquoi on trouve, partout, des bébés filles abandonnées pour diverses raisons, la préférence allant au fils, des allusions fréquentes à la pauvreté, etc. Le rythme produit par la répétition de l'expression « pauvre petit » qui montre l'empathie pour ces petites filles abandonnées a pour but de révéler le phénomène social de l'infériorité des femmes par rapport aux hommes, dès la naissance.
1.4 La représentation féerique et imaginée de l'Impératrice douairière Cixi
L'échec de la Révolte des Boxers est également inextricablement lié à elle. L'image de cette femme mystérieuse qu'est l'Impératrice douairière Cixi n'a jamais cessé de hanter le cœur du narrateur dès l'abord, car il lui est impossible de la voir dans la vie réelle. Il ne peut qu'observer les traces laissées dans la Cité interdite, interdite au public, et à partir de celles-ci, il peut spéculer et imaginer son image. Cette figure féminine exceptionnelle dans un univers un peu féerique apporte une touche de lumière au ton gris de l'ensemble de l'œuvre, faisant temporairement oublier au lecteur les ravages de la guerre. Parmi toutes les figures chinoises représentées dans les œuvres littéraires notamment chez les écrivains au début du XXe siècle, elle est une femme controversée dans l'histoire de Chine ; elle a exercé sur le grand public en France et même en Europe une fascination durable. Aux yeux des écrivains français, ce personnage féminin hors normes et hors du monde traditionnel manifeste une autre sorte de séduction du mystère insondable et de l'Autre et éveillent ainsi l'intérêt à explorer.
Tout d'abord, le narrateur esquisse une sorte de féerie fantaisiste de son image ; son palais est celui « des fées », où « l'impératrice, suivie de ses dames du palais, passait dans ses atours de déesse ! » (Ibid. : 143-144). Dans son second palais, il imagine que des petits châteaux de faïence sont construits pour les fées. Lorsqu'il visite le palais où il s'installe, il imagine » qu'il a été construit pour les fantaisies d'une femme » (Ibid. : 148), et l'image de l'Impératrice douairière Cixi apparaît dans son esprit alors qu'il imagine toutes les scènes dans lesquelles elle a vécu. Et ici, le temps semble s'être arrêté, la guerre ne s'est pas étendue. L'impératrice par le mystère qui l'entoure, le secret de son apparence et l'endroit où elle vit, symbolise une autre Chine, un peu hors du temps alors que dans les rues, l'auteur décrit le temps réel. Il s'agit peut-être, ici, pour Loti, de faire en sorte que le lecteur « souffle » un peu en récréant un monde féérique mais pas forcément de fiction.
2. Les techniques de construction de l'image de la femme chinoise
D'une manière simple, directe et réaliste, l'auteur capture les images et décrit dans la presse les horreurs que la guerre a infligé aux femmes du peuple tandis que le quotidien des femmes de la classe supérieure n'est pas affecté par la guerre.
2.1 L'insertion d'éléments impressionnistes : une image féminine plus vivante
Pour appuyer sur les contrastes et soulager le lecteur des moments de tension et d'horreur qu'il décrit, Loti se sert aussi de « l'impressionnisme » pour insister sur les réalités quotidiennes.
L'impressionnisme montre des réalités quotidiennes, mais elles sont plus légères, plus claires, plus lumineuses. Les impressionnistes s'intéressent à la perception des choses : jeux de lumière, les reflets sur l'eau, mouvements (Laclotte, Cuzin (dir.), 2003 : 430).
Il y a chez l’auteur une appréhension du réel particulière par la mise en valeur et une maîtrise de la lumière et des couleurs, une observation minutieuse du monde et une capacité à créer pour le lecteur un espace pour l'imagination visuelle et l'auto-perception.
Les couleurs sombres et ternes, tristes et froides, donnent aux femmes qu’il décrit un aspect crasseux et évoquent tout l'environnement d'après-guerre de l'époque, morose, désolé dominé par les récurrences des couleurs « d'ébène » et du gris brique.
2.2 L'effet journalistique dans la représentation de la femme
Les médias sont des passeurs entre l'Autre et les lecteurs. Ils sont un véhicule matériel entre le communicateur et le destinataire qui porte, transmet, étend et élargit un message spécifique, avec des caractéristiques telles que la médiation, la charge et la réduction de la réalité.
Les médias représentent une voie majeure de socialisation. Les représentations qu'elles gèrent constituent un mode de connaissance mais contribuent dans le même temps à l'élaboration des identités individuelles et sociales, à la diffusion des normes, conduites et valeurs (Brigitte GRESY, 2008 : 11).
La représentation de la femme chinoise se trouve principalement dans les œuvres des missionnaires ou dans certains récits de voyage. Ici, l'œuvre de Pierre Loti élargit la construction de la figure féminine au domaine du média, ce qui est rarement le cas, et met en lumière la diversité des femmes presque à la manière d'un documentaire. Cette approche est également un défi aux stéréotypes traditionnels de la femme exotique. Et Loti peut, parfaitement, apparaître, comme un journaliste de guerre.
Son œuvre s'inspire des reportages qu'il a envoyés au Figaro, à partir de ce qu'il a vu et entendu en Chine. En conséquence, son premier souci est de présenter à ses lecteurs occidentaux l'image des gens la plus exacte de la contrée qu'il explore. La représentation des femmes chinoises est donc très proche de ce qu'il a réellement observé.
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Il a été correspondant de guerre pour Le Figaro pendant la guerre franco-chinoise.
Ce n'est pas la première fois6 qu'il contribue au Figaro et sa double casquette de marin et d'écrivain, lui confère une expérience sans conteste dans la « capture » de scènes de guerre. Attiré, sa vie durant, par les femmes exotiques, son intérêt à leur égard s'en trouve renforcé en temps de guerre. Aussi lorsqu'il maximise la description objective de l'image de la femme chinoise passe-t-il, peut-être inconsciemment, à une certaine forme de journalisme. Le regard de Loti, tel une caméra, enregistre pour le lecteur, les deux groupes de femmes chinoises, celles qui souffrent de la guerre et celles qui, bien que recluses, en sont éloignées, comme l'Impératrice douairière Cixi. En toile de fond, les ravages de la guerre, les détails sordides des cadavres sont présentés de manière graphique pour bien peser dans l'esprit du lecteur. Aucun parti pris mais des descriptions « choc » qui permettent de mieux visualiser les espaces qu'il parcourt.
En revanche, la scène de la recherche des souliers brodés de l'Impératrice douairière et celle des dames de la classe supérieure assistant à la messe présentent un contraste saisissant. La forme des coups de pinceau du journaliste rend ce contraste discret. Celle-ci est inévitablement liée aux observations de la perspective journalistique de l'auteur.
En tant qu'officier de l'armée, tenu au devoir de réserve, Loti ne peut exprimer publiquement sa condamnation de la guerre contre l'ancienne culture chinoise et le peuple chinois. En revanche, en tant qu'écrivain, il se sert adroitement de l'impact produit par l'image, les images, seul lien entre lui et le lecteur. Ce point d'entrée de l'objectivité journalistique le conduit à vouloir échapper aux angoisses de la guerre en choisissant à nouveau le sujet des femmes exotiques qu'il connaît bien. En se concentrant sur des femmes qui trouvent facilement écho auprès du lecteur, il crée un effet dramatique en affinant les scènes qui les présentent.
L'auteur se préoccupe davantage des plus jeunes et des plus âgées, comme dans le cas de la vieille dame contrainte de quitter sa maison et des jeunes filles fuyant la guerre, plus susceptibles d'inspirer la compassion. En passant du récit fictif à la perspective journalistique, l'auteur entre simultanément dans un autre espace : la réalité. Il passe constamment de l'imaginaire à la réalité : les figures féminines recréées et réelles contrastant fortement. Dans cette perspective, c'est plus efficace qu'une critique directe de la guerre. C'est aussi plus convaincant qu'une longue réflexion philosophique sur la brutalité de la guerre contemporaine, ici la révolte…
Conclusion
Dans son œuvre, Loti n'est pas particulièrement empathique envers les Chinois en général ; il considère davantage les femmes chinoises comme l'Autre et montre parfois envers elles des signes de sympathie, voire d'admiration (par exemple, envers les deux déesses des Boxers) tout en mettant davantage l'accent sur elles dans le contexte plus large de la guerre et de ses ravages, et ce jusqu'à la fin de l'œuvre.
S’il recherche avant tout l’objectivité dans ses descriptions, réalistes et détaillées, il n’échappe pas aux stéréotypes véhiculés à son époque lorsqu’il évoque le confinement ou les pieds bandés, par exemple. Il n’oublie pas non plus son rôle d'officier de marine dans l'expédition en Chine et se place dans la position du vainqueur perdant ainsi l’objectivité dont il se prévaut.
La femme chinoise, telle qu’il la présente, possède à jamais deux visages : tantôt victime ou martyr, liée à la cruauté de la vie, de la guerre, de la société, de l'histoire ; tantôt femme idéale, héroïne ou figure déifiée. Récit fictif basé sur la perspective journalistique de l'auteur lorsqu’il se trouve en Chine, Les derniers jours de Pékin mêlent objectivité et subjectivité. Au lecteur de discerner ce qui est du ressort de l’imaginaire et ce qui tient de la réalité.